"Pendant les années noires, privé de tout par les uniformes verts, je ne cessai de regretter le chewing-gum, les bananes et le chocolat, ainsi que mon hebdomadaire favori, Le journal de Mickey, qui arrêta sa parution dès l’armistice 1940.
Au rez de chaussée de ces immeubles meublant les quais, on trouvait différents commerces : la boulangerie Bonnafous et les bistrots et leur terrasse : Le Petit Mousse, Chez Borie, Adélaïde (on ignorait son patronyme exact et on ne l’appelait que comme ça). C’est là que mon arrière grand-mère venait siroter son apéritif quotidien, un quint (comprenez un « Saint-Raphaël Quinquina », habitude qu’elle conserva jusque’à ce qu’elle devienne grabataire. Quand je me trouvais en sa compagnie, elle ne manquait jamais de me faire servir « un bébé », ce qui dans le vocabulaire bistrotier, signifiait du sirop de grenadine étendu d’eau ; j’étais friand de cette boisson jusqu’à ce que, sous l’occupation, le sucre du sirop soit remplacé par de la saccharine, ce qui m’orienta provisoirement vers d’autres saveurs.
Chez Borie, je ne m’y rendais que pour les séances de cinéma et pour les bals - costumés ou pas - du carnaval.
Dans une chanson extraite d’une opérette marseillaise, on trouve ce refrain : « Ah qu’il est doux le plaisir de la pêche, c’est lek régal parfait…
Je me souviens aussi d’un air très célèbre alors, mais bien oublié aujourd’hui’hui, d’une valse de Franz Léhar : « Heure exquise-Qui nous grise…
Au loto, le « tireur du sac » sortant les pions numérotés et les annonçant aux joueurs, agrémentait sa diffusion d’un simple commentaire, souvent traditionnel et parfois… hasardeux ; ainsi le numéro 22 était toujours suivi de la mention « les deux poulettes », le 7 de « petit port de mer »… Souvent les joueurs s’impatientaient et apostrophaient le meneur du jeu par : « Bolet lus », il fallait « bouleguer ». Chaque partie était close lorsque fusait le cri de la victoire : « Quine » ; et la partie se terminait alors par la phrase, traditionnelle elle aussi : « La quine est bonne, vous pouvez démarquer ! » On venait alors remettre au vainqueur son butin, la plupart du temps un « panier garni » empli à ras bord de boustifaille.
Je me souviens des champions de France en titre de Beach volley. Demotte, Delousteau, Brioude, Claparède, Dulon, leur capitaine incontesté, et un de leurs co-équipiers qui devait rester célèbre pour d’autres raisons, Jacques Vabre ; oui, ce Vabre qui devait donner son nom à une des marques de café des plus réputées, représentée publicitairement par « le gringo » qui savait détecter des arômes subtils.
Je me souviens de la projection du Blanche-neige de Disney qui fut l'évènement cinématographique de l'an 37.
La cuisine ? N'allez pas vous imaginer que l'ordinaire palavasien n'était que bouillabaisse ou langouste à l'américaine, on mangeait des petits poissons plats, sorte de soles naines appelées "palanques" qui se dégustaient avec les doigts. Le plat principal que je prisais le moins, c'était la préparation de poissons, d'étangs pour la plupart, dite à l'"aga eau", sorte de cuisson en court-bouillon ; on assaisonnait ensuite les filets de poisson dans son assiette avec de l'huile et du vinaigre.
Après avoir joué, exténués par l’effort consenti, encore enivrés de cette participation toujours trop brève, le corps couvert d’un sable soudé par la transpiration, tels de jeunes athlètes en croûte au sel, nous courrions nous jeter dans les flots revigorants de cette « mer, toujours recommencée… »
Le 2 septembre 1939, je me trouvais chez mes grands-parents qui habitaient tout près de l’église ; passant devant celle-ci, je remarquai des affiches sur les murs, chose inhabituelle. Elles avaient pour titre en caractère gras : « Mobilisation générale ».
Mon grand-père n’avait pas la larme facile ; pourtant, je l’ai vu pleurer deux fois pendant la triste période qui a suivi la déclarations des hostilités. La première fois, ce fut lorsque la voix chevrotante de Pétain annonça l’armistice ; la seconde fois, toujours à l’écoute de la radio, ce fut lorsque’il appris en novembre 1942, que la flotte française venait de se saborder en rade de Toulon.
L’information qui ne le fit pas pleurer mais qui le propulsa dans une rage folle fut une information de juillet 1940 : les Anglais avait envoyé par le fond tous nos navires de guerre en rade de Mers-el-Kébir, près d’oral. Il vaut mieux qu’aucun sujet de sa gracieuse majesté ne se soit pas trouvé à porté de ses mains : il l’aurait étranglé séance tenante. Il se contenta de fracasser une chaise qui manqua de justesse le poste de radio. Ma grand-mère lui reprocha la destruction de la chaise pendant plusieurs années.
Les plages, désormais minées, étaient devenus un domaine interdit à nos jeux. Nous nous rattrapions en jouant à "bistre" ou à la "ringarangue" ou encore à "la balle en peilhe" variété locale du football où la sphère de cuir était remplacée par un amalgame de chiffons arrondi au mieux : on a les ersatz qu'on peut.
On a aussi les stades qu'on peut : celui de Palavas se nommait en toute simplicité "le terrain du Toc". Il se trouvait sur une partie desséchée de l'étang du Grec et ses installations se résumaient aux trois barres de bois formant chacun des buts.
Le mot de la fin ? Au milieu de cette vague de souvenance, reste le plus précieux : comment oublier ces moments qui me portaient vers l'ataraxie : assis sur le sable, tourné vers ce sud qui demeure mon vrai pôle d'orientation, me reste une impression qui me revient souvent en mémoire et règne en maîtresse sur mon corps et mon esprit, enfin confondus.
Elle devient cette ligne, ardemment scrutée, jusqu'à plonger mon regard dans une totale béatitude, cette ligne de lumière sombre, au contraire de celle qui embrase le zénith ; elle délimite l'horizon, là où la mer cherche à joindre le ciel, mais sans jamais l'atteindre.