"Debrieffing du marathon de Saint-Tropez :
7 h 50 : Le speaker lance un Clapping à des coureurs surexités placés sur la ligne de départ.
7 h 55 : Une minute de silence en mémoire du gendarme Arnaud Beltrame. Un héros.
Nous ne t'oublierons pas.
7 h 58 : La tension monte, j'annonce à mes voisins que je suis là pour gagner.
7 h 59 : La stratégie est simple : Suivre les Kényans jusqu'à Saint-Tropez, porter une première estocade à Cogolin avant de les déborder dans la descente vers Cavalaire-sur-Mer.
Imparable.
8 h : Les coureurs s'élancent devant la foule. Immense la foule.
8 h 1 : Première attaque du Kényan Elias Sugut.
Je suis décroché irrémédiablement.
8 h 2 : Changement de stratégie : l'important, c'est de participer.
8 h 30 : J'accorde mes pas sur ceux d'Antoine et de Marc. Ils ne se connaissaient pas la veille de la course, pourtant, ils franchiront la ligne épaule contre épaule. Antoine avait passé une annonce sur Internet : "Je suis aveugle, je cherche quelqu'un qui pourrait m'aider à courir un marathon." Ils franchiront la ligne d'arrivée en 4 h 15, liés par un fil et désormais bien plus que ça.
9 h : Petit brin de causette avec Thomas et Pascal. Ils ont couru leur premier marathon ensemble puis se sont fait la gueule pendant des années avant de se retrouver. On ne peut pas se fâcher vraiment avec quelqu'un avec qui on a partagé l'aventure d'un marathon.
10 h : Passage par Saint-Tropez, petit détour pour aller voir la plage naturiste avant d'être intercepté par les gendarmes Fougasse, Merlot et Tricard qui remplace actuellement Jules Berlicot.
10 h 15 : Sur le port, on chante :
"Douliou Douliou Douliou Saint-Tropez...Douliou Douliou Douliou Saint-Tropez"...
10 h 18 : Une rumeur court à son tour : Le Kényan a remporté l'épreuve.
10 h 19 : Apéro.
10 h 30 : Un plateau de coquillages accompagné du petit rosé de Saint-Tropez.
Sucré mais pas trop.
11 h à 11 h 30 : Je prends le mur en pleine gueule. Je me mets à tout haïr.
11 h 31 à 11 h 45 : La muraille de Chine se dresse face à moi. Où c'est que j'ai mis mon flingue ?
11 h 47 : Un texto de Mamie : "Qui n'avance pas, recule." (proverbe Chinois)
11 h 50 : Je me fais dépasser par des gars déguisés en Télétubbies. Réaction d'orgueil : "Ce n'est pas possible, tu ne peux pas arriver après des Télétubbies"...
Midi : J'arrive à la borne 42 - plus que 195 mètres à faire - et lieu de rendez-vous avec le petit pour franchir la ligne ensemble.
Surprise : Tidou est aux abonnés absents. Mais t'es pas là, mais t'es où Tidou ? Pas là.
Je décide sur le champ de l'attendre à la borne 42. Seul comme un con.
Après tout, il a dû faire un saut au bistrot, il ne va pas tarder.
Derrière la barrière Marie-Catherine scrute l'horizon. Son mari lui a dit qu'il ne fallait pas l'attendre avant 12 h 30, mais elle regarde les arrivants, on ne sait jamais.
Et puis soudain, là-bas, au bout de cette longue ligne droite... Elle l'a reconnu. Elle agite des bras qu'il ne voit pas. Concentré sur ce qu'il lui reste de forces pour parcourir ces ultimes arpents de bitume. Un baiser l'attend sous le soleil.
Midi 5 : Il est où le Tidou, il est où ? Il est où ? ...
Midi et quart l'heure du Ricard : "Vous n'avez pas vu un petit garçon blond, les yeux bleus, un peu capricieux ?"
Midi 25 : "Alerte enlèvement : Recherche désespérément Tidiane, trois ans et des brouettes, 70 cm environ 5 kg à la pesée, vêtu d'un pyjama avec logo "Allez l'OM"...
Midi et demi : Les Télétubbies franchissent la ligne.
Toujours pas de Tidou à l'horizon.
Midi 38 : Un coureur habillé en Tintin termine en courant avec ses deux petites filles, une à chaque main ; elles le regardent comme on regarde les étoiles.
Midi 40 : un autre coureur franchit la ligne les larmes aux yeux en pointant ses mains vers le ciel. C'est émouvant, on imagine une promesse...
13 h : Puis après 54 minutes d'attente - montre en main - deux mots qui valent toutes les EPO du monde : "Allez, papa"
Le petit !
13 h 5 : Ni une, ni deux, on fonce vers l'arrivée sous un déluge d'applaudissements. J'entends encore les cris de la foule et le mot du speaker : "Mais que c'est beau..."
13 h 7 : A peine l'arrivée franchi, on se retourne vers notre directrice artistique qui fait au loin de grands signes de désespoir. Renseignement pris : elle n'a pas eu le temps d'allumer sa caméra...
13 h 9 : Nous retournons - en catimini - à la borne 42 (pas vu, pas pris) pour une nouvelle arrivée.
On fonce et là, las, j'entends encore le mot du speaker : "Mais on les a déjà vu ces deux-là !".
La honte.
Moralité : Ils ne sont pas prêts de nous y revoir à Saint-Trop, en plus on a même pas croisé Brigitte Bardot et ses animaux.
Rideau.