"Le film d'une vie.
Un jour, en pleine nuit, je demande à ma Mamie : "Est-ce que tu crois au coup de foudre ?" Je n'oublierai jamais sa réponse. "Je sais que pas grand monde aujourd'hui ne croit au coup de foudre. C'est pourtant ce que j'ai connu la première fois où j'ai vu ton Papi. Pourtant, chaque fois que je pense au coup de foudre, je pense au coup de coeur de Mylène Demongeot, une amie. Elle m'a raconté son histoire, un soir de confidence... Extrait :
"Le film est fini. Je suis maintenant en vacances. Je dois aller rejoindre Coste - mon mec - qui est à Cannes mardi. Nous sommes vendredi. Tout cela est si parfaitement gravé dans ma mémoire...
- Il y a un M. Marc Simenon qui a téléphoné plusieurs fois pendant votre absence me dit Josette.
- Très bien, merci Josette.
Il m'a envoyé un livre que j'avais emporté avec moi à Megève. Très sympa. Sans plus. En fin de matinée, le téléphone sonne. C'est lui. Belle voix au téléphone, chaleureuse.
- Vous avez lu ?
- Oui.
- Et alors ?
- Très sympa.
- Voulez-vous venir déjeuner chez moi à la campagne, dimanche ? On aura l'occasion d'en parler plus longuement...
A ma grande stupéfaction, je m'entends dire :
- Oui, d'accord.
Je raccroche, encore ahurie de ce que je viens de faire, de dire. Je déteste les dimanches, je ne bouge jamais de chez moi ce jour-là. Et j'ai dit oui. C'est absolument incompréhensible.
Dimanche. Nous parlons et nous parlons encore. Quels sont les autres convives ? Ça alors, aucune idée...
Il propose d'aller passer la soirée chez son meilleur ami. Je m'entends encore une fois dire "D'accord"... Je ne me reconnais plus... Nous passons une très agréable soirée. Nous dansons, nous parlons, encore et toujours...
Une heure du matin, il me dit : "Demain, nous pourrions aller voir une pièce de théâtre. Je passerai vous chercher si vous voulez."
Je m'entends encore dire oui.
Et là je rentre chez moi troublée, déboussolée... Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je suis en train de perdre tous mes repères !
Le lundi, nous nous séparons sur un baiser passionné. Le premier. Je suis complètement paumée. Perdue. Je ne comprends plus rien à rien. Et rien à ce qui m'arrive. Je suis dans un état second.
Mardi. Nous partons et nous roulons, comme ça, au hasard, presque sans dire un mot, toute la journée. Tout juste divinement bien. Je me souviens d'avoir voulu m'arrêter au bord de la mer, enlever mes chaussures, me tremper les pieds dans l'eau glaciale. Nous roulons, nous roulons toujours... Deux demeurés, deux crétins, deux abrutis totaux, la main dans la main, le nez dans les nuages... Nous flottons sur quelque chose de magique, hors du temps.
Nous déjeunons quelque part, nous n'avons même pas faim. Nous buvons à peine. Le seul contact qui ne cessera pas, qui ne peut pas cesser, de toute cette journée, c'est cette main dans cette autre main... Ces deux mains qui ne peuvent plus se détacher l'une de l'autre, comme soudées... Pour lui, ce n'est pas facile de conduire et de changer les vitesses d'une seule main. Ça nous fait rire bêtement, mais il n'est pas question une seconde que ces deux mains se séparent.
Il est tard, je dois rentrer. Marc me dépose et me dit : "Je serai là, demain matin, à dix heures, à cette même place. A demain.
Nous nous séparons difficilement.
Ou étais-tu ? me demande Coste.
Je ne réponds pas. Je suis étrangement calme.
- Bon. Parlons. Tu sais bien que ça fait des années que ça ne marche plus entre nous... Tu te rappelles, je t'ai dit plusieurs fois qu'un jour je rencontrerais quelqu'un, que je ferais ma valise et que je partirais sans regarder en arrière... Et bien, c'est arrivé. Comme je l'ai toujours su. Et je vais partir. Demain.
- Tu plaisantes ?
- Pas du tout. C'est quelque chose contre moi, je ne peux pas absolument pas lutter. Et je n'en ai d'ailleurs pas la moindre envie. C'est comme ça, c'est une évidence.
- C'est grotesque. Tu es complètement folle. Tu vas revenir dans huit jours !
- C'est possible... Si ça peut te faire plaisir. Mais ces huit jours-là, je les prends. Il y a des moments dans la vie qu'on ne peut pas, qu'on n'a pas le droit de laisser passer. C'est comme ça. C'est trop puissant. Irrésistible...
Jeudi. 9 H 45. Je suis dehors dans la rue avec ma valise. J'attends. Cet homme va peut-être me prendre pour une bête furieuse. Nous nous sommes vu trois fois dans notre vie et me voilà sur le bord du trottoir avec ma valise ! Maintenant, subitement, je suis terrifiée...
La 4L arrive. S'arrête. Marc me regarde. Sourit. Ouvre sa portière, sort, prend ma valise et la pose à l'arrière, sur la banquette, juste à côté de la sienne.
Nous partons tranquillement. Pour un voyage qui va durer trente quatre ans. Jusqu'à que la mort vienne nous séparer."
Rideau.