"Débriefing du Marathon de Bilbao (pour les sportifs de haut niveau) :
8 h du matin : Repérage du parcours, très cabossé, très difficile, pas un plat à l’horizon.
Perso, ça m’arrange. C’est quand ça devient dur qu’on voit les hommes.
Que le meilleur gagne.
9 h : Brain-storming des forces en présence :
Le Kényan Kemboi s’annonce redoutable. Aschenik, l’Ethiopien ?
A surveiller de très près.
Garcia-Ramon aussi est à prendre au sérieux.
Mais Bekele sera l’homme à battre.
Son point fort : une vitesse moyenne très élevé malgré un petit gabarit.
Son point faible ? Un piètre sprinteur.
La stratégie est simple : Suivre Bekele jusqu’au dernier kilomètre avant de le déposer sur la ligne d’arrivée.
Imparable.
10 h - 11 h 59 : Stretching, étirements, gainages, assouplissement des muscles, bain glacé …
Quand on veut gagner un marathon, il faut s’en donner les moyens.
Midi : Apéro
Sangria, Sangria, Sangria (quand on est à l’étranger, il est important de respecter les coutumes locales)
Ricard, Ricard, Ricard (il est aussi fondamental de ne pas renier les valeurs du pays que l’on représente)
15 h : Paella Royale accompagnée d’un petit rosé du coin, sucré mais pas trop.
16 h : Irish coffee (tournée du patron)
Tu m’étonnes.
16 h 30 : Champagne (tournée générale)
« Salud !!! !
17 h : Repos du sportif.
17 h 30 : Un texto de Mamie : « Il est l’or, l’or de se réveiller, il est …
C’est parti.
18 h 30 : Stade de San-Mames.
Sur la place, un concert Rock. Le chanteur envoie du lourd « Nothing else Matters », « Stairway to Heaven », « Thunderstruck »« The final Countdown » avant d’enchaîner dans la foulée avec « I love Rock and Roll ».
Oh putain !
18 h 50 : Sur la ligne de départ, j’annonce à mes voisins que je suis là pour gagner. Le tout en allumant une cigarette devant leurs regards interloqués. Je précise :
« C’est la dernière, je remporte le marathon puis j’arrête de fumer. »
18 h 59 : Ligne de départ, après m’être faufilé comme un voleur, je me retrouve sur les semelles de Bekele.
Le speaker annonce : « CINCO, QUATRO, TRES, DOS, UNO …
« VAMOS !!! !
19 h : Un feu d’artifice explose dans une ambiance survoltée tandis que le groupe de Rock hurle « Highway to Hell ». Les flammes tournent autour du stade.
Le feu complet.
Bekele ? Si je peux me permettre l’expression, je suis collé à ses « basques »…
19 h 1 : Le bras de fer commence. On est au coude à coude avec Bekele.
Pare-choc contre pare-choc comme disait Papi.
Les spectateurs de Bilbao (un public de connaisseurs) ne s’y trompent pas. Ils voient qu’ils ont affaire à un champion et que je ne suis pas là pour faire du tourisme.
Leurs cris redoublent : « Venga Animo ! » « Venga Animo ! »
19 h 2 : Les coureurs ne sont pas dupes non plus. Ils sentent que la course va être un mano à mano entre Bekele et moi et ils en rajoutent une couche : « Vaya, Vaya !
19 h 3 : Première attaque de Bekele, je suis décroché irrémédiablement.
La défaillance.
19 h 4 : Plan B.
19 h 28 : En trottinant, une comptine du petit me revient en mémoire :
« A. B. C. D. E. F …
19 h 45 : Le drame.
Je me retrouve scotché à la route.
Sûrement un coup de Bekele qui a du glisser - en cachette - de la colle sous mes pompes.
De la super glue 3.
19 h 55 : Place du Musée Guggenheim, sur la pancarte d’un bistrot, on lit :
« Un Mojito commandé, un Mojito offert. »
Ravitaillement.
20 h 37 : Je repars au combat.
21 h 20 : Une rumeur court dans le groupetto, Bekele a remporté la course.
21 h 21 : Pause-cigarette.
21 h 22 - 22 h 29 : Une longue agonie.
22 h 30 : « Je vais me mettre au Golf, il parait que c’est sympa. »
22 h 45 : « Le Scrabble. Un club de Scrabble, c’est ça qu’il me faut. »
23 h 04 : Je franchis la ligne d’arrivée dans l’indifférence générale.
Comme un clébard qui a faim et qu’on a laissé sous la pluie.
En rampant.
Ni une, ni deux, je file vers le podium, beau joueur, pour féliciter le vainqueur.
Un bénévole m’annonce que Bekele est parti avec la coupe et qu’il est déjà dans l’avion…
N’en jetez plus. »
Moralité : « Rien ne sert de partir à point, il faut courir plus vite. »