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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 19:41

CP_002E_ILL_002E_0214.jpg"Une fille de la forêt. Morceaux choisis :

 

"Des hommes sans mémoire ne seraient plus rien, et l'on ne peut bien concevoir la grandeur de l'avenir que si la grandeur du passé nous inspire." Jean Guéhenno

 

 Hiver comme été, on se lève à la pointe de l'aube. Les conditions de vie sont primitives ; on marche pieds nus, on se lave à l'eau de source, on dort dans des "bacus" couverts de chaume. Un sou est un sou, les femme rangent précieusement les économies au bas des boîtes à sel ; jamais aucune Chaniet n'a été obligée de vendre ses cheveux pour acheter du pain, comme tant d'autres. On est pauvres, mais non indigents, et au bout de la table, il y a toujours l'"écuelle de Dieu" pour les miséreux de passage, "car celui qui refuse à son prochain un pochon de soupe n'ira pas au Paradis."

 Céline Chaniet-Besson, devenue "civilisée" par un mariage qui l'arrache aux sortilèges de la forêt, n'oubliera jamais son enfance, ni son étonnement en couchant pour la première fois dans un vrai lit et sous un vrai toit. Cette étonnante femme mourra à quatre-vingt-cinq ans, après avoir raconté à son petit-fils les fabuleux souvenirs engrangés dans sa mémoire. 

 "Tout de suite après m'avoir déposée dans le berceau, mon père est sorti et à tiré en l'air trois coups de fusil pour annoncer ma naissance. il en aurait tiré cinq si j'avais été un garçon.

 Les parents et amis ont accourus de toute la forêt pour féliciter mes parents. Mon bapt^me eut lieu le dimanche suivant. Là, à la sortie de l'église, parrain et marraine ont jeté selon la tradition de pleines poignées de "nailles" aux nombreux enfants rassemblés sur le parvis. Il s'agissait de noix et de noisettes dont il fallait faire provision pour la circonstance. Les riches, eux, jetaient des dragées et mêmed es piécettes.

 C'était très mal vu de ne pas procéder à cette distribution. Ceux qui n'observaient pas la coutume s'exposaient à être raccompagnés en chemin par une bande de gamins mécontents, scandant cette insulte à leur adresse :

"Parrain fouiroux !

Marraine fouirouse !"

 La contrée où nous venions d'arriver était un pays secret dont les habitants sauvages se connaissaient d'un village à l'autre. C'étaient des gens d'aspect plutôt chétif, qui ne faisait pas mentir le vieux dicton rapporté par le grand-père Passemaux, selon lequel : "Il faut trois Bressans pour faire un Comtois !"

 Mon père était un excellent bouvier. j'ai encore en mémoire la chanson qu'il fredonnait en marchant devant son attelage :

"Même quand il pleut,

Avec mes grands beoufs

Je suis très heureux..."

 Si les Chaniet n'ont jamais souffert de la faim, c'est parce qu'ils furent toujours des gens laborieux et prévoyants. Tout le monde travaillait vaillamment dans la famille. Hiver, comme été, nous étions debout à la pointe de l'aube. Mon père avait l'habitude de dire :

"Il faut se lever matin

Pour ouvrir sa porte au pain !"

 Lorsqu'ils dégustaient un pichet de vin, les hommes le faisaient avec le respect qu'on attache aux choses rares. Ils buvaient lentement, en commentant les qualités du nectar. presque toujours, l'un d'eux rappelait le dicton régional :

"Les vins d'Arbois

Plus on en boit

Plus on va droit !"

 

Mon père ne manquait jamais d'ajouter :

 "Oui, mais quand le bûcheron trop boit,

Il coupe ses doigts !"

 Dans la famille, un sou était un sou. Seul mon père avait le droit de distribuer le pain. Avec son long couteau, le dret faisait un signe de croix rapide sous la miche et nous donnait à chacun un morceau.

 En dehors du pain, notre nourriture de base était la pomme de terre. Nous en mangions à tous les repas. d'abord dans des soupes épaisses, avec du chou, des haricots, des lentilles et des gruaux d'orge. puis, venait le platd e résistance : pommes de terre fricassées au lard.

 Pour un peu, comme le disait la chanson, nosu en aurions mangé même au dessert :

 "Pour le dîner, premeir repas

Des pommes d eterre dans un p'tit plat

Et puis pour le dessert et bien !

Encor' des pommes de terre

Et vous m'entednez bien

Pour le souper, second repas,

Des pommes de terre dans un grand plat

Et puis pour s'endormir, et bien !

Toujours des pommes de terre

Et vous m'entendez bien."


 L'hiver, c'était la saison des gaudes. nous titions à la courte-paille celui qui aurait le droit de racler la rasure" au fond du grand caquelon où l'odorante bouillie de maïs et de lait avait mijoté à feu doux. Avant d'être autorisé à plonger sa cuillère et son nez dans le fond du récipient, le gagnant devait réciter ce couplet :

"J'portions des biaudes,

J'mangions des gaudes,

J'étions le roi

J'étions Comtois !


 Je me souviens que dans toutes les familles où il y avait des conscrits, la veille du tirage au sort, les mères partaient à l'église dès le matin afin de prier pour que leurs fils aient plus de chance de tirer un bon numéro. Il y avait aussi des pratiques moins chrétiennes, comme celle qui consistait à coudre une dent de loup dans la doublure de la blouse du garçon. Le loup vorace était censé manger les cent premiers cartons de l'urne, ne laissant à celui qu'il protégeait que les numéros à hauts chiffres !

 

 On m'a raconté qu'un jeune conscrit de Fraisans avait ingurgité le matin du tirage au sort, dans le canton de Dampierre, une mixture de sa fabrication qui devait le rendre exsangue. En fait, le maheureux se mit à gonfler comme une outre et mourut le soir même dans d'atroces souffrances.

 Sinistre ironie du sort, le numéro tiré en son absence par le maire de son village fit de lui le "laurier" de l'année. Il aurait donc été exempré dus ervice militaire.

 

 Grâce à l'argent, les fils de bourgeois ou de gros paysans, lorsqu'ils tiraient le mauvais numéro, avaient encore la possibilité de trouver des remplaçants.

 Moyennant des sommes rondelettes, apr contrats passés devant notaires, les pauvres bougres partaient à leur place pour cinq ans.

 En rentrant du tirage au sort, les conscrits commençaient une longue tournée de beuveries et de banquets à travers les villages. Ceux qui avaient tiré des "hauts chiffres", c'est à dire des numéros qui les exemptaient du service militaire, portaient des rubans blancs à leurs chapeaux. Ils devaient obligatoirement se cotiser pour payer un repas à leurs camarades malchanceux, lesquels portaient des rubans rouges.

 Outre des refrains patriotiques, des chansons plus régionales rythmaient la amrche burlesque du cortège comme cette complainte des conscrits d'Arc-et-Senans :

 "Faudra bientôt quitter nos biaudes,

Nos capiaux et nos gros sabots

Par Barnabi, par Barnabo !

Las moi ! Nous n'aurons plus de gaudes,

Mais de l'eau claire et du croûton

Tonton, tontaine et Tonton !

 Cette tournée durait une semaine et ne s'achevait que lorsque toutes les boissons, toutes les provisions de la quête étaient épuisées.

 

 Autre tradition, celled es "Mais".

 Les conscrits allaient couper dans la forêt des baliveaux de 6 à 7 mètres de haut, dont ils ébranchaient les rameaux pour n'en laisser subsister qu'une houppe. Ces perchis devaient être droits, droits comme un mai.

 Je me souviens de la chanson des "Scieurs de long" :

"Y a rien d'aussi habile

tangrelon, Tangrelon,

Tir' donc mon p'tiot,

y a rien d'aussi habile

Qu'un bon sieur de long !

 

 Autre refrain que nous répétions inlassablement pendantd es heures etd es heures :

"Peau d'chêne

Peau d'bourdaine

Grosse ou p'tite

J'te dépiaute !

 

L'arrivée des colporteurs, c'était l'affiche. les femmes interrompaient leur travail pour voir ce qu'il avait à proposer.

 Pour nous, les enfants, c'était une découverte merveilleuse, car certains des coffres rutilaient de mille feux avec tout un assortiment d'aiguilles, d'épingles, de fils, de boutons, de ciceaux.

 Ils vendaient aussi du poivre, du savon, de la vanille, de la levure.

 D'autres proposaient des coupons de tissus, des rubans, des bonnets.

 Pour les hommes, il y avait les couteaux, les pierres à aiguiser, les pipes, le tabac, les allumettes de contrebande et des livres profanes comme L'Almanach du Messager Boîteux.

 

 J'ai toujours en mémoire le vieux dicton que répétait le grand-père :

"L'ail et les plosses

L'eau d'églantier

Par clous rouillée

Donne des forces.

 

Ou :

 "Coucher de poule et lever de corbeau

Retardent l'heure du tombeau.

 

Nous les filles, nous jouions aux "grelots". C'était un excellent moyen d'apprendre à compter jusqu'à dix. La concurrence disposait en effet de dix petits cailloux blancs. Elle en glissait un nombre déterminé dans son sabot qu'ellea gitait ensuite énergiquement en faisant tinter les pierres.

 Puis elle disait :

 "Grelot ! Grelot !

Combien j'ai t'y de sous dans mon sabot ?

 Les fillettes se mettaient aussi en rond autour d'une meneuse de jeu qui les désignait tour à tour avec le doigt en chantonnant cette comptine afin d'éliminer l'une d'entre elles :

"Rondin, picotin,

La Marie a fait son pain

Pas plus gros que son levain

Son levain était moisi

La Marie sera punie !

 

 Le dimanche, durant la belle saison, les hommes allaient jouer aux quilles dans les villages du Val d'Amour.

 

 Je me souviens aussi de :

"On ne mange pas le "gouri"

Avant qu'ils soit mûri.

 

 La messe de minuit

 Nous partions en sabots, à la queue leu leu, sur les sentiers très souvent enneigés de la forêt, emmitouflés de la tête aux pieds dans nos longues pèlerines, suivant la lampe du grand-père qui ouvrait la amrche.

 l'oncle emporatit toujours un fusil en cas de mauvaises rencontres.

 Je me souviens qu'on entendait le hurlement des loups au loin.

 J'aimais beaucoup l'office de Noël. Le brasillement des cierges, les fleurs décorant l'autel, les draperies, la statue de la Vierge, celles des saints, tout cela me semblait merveilleux. Je ne me lassais aps malgré le froid intense d'écouter la musique de l'harmonium et les chants de la chorale paroisiale.

 En sortant de l'église, tandis que les rafales de vent emportaient à travers le Val d'Amour le chant des cloches de Npël, les gens s'interpellaient joyeusement. La plupart des conversations tournaient autour des menus du réveillon. toutes les lanternes allumées éclairaient le aprvis comme en plein jour.

 Les plsu vieux respectaient la tradition : ils prenaient "l'air du temps". ils 'agissait de constater d'où venait le vent. Pour cela, ils mettaient leur index dans elur bouche et levaient ensuite ce doigt bien haut.

 On entendait alors prédire :

"Année de bise,

Année de prise !

Ou alors :

"Année de vent,

Année de ren ! (de rien)

Ou :

"Les jours entre Noël et les Rois

Indiquent le temps des douze mois.

 

 Les anciens avaient appris aussid e leurs ancêtres un autre dicton régional qu'ils répétaient en désignant l'horizon en direction de la Saône :

"Par là, il n'est jamais venu ni bon vent, ni bonnes gens !"

 

Le carosse de minuit

 Dès que nosu avions rejoint la forêt, Grand-père, toujours en tête du cortège, se mettait à chanter des vieilles chansons comtoises. Je me souviens de celle des "Charbonniers" :

"Charbonnier, dit la dame

Que ta figure est noire !

Charbonnier lui répond

Elle est moins noire,

Belle dame,

Que votre âme !

 Nous reprenions en choeur les refrains.

 A la maison, une délicieuse odeur emplissait la cuisine et attisait notre appétit. pour nous faire aptienter, grand-père nous racontait des histoires.

 Venait l'instant tant attendu où nous passions à table pour paiser notre fringale avec les portions de boudin et les apétissantes grillades. Mais la fatigue se faisait bientôt sentir. Malgré nos efforts pour rester éveillés, nos yeux commençaient à se fermer.

 Les hommes buvaient du vin d'un tonnelet d'Arbois. On l'appelait le "jus du Biou".

 

 Je me souviens d'un refrain que les petits bergers du Val d'Amour chantaient en gardant les bêtes dans les pâtures et qui disait :

"De la rage des chiens fous,

jean-Baptiste mon patron,

Protège bien mes moutons !

 

 Et du grand-père qui répétait souvent :

"Frisson du matin

Ta mort passe sur le chemin.

Frisson du soir,

Tu peux garder espoir.

 

"Notre passé, notre présent, notre demain,

Seul le Bon Dieu les connaît et les tient dans sa main...

 

 Pour la pentecôte, toute la famileld escendait à pied à la fête foraine. la vileld e Dole était noire de monde. C'est à peine si on pouvait avancer entre les manèges et les barraques foraines.

 Avant de rentrer nous nous installions sous la tente d'une buvette pour boire une cannetted e bière, puis nous regagnions la maison, fatigués, mais contents de notre après-midi.

 

 On dit que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, c'est vrai. Il n'y a que la mort contre laquelle on ne peut rien. Pourtant, même au milieud es épreuves, Dieu nous a donné une chose inestimable : le souvenir. La possibilité de fair revivre, grâce à notre mémoire, les êtres qui nous furent chers.

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Published by Régis IGLESIAS - dans Les souvenirs de ...
5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 17:02

972f99b7"249, faubourg Saint-Antoine. morceaux choisis.

 

 Pourquoi certains souvenirs vous reviennent-ils sans se faire prier, tandis que d'autres restent ensevelis dans je ne sais quel recoin du cerveau ?

 Les neurologues n'ont pas fini d'en discuter. réjouissons-nous plutôt, que tant d'années après, des évènements, des scènes, des visages oubliés puissent, à votre signal, se rembobiner dans vos neurones et défiler avec netteté sur votre écran personnel.

 Tenez, il me suffit d'un coup d'oeil au coq de Barye qui parade chez moi, fier de son camail, sur la table où je prends mon café, pour me retrouver place d'Aligre où, vers 1920, le dimanche matin, les amrchands de choux fleurs cédaient la place aux brocanteurs.

 Un moment de réflexion, les yeux fermés, et voilà l'image qui bouge. Je tiens la main de mon père, trottine à côté de lui entre les étals de chiffons, de ferrailles, de lunettes usées par des yeux inconnus, de cartes postales du tréport, de portefeuilles troués, de photos pâles d'enfants tristes, de clés perdues en quête de portes, de bouchons de carafes, d'outils rouillés, d'aqsuarelles rincées apr la pluie et toute une profusion d'objets insolites.

 Le père, de l'oeil perçant, cherchait dans ce fouillis miteux l'aubaine qui illuminerait son dimanche.

 je revois le jour où il distingua le coq, camouflé sous la crasse, qui lançait un cocorico pathétique à une pipe en terre à tête de zouave. Papa l'entendit, le sortit du fatras et demandan d'un ton neutre :

- Combien le coq ?

 Je ne saurais dire le prix qu'annonça le amrchand mais je me rappelle qu'il ajouta : "C'est du bronze !" et que le père rapporta à la maison son volatile enveloppé dans du papier journal.

 En route, il me dit :

- Nous avons fait une bonne affaire, c'est du bronze de Barye, un grand sculteur d'animaux. Rentrons vite pour que je le nettoie !

 Papa avait raison, c'était une affaire. Il avait acheté pour quelques heures de travail chez jansen ce bronze que j'ai regardé chanter toute ma jeunesse.

 

 Le 11 novembre 1918, j'avais l'âge de la guerre : quatre ans. "Guerre", un des mots que j'avais le plsu entendu, que je répétais à tout bout de champ mais dont je ne pouvais saisir la charge émotionnelle et tragique.

 Quand "paix" lui succéda dans toutes les bouches, je savais que ça signifiait le retour du père. mes frères en parlaient sans cesse, de ce retour. ma mère l'attendait aussi, bien sûr, mais ces quatre années terribles lui avaient appris à maîtriser ses élans et à ne aps chercher à devancer le temps.

 C'est à peine si l'annonce de l'armistice avait gommé un peu de tristesse sur son visage éploré. je l'avais entendu dire à la tante Marguerite, dont le amri était prisonnier en Saxe :

"Je ne croirai au bonheur que le jour où jean-Baptiste frappera à la porte !"

 Et ce jour arriva. Un soir, alors que nous allions nous mettre à table. maman sut tout de suite que c'était lui. elle courrut ouvrir et ils entrèrent dans la salle à manger en pleurant, serrés l'un contre l'autre. mes frères se précipitèrent les premiers mais c'est moi que le père souleva dns ses bras en disant : "Petit jean, maintenant nous allons pouvoir vraiment faire connaissance !"

 

 Le 249, c'est d'abord l'escalier. On pouvait soit le grimper en douceur, à la papa, soit le dévaler quatre à quatre. Mes frères chronométraient les descentes, additionnaient les temps de dix courses et rentraient, haletants, boire leur cacao de quatre heures.

 tous les immeubles, tous les escaliers de Paris possédaient leur veuve de guerre, souvent plusieurs malheureuses dont les maris n'avaient pas eu la chance d'atteindre vivants l'arrivée du petit matin de l'armistice.

 On les reconnaissait parce qu'elles étaient vêtues de noir, traînaient à pas menus leur tristesse et, quelquefois, leurs enfants proclamés pupilles de la Nation.

 J'allais maintenant à la maternelle. Quel beau nom donné à l'école des tout-petits ! Et quelle chance ont ceux-ci lorsqu'ils tombent sur une merveilleuse maîtresse capable de les ouvrir à la vie !

 La mienne s'appelait madame Boileau. Quand je me remémore aujourd'hui sa robuste silhouette, ses cheveux blonds, son visage rose et plein, je me dis qu'elle aurait fait un beau modèle pour Rubens. Elle m'appris à lire, un peu à écrire et à compter jusqu'à cent.

 Je suis resté deux ans à la petite école. J'ai même pleuré quand il m'a fallu entrer à la grande.

 Mes frères ne faisaient pas de fautes d'orthographe, savaient les préfectures, additionnaient, multipliaient, divisaient des kyrielles de chiffres et connaissaient cinquante dates importantes de l'histoire de France.

 Je les remerciai, ramassai mon cartable et courus vers notre porte, pressé de raconter à maman la belle histoire du petit Boulle.

 Tiens la clé n'est pas sur la serrure ! maman avait dû descendre faire une course. Mais je savais où la trouver : sous le paillasson.

 La confiance régnait chez les gens du bois. je ne me rappelle pas avoir entendu parler au 249 d'un vol, d'un cambriolage, ni du moindre larcin durant les vingt années où j'y ai vécu. la clé sur la serrure ou sous le paillasson était une pratique qui se jouait de la maraude.

 C'était l'époque où dans le journal, on lisait : "Le président de la république tombe du train  !"

 - C'est stupéfiant mais la nouvelle est vraie. A minuit, le 23 mai 1920, un individu qui marchait en pyjama et pieds nus le long de la voie ferrée raconta au cheminot qui s'étonnait de sa présence : "Mon ami, vous n'allez pas mec roire : je suis le président de la république !" C'était bien Paul deschanel , élu quatre mois plus tôt.

  L'ouvrier des Chemins de fer avait recueilli Deschanel déclarait : "En voyant ses pieds propres, j'ai vu qu'il s'agissait de quelqu'un de haut placé".

 J'aimais bien mon ami Jean. Son sourire était un peu triste mais lui se montrait doux, fraternel, serviable. Souvent il montait chez moi m'aider à faire un problème, en m'expliquant et en s'assurant que j'avais bien compris.

  Maman, ces jours-là, mettait plus de beurre sur les tartines du goûter, davantage d'Ovomaltine dans le lait et sortait le pot de confiture.

 Elle m'attira un jour vers elle, m'embrassa et me confia :

- Jean est un être exceptionnel. Il est à peine plus âgé que toi et en sait plus que bien des hommes instruits. Tu as beaucoup de chance d'avoir un tel ami. Mérite-le !

 Rue de la République, j'ai le souvenir d'un salon dans lequel trônait l'immense pavillon de cuivre d'un phonographe.

 Dernier modèle de la marque Gramophone, le cousin Paul en vantait la sonorité. J'aurai aimé qu'il nous passe un disque de Milton ou Bach et Laverne, mais monsieur connaissait seulement les symphonies et opéras comme le Boléro de Ravel. 

 

 Les souvenirs d'enfance ne sont pas classés comme les pages d'un agenda. Le personnage qui nous y représente est si différent qu'il nous surprend par les traces brouillées, les retours en arrière, les instantanés qu'il laisse dans la mémoire.

 Ainsi La Varenne, qui a tenu dans de place chez nous, ne revient que maintenant sous ma plume.

 

 Le pique-nique du dimanche

 Ce matin-là, je guettais depuis une bonne heure l'apparition de la "Citron" et criai lorsque la voiture s'arrêta devant la porte du 249 :

- Le voilà, le voilà, il faut descendre !

 C'est ce que rappela un coup de klaxon qui alerta la Suprin occupée à balayer le couloir. Personne ne possédait d'automobile dans les alentours et le stationnement de la toute dernière Citroên ne passa pas inaperçu. quia llait monter dans ce carosse noir ?

- Allons tout le monde en voiture ! J'ai retenu une table au restaurant de l'Aigle noir. Comme je ne veux pas rouelr à cent à l'heure, il faut nous mettre en route.

 La berline démarra au prix de quelques soubresauts que le conducteur attribua à la grande sensibilité de l'accélérateur, puis la voiture roula tranquillement vers la Bastille. Le nez collé à la vitre, je découvrais Paris.

 Je ne connaissais alors que le faubourg et le onzième et le douzième qui sentaient qui sentaient la colle et le vernis. mes plus lointaines percées au-delà de la Bastille ne m'avaient aps conduit plus loin que la samaritaine, le magasin de maman et le musée du Louvre où le père m'emmenait parfois les dimanches d'hiver.

 Au restaurant, un homme vêtu de noir me tendit une carte ornée d'un beau cheval mais maman préféra décider de mon menu. ce menu, je me le rappelle, quatre-vingt ans après. je revois la tranche de pâté de lapereau posée dans mon assiette, encadrée de petits cubes de gelée et d'oignons au vinaigre. rien à voir avec le pâté de campagne acheté par ma mère chez le charcutier Rougeaud de la rue de Cotte.

Celui-ci sentait, dirent les grandes personnes, le thym et le romarin. Je trouvais, moi, qu'il fleurait bon le champ de boutons d'or et de coquelicot de mon livre de lecture.

 

Checchina

 Elle était mignonne Checchina. J'aurais donné cher, sûrement mon stylo à plume rentrante ou le contenu de ma tirelire, pour l'inviter chez moi. Mman nous aurait fait du chocolat et beurré des tartines. on aurait ri, je lui aura pris la main. un peu plus tard, peut-être je l'aurai embrassée. Comme John Barrymore au cinéma.

 Amoureux, ce mot ne me disait pas grand-chose, je me contentais de constater que la brunette aux socquettes rouges que je rattrapais au sortir de l'école m'attirait comme l'aimant que sortait monsieur Costes du compendium métrique, petite armoire accrochée au mur qui contenait des objets destinés à nous familiariser avec les sciences.

 Souvenir oublié des classes d'antan, elle contenait des poids de un à cent grammes, une boussole, une chaîne d'arpenteur et un gros aimant rouge. Quel écolier d'aujourd'hui a vu une chaîne d'arpenteur ?

 Pour mon bonheur, Checchina avait remarqué mon manège et me souriait quand j'arrivais à marcherprès d'elle rue de Reuilly.

 A l'angle du faubourg, elle pressait néanmoins le pas pour éviter que quelqu'un surprenne notre innocence connivence.

 Puis, nous échangeâmes quelques paroles, embarassées, au long du chemin. c'était assez pour susciter les quolibets des copains et les perfidies des filles, mais on s'en moquait, occupés que nous étions à guetter l'occasion, un trou dans le trottoir ou un faux pas, de se rapprocher et de se frôler.

 Je lui donna rendez-vous chez Mlle Esther.

 Là, Checchina pouffa et s'enfuit en dansant.

 Nous nous sommes ainsi retrouvés sous le porche du 267, heureux et grave à la fois. C'était la première fois que nous étions réunis ailleurs que sur le chemin de l'école. Elle me prit la main et dit :

- Viens nous allons nous asseoir sur un banc, dans l'escalier, à l'étage au-dessus. Nous serons tranquilles.

 Pendant dix minutes, hors du temps, hors du monde, nous nous sommes regardés, main dans la main, n'échangeant que des mots sans importance. Quand arriva le moment de nous quitter, j'ai osé lui demander si je pouvais l'embrasser. Elle n'a rien répondu mais m'a tendu les pétales de ses lèvres que j'ai effleurés dévotement.

 Beaudelaire me rappellera bien plus tard le sinistre escalier de Mlle esther devenu, l'espace de quelques instants, "le vert paradis des amours enfantines".

 

 La pêche

 Le plaisir n'était pas dans l'assiette. il apparaissait bien avant, au moment où le flotteur tremblait puis s'enfonçait brusquement, appelant un ferrage ni trop sec ni trop mou pour accrocher le poisson à l'hameçon et le ramener doucement jusqu'au bord du bateau.

 De ces deux heures passées sur le "coup" à regarder filer le bouchon au gré du courant, à s'émerveilelr des minauderies d'une libellule, le père revenait reposé, joyeux, prêt à passer une soirée familiale de rêve sous la tonnelle, à féliciter maman pour sa gibelotte de lapin.


 Le sport

 André achetait L'Auto, René L'Echo des Sports et les repas résonnaient des exploits de Jauréguy et de Crabos, les héros du match de rugby France-Ecosse, des frères Pelissier imbattables aux "six jours", de l'irrésistible allonge du gauche d'Al Brown et du Red-Star, la grande équipe parisienne de football.

 Je me souviens aussi qu'on parla beaucoup d'une épreuve organisée par le quotidien L'Auto, soucieux de savoir qui d'un coureur à pied, d'un taxi, d'un autobus et d'un fiacre joindrait le plus rapidement la République à la Madeleine.

 C'est l'athlète qui, se jouant le mieux des embarras de la circulation, arriva premier en bouclant les deux kilomètres et demi des grands boulevards en neuf minutes et cinq secondes.

 

 Le vélo

 J'avais grandi, j'étais monté de classe chaque année puis je fus reçu parmi les premiers de l'école, ce qui me valut, comme promis apr le chef, un beau vélo neuf avec, c'était mon rêve, un guidon de course.

 Ce cadeau tant attendu changea ma vie à la Varenne. 

 L'après-midi, nous partions, notre goûter dans la musette, pour une longue étape. Mon copain qui recevait plus d'argent de poche que moi, offrait un diabolo-menthe. Quelle était exquise cette limonade émeraude dont le grand verre s'embuait de bonheur ! J'ai essayé cinquante ans plus tard de goûtetr à ce divin breuvage mais la première gorgée m'a écoeuré. Il ne faut pas tenter de retrouver le diabolo-menthe de ses douze ans !

 

 Le répertoire de papa

 Papa avait l'élégance de varier son répertoire d'une année à l'autre. Je me souviens ainsi de C'est la plus bath des javas, (avec Julot qui volait une rame de métro !) mais je ne sais plus qui entonnait vaillament Monte là-dessus (et tu verras Montmartre) ni al voix de quelle tante essouflée qui fanait irrémédiablement Les Roses Blanches.

 Venait enfin le clou de la soirée, Les quatre-vingt Chasseurs. Ils faisaient trembler le quartier, les bougres, sous la voix terrible de l'oncle Lucien et les éclats de coeur qui reprenait le refrain paillard en martelant la mesure sur la table.

 La ritournelle olé commençait par "Au rendez-vous de la marquise, nous étions quatre-vingt chasseurs".

 A l'heure des adieux, nous étions déjà le 2 janvier et, tandis que nous prenions le chemin du retour papa disait que cette soirée rituelle manquait sans doute un peu de fantaisie, avant d'ajouter :

- Mais c'est aussi cela la famille. Aussi vieux que tu vivras, tu n'oublieras jamais Les Quatre-vingt Chasseurs de l'oncle Lucien, ni le quatre-quarts raté de la tante lucie !

 

L'amour

 Si on oublie la douce main abandonnée de Checchina et quelques baisers volés dans le labyrinthe des dépôts de bois du faubourg. Colette fut ma première petite amie.

 Oh ! Pas au sens où on l'entend aujourd'hui, mais comme une attirance réciproque qui permettait de s'embrasser, d'abord maladroitement puis passionnément, de s'étreindre en maillot de bain lors des baignades dans la Marne ou des tendres escales dans la forêt vierge de l'île d'amour si bien nommée.

 Un éveil à des délices qui nous étaient mesurées. tout nous était permis... Jusqu'à la ceinture, règle de l'époque pour les grands enfants de nos âges.

 Maman m'avait dit de faire attention. Papa lui riait sous cape en découvrant son garçon s'éveiller au choses de l'amour.

Jamais les vacances ne m'avaient semblé aussi belles !

 A la fin, nous nous promîmes de nous écrire régulièrement, comme en pareil cas ets erments, notre correspondance s'arrêta aux premières gelées. En vérité nous nous aperçûmes que nous n'avions pas grand chose à nous dire et loin de l'autre, il ne nous restait qu'un beau souvenir de vacances et quelques photos un peu floues.

 

 Le Cinéma

 Il fallait marcher presque jusqu'à la Nation pour trouver quelques devantures et notre cinéma. Le Triomphe, qui projetait maintenant des films sonores en attendant le parlant encore balbutiant à Hollywood. Hollywood, tiens voilà une ville où je rêvais d'aller.

 Grâce à cinémonde, qu'André rapportait quelquefois à la maison, je savais beaucoup de choses sur pola Negri, Georges bancroft, louise Brooks et les nouvelles vedettes américaines.

 Je me souviens qu'un jour on m'a dit que j'étais un fantaisiste. Je l'admets, ce mot fait partie de ceux qui n'ont jamais quitté ma mémoire.

 Je me souviens aussi de la mort de la mère suprin. Lorsque nous parlions d'elle à la maison, maman disait "ce n'est pas une mauvaise femme", et papa, qui l'avait si souvent enguelée, ajoutait "Il faut la prendre comme elle est. sans elle, le 249 serait un immeuble comme les autres."

 Le jour de son départ, la dame aux chats était assise sur un tabouret au bas de l'escalier. Elle pleurait en racontant à qui voulait l'entendre comment la Suprin était morte en arrivant à l'hôpital.

- Elle va me manquer cette tête de mule !

...On se disputait mais on ne sa haïssait pas. Je crois même qu'on s'estimait !

 Le lendemain, elle fit le tour des étages pour que le corbillard des pauvres qui emporterait la <Suprin soit orné d'une gerbe de fleurs. Elle rassembla assez d'argent pour acheter une belle couronne de roses et de glaïeuls, avec un ruban violet où était écrit en lettres d'or : "Les locataires du 249".

 Certes, tout le monde avait donné, mais personne, sauf la Dame aux chats, n'accompagna la Suprin jusqu'à sa dernière loge : cimetière de Pantin, allée des Cyprès, tombe 942.

 

La pêche aux écrevisses

- Avec ta canadienne, pagaye jusqu'au bout de l'île Pisse-Vinaigre. Munis-toi d'une petite épuisette etd 'un bâton, et soulève doucement chaque grosse pierre. tu as une grosse chance de débusquer une écrevisse.

- Et comment je la prendrai cette écrevisse ? Avec la main ?

- Mais non, elle se débinerait avant que ta main l'ait touchée. Tu places l'épuisette à dix centimètres de son cul et avec le bâton tu lui chatouilles la moustache. la brave bête qui amrche à reculon se jettera dans ton piège.

 J'ai cru que Louis se moquait de moi mais je suis tout de même aller soulever quelques pierres. Et bien, il y avait des écrevisses ! Des belles à grosses pinces, bien dodues, que je capturai en amrche arrière. j'en rapportai une bonne quinzaine à la maison. en les voyant, maman ronchonna. parce qu'elle n'avait jamais fait cuire d'écrevisse et dut chercher dans sa bible, le gros livre de madame saint-Ange.

 La pêche miraculeuse dura une quinzaine de jours et puis, un matin, je n'ai plus rien trouvé sous les pierres.

 L'année des écrevisses fut la plus agréable de mes vacances en bord de Marne.


Madeleine et Henriette

 On s'installa au bord de l'eau et là, Madeleine et Henriette retirèrentsans manière leurs légères robes à fleurs. En maillot de bain, allongées sur leur serviette, elles m'apparurent divines.

 Elles l'étaient. cinq fois, dix fois, nous nous jetâmes dans la rivière et nous laissâmes nos corps bronzés sécher au soleil.

 Après un dernier plongeon, encore mouillées, mes deux nymphes s'approchèrent de moi. Et Madeleine, l'aînée - elle avait seize ans, sa soeur quinze -, me fit la plus grande surprise de ma jeune vie. elle s'avança à me frôler et me dit simplement, dans un sourire :

- Nous n'avons jamais embrassé un garçon. Si cela ne t'offusque pas tu seras le premier.

 C'était si inattendu que je restai les bras ballants, muet, l'air benêt. Comme je ne bougeais pas elle entoura mon coup et colla sa bouche à la mienne.

 Elle n'avait jamais embrassé mais avait dû lire le roman de Marcel Prévost, Les Demi-vierges, que se prêtaient en cachette les jeunes filles de l'époque.

 Pour une débutante, elle se débrouilla en effet plutôt bien. Au bout d'un moment elle se détacha et ordonna d'un air aussi naturel que si elle m'avait offert une tranche de cake :

- Maintenant embrasse ma soeur et puis nous rentrerons. Il ne faut pas que mamie s'inquiète.

 Je m'acquittai de cette tâche qui n'avait rien de désagréable et c'est en chantant Parlez-moi d'amour, la chanson serinée tout l'été à la radio par Lucienne Boyer, que nous descendîmes la rivière vers notre point d'attache. 

 Les vacances finirent ainsi sur un air de klaxon avec le bac en ligne de mire. Les soeurs Lambert, dirent au revoir à notre belle histoire en agitant leur mouchoir. Je crois bien que Madeleine pleurait.

 La fin ? A Paris, une surprise nous attendait. Le 249 avait une nouvelle concierge ! Gertrude Lamotte qui remplaçait la Suprin.

 La Surpin se montrait du matin au soir fagotée comme une souillon et son antre sentait le vieux fauve ; madame Gertrude, elle revêtait un tablier rose et sa loge, repeinte, était briquée à l'exemple d'un coron d'Hénin-Liétard.

 De surcroît, madame Gertrude souriait et ne laissait pas les locataires moisir devant la porte. Bref, le 249 avait fait peau neuve, le propriétaire aprlait même d'un ravalement.

 Je crois que j'étais le seul qui pensais parfois que cette cure de rajeunissement avait enlevé un peu d'âme à notre vieille maison. Cela était surprenant mais le balai vengeur de la Suprin, quand je lui lançais un mot moqueur le matin, me manquait.

 La vieille chouette, en déménageant à Pantin, avait tourné une page de l'Histoire de mon honorable 249.

 Et de ma jeunesse.

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5 septembre 2013 4 05 /09 /septembre /2013 12:29

vacances.jpg"Des objets racontent... De François Bertin et Claude Weill.

 

 Nous avons tous dans notre mémoire un tiroir bien à part où sont rangés tous nos souvenirs de vacances. Ces bouffées de notre enfance et de notre adolescence n'ont pas la même valeur ni la même consistance que celles de nos souvenirs du quotidien.

 

 Souvenez-vous de la chanson de Michel Jonasz où chaque parole respire l'émotion, la tendresse et la force évocatrice de ces moments si particuliers.

 

"On allait au bord de la mer ; Avec mon père, ma soeur, ma mère

Et quand les vagues étaient tranquilles ; On passait la journée aux îles

Sauf quand on pouvait déjà plus.

 

Alors on regardait les bateaux  ; On suçait des glaces à l'eau

On avait l'coeur un peu gros ; Mais c'était quand même beau."

 

 Ah ces vacances populaires qui arrêtaient le pays tout entier pendant les deux mois d'été.

 Il y avait "l'avant-vacances" et "l'après-vacances", les "juilletistes" précédaient la "aoûtiens", beaucoup plus nombreux.

 On réservait la même place au camping chaque année. Nous étions tous réunis dans cette grand'messe qui sacrifiait au rite du soleil, du bronzage, du farniente et de l'apéro...

 Puissent tous ceux qui ont vécu ces moments retrouver leurs propres souvenirs avec leurs émotions et leurs joies...

 Pour les autres, découvrez les joies simples et populaires attachées au plaisir d'être ensemble.

 

 Le phénomène des vacances prend naissance avec le Front Populaire de 1936. Et le mot populaire n'est pas vain puisqu'il va permettre à de milliers de personnes et de familles de découvrir les vacances.

 La loi instaurant les "congés payés en juin 1936 va donc être vécu par tous comme une véritable révolution sociale et comme un bouleversement des moeurs.

 Les baigneuses étaient alors vêtues comme en hiver et n'entraient dans l'eau que descendues d'une carriole à cheval qui pénétrait carrément dans la mer afin de préserver l'intimidé et la "quasi-nudité" de la naïade. Il est vrai que découvrir alors son genou et son mollet était à la fois d'un érotisme torride et d'une audace folle.

 Les messieurs moustachus ne sont pas en reste avec leurs maillots de montreurs de foire, cigare à la bouche et canotier sur la tête.

 Tout était calme avant sur les plages. l'arrivée soudaine et bruyante des "cong'pay", comme on les appelait alors briser la belle harmonie de ceux pour qui les vacances sont un luxe qu'ils peuvent s'offrir. 

 Pour les autres dont c'est les premières vacances ? C'est une formidable épopée.

 A pied, en voiture, en tandem, ils parcourent l'Hexagone, inventent de nouvelles formes d'hébergement, s'approprient les bains de mer, les plages, le camping.

 Ah les châteaux de sable des enfants, les parties de boules, le pastis du midi avec les copains, les match de jokari, les filles en maillot, la Nationale 7, les verres en terrasse...

 ... Papa fait réviser la voiture chez le garagiste...

 Vidange, pneus, freins, éclairage... Rien n'a été laissé au hasard.

... La cagnotte est pleine...

 Toute l'année, Papa y a glissé régulièrement quelques billets qu'il prenait dans l'enveloppe qui contenait sa paye. "C'est le plus sûr moyen de ne pas partir en vacances, la bourse plate", disait-il, en refermant la boîte et en la replaçant sous la pile de draps dans l'armoire.

... On charge la voiture...

 La grosse malle pour les affaires de couchage, les valises pour les affaires personnelles, les épuisettes, le ballon... C'est à la fois le symbole des vacances et une source de disputes parentales. comme tous les ans, on emmène beaucoup de choses qu'il faut repartir dans la bagnole.

 Le tout a été arrimé solidement avec des cordes et quelques "sandows" sous lesquels on glissera les trucs encombrants comme la vanne à pêche, le balai de la cuisine que maman s'obstine à vouloir emmener : "On voit bien que c'est pas vous qui balayez tous les jours !"

 Le trottoir se vide peu à peu. la voiture se remplit. on est sur la bonne voie. "On n'a jamais été aussi près du départ", dit papa en essayant de refermer la malle arrière.

 

 ... On prend la route...

 C'est le grand moment. On fait tous silence dans la voiture avec les yeux embués de sommeil et l'estomac qui a du mal a accepter le Banania du "p'tit dej" pris vraiment trop tôt. "C'est parti, les enfants !" lance papa par dessus la banquette avant.

 En route vers le camping où les prix sont "modérés".

  Douze heures de route sous un soleil de plomb.

 On rentre dans le camping, partout des mains se lèvent, des saluts et des cris accompagnent notre traversée triomphale. Quand on retrouve notre emplacement, des dizaines de têtes connues arrivent arrivent de tous côtés et se pressent autour de nous.

" Vous avez fait bien voyage ? Pas trop long ? Vous arrivez bien on vient de servir l'apéro..."

 On passe de bras en bras "Comme tu as grandi dis-donc, tu es costaud maintenant, un vrai petit homme..."

 A la plage, on revient toujours au mêle endroit et on retrouve toujours les mêmes têtes. Là, on peut nager, bronzer, faire des châteaux, mettre les canots à l'eau...

 A l'eau, il y a <louise, elle a sacrément changé. Elle est beaucoup plus grande que l'année dernière, elle a perdu ses couettes et porte un kikini rouge à pois blanc comme dans la chanson de Dario Moréno.

 

"Son petit itsi bistsi tini ouini, tout petit, petit, bikini

Qu'elle mettait pour la première fois

Un itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit, bikini

Un bikini rouge et jaune à p'tit pois..."

 

 Il y a le parasol, la cafetière, la glacière. Il y a aussi le transistor...

 Avant de plonger, il faut attendre la digestion, alors on attend sur la plage avec notre bob sur la tête.

 Je me souviens que j'avais une bouée avec un ourson avec des billes qui bougent.

 Je me souviens du tube de l'été qu'on écoutait sur le Teppaz. Il y a de tout : les compagnons de la chanson, Aznavour, Annie Cordy, Henri Salvador, Georges Jouvin... ça c'est plutôt pour les parents et puis des noms plus pour nous qu'on commence à connaître : Richard Anthony, Sheila, Eddy Mitchell et ses chaussettes noires et bien sûr Johnny.

 Chacun à sa bouée. Les "ceux qui viennent d'arriver" se baignent avec leur bouée Fina ou Azur alors que "ceux qui sont là toute l'année" exhibent leurs chambres à air de voiture bien noires et parsemées de rustines et de pastilles de réparation de couleurs diverses.

... On va voir passer le tour de France avec sa caravane publicitaire...

 Il y a des tas de voitures et de camionnettes en forme de pichet Ricard, de bombe tue-mouche Fly-tox ou de gâteau sec Gondolo...

 

...La tradition...

 Comme chante la réclame qu'on entend sur Radio-Luxembourg : "Midi, sept heures, l'heure du Berger..."

 Ce berger qui réunit tous les amis de papa et Maman... Les messieurs boivent tous du pastis en mettant plus ou moins d'eau et ils disent plein de bêtises qui les font beaucoup rire. Les mamans sirotent des petits verres de Byrrh ou de Dubonnet.

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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 16:44

78dd059a"Mémé. Morceau choisis d'un bijou de tendresse :

 

 La cuisine subissait les assauts du dehors mais la salle, elle, restait propre. Petite évidemment, comment faire autrement, elle était le coeur, mémé l'avait transformée en centre de loisirs, on pouvait y jouer aux dominos, au scrabble, regarder les poissons exotiques de son aquarium, écouter "La Valise" et "Les grosses têtes" ou laisser parler Mourousi sur la une.

 On y trouvait toute la saga des oiseaux se cachent pour mourir en gros livres France Loisirs. Mémé aimait bien les histoires d'amour. Deux êtres qui s'aiment au-delà des épreuves la faisaient sûrement rêver, elle aimait la science-fiction.

 Pour les lire, elle s'asseyait près de la fenêtre...

 Elle avait un buffet d'avant-guerre, parfait pour y planquer un poste à galène, un buffet aux portes scultées de motifs floraux.

 On y trouvait un service à café gagné par un chanceux lors d'une fête de village, et derrière les tasses de fiole de goutte en terre cuite, surmontée de sa tête de Normand avec son bonnet mou tombant sur le côté. Une goutte sévère pour faire des canards comme ma mère en faisait en se déclarant pompette d'avance.

 Elle avait aussi une machine à coudre Singer à pédale, une armoire à linge, une table lourde, des tabourets et un lot de chaises en paille qui alternaient avec celles de la cuisine autour de la table rallongée le dimanche quand la portée revenait au bercail.

 Elle avait un poêle en fioul, un Frigidaire trop grand pour sa tranche de lard et son paquet de beurre, une gazinière, une machine à laver ses blouses, une boîte en fer contenant quatre photos d'elle aux bords dentelés, des polaroïd, souvenirs d'un Noël aux couleurs fuyantes, de baptêmes ou de quelques mariages en Tergal, de lettres mystérieuses et de beaux timbres déchirés sur de fines enveloppes bordées au tricolore.

 Je me souviens de ton visage lorsque tu développais un cadeau. Un objet acheté pour toi avait toujours l'air un peu con en sortant de sa boîte, ton regard semblait nous le sous-titrer, tu nous disais "fallait pas" et en effet "fallait pas". 

 Tout devenait gadget, superflu et surconsommation chez toi, même un épluche-légumes. Et puis tu as tellement été privée de tout, enfin privée, on est privé lorsque l'on veut quelque chose et que l'on ne peut l'avoir, toi tu savais d'avance que tu n'aurais rien, ces cadeaux que tes filles te faisaient avaient un goût de trop tard.

 Tu me disais qu'à Noël, parfois, tu avais droit à une orange et des bonbons, j'en pleure encore. Tu as dû sûrement loucher sur une robe d'une plus chanceuse que toi ? Sur un ruban aux cheveux d'une plus belle ? Tes yeux ont dû s'arrêter quelques secondes sur une illustration, une réclame, et laisser planer le parfum capiteux d'une envie vite rappelée à l'ordre par un aboiement paternel ou le coup de fouet d'une queue de cheval chassant la mouche attirée par ses flancs au chocolat.

 

 Nous, les gosses, on faisait des listes de jouets que l'on donnait aux tantes.

 On nous réveillait quand les adultes en étaient au calva, la chaise et le ventre tournés vers le sapin, et on découvrait en sortant d'un faux sommeil un tas de cadeaux prévus...

 Comment regardais-tu ce troupeau de cousins cousines en train de tailler à la serpe dans ce buisson de cadeaux ? Avais-tu une pensée pour la gamine ?

 As-tu seulement tenu une poupée dans tes mains à l'âge où les mains sont faites pour tenir des poupées ?

 

 Tu m'a dit un jour qu tu aurais faire de la musique car tu as eu pendant quelques temps entre tes mains un harmonica... D'où venait-il ? Tu l'avais gagné à la foire ?

 Une fille de la campagne ça ne fait pas de musique, une fille de la campagne ça écoute la "Chanson des blés d'or", en rêvant à ces belles voix de la ville que le poste diffuse.

 Je l'ai retrouvée, cette "Chanson des blés d'or", au Palais-Royal, coincée dans une boîte avec une petite manivelle pour lui pincer les notes, je te l'ai offerte cette musique - en cage comme tes perruches. 

 C'est pour cela mémé que j'aime bien aller dans les écoles pour parler de mon métier de saltimbanque, que j'aime les mots des yeux de celui ou de celle qui découvre le théâtre, c'est toi que j'ai en face de moi dans ces moments-là... la mignonne de la chanson qui rêve.

 

 Nous étions sous le sapin à déchirer le papier cadeau qui faisait des flammes colorées dans la cheminée, et toi tu devais penser à tes Noëls en rase campagne, tes Noëls de peu de chose.

 Y avait-il seulement un sapin ?

 Pas sûr, une bonne buche qui brûlait dans la cheminée, une messe de minuit histoire de dire, et au lit. La nature se chargeait des décorations en givrant les fenêtres, en faisant fructifier le houx de la porte de la cour et en parasitant les pommiers de guis pour les premiers de l'an.

 Tu as vu la France s'enrichir de Noël en Noël...

Tu es passée de Noëls de terre battue à des Noëls de parquets cirés. De Noëls de dîners à peine mieux que d'ordinaire à des Noëls avec des huitres, du foie gras, de la découverte de l'avocat ou du kiwi, des entrées qui "changent" comme on disait en regardant du coin de l'oeil pépé regrettant sa tranche de galantine.

 

 Mémé ne savait pas faire des bises, elle n'avait pas été bien loin sur le chemin des caresses alors c'était une sorte d'accolade, un joue contre joue avec la bouche bien vers l'extérieur pour être sûre de ne pas rencontrer la peau de l'autre. Chez n'importe qui d'autre c'eût été une forme de dédain, chez elle, ce n'était pas dans le programme, la bise.

  Tous les dimanches soirs je lui donnais des cours particuliers. Tous les dimanches soir je lui donnais des lignes de bisous à recopier.

 Elle en riait. Elle disait "oh il est collant... as-tu bientôt fini ?".

 Non s'il ne tenait qu'à moi, je t'embrasserais encore...

 Avec mémé on regardait changeait le paysage en rouspétant, "ils ne savent plus quoi inventer..." disais-tu. C'est vrai que la vie de mémé se sera déroulée au cours d'une période d'inventions sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Elle est passé du facteur à cheval aux e-mails, des premiers avions en toile à la navette spatiale, de la guerre en pantalon rouge garance à la bombe atomique et de l'affaire Dreyfus aux chambres à gaz.

 Ils ne savent plus quoi inventer... un soupir... et tu retournais à ton épluchage de poulet froid.

 Un poulet de mémé nous faisait trois jours et trois repas.

 Rôti le dimanche midi.

 Froid avec la mayonnaise le dimanche soir.

 En vol-au-vent le lundi soir.

 Les dates de péremption ne servaient à rien chez mémé. premièrement, il fallait chausser les lunettes pour les déchiffrer et deuxièmement "on va pas gâcher ça".

 Les ragoûts, les gibelottes, les bourguignons, civets, fricassées et autres salmigondis, les hachis, les compotes, les farces, les parmentiers et godiveaux, les soupes, les bouillons, les potages, les garbures et les brouets viennent de cette expression, de cette nécessité absolue de ne pas gâcher de la nourriture, parce que la viande est rare et chère et donc un reste de viande se réutilise, même un peu noir, il cuira plus longtemps.

 Jamais mes mains ne porteront ne serait-ce qu'un dixième du poids de ce que les tiennes ont porté pendant leur vie de mains de mémé. Tes épaules ont bleui sous les jougs où s'accrochaient des sceaux de marmots affamés d'amour et de pain rationné.

 Tes reins, ton dos, tes cuisses, une vie de "han" douloureux, de respirations coupées sous l'effort, de jurons quand ça cogne, de mouchoirs quand ça saigne, de claques quand ça pique et de silence quand ça remonte...

 D'ailleurs c'est ce qui m'a fait chialer comme un petit lors de ton enterrement mémé. Voir tout ce peuple en chagrin venu d'un peu partout, une marée de cousins et de cousines, de lointains et d'ici, tous ces yeux qui pleuraient d'une même larme, et réaliser que pour chacun d'entre nous ton corps avait payé de ta personne.

 Le curé avait sous-estimé l'évènement. Il ne connaissait pas mémé, mais on peut travailler...

 Il fallait réviser curé, ou refuser, ma mémé valait mieux que tes mots élevés en sacristie. Si t'avais bossé le dossier, t'aurais vu une vie de chrétienne mais pas de celles habillées comme leur chien qui se signent comme on se ronge les ongles et prient comme on appelle la police, mais une vie de foi en l'autre, silencieuse de mots, bavarde en preuve d'amours et en sacrifices.

 Des chemises du temps et de la fatigue elle en a donné à plus d'un et le rendu était là dans ton église, curé, une foule de retours sur prêt d'amour.

 Si t'avais mieux regardé ce peuple orphelin, tu y aurais vu des larmes grosses comme des poings, des larmes pleines comme des vaches prêtes à vêler, et ces larmes, venues de partout choisissant ton église pour bassin déversoir, t'auraient indiqué le chemin des mots pour dire la vie car il n'est question que de la vie quand la mort nous rassemble.

 Elle est partie s'installer avec son frère, pour jouer aux dominos sans doute, ses deux maris sont ailleurs, elle fait tombe à part, divorcée du premier et un second mari parti se faire enterrer près de sa première femme.

 La vie avec ma mémé aura été pour lui une parenthèse consolante. maritalement abandonnée pour l'éternité, il restait André son frère aîné, après tout... André est peut-être le seul homme de sa génération qui l'ait vraiment aimée.

 Le jour de l'enterrement, Florent Pagny se faisait entendre depuis le coeur, "savoir aimer", elle l'aimait beaucoup cette chanson, je dois reconnaître que ça lui allait bien. J'aurais préféré le concerto de Mozart pour clarinette mais RTL était sa radio. J'avais préparé un texte sur elle, un poème, je l'ai lu en slalomant avec mes larmes. Nous nous embrassions tous comme si on se disait adieu, un monde se terminait...

 "Un café s'il y en a de fait"

 Il devait savoir qu'ici comme ailleurs, là où ça bosse pour des clopinettes, il y a toujours du café de fait.  Il est fait le matin et se réchauffe au coup par coup à la demande et même que de temps en temps quand la casserole au fond tordu et bombé devait commencer à chanter en postillonnant son jus noir, un "café bouillu café foutu" devait se faire entendre dans la pièce.

 

 Je me souviens les "Guy" les "Roger" et les "Jacques" mariés aux "Lucette" aux "Colette" et aux "Claudine" venaient s'aérer à Triqueville, se féliciter d'avoir cette tranche de campagne à mettre dans le sandwich de leur semaine urbaine. Ils venaient là sous l'oeil de mémé se raconter les cinq jours précédents et reprendre de l'élan pour les cinq suivants.

 On parlait voitures, on rouspétait mômes, on s'angoissait boulot, on murmurait dépression, on bougonnait politique, on savait ce qu'on savait et on verrait ce qu'on verra, et tout ça la bouche pleine.

 Après, c'était le retour à deux à l'heure, prudence, boire ou conduire à l'époque on ne choisissait pas on faisait les deux et on fumait des Gauloises sans filtre...

 Et puis un jour les filles se sont révoltées contre leurs maris rougeauds du dimanche soir, aussitôt ordre fut donné à mémé de ne plus organiser de déjeuners vikings avec deux entrées, une chaude, une froide, puis deux plats, puis du calva, puis du fromage, puis un dessert café et recalva... et puis les plans épargne logement sont arrivés à terme...

 

 J'écris tout ça pour rien mémé. tu as trop fouillé la terre pour comprendre que là-haut ne sert à rien, c'est en bas que ça se passe, au ras du sol, lorsque le palpitant palpite et sous l'herbe, quand ça refuse de repartir.

 On quitte tout ça, tout ce travail, cette vie de labeur à se débrouiller pour mettre quelque chose dans les assiettes trop nombreuses du midi et du soir, une vie à rattraper les coups tordus et les vacheries de la vie, une vie à mettre de côté ses rêves et ses désirs en espérant tous les jours ne plus retrouver l'endroit exact où on les a cachés...

 Voilà.

 Je viens de regarder dans mon dictionnaire et j'apprends que mémé vient de mémère, une vieille et grosse dame disent-ils, ça me fait de la peine, alors braves gens comme dirait Pierre Perret je vais vous dire la mienne, je vais tenter une définition de mémé ou plutôt une recette. pour faire une mémé il vous faut de l'ancien temps et de la constance...

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2 juillet 2013 2 02 /07 /juillet /2013 14:40

938062c8"Le clos du roi. Extraits :

 

"Je veux remercier ceux qui furent mes vrais maîtres : les bergers, les braconniers, les paysans, qui tous m'enseignèrent le goût de l'effort.

 Sans eux, je n'aurais peut-être pas de ces souvenirs qui comptent dans une vie."

M.S

 

C'est dans une des chambres d'une ferme qui s'appelait "le pré du Chai" - on appelle souvent "chais" les hommes qui aiment un peu trop la bouteille - que mon père avait bu son premier bol d'air et de lumière.

 Vers ses dix-huit ans, il fit les saisons, les foins, les moissons, ou beaucoup plus loin encore les vendanges, qui les conduisaient presque au bout de la terre, là tout au moins où elle commence à s'enfoncer dans l'eau de la Méditerranée.

 Sans les vendanges, les Gavots n'auraient jamais vu la mer.

 A leur retour, ils en parlaient avec admiration devant leurs copains ébahis.

 De ces hautes montagnes, comment imaginer la mer ?

 Mais beaucoup de ces saisonniers ne revenaient pas, happés qu'ils étaient, ces robustes montagnards, par la fille du patron chez lequel ils étaient tombés.

 Mon père assez intrépide, avait fait plusieurs fois la saison des raisins. Mais il descendait plus volontiers faire les foins, à cause de celle qui devait devenir ma mère.

 Je suis le croisement, par le jeu des saisons, d'un homme du haut avec une femme du bas : un gars du milieu, en quelque sorte !

 Mais la nostalgie des montagnes et des amis le reconduisait toujours dans le pays de ses ancêtres.

 Là, chaque lopin de terre, chaque ribe, chaque faisse portait son arbre. Quelles pommes ! Quelles poires !

 Des dizaines de variétés, dont certaines ignorées et disparues de nos jours : en poires, les fameuses "cuisses de dames", les "crémésines", les "messounenques", les "blettones" et d'autres, tant d'autres.

 En pomme, il y avait les "gibelins" et les reinettes...

 Dès octobre, pour leur éviter le gel, il fallait les cueillir. Tous les angles de la maison recevaient les fruits. Enfin, je m'endormais avec délices dans ces chambres baignées d'odeurs fruitées.

 Les réveils n'étaient pas moins savoureux : au saut du lit, je goûtais à pleines dents aux diverses variétés des quatre coins. j'en ai encore le frisson sur la langue !

 C'était toujours à cheval qu'on franchissait ces montagnes, avec parfois de la neige jusqu'à hauteur du genou. On y allait avec le Poulet. C'était un vieux mulet qui avait "fait la réquisition" de 14.

 Il marchait encore d'un bon pas, mais ne courait jamais. d'avoir tiré les canons de l'artillerie alpine l'avait rendu un peu sourd.

 Un jour que mon grand-père labourait le clos de la Sine, l'orage s'abattit sur lui et son attelage. papi se retrouva tout nu, déshabillé par la foudre. Il ne lui restait que les souliers. Comme il tenait le Poulet par la bride, cela les sauva tous les deux : ce fut le deuxième mulet qui prit la décharge et qui tomba raide.

 Le Poulet ne s'émut ni de la mort de son compagnon, ni de la nudité de son maître.

 C'est pourquoi mon père nous installait en toute confiance, ma soeur et moi, sur son dos. Je ne lui tenais les rênes que par principe.

 Je me souviens du Carcalé qui était avare et "raspiasse" comme pas un. Il n'était guère aimé aux alentours. jamais mon père n'avait fait halte à sa ferme pour se réchauffer. On l'appelait aussi "le croque-mort de 14-18", surnom qui remplissait de terreur nos esprits d'enfants.

 Il disait lui-même qu'il s'était fait brancardier, exprès pour arracher les dents en or et les bagues qu'il coupait aux doigts avant d'enterrer les cadavres.

 Pauvre petit laboureur à son départ pour la guerre, il en était revenu sans aucune blessure ni décoration, mais les poches bourrées, ce qui lui avait permis de s'acheter la ferme du seigneur de la Piboule.

 C'est à la Piboule qu'on venait pour appeler le médecin quand dans le haut du pays quelqu'un attrapait une congestion ou unes tuberculose. Pour les autres petites maladies, les gens en savaient assez pour se soigner eux-mêmes. Ils avaient toujours dans leurs placards du bon miel et du jus de pomme reinette pour les rhumes, des fioles remplies d'eau-de-vie pour les grippes, de la cantharide de frêne "pour tirer l'eau" des pleurésies et des coups de froid !

 Et quelques flacons de bave d'escargot pour les maladies indéterminées.

 C'est Toupin qui se chargeait du téléphone. Il avait accepté la mission parce que, pour le remercier, l'administration lui versait 50 francs, ça lui faisait des sous pour acheter son vin et son tabac toute l'année. "Mais que d'emmerdements, disait-il, cela me donne !"

 Dès que l'installation fut terminée, un spécialiste vint exprès de Digne mettre Toupin au courant. Comme, un quart d'heure après, il renfourchait son tricycle à moteur, ces explications parurent bien brèves à toupin.

 Fait exprès, dès le lendemain, la machine sonna. Toupin qui donnait le foin à ses moutons, au tintamarre de la sonnerie, bondit aux écoutilles. A l'autre bout, un correspondant hurlait : "Allô ! Allô !

- D'accord, j'y vais vous en chercher", cria Toupin qui laissa tomber les écoutilles et se précipita à la fontaine, deux sceaux à la main. Il en revint en courant, reprit les écouteurs et cria dedans de toutes ses forces :

"Naï, Naï, doui pouaïré !" (traduction : "J'en ai, J'en ai, deux sceaux.)

 Mais comme l'appareil restait muet, il sortit vite de la cabine, appela son voisin qui, lui, appela l'autre, et pendant un long moment ils discutèrent de l'étonnante chose que, vraiment, ils ne comprenaient pas.

"Mais pourquoi qu'il nous réclamait de l'eau, celui-là ? Et quand on l'apporte, il nous dit pas ce qu'il faut en faire !"

 Il fallut à Toupin plusieurs années avant qu'il sache bien se servir de l'instrument.

 Il lui arriva même un jour une drôle d'histoire.

Très souvent, se trouvait là, assis à côté de sa porte, le Ferrant, un terrible "blagaïre", ancien maréchal-férrant, qui avait dans les cinquante ans.

 Fort porté sur le rouge, il avait dû abandonner son métier, car il plantait trop souvent les clous dans le vif des pieds des chevaux et avait reçu en plein ventre plusieurs ruades, dont une lui avait donné la hernie qui lui interdisait tout effort.

 Il s'était reconverti berger, et c'en était un fameux, mais il gardait les bêtes que l'été, car l'hiver, lorsqu'il était trop bourré en rouge, il lui était difficile de faire téter les agneaux.

 Pour ce travail, il faut pencher la tête jusqu'au niveau du ventre de la mère et c'est cette position qu'il tenait mal, piquant souvent  une tête dans le fumier.

 Pas sot, il avait préféré, pour ne pas être la risée des autres bergers, se retirer au Plan dès octobre.

 Un  jour que le Ferrant prenait le soleil, le téléphone tinta.

Toupin arriva en courant, décrocha les écoutilles : c'était le docteur du Moustiers qui appelait. Ce dernier était fort redouté et respecté à cause de ses fonctions. Une conversation s'engagea entre le Toupin et le conseiller général.

 Ca paraissait long, très long à l'oreille du Ferrant, qui voulait savoir.

 A plusieurs reprises, il adressa la parole au Toupin qui, excédé, sans lâcher l'appareil, lui lança avec virulence :

"Quand vous aurez fini de m'emmerder, vous vous arrêterez !"

  A l'autre bout du fil, l'espace d'une minute, ce fut le silence : le docteur avait pris la chose pour lui. estomaqué, il marquait le coup : c'était sans doute la première fois qu'on l'insultait. Enfin, d'une voix mauvaise, il rappela à son interlocuteur qu'il lui devait la politesse et le somma sur-le-champ de venir à Moustiers lui présenter ses excuses en personne.

 Mais Moustiers était bien à trois heures du Plan.

 Très digne, le Toupin raccrocha, planta sur son crâne sa casquette neuve mais crasseuse déjà, prit au mur son baton de berger, décrocha sa musette dans laquelle il jeta un quignon de pain et un oignon, et, tête basse, visière rivée sur l'oeil, prit le chemin de la Vallonge qui mène à Moustiers par le Courchon.

 Ensuite, on abordait alors la première ferme où habitait la Jeanne, une femme du même âge que mon père et qui avait presque autant de moustache que lui, une énorme poitrine où on aurait pu poser en équilibre et à l'aise deux bols de lait.

 Mon père taillait avec elle des bavettes interminables et s'arrangeait toujours, au départ, pour donner un léger coup du plat de la main sur ces magnifiques mamelons :

"Tu les as toujours aussi beau", lui disait-il.

 Nous n'en étions pas choqués, sachant qu'ils étaient allés à l'époque ensemble.

 Dans le hameau de la tante, où nous passions le plus clair de nos journées, il y avait un homme qui nous amusait beaucoup, mais qui aussi nous remplissait de frousse, le Rosin.

 Chaque année, à la veillée, nous faisions raconter à l'oncle son histoire. Nous la savions par coeur, mais nous nous en régalions toujours.

 A la déclaration de guerre, en quatorze, Rosin avait juste vingt ans. C'était un gaillard mais le travail ne l'attirait pas. Ses parents, à force de vendre des moutons et en mengeant guère que de la soupe, avaient réussi à mettre dans les bas de laine pas mal d'écus d'or.

 Quand Rosin eut douze ans, il obtint son brevet élémentaire. Quand il revint au hameau, il avait presque l'allure d'un maître d'école. Il parlait un français impeccable et le latin aussi bien que le curé. Mais ses mains étaient devenus très lisses.

 Sa mère, qui le couvait, ne voulut point qu'il retouche trop à la terre : ça les lui aurait abîmées.

Tous les bergers de là-haut disaient que c'est avec les mains lisses et un peu d'instruction qu'on a le plus de chances d'attraper la fainéantise. C'était sans doute pour éviter ce grand risque que peu de pères envoyaient leur fils à l'école.

 La feuille de mobilisation cueillit le Rosin quelques années plus tard. Comme tous ses copains, il se rendit à Draguignan. Là-bas, on lui donna un paquetage et un fusil Lebel avec baïonnette en dessous.

 Il fut réuni avec des milliers d'autres sur le champ-de-Mars où des capitaines instructeurs, après force harangues sur le aptriotisme, leur apprirent à manier l'arme et à mettre la baïonnette au canon.

 Cinquante, cent fois peut-être, on les fit recommencer le même manège.

 Rosin s'enerva.

 On le vit tout d'un coup sortir des rangs et, baïonnette baissée, foncé sur un capitaine.

 Celui-ci, dans un galop effréné, courut se réfugier dans les W-C, dont il tira la porte en la verrouillant sur lui. Le Rosin arrivait trois enjambées derrière et, de toutes ses forces, il planta sa baïonnette  dans le bois de la porte qui fut traversée.

 La pointe de l'engin dut frôler le nombril du capitaine. Vraisemblablement, il ne put esquiver qu'en se faisant plus plat contre le mur du fond. Quatre agents d'escouade réussirent à ceinturer enfin le Rosin, le désarmèrent.

 Des chiottes, les recrues virent sortir le capitaine, blanc comme un linge. Il avait échappé belle !

 Mon oncle disait :

"Un poil de plus, il le crevait !"

 Après quelques jours de tôle, Rosin fut "expertisé" par un docteur qui le déclara à demi fou et le réforma temporairement.

 Rosin retourna dans son pays Natal, ravi, et bien décidé à faire en sorte que le temporaire devienne définitif. Il commença par ne se raser qu'un seul côté de sa figure, ce qui lui donna tout de suite un air à part dans le village.

 Il ne se lava même plus et sa peau se tapissa de crasse. Quand son pantalon fut sale et troué, il ne l'enleva pas, mais en remit un tout neuf par dessus. Il était toujours affublé de deux vestes, même en plein été. Un chapeau à large bord, culotté lui aussi d'une épaisse couche de crasse, ombrageait un visage aux traits fins, qu'ornaient parfois deux épis de lavande délicatement piqués dans ses narines.

 Il déambulait dans cet accoutrement en faisant de tout petits pas, uniquement sur la pointe des souliers, tel un danseur mondain.

 Il parlait volontiers d'une voix douce et lente, presque féminine, à ceux qu'il rencontrait.

 Les gendarmes, le croyant simulateur, montaient le surveiller en douce, une fois par mois. Vers le douzième, ils firent leur rapport. Le conseil de réforme, statuant à digne, jugea bon de classer Rosin fou entier et définitif.

 Mais la guerre terminée, Rosin garda ses drôles d'habitudes. Il avait laisser pousser ses cheveux frisés qui lui tombaient jusqu'aux hanches. il préfigurait ainsi les hippies. Avec des années d'avance.

 Après la mort de ses parents, il vivota de pain sec et de patates cuites à l'eau. Ce frugal régime lui conserva une robuste santé : on ne le connut jamais malade.

 On le voyait se promener doucement par-ci, par-là, comme s'il marchait sur des aiguilles.

 L'enduit de crasse, un peu plus épais chaque jour, lui faisait comme un deuxième épiderme. 

 Quand il eut atteint 80 ans, il fit une petite angine, la première maladie de sa vie. On l'emporta à l'hôpital pour mieux le soigner. la bonne soeur horrifiée par sa carapace de crasse, le mit à tremper une demi-journée dans une baignoire d'eau chaude ; une grosse partie de la crasse, bien imprégnée d'eau, tomba en plaquettes comme du chocolat. 

 On frotta un peu au savon ce qui restait, et dessous apparut une peau douce, satinée et rose, comme celle d'un jeune enfant.

 Mais cette baignade, l'unique de sa vie, lui fut fatale. Sa peau de crasse lui avait donné un métabolisme très ralenti, sans doute. Le bain l'activa a tel point que le lendemain l'homme était mort.

 Jamais encore les docteurs n'avaient enregistré un pareil cas.

 Oui, Rosin, c'était vraiment un cas !


A lire : Les souvenirs de Marcel Scipion (1) ; Les souvenirs de Marcel Scipion (2) ; Les souvenirs de Marcel Scipion (3)

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22 juin 2013 6 22 /06 /juin /2013 14:43

dde3276d"Le clos du roi. Extraits :

 

 Un autre personnage encore, dans le hameau de la tante, nous fascinait : c'était un Italien qui habitait la plus haute maison. Tous l'appelaient le "Magnin", ce qui, dans ce pays, veut dire "rétameur".

 Il portait un vaste chapeau tyrolien, une énorme moustache à la gauloise, et parlait un mot de français et deux d'Italien. Il passait de ferme en ferme avec sa pierre à feu et il redonnait le tranchant aux faux et aux faucilles.

 Captivés par tous ces gens sortant de l'ordinaire, nous ne voyons pas passer nos huit jours de vacances.

 Le lendemain du jour de l'an, après nous avoir souhaité la bonne année et avoir mangé force poires, pommes et quelques "bisquitchellis" (gâteaux secs) que la tante sortait exprès pour nous d'un de ses petis placards noirs qui garnissaient chaque coin de sa cuisine, nous refaisions le chemin inverse sur nos mulets.

 Mais ce retour n'avait pas, et de loin, le charme et le mystère de l'aller, car il nous restait rien à découvrir.

 Mon père faisait quand même une halte à la ferme du Ponsonnet pour taper un petit coup du plat de la main sur les énormes "pousses" de son amie Jeanne.

 On y buvait le café dans lequel on trempait du pain d'épice.

 Quant à moi, je devais subir l'assaut de Marguerite. C'était une fille de mon âge avec d'immenses cheveux noirs et, sous le nez, un duvet qui pointait déjà dru, et qui, je l'imaginais, ressemblerait à la moustache de sa mère, ce dont j'étais effrayé.

 Marguerite se plantait devant moi, jambes écartées ; ses yeux noirs et brillants, à trois cm des miens, semblaient devoir me fasciner.

 

 Un jour, mon père vit dans le journal une annonce : "Berger cherche place. Mario Léon. Barrêmes. Lieudit Le Poil." Comme à cet époque le recrutement des bergers par annonce n'existait pas, cela lui parut un peu suspect et on en discuta en famille.

 Le grand-père, qui avait la plus grande habitude, dit que ce ne pouvait être qu'un rigolo, n'ayant jamais vu la queue d'un mouton.

 Pourquoi n'allait-il pas à la foire comme les autres ?

 En effet, cela nous paraissait bien étrange.

 Ce fut ma tante qui trancha la question :

"Va donc le voir, tu verras bien la tête qu'il a", dit-elle à mon père.

 Les bergers à l'époque avaient des têtes spéciales.

 Et puis ce berger pouvait être un "babi", un Italien venant travailler clandestinement en France.

 En l'écoutant, nous les enfants, nous eûmes un grand frisson de terreur dans le dos. La semaine précédente, le maître d'école nous avait parlé de cannibales.

 Ma soeur partit se coucher en pleurant. Moi, je n'en menais pas bien large. Je fis des rêves terribles où le Mario Léon me faisait cuire à la broche.

 Quand on se leva, mon père était déjà parti le voir.

"Pourvu qu'il en revienne", dis-je à ma mère, qui ne compris pas l'allusion.

 Il en revint le lendemain même. Il avait vu le Mario et pris des renseignements.

 "Brave type, disaient les voisins, mais feignant comme une mite."

 Nous les gosses, on respira.

 "Il est rond comme une cougourde mais je l'ai embauché quand même, car il ne demande aps de salaire. Il veut seulement être logé, nourri, blanchi."

 C'était une affaire rare.

 Il arriva à pied le surlendemain. Un mètre cinquante, joufflu, rose comme un cochon de lait, il avait des yeux anormalement espacés l'un de l'autre et de toutes petites oreilles pointues comme celles des rats.

 D'instinct, ma soeur et moi vîmes qu'il n'était pas bien méchant. Ouf ! On respirait.

 Auparavant, mon père nous avait raconté son histoire.

 Mario, c'était le plus riche de son village. mais il n'avait jamais travaillé de sa vie, ses aprents à leur mort lui ayant laissé des armoires pleines de linge, et, entre les paires de draps, de grosses liasses de billets de mille, pliées dans du papier journal.

 A l'époque c'était dans le linge et non à la banque que les paysans riches plaçaient leurs économies.

 Le Mario se laissait vivre : à quoi bon travailler ?

 Il avait bien essayé une ou deux fois ; mais le lendemain, il avait eu très mal aux bras et aux reins. Aussi décréta-t-il que le travail ne valait rien pour sa santé.

 Et il s'en tint là.

 Il s'éclairait à la bougie, posée à même le bois de l'armoire à linge, assez près de son lit.

 Et pour s'éviter un gros travail, il couchait tout habillé. C'était autant de fatigue épargnée pour le lendemain.

 Un soir, s'étant couché sans avoir soufflé la bougie, il s'endormit et celle-ci, en se consumant, mit le feu à l'armoire qui, elle, mit le feu à toute la maison.

 Il n'eut que le temps de sauter par la fenêtre dans le pré. Mario se félicitait de sa bonne habitude de coucher tout habillé. Sans cela, disait-il, je me trouvais à la rue, tout nu comme un ver.

 Plus de maison, plus de sous, mais habillé tout de même pour l'hiver : l'honneur était sauf pour lui.

 Mais il fallait vivre.

 Que faire ?

 Un voisin lui ayant dit que berger ce n'était pas trop compliqué ni fatiguant, il avait alors apssé l'annonce.

 Mario fut donc lâché tout seul derrière le troupeau. Il faisait beau.

 Sitôt dans la colline, il s'allongea sur son manteau et s'endormit au soleil.

 Le soir, le troupeau arriva tout seul à la porte de la bergerie. Ce fut bien après la nuit tombée que Mario, à son tour, arriva, essoufflé, tout ébouriffé, alors que nous allions partir à sa recherche. Penaud quand même, il dit en arrivant :

- J'ai perdu le troupeau.

 L'incident en resta là.

  D'ailleurs Mario s'était assis devant le poêle, jambes écartées. Sur l'une, il fit grimper ma soeur, et moi sur l'autre. Il nous faisait sauter à bidet. On rigolait.

"C'est quand même un bon berger", dit ma mère, attendrie par la scène.

 Dans les mois qui suivirent, Mario fit bien quelques gaffes, mais il perdit le troupeau moins souvent et réussissait, après des courses folles, à le retrouver : c'était bien lui qui rentrait le troupeau et non le troupeau qui rentrait le berger.

 Un soir, grand-père qui prédisait bien les choses - le temps du lendemain en particulier - dit devant toute la famille :

"Avec le temps, on en fera peut-être un bon berger."

 Mario bomba le torse, car ça ne sortait pas de la bouche de n'importe qui.

 Les mois passant, Mario se socialisait, et on le voyait parfois faire de longues causettes avec ma tante Pauline. Celle-ci, bonne causette, s'abonnait au Petit écho de la mode et lui céda le lot parce que Mario était intéressé.

 A partir de ce jour, on remarqua que Mario ne faisait plus la veillée avec nous, mais se retirait dans sa chambre où, nous le comprîmes plus tard, il écrivait longuement.

"Je me demande bien ce qu'il peut faire", disait ma tante. Et on sentait qu'une curiosité malsaine le travaillait.

 Un jour que Mario était aux étables, je vis ma tante passer dans la chambre du berger. La curiosité étant contagieuse, je collai vite un oeil au trou de la serrure juste au moment où elle prenait un papier sur la table. Et chose inouï qui me suffoqua, elle partit d'un fou rire qui allait s'amplifiant à mesure qu'elle lisait.

 Quand elle sortit de la chambre, elle était encore secoué par des sursauts de fou rire ets es yeux en pleuraient en même temps.

 Je lus la lettre sur laquelle était épinglé en coin une photo-mannequin du catalogue, son numéro et son prix. Elle disait :

"Madame, j'ai vu sur catalogue votre photo. Vous êtes très poulido et vous m'agradez bien.

Je voudrai me marier avec vous. Votre prix peut-il encore un peu se discuter ? Je vous trouve un peu haute pour moi qui ne suis qu'un simple berger débutant. Je suis inappointé pour l'instant, rien qu'à la nourriture. Mais dans quelque mois, le patron va me tarifier au cours du jour. Je pourrai alors vous payer.

 Je vous donne déjà mon signalement : j'ai des cheveux couleur chaille. je suis bien râblé. J'ai trente-trois ans, pas encore usé par les femmes et assez peu par le travail : je me suis toujours ménagé de ces deux côtés-là.

 D'ailleurs, je ne travaille que depuis six mois. Je pourrai vous contenter à votre demande et à la cadence qui vous conviendra le mieux, sauf les jours de foire de La Palud où je suis pris moi-même par mon patron et surtout les négociants qui me font monter les moutons. Je ne vous dis rien de mon pays natal qui s'appelle Le Poil : vous le verrez quand vous viendrez.

 Ecrivez-moi en mettant très personnel en rouge, à cause de la patronne qui est bien brave, mais curieuse comme un pet. Je vous civilise Mademoiselle."

 Mario Léon. Ferme de Vénascle

 A partir de ce jour, il y en eut trois - Mario, la tante et moi - pour guetter l'arrivée du facteur. Lassé d'attendre une réponse qui ne venait pas, Mario nous quitta un matin, et nous n'entendîmes plus jamais parler de lui.

 

 A lire : Les souvenirs de Marcel Scipion (1) ; Les souvenirs de Marcel Scipion (2) ; Les souvenirs de Marcel Scipion (3)

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19 juin 2013 3 19 /06 /juin /2013 14:42

6e6c17f2"Le clos du roi. Extraits :

 

 L'époque remonte à cinquante ans. La science dentaire n'en était qu'à ses débuts. Seule les grandes villes possédaient  des dentistes.

 Mais, pour nous, ces grandes villes étaient à mille diables : nous n'y allons jamais.

 Quand nous avions mal aux dents, nous gardions notre mal jusqu'à ce que ça passe.

 Heureusement, il existait quand même des "rhabilleurs" qui, en deux coups de pouce, vous remettaient vite et bien membre ou nerf démis.

 On disait qu'ils possédaient le secret et qu'ils ne pouvaient se le passer que de père en fils. Aussi, quand un rhabilleur avait eu le malheur ou la chance de rester célibataire - c'est suivant que ! -, les populations environnantes le voyaient vieillir avec inquiétude et sa mort jetait la panique dans tout un département.

 "Où irons-nous quand il ne sera plus là ?" se lamentaient les gens à l'avance.

 Mais pour les dents, c'était le vide. Seules quelques vieilles disaient calmer ce terrible mal avec de petits toupins en terre cuite.

 

 Je me souviens de ma joie quand je braconnais. Je pouvais nourrir ma famille, sans oublier la joie obscure, qui me montait aux tripes et qui était sublime : celle de tromper les gendarmes, "bien les couillonner", comme disait mon grand-père. 

 La soupe aux chous...

 A un kilomètre de la maison, on sentait bouillir la soupe où la tante jetait un os de cochon grillé au four avec des herbes et un peud e couenne.

 Quant, à cette odeur de soupe, s'ajoutait le fumet du chou aux olives et aux boyaux de lapin, je vous jure que, vraiment, attendre midi devenait un supplice.

 Dès onze heures trente, nous, les enfants, étions déjà autour de la table. Et souvent, les hommes quittaient les travaux des champs un quart d'heure avant l'horaire, l'estomac les ayant descendu "d'un seul coup" dans les talons, disaient-ils.

 Ils arrivaient les yeux brillants de gourmandise.

 Après sa femme, demandez à un vrai montagnard ce qu'il aime le plus : "La soupe au choux", vous dira-t-il.

 Les lièvres avaient aussi bon nez.

 

 On l'appelait Mascara. Il avait la quarantaine bien sonnée quand je l'ai connu. Un jour il débarqua dans notre petit village par le car. Il alla taper tout droit à la porte d 'un vieil Italien qu'on appelait Bartolin.

 Comment Bartolin et Mascara se connaissaient-ils ? C'étaient bien sûr deux Italiens exilés, mais de provinces éloignées, l'un du Piémont, l'autre de la Sicile.

 Le Bartolin s'était fixé à Moustiers où il avait du travail assuré. Le Mascara s'était approché plus haut, à Soleils, petit village à quelques encablures de Castellane. Il s'y était marié avec la fille d'un berger du pays, une belle blonde, tellement blonde, tellement jolie, qu'il n'en garda hélas que fort peu de temps l'exclusivité.

 Pour gagner sa vie et celle de sa femme, le Mascara devait partir de grand matin chaque jour couper du bois dans la forêt. Il ne rentrait que le soir, exténué. Après lui avoir mis à mijoter une bonne soupe de lard et un ragoût, la blonde Mascarine aimait bien aller rouler les hanches dans un village voisin.

 Cette ville comme toutes les autres est peuplée de fainéants, qui sautent de la terrasse d'un café au comptoir d'un autre, et qui n'ont d'yeux que pour les fessiers bien roulés, et fallait voir la rondeur de celui de Mascarine.

 Ces paresseux sont pleins d'audace, et adroits de leurs mains que pour tripoter ces choses-là.

 Une fois, Mascarine se laissa faire.

 Ayant pris goût à ce divertissement, elle renouvela les escapades, tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre.

 Dans les débuts, cela resta discret, mais bientôt, de langue à oreille, ça coula le long du Verdon jusqu'à Soleils, où par maladresse et non par méchanceté un ricochet malencontreux en percuta l'oreille de Mascara, qui fut très malheureux mais n'en laissa rien voir.

 Dans le début, il essaya de lutter sur le même terrain que ses adversaires, mais baste ! allez lutter avec ces mains de fainéants, qui sont plus douces et plus fines que celles d'un évêque, tandis que la forêt avait mal éduqué celles du bûcheron. 

 Aussi, se sentant battu sur le sexe, il s'acharna sur la forêt, en pénétrant tous les recoins, en débusquant tous les mystères. Il en devint le maître incontesté et bientôt, on ne parla plus guère dans la région de son infortune conjugale, mais on parlait fort de ses prises miraculeuses. Il approvisionnait tous les restaurants des alentours, qui s'arrachaient la marchandise.

 Et ça lui faisait des sous.

 

 J'avais six ans. On s'inventait des tas de jeux, parfois même on se fabriquait des jouets. L'oncle François me fit une jolie brouette en bois de frêne. Mon père fit à tous les cousins des arbalètes en bois de buis qui permettaient de tirer les moineaux à vingt mètres.

 Avec on se livrait bataille avec les bandes rivales.

 J'étais sacré Charlemagne par l'évêque de la bande ; un cousin commandant de la bande rivale se faisait baptiser Duguesclin ; et on trouvait toujours une gorge de terrain propice, toute pareille dans nos imaginations à celle de Roncevaux.

 On se déclarait la guerre et l'on s'exterminait férocement.

 A nos ceintures, on s'était arrimé une épée en bois de saule, arme avec laquelle on donnait le coup de grâce aux mourants. De ces terribles batailles, nous ressortions souvent avec d'énormes bosses au front qui nous glorifiaient ou nous déshonoraient aux yeux de l'ennemi.

 

 On l'appelait Cousin Tin, quoique la parenté, fort lointaine, prêtât à confusion. Grand-père lui-même n'avait pas souvenance d'avoir jamais rencontré son père ou sa mère.

 Le cousin était un homme dans la force de l'âge, la cinquantaine environ, très grand très large d'épaules, très brun avec de grandes moustaches à la gauloise. 

 A le voir, on l'eût cru d'une force herculéenne. Mais il était d'une paresse exemplaire. 

 Comme il n'avait jamais travaillé de sa vie, sa vitalité et sa force n'étaient qu'apparentes. "Un fort coup de vent le fout par terre", disait mon père.

 Il est vrai qu'avec une telle carrure la prise était bonne.

 Pour subsister, il avait trouvé une astuce. pendant les mois d'hiver, pour ne pas geler, il rentrait à l'hospice, ou une assiette de une soupe chaude et un peu de pain trempé le tenaient en vie jusqu'au printemps.

 Dès que mars arrivait avec ses beaux jours, il sortait un petit calepin noir où il avait soigneusement noté toute sa parenté jusqu'à la dixième génération.

 A cette liste, il ajoutait les amis de ces derniers, puis les amis des amis et ainsi de suite, ce qui faisait un long chapelet d'adresses, et autant d'assiettées de soupes gratis en perspective.

 Il débarquait chez nous un beau jour, toujours entre onze heures trente et midi.

 Dans ces conditions, il était difficile à la maîtresse de maison de refuser de mettre une assiette supplémentaire. C'était d'autant plus gênant de lui refuser la soupe qu'il arrivait toujours en apportant des tas de bonjour et l'amitié du cousin des cousins ou des amis des autres amis, chez qui il s'était fait héberger les jours précédents, et sur qui, bavard comme une agasse, il nous donnait force détails jusqu'au souper du soir.

 Après quoi, il demandait s'il y avait un peu de paille à la grange pour aller dormir.

 Puis, il ne décrochait pas.

 Problème, personne à la maison n'avait le courage pour foutre à la porte ce parasite qui savait si bien s'incruster. Personne ne trouvait le bon truc.

 Ce fut l'oncle François qui, plein d'idées neuves comme toujours, trouva l'astuce.

"Vous allez le voir déguerpir demain, sans esclandre aucun", dit-il.

 Avec lui, il fallait s'attendre à tout, le pire y compris. Cette année-là, il y avait cinq jours que nous avuins le cousin Tin sur le dos et nous en avions vraiment marre.

 Le lendemain, le cousin Tin s'installa comme chez lui, au coin de la table, se servant à rasette un grand bol de café au lait, dans lequel il faisait nager force bouts de pain.

 Après l'avoir regardé manger quelques instants, l'ocle François se leva et sortit une grande scie qu'il jeta négligemment au pied de la table, à quelques pas du cousin Tin.

 "Mangez bien pour avoir des force, dit-il d'un air innocent à ce dernier. Quand vous aurez terminé, je vous embauche pour jeter à bas un énorme châne qui nous procurera du bois pour tout l'hiver, mais il est tellement gros qu'on en a pour dix heures de travail, rien que de louber."

 Le coup porta si bien qu'on vit un bout de pain manquer le dessous de la moustache et rebondir sur la table.

 Un air de contrariété s'était installé sur le visage si serein d'ordinaire du cousin Tin. on devinait que derrière son large front plat s'élaborait un plan de sortie. Mais lequel ?

 La dernière gorgée de café au lait ingurgitée, il se leva, sortit de la pièce puis dit de sa voix assurée :

"Je crois qu'il va faire une bonne journée. Je vais en profiter pour aller saluer les amis de Naverre et leur porter de vos nouvelles. Il y a un an que je ne les pas vu, ça leur fera grand plaisir et à moi aussi."

 Nous en étions débarrassés pour un an grâce à l'oncle François qui avait trouvé le bon truc.

 Si le bon pain que nous faisions à la ferme nous donnait cinquante pour cent de nos forces, où trouvions-nous les cinquante autres ?

 Nous avions de très belles sources qui nous donnaient une eau pure, excellente, fraîche pour étancher nos soifs.

 Mais mon père disait  "que l'eau, ça ne donne pas de force ; ça désaltère, ça rafraîchit, ça fait bien pisser : d'accord, c'est connu. Mais c'est tout, ça s'arrête là et c'est déjà pas si mal. pour avoir la force, la vraie, celle qui permet à un homme de pousser à bout de bras sa faux dix heures par jour, il faut boire du vin."

 Ce qu'il nous en fallait de la force ! Et ce vin, qui a la même couleur que le sang, faisait couler cette force dans nos muscles. Mais il faut en boire très modérément, juste assez pour bien faire son travail. Mon père disait même qu'il faut toujours le couper un peu avec de l'eau pour en tempérer la force.

 Je me souviens aussi de de Gonzague, le Zague pour les familiers. Vrai poilu de 14, il venait souvent me voir puisqu'il appréciait la tiédeur de ma cabane où, entre trois pierres, je faisais ronfler un bon feu.

"Ca me rappelle 14, avant l'attaque, à l'arme blanche, du bois d'Armont, en Alsace."

 Pendant plus de deux heures, il parla et j'entendis la plus terrifiante, mais peut-être la plus belle de ses histoires de guerre. la voici telle que ma mémoire la transcrit.

 "C'était un jour un peu comme aujourd'hui. tu aurais pu couper le brouillard au couteau. Depuis la veille, on avait reçu double ration de vin au bromure et aussi double ration de gnôle. On savait ce que cela voulait dire : on nous droguait avant de nous lancer à l'attaque.

 "vers les une heure, le commandant de compagnie arriva.

"Tous au carré. ouste, les gars !"

"Ils e promena devant nous un moment, les yeux rivés au sol.

"C'était nous le savions, un homme juste et bon. dans le civil il était professeur de lettres en banlieue parisienne.

"Il s'arrêta enfin. Son regard nous scuta un par un. Il semblait nous jauger. Peut-être était-ce aussi pour mieux s'imprégner de notre souvenir, car il savait, lui, que demain, au rassemblement de l'aube, il ne reverrait plus certains visages.

 C'est cela sans doute qui l'empêchait de a parler, car sa glotte montait et descendait, rapide, derrière sa cravate. enfin il nous dit :

"Mes enfants, la France compte sur vous. il nous faut reprendre le bois d'Armont aux boches, cet après-midi même. ce sera dur, terrible même. Mais si nous l'enlevons, c'est la porte de la plaine d'Alsace que vous ouvrirez. beaucoup d'entre nous n'en reviendrons pas, je le sais. Car c'est par surprise que nous attaquerons. Vous devrez vous battre à l'arme blanche, baïonnette au canon.

 L'ordre que j'ai reçu du quartier général est celui-ci : "Enlevez la position par surprise. S'y maintenir. S'y faire tuer sur place s'il le faut, mais ne jamais reculer."

 Vous avez deux heures de quartier libre, les enfants, pour écrire à vos familles. Je serai franc. Pour beaucoup d'entre vous, ce sera la dernière lettre. Pensez-y. pesez bien vos mots. Ceux qui vous liront là-bas au pays, ne devront aas être trop tristes. Ecrivez en hommes adultes et responsables. C'est tout ce que je vous de mande. A trois heures, vous aurez double ration de gnôle. A quatre heures, c'est l'attaque des tranchées. Allez, rompez !"

 "Chacun rejoignit sa butted e terre et, crayon en main, papier posé au dos du paquetage, on rédigea. Moi j'écrivais à ma mère. mes yeux s'embuaient de larmes, et ma main tremblait à chaque mot. J'étais presque sûr que jamais je reverrais ma mère revenant des vergers, le tablier rempli de poires à cuire.

 Jamais plus, peut-être, je m'assiérais sur l'épaisse planche de chêne qui, devant la maison, face au soleil du midi, réunissait en hiver la famille au complet.

 Jamais plus peut-être je ne plongerai mes lèvres dans le tronc d'arbre évidé qui, accotée au mur de la bergerie, recueillait l'eau de notre source.

 Jamais plus sans doute, je n'irais me promener ni n'entendrais les sonnailles du troupeau de mon père castagner sur les crêtes du Montdenier.

 Les plus vieux d'entre nous n'avaient que vingt-quatre ans. A vrai dire, nous n'étions que des gosses et on nous demandait d'égorger et d'embrocher le boche comme une bête sauvage.

 Ma lettre se remplit mais uniquement de mensonges. je disais à ma mère que j'allais bientôt partir en permission, qu'il me tardait de l'embrasser. Je lui demandais aussi de me faire plein de bocaux de confiture de coings mélangés de pastèques, que j'adorais. Enfin, pour la rassurer tout à fait, je lui dis que le capitaine m'avait promis la planque, bien à l'abris à l'arrière des lignes. je cahetai ma lettre. heureusement que la grosse larme tomba à côté.

 Je retrouvais ensuite nombre de copains qui, sans doute, avaient pondu autant de mensonges que moi pour rassurer les leurs. La gnôle promise arriva. La distribution fut généreuse : nous en bûmes un plein quart.

"Le capitaine s'avança, blême. s'adressant à tous, il dit, des larmes dans la voix :

"C'est à la boucherie que je vous envoie. Nous y allons tous ce soir. Ce n'est pas de gaieté de coeur que je vous lance à l'attaque mes petits. si on en revient, tous on se souviendra de ce 25 septembre 1915. soyez courageux les gars, mais soyez humains. Abrégez d'un coup de pistolet entre les deux yeux l'ennemi touché à mort. Ce sont nos ennemis certes, mais comme nous, ce sont des hommes qui ont mère, femme et enfants. Chacun doit faire son devoir. La France nous regarde. mettez baïonnette au canon et, à mon commandement poing levé, vous bondirez en silence derrière moi."

 En quelques bonds nous fondîmes sur les tranchées allemandes. les boches, confiants en ces heures creuses de l'après-midi, dormaient sur leurs capotes, ou mangeaient leur lard, ou encore jouaient aux cartes. Leur surprise fut totale.

 Devant moi je vis un Allemand déguerpir à toutes jambes vers le bois voisin. C'était une estafette. Il allait sûrement alerter l'artillerie ou chercher du renfort.

"Je bondis après lui, fonçant, baïonnette baissée. Nous courûmes ainsi plusieurs centaines de mètres. Tous les camarades étaient restés loin à l'arrière ou l'on s'entretuait avec une rage sauvage. On entendait des terribles cris d'agonie.

 "L'Allemand entra dans le bois, moi toujours à ses troupes. Encore quelques bonds et je l'aurai rejoint. j'allais bientôt le transpercer. mais brusquement, il stoppa, me fit face et, dans le temps d'un éclair, il mit lui aussi baïonnette au canon.

 Je vis alors ses yeux, de grands yeux bleus remplis de peur, et de confiance aussi. Il pouvait avoir dix ans de plus que moi.

"camarade, moi pas te faire kaput", me cria-t-il.

"Interloqué, à trois mètres de lui, je m'étais arrêté. Je savais que c'était le premier qui aurait le courage de planter sa baïonnette dans les tripes de l'autre qui aurait raison et qui serait vainqueur. Mais vainqueur de quoi ?

 En un instant, moi aussi, je réalisais que même vainqueur, si je le tuais, jamais plus je ne pourrais oublier ses yeux bleus que ma baïonnette allait fermer à la vie pour toujours.

 Quelque chose tourna vite, très vite dans ma tête. ma main gauche lâcha la crosse, plongea dans ma poche, y saisit une photo, celle de ma mère. Je la brandis face au Boche. celui-ci laissa choir à terre son fusil et sa main fouilla aussi sous sa chemise. Il en tira un médaillon, l'ouvrit et nous nous présentâmes nos deux photos. la distance nous empêchait de bien les voir. La voix du boche répéta encore :

"Moi, pas kaput toi."

"Comme un écho, la mienne répondit :

"Moi pas kaput toi aussi."

D'une main tremblante, j'avançai vers lui la photo de ma mère. Il la prit me tendant son médaillon. Nous tombâmes à genoux l'un contre l'autre. Une jolie femme blonde, aux yeux bleus de trente ans peut-être ornait le médaillon.

Alors pendant un long moment, lui comme moi, regardant les photos, on oublia la guerre. On avait aussi oublié de s'égorger. a quelques centaines de mètres en arrière, on entendait toujours une fusillade nourrie. les Allemands s'étaient ressaisis et toujours ripostaient au fusil-mitrailleur et à la grenade. Ce devait être un carnage épouvantable.

"je ne sais pas ce qui m'a sauvé, si c'est la photo de ma mère ou si c'est le canon, car notre artillerie entrait elle-aussi en action. Un obus s'enfonça à trois mètres devant nos pieds, y ouvrant un large cratère. l'Allemand s'allongea face contre terre ; je fis de même. Des dizaines d'obus nous environnèrent alors et ce fut un déluge de fer et de feu. on était presque enseveli et ma main, comme par hasard, rencontra la main du Boche. Je sentis qu'il la serrait. Côte à côte, nous restâmes couchés des heures, qui nous parurent des siècles dans cet enfer.

"Enfin la nuit arriva. Les canons français avaient rectifié leur tir, et c'était devant nous que, maintenant, ils balayaient le terrain tombant en plein dans les tranchées boches. Le tir dura jusqu'à l'aube.

"Les canons français s'arrêtèrent de tirer l'un après l'autre.

 Là, las, le boche se leva le premier. Dans sa main, il me montra, confus, la photo toute cassée de ma mère et sembla s'excuser. sa frayeur comme la mienne avait été grande. Je lui tendis son médaillon, puis nous nous regardâmes un instant en silence dans les yeux, éberlués tous les deux d'être encore en vie.

 "Un soleil blafard pointa dans le lointain horizon des crêtes. Avec reconnaissance, nous le regardâmes, car, sans doute ensemble, nous pensions à nos camarades qui, eux, ne reverraient jamais ce spectacle. combien en restait-il de vivants ?

"Mon boche, avec force gestes et baragouins, me faisait comprendre qu'il en avait marre de cette putain de guerre. Je le vis dénouer un de ses lacets de soulier, me le tendre, puis croiser ses poignets l'un sur l'autre. D'un mouvement sec, il pointa son menton en direction des lignes françaises comme une invite à l'y conduire. Je compris qu'il voulait que je le fasse prisonnier.

 Je lui ficelai alors légèrement les deux poignets avec le lacet. Je ramassai son fusil, le mien et je aprtis devant. Il m'enboîta le pas.

Les tranchées allemandes étaient jonchées de cadavres, tant Français qu'Allemands, souvent entremêlés, certains épinglés au sol par une baïonnette.

"Je reconnus mon capitaine. Un éclat d'obus français lui avait troué le front.

 Le boche dodelinait de la tête, montrant pour cette affreuse guerre toute sa réprobation.

 Ensuite mon boche fut emmené pour être interrogé.

 "Avant de suivre le colonel, il s'avança et me tendit la main. Je la lui serrai avec force, moi-aussi, car mutuellement nous nous étions sauvé la vie.

 "J'ai toujours regretté de ne pas lui avoir demandé son adresse. ce devait être un homme bien.

 Je crois bien que si je suis un pacifiste, je le dois aux terrifiants récits du vieux berger Gonzague.

 

 Caléri, le légionnaire, parlait surtout des femmes. peu ou prou, à toutes, d'après lui, il avait goûté.

 Il prétendait que la jouissance d'une Anglaise n'a rien à voir avec  celle d 'une Tonkinoise ; que les femmes indiennes, ça vous fait hurler de plaisir ; que l'Allemande, c'est, c'est fade comme un bout de lard ; et qu'enfin, avec les négresses il ne faut jamais aller, car, à chaque coup de queue, elles vous collent une chaude-pisse.

 "Seules les Françaises sont polyvalentes", concluait-il. 

 Que voulait-il dire ? Il n'avait guère le sens des mots. mais ses récits frappaient mon esprit de grand gosse déjà travaillé par la puberté.

 

 Un dimanche sur deux, on nous donnait un quartier libre et je descendais alors au village retrouver quelques copains de mon âge. Enfourchant de vieux vélos, on se rendait tous ensemble aux fêtes des villages voisins où des bals champêtres gratuits étaient organisés sous les platane des places publiques.

 Nous regardions nos aînés de dix ans qui prenaient à bras-le-corps de belles filles et les entrainaient dans les tourbillons tumultueux de la valse ou dans les lents et nostalgiques tangos.

 Ils martelaient ensemble de saccadées javas.

 Les voyant faire, l'envie nous prenait de les imiter. mais hélas ! dans notre bande aucun ne savait danser. Chaque dimanche, avant d'enfourcher le vélo, on promettait toujours aux copains de leur en boucher un coin et de se lancer enfin dans une java pour se "faire la main".

 mais arrivés au bal, une fois de plus on se retrouvait comme bloqués et pris de complexe devant la virtuosité des aînés : le mal danser rend ridicule aux yeux des spectateurs, du moins on se l'imaginait.

 On se contentait alors de bien regarder les autres et il nous semblait paradoxal que, dans cette sarabande de pieds quis e croisent et s'entrecroisent, on ne s'emmêle pas avec ceux de la cavalière.

 Ca nous fascinait ces pieds qui virevoltaient en tous sens et qui jamais ne venaient s'écraser les uns sur les autres.

 A la fermeture du bal, on se trouvait bien un peu minable de ne pas avoir eu l'audace de se lancer une bonne fois.

 "ce coup-ci, j'ai bien vu comment il place les pieds, mon frère Jacques, pour faire la java, dit l'un de nous. Au bal de dimanche, je m'en pique une."

 La fête de notre village approchait. Pour éviter de passer pour un pas trop dégourdi, pour ne pas dire un couillon vis à vis de ceux du village qui dirait encore : "Mias un grandet comme toi, pourquoi tu danses pas ,", je résolus d'essayer et de me jeter à l'eau.

 Pour nous donner du courage, nous décidâmes de nous envoyer deux cognacs.

Légèrement grisés apr l'alcool, on revint vers le bal par la grande rue en mimant avec une cavalière imaginaire les pas d'une java...

 C'est sans doute ce qui nous regonfla à fond.

 Nous arrivions à pic : justement l'orchestre entamait une java, qui est la danse par excellence des débutants. Plus brave que moi, le copain, franchissant les cordes, aborda une cavalière et carrément se lança. il sautilla trois pas, raide comme un piquet puis passa à l'attaque... 

 

 Savez-vous que pour nous, les bergers, le printemps est comme un vrai miracle ? Dès février, on l'attend, on en guette le moindre signe et ça vous chauffe le coeur : c'est d'abord les touffes d'herbe, puis c'est la visite des abeilles.

 Un autre signe encore, c'est la première bergeronnette qui vient sautiller entre les pattes des moutons.

 Enfin, un beau matin, c'est le cri du coucou qui ricoche sur les collines et la jeune feuille verte des chênes. Et puis, et puis, on ne ne sait comment, en vingt-quatre heures, c'est partout le roux de la terre qui disparaît, envahi par des milliers de pousses d'herbe verte.

- Affaire conclue", lui répondit le Costel.

 Il sortit de la cabine, le visage rayonnant, suivi du Firmin qui n'avait pas perdu un mot de la discussion.

"Il me le prend à trois mille, claironna-t-il dans le café. Adeline, tu sers le pastis gratuit à tout le monde. C'est moi qui l'offre."

 Le bar était plein. Ca vida un nombre considérable de bouteilles, sans en affecter le patron qui, au contraire, exultait. 

 La partie de belote du Tistet avait comme par hasard pris fin. Comme les autres, ils burent ravis la tournée offerte par le patron.

 

 Certains jours d'été, au Clos du Roi, on peut passer d'une chaleur brûlante au froid de la brume la plus épaisse. Par temps clair, la sensation de dominer la plaine et la vie tout entière y est intense.

 Si tu montes jusqu'ici lecteur. peut-être toi aussi, pendant quelques instants, y deviendras-tu un roi.

 

A lire : Les souvenirs de Marcel Scipion (1) ; Les souvenirs de Marcel Scipion (2) ; Les souvenirs de Marcel Scipion (3)

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12 juin 2013 3 12 /06 /juin /2013 16:43

f5ejuplr"Il est mort le fournil. Extraits d'un roman historique :

 

 Grand'mère, je sais que dans ta jeunesse tu avais une belle voix et un sens inné de la musique ; le dimanche, à la messe, tu dirigeais les choeurs de femme.

 Tu fus toujours pitoyable aux misères d'autrui et jamais ne laissa sans secours les détresses qu'on te signalait, payant de ta personne et du peu d'argent dont tu disposais.

 Brave, mamm-goz, va, qui, près de la mort dont tu avais peur, souriais, pour te rassurer, au souvenir de tout ce que tu avais fait pour les malheureux.

- Je ne leur ai jamais donné un morceau de pain sec, disais-tu, c'eût été les offenser.

 Et c'était vrai ! tu y y avais toujours ajouté un morceau de lard ou de poisson ; pas de beurre, c'était trop cher !

 Tu nous quittas à quatre-vingt-deux ans, doucement, discrètement ; nombreux furent ceux qui se souvinrent de ta bonté et de l'aide que tu leur avais apportée, car beaucoup de messes de reconnaissance furent dites en ton honneur, longtemps après ta mort.

 

 Ah ! chez grand'mère ! C'était une vie et un monde à part où tout était à sa place depuis le commencement du temps. Là était ma demeure, mon paradis ; là seulement j'ai savouré le goût du bonheur.

 J'arrivais sur la pointe des pieds, mais tu m'entendais : "Entre, ma petite fille" me disais-tu gentiment. Tu me recevais avec une joie réelle, sincère, comme honorée de ma visite : tu me donnais de l'importance ! Qu'est-ce qui flattes davantage un enfant que de sentir qu'il "compte" ? 

 Je m'intsallais près de toi et, dès cet instant, nous étions l'une à l'autre.

 Nos premières relations furent muettes : notre amour, qui se cherchait n'avait que faire des paroles, n'est-ce pas grand' mère ?

 Je posais ma tête contre ta poitrine et tu me serrais dans tes bras, tout doucement, comme un objet fragile et précieux.

 je ne dormais pas, je faisais semblant. Je laissais tout simplement s'écouler ma vie. Onde vibrante chargée de tendresse, ta chaleur, ô ma grand'mère bénie, me dilatait le corps et l'âme et j'étais au ciel.

 Avec toi pour guide, grand'mère, je me ferais obéissante, soumise et bonne, abandonnée à ta volonté ; j'essayerais d'oublier ma révolte et ma haine de ce pays.

 

 J'avais deux amies, Yéyette avec ses longs cheveux blonds et dédée, qui portait de si belles robes.

 Nos bonnes nous emmenaient jouer au square, nous faisions des parties de ballon et des courses de cerceaux ; le mien avait une sonnette. Papa venait me voir et jouait avec moi. Il ne voulait que je pleure. Il m'aimait bien, papa !

 Parfois, grand'mère venait nous voir. Elle passait des heures à me parler.

 Je l'écoute, attentive ; la conversation me captive, car grand'mère a une manière à elle de donner de la vie aux choses les plus simples et d'y ajouter en même temps la joie de son coeur.

 D'autre aprt, je me laisse prendre au charme des coutumes d'autrefois et je sens que s'il en reste encore quelques-unes, elles disparaîtront aussi, peu à peu. Il faut donc les observer pour les garder dans sa mémoire. 

 Quelle vie intense, autour de moi...

"Ecoute et regarde mieux, m'avait dit grand'mère... La vie change et dans quelques années tout ce que tu vois à présent aura disparu comme un théâtre qui ferme ses portes parce que la pièce n'est plus à la mode."

 J'allais désormais suivre "la pièce" avec un regard nouveau.

 Je n'ignorais pas que jamais plus ce ne serait "comme avant", mais j'étais jeune et un jour vint où j'éprouvai le besoin d'entrouvir mes ailes repliées. En route pour la vie !

 Mais la vie est comme le ciel de notre pays, rarement bleu, le plus souvent gris.

 Et il suffisait d'un air entendu que chantait papa, d'un onjet qui lui avait appartenu et que je retrouvais au fond d'un tiroir, ou d'une expression remarquée dans le regard de mon grand-père pour qu'à nouveau ce fût la descente dans le trou noir.

 j'en perdais le sommeil et l'appétit et personne, à ces moments-là, ne pouvait rien pour moi. j'en arrivais à envier ma petite soeur, heureuse et gaie parce qu'elle n'avait pas connu notre papa.

 

 L'hiver dans lequel on entrait devait m'apporter les paroles qui bercent et consolent la peine des enfants, en dirigeant leur attention sur les sujets qui les captive, en les libérant de leur obsession.

 maman avait organisé de vraies veillées. Chacune avait sa place attitrée et son siège. Rien ne manquait dans l'âtre pour préparer toutes sortes de bonnes choses ; un trépied, une pincette, un gril, une petite pelle à long manche pour retirer la braise ou la cendre brûlante et, accroché à un montant, l'indispensable soufflet.

 Je me souviens du pichet de cidre doux, des marrons croustillants et de la prière du soir en commun...

 Ainsi s'acheminait-on petit à petit vers les fêtes de fin d'année, Noël d'abord. la naissance d'un enfant - dieu, les anges, les étoiles, les mages, la paille de la crèche avec l'âne et le boeuf - pour nous les petits, c'était un cinte merveilleux qui se terminait par des cadeaux descendus on ne sait comment dans nos sabots de bois bien cirés, rangés autour de la cheminée : aucun miracle ne semble impossible à l'imagination d'un enfant !

 Nous allions à la messe de minuit, bien protégées du froid par nos capuchons de tissu des Pyrénées, nos sabots tiédis devant l'âtre pour conserver longtemps la chaleur de nos chaussons fourrés.

 Maman ne nous accompagnait pas à la messe de Minuit, elle irait à celled e l'aurore. Elle gardait chaude la maison, préparait notre retour et disposait le décor de la cheminée du réveil.

 les trois messes basses nous semblaient interminables ; sans doute faut-il passer de tels moments au Purgatoire pour mieux mériter le Paradis ! Celui qui nous attendait nous les faisait vite oublier. Nous trouvions une table dressée avec les bols de porcelaine, un pot de chocolat fumant, si parfumé !, et des assiétées de craquelins de Lnavollon pleins de beurre à ras bord. Ah ! mes amis, quel réveillon !...

- Ah présent, allez mettre vos sabots devant la cheminée et couchez-vous bien vite, les enfants.

 Nous ne demandons pas mieux ! Nous nous endormions le coeur plein de bonheur... et d'espérance.

 Dès que maman était revenue de sa messe du matin, elle montait nous réveiller en claquant les mains :

 

L'enfant Jésus est descendu

Il est venu l'Enfant Jésus

 

 Nous étions vite debout pour découvrir les merveilles tombées du ciel de si étrange manière.

 Pour ma soeur, toujours des poupées et des livres d'images.

 

 Le premier jour de l'an était une corvée. Il fallait se lever tôt pour être les premiers à s'offrir les voeux en famille, entre voisins ou amis. deux grandes cafetières débordant de café frais attendaient les visiteurs durant toute la matinée. Que de souhaits, d'accolades et d'embrassades.

 

"Bonne année, bonne santé, lonhue vie et le bonheur à la fin."

 

 Le soir nous dînions chez nos grands-parents, c'était l'habitude. Avec les crêpes minces, croustillantes, doéres et saupoudrées de sucre... 

 Le menu ? Un délicieux bouillon puis un poulet aux pruneaux, véritable confit, carottes moelleuses, petits oignons fondants, fruits gonflés d'un jus exquis, viande dorée et tendre. quel régal !

 Puis le gâteau des rois... A qui la fève ? celui-là était à l'amende d'une chanson - mais on persuadait grand-père que lui seul possédait une assez belle voix pour charmer la compagnie. C'était le prendre apr son point faible. il se levait sans se faire prier, posait la main sur l'épaule de sa femme dans un geste de tendresse et entonnait une ritournelle ou un grand air appris je ne sais où.

 Le lendemain, j'étais heureuse de me réveiller. l'école allait reprendre et les veillées aussi.

 

 Mon livre s'achève... J'y ai mis mes souvenirs d'enfance, douloureux ou pittoresques, mais tels qu'ils sont, ils constituent le fondement même de ma vie et ils m'ont faite ce que je suis.

 Ils sont restés intacts.

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11 juin 2013 2 11 /06 /juin /2013 18:38

e1cbca7b"Les boutiques d'autrefois, un livre de Claude Weill et François Bertin.

 

 Quand j'étais petit, j'aimais bien faire les courses, soit seul, soit avec maman, le jeudi après-midi, jour de congé pour l'école.

 Je me souviens du bec de cane en ébonite noire et le carillon qui signalait notre arrivée..., les sacs de jute entrouverts d'où l'épicier sortait avec sa pelle en cuivre le café vert, le riz, les poivres, les lentilles, les pois cassés..., la balance aux plateaux de cuivre et les poids de fonte...,

... l'imposante caisse enregistreuse..., chez le marchand de couleurs, les objets suspendus au plafond, y compris l'horrible martinet, les bocaux de verre devant les confiseries..., l'odeur du cambouis de garage..., les innombrables tiroirs aux poignets dorés chez la mercière..., les beaux yeux et la taille fine de la boulangère..., le pot à lait que le crémier remplissait à la louche..., les couleurs tendres de la guimauve, les roudoudous, les boîtes de coco...,

... l'odeur d'encre et de papier chez le libraire..., le choix du chapeau avec voilette chez la modiste après quinze essais devant le miroir..., les choux à la crème, les religieuses, les mille-feuilles, les saint-honoré, les babas au rhum du dimanche chez le pâtissier..., les pochettes surprises dans un très grand cornet dans lesquelles, déçus, on ne trouvait qu'un tout petit cadeau, chez le boulanger...,

... la sciure de bois sur le carrelage des boucheries et des restaurants..., les rutilantes bicyclettes neuves accrochées au plafond du marchand de vélo qui nous faisaient rêver..., les bocaux remplis d'eau colorée du pharmacien et les pots de porcelaine avec une inscription mystérieuse en latin..., la friction à l'eau de Cologne et la brillantine chez le coiffeur...

 

 Les dimanche matin, j'aime bien aller avec Papa au "Café des amis". Derrière le comptoir, le percolateur à café siffle, crache et souffle sa vapeur. Papa prend une fine à l'eau, moi je prends un Vérigoud orange que je sirote lentement, les jambes pendantes en regardant tout ce petit monde qui s'agite. J'aime bien les bistrots.

"Garçon, une fine à l'eau !"

"Un bock, un alexandra, une fine à l'eau, un Mandarin, deux Picon-bière, un blanc limé !"

"Un petit café, c'est dix centimes. Le double pour le même arrosé."

 

 La suite prochainement.

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25 mai 2013 6 25 /05 /mai /2013 15:27

Accordéon"Le chant d'un révolté. Une biographie de Robert Belleret.

 

Mes parents n'avaient pas de culture musicale, mais ils étaient amoureux de musique lyrique et, chaque fois qu'ils le pouvaient, ils allaient au pigeonnier de l'Opéra-Comique.

 Ma mère chantait lors des réunions de famille des airs de Manon, de Jules Massenet ou de Lakmé.

 La TSF venait de faire son apparition et elle véhiculait l'air du temps. On s'y immerge avec ravissement dans les délicieuses bluettes de Mireille et Jean Nohain, les chansons réalistes de Fréhel, Berthe Sylva et Edith Piaf, et les rengaines de Maurice Chevalier, Mistinguett, Georgius, Ray Ventura, etc.

 Le chanteur de charme Jean Lumière, qui susurre "Le Chaland qui passe" et "La petite église" est toutefois le préféré d'Antoinette.

 Et puis, la révolution Trenet est en marche.

 Dans la salle de bains, Pierre dôté d'un joli brin de voix, s'offre de petits récitals avec les premiers grands succès du "fou chantant" : "Y'a d'la joie", "Je chante" "Fleur bleue", "Boom!", "Ménilmontant".

 Jean ne sera guère en reste pour adorer Trenet, son originalité, la luminosité de son écriture, son swing.

 Les femmes sont plus sensibles au charme méditerranéen et sucré des romances de Tino Rossi : "Vieni Vieni", "Marinella", "Tchi-tchi", etc.

 De cette gentille rivalité familiale, Jean fera une chanson : "Il y avait deux clans dans la famille..."

 

"Il y avait deux clans dans la famille
Du temps où j'étais un mouflet
Tino Rossi faisait pâmer les filles
Et tous les garçons rigolaient

 
Et je me dis qu'aujourd'hui même
C'est peut-être pareil pour moi
Les unes rêvent en murmurant "Je t'aime"
Les autres ricanent tout bas..."

 

 Les jeunes filles en fleur qui troublent le jeune garçon sont sans doute les amies de sa grande soeur Raymonde. L'ombre va bine tôt s'abattre sur cet univers proustien.

 "Tout va très bien, madame la marquise...", chantent encore Ray Ventura en 35. Voire. En Allemagne, déjà, rien ne va plus depuis longtemps.

 

 La suite prochainement.

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Livre d'or

Première affiche

 

  "MA MAMIE M'A DIT"  

Spectacle nostalgique 

 

"On nous avait promis la magie, promesse tenue : un spectacle plein de féérie de souvenirs où chacun se retrouvait. Une belle énergie. Les résidents ont adoré. Merci." Marie ("La Clairière de Luci" - Bordeaux)
 
"Formidable ! Nous sommes tous remontés dans le temps, nous avons vingt ans, on a ri, on a presque pleuré et surtout on a chanté. Merci." Cathy (Arles)
 
"Un véritable petit chef d'oeuvre" ; "La légion d'honneur pour la créativité" "Un véritable artiste" ; "Après-midi formidable" ; "Absolument parfait" ; "Une rétrospective originale" ; "Un très bon moment d'évasion". Propos recueillis à la résidence Emera d'Angoulême  
 
"Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux... C'était magnifique. Nous avons revu toute notre jeunesse et notre enfance. Et c'est beau de redevenir jeune dans l'ambiance d'autrefois." Aimée et Janine
 
"Les chansons, les réclames et les anecdotes ont transporté les résidents dans leur enfance. Une après-midi de nostalgie mais aussi de chansons et de rires. Merci encore pour ce magnifique spectacle." Sandrine
 
"Spectacle complet, tellement agréable et thérapeutique pour nos personnes âgées, encore félicitations !" Docteur Souque
 
"Un choix extraordinaire de chansons, des moments magiques, des photos magnifiques, vous nous avez mis de la joie dans le coeur. Et retrouver sa jeunesse avec tous ces souvenirs, ça fait plaisir et j'espère que vous reviendrez nous voir." Mme Lorenzi (Juan-Les-Pins)
 
"Pour ma fête, par un pur hasard je me suis retrouvé dans un club de personnes âgées où j'ai pu assister à votre spectacle sur le passé. Cela m'a rappelé mes grands-parents et mes parents et c'était vraiment un moment magique." Josette, La Roque d'Antheron
 
"Bravo bravo bravo Regis, c'est le meilleur spectacle que j'ai vu depuis que je fais le métier d'animatrice." Bénédicte La Salette-Montval (Marseille)
 
"Je n'imaginais pas lorsque je vous ai accordé un rendez-vous que vous enchanteriez pendant 1 h 1/4 les personnes âgées d'une telle façon. Merci pour votre prestation qui a fait revivre les moments publicitaires, évènementiels et musicaux de leurs vies." Michelle, CCAS de Toulouse
 
"Un super voyage dans le temps pour le plus grand plaisir des résidents. Merci à Régis pour cette magie et à bientôt." Brigitte (Lunel)
 
"Enfin un retour à notre "époque". Quel bonheur, que de souvenirs, quelle belle époque ou l'amitié était de mise. Merci pour cette très belle après-midi, on s'est régalé avec ce très très beau spectacle". Danielle (Mirandol)
 
"Super - divinement bien -  tout le monde était enchanté même que M. Benaben a dit : "Vous nous avez donné l'envie de revivre notre vie"." Sylvie (Sainte Barthe)
 
"Un grand merci pour ce bon moment et je crois, je suis sûre, qu'il a été partagé par mon mari." Mme Delbreil
 
"Une féérie de l'instant." Christian
 
"Beaucoup d'émotion dans ce spectacle plein de chaleur et d'humanité." Sylvie
 
"Une soirée inoubliable. Continuez à nous émerveiller et faites un long chemin." Claude
 
"Le meilleur spectacle que j'ai jamais vu. De loin." Tonton Kiko
 
"C'est bien simple, je n'ai plus de Rimmel !" Claudine (seconde femme de Tonton Kiko)
 
"A ma grande surprise, j'ai versé ma larme. Tu as atteint mon coeur. Bravo pour ces sentiments, ces émotions fortes, j'ai eu des frissons par moment." Ta couse Céline
 
"Redge, encore un bon moment passé en ta présence. On était venu plus pour toi que pour le spectacle, mais quelle agréable surprise ! On est fier de toi, continues d'oser, de vivre !" Pascale
 
"J'avais froid, un peu hagard, l'humeur moribonde et puis voilà, il y a toi avec toute ta générosité, l'intérêt, l'affection que tu as toujours su apporter aux autres, à moi aussi et Dieu sait si tu m'as rendu la vie belle depuis qu'on se connaît comme tu as su le faire une fois de plus." Jérôme
 
"Ce spectacle est nul à chier et je pèse mes mots." Gérard
 
memoria.viva@live.fr

Ma Mamie m'a dit...

Madka Regis 3-copie-1

 

COLLECTION "COMEDIE"

Mamie est sur Tweeter

Mamie n'a jamais été Zlatanée !

Mamie doit travailler plus pour gagner plus

Mamie, tu l'aimes ou tu la quittes

"Casse-toi pauvre Régis !"

Papi a été pris pour un Rom

Mamie est sur Facebook

Papi est sur Meetic

Il y a quelqu'un dans le ventre de Mamie

Mamie n'a pas la grippe A

La petite maison close dans la prairie

 

COLLECTION "THRILLER"

Landru a invité Mamie à la campagne...

Sacco et Vanzetti

Mamie a rendez-vous chez le docteur Petiot

La Gestapo française

Hiroshima

 

COLLECTION "SAGA"

Les Windsor

Mamie et les cigares du pharaon

Champollion, l'homme qui fit parler l'Egypte

Mamie à Tombouctou

 

COLLECTION "LES CHOSES DE MAMIE"

Mamie boit dans un verre Duralex

Le cadeau Bonux

Le bol de chocolat chaud

Super Cocotte

Mamie ne mange que des cachous Lajaunie

 

COLLECTION "COUP DE COEUR"

Mamie la gauloise

Mamie roule en DS

Mamie ne rate jamais un apéro

Mamie et le trésor de Rackham le Rouge

 

COLLECTION "DECOUVERTE"

Mamie va au bal

La fête de la Rosière

Mamie au music-hall

Mamie au Salon de l'auto

 

COLLECTION "SUR LA ROUTE DE MAMIE"

Quand Papi rencontre Mamie

Un Papi et une Mamie

Mamie fait de la résistance

Mamie au cimetière

24 heures dans la vie de Mamie

 

COLLECTION "MAMIE EXPLORE LE TEMPS"

Jaurès

Mamie embarque sur le Potemkine

Mamie et les poilus

Auschwitz

 

COLLECTION "FRISSONS"

Le regard de Guynemer

Mr et Mme Blériot

Lindbergh décroche la timbale

Nobile prend des risques

 

COLLECTION "MAMIE EN BALLADE"

Mamie chez les Bretons

Mamie voulait revoir sa Normandie !

La fouace Normande

La campagne, ça vous gagne...

Mamie à la salle des fêtes

Launaguet

La semaine bleue

Le monastère

 

COLLECTION "MAMIE AU TEMPS DES COURTISANES"

Lola Montès

Les lorettes

Mme M.

Napoléon III

Plonplon

La marquise de Païva

Mme de Pompadour

Générique de fin