"Je me souviens que je chantais au catéchisme : « j’ai reçu le lieu divan et mon coeur est plein de joie… » à la place de : « j’ai reçu le Dieu vivant. »
J’adorai mon grand-père. Il avait beaucoup d’optimisme et une foi immense dans ses rêves. Il y avait à l’époque une émission de radio diffusée sur Radio-Luxembourg, patronnée par l’apéritif Bartissol, et baptisée d’un très joli nom : « L’homme des voeux ».
Un comédien se promenait en France avec un micro caché, et racontait des fariboles à des passants; Si la personne le démasquait et lui disait « Vous êtes l’homme des voeux ! », il gagnait une petite somme d’argent.
Mais s’il avait dans son porte-monnaie des capsules de Bartissol, ses gains étaient multipliés d’autant.
Mon grand-père avait ainsi un porte-monnaie rempli de capsules. Hélas, il n’a jamais rencontré « L’homme des voeux ». Pourtant, il y croyait si fort. je le remercie car c’est peut-être lui qui m’a donné la force et l’envie de croire, moi aussi, à mes rêves.
Mon oncle était épicier. J'adorais l’entendre balancer les « Et avec ça, qu’est-ce que je vous sers ? » et les « C’est moi qui vous remercie ! » en passant par les inévitables « Ca pousse pas » ou « Laissez, je vais balayer… » quand un client faisait tomber de la monnaie sur le sol.
Dans ces années 60, le travail était rude et quand je dormais dans leur petit appartement, on réchauffait mon lit avec des briques brûlantes chauffées dans la cuisinière en bois et enveloppées dans un chiffon. J’avais aussi droit au seau hygiénique, tapissé d’eau de javel, qui vous rendait constipé en un rien de temps.
un week-end par mois, nous allions chez mes grands-parents. Evidemment, on rentrait le dimanche dans les bouchons et on ratait « LE » film du dimanche soir ! Ce film tant attendu que nous offrait à voir, en noir et blanc, une fois par semaine, notre poste de télévision Ducretet Thomson.
J’ai encore bien présent à l’esprit ces moments si gris où, coincé à l’arrière de la Peugeot 403, je regardais l’heure et les voitures roulant au pas en écoutant la radio qui égrenait « Le PUC bat Saint-Etienne 3 buts à 2 » ou Sochau fait match nul avec le stade de Reims ». Kopa ou Just Fontaine ne me faisaient pas rêver, ils me privaient de Jean Gabin, de De Funès, de Michèle Morgan, de Bourvil, de Mylène Demongeot ou de Jean Marais.
Je me souviens que nous allions à la fête foraine. J’aimais les tours de manège et d’auto-tamponneuses. Mon père adorait les loteries. On achetait des petits tickets enroulés très serrés et le plaisir était intense quand on les déroulait et qu’on découvrait parfois le lot gagné. On rapportait beaucoup de saloperies, des peluches ou des saucissons…
Je dois aussi de grands moments de bonheur au feux d’artifice. J’aurai pu rester des heures sur les épaules de mon père à tripoter sa courte chevelure au dos parue de Pétrole Hahn en regardant, dans le ciel, les fusées éclater et se consumer dans la nuit.
J’entends encore les « Ah !!! » les « Oh !!! », les « Ah la belle rouge ! » ou les « Oh la belle bleue ! » de la foule.
Le téléviseur commençait à jouer un rôle considérable pour moi et pour toute ma génération. La RTF ! Une seule chaîne, en noir et blanc, qui ne difusait que quelques heures par jour. Avec des interludes !
Je me souviens des speakerines, femmes-troncs, qui nous distillaient les programmes d’une manière plus ses que télé 7 jours.
Et ces panneaux ! « Veuillez nous excuser pour cette coupure du son indépendante de notre volonté »… C’était l’époque du « ça vient de chez eux » que lançait ma mère quand mon père tapait sur la télé pour faire réapparaître l’image, disparue dans la neige.
Au début des années 60, le nouveau franc remplaça l’ancien. Je chevauchais un Sole repent en mauve et tentait d’épater le monde en fumant de méchantes cigarettes : des Boyards maïs.
A l’école, c’était aussi la cascade des « avis de sanction », et là, ça rigolait moins quand il fallait les faire signer par les parents ou que ma pauvre mère était convoquée chez le censeur. Elle tombait des nues : « Je ne comprends pas, monsieur le censeur, il est si sage à la maison, on ne l’entend pas… »
Une époque formidable."