"Avertissement.
Cet article fait parti de la collection "Mamie raconte Hugo", il s'adresse à toutes les personnes qui aiment ma Mamie ou Victor Hugo. Ou les deux !
L’un des tout premiers poèmes écrits par Victor sera dédié à sa mère, pour le jour de sa fête. Il doit dater de la fin septembre 1815 :
C’est en vain que le soir, le malheur qui m’oppresse
M’ôte la liberté
Je vais faire éclater la joie et la tendresse
De ce coeur enchanté.
Car il écrit des vers, Victor. Nous voilà au coeur du problème : pourquoi écrit-il des vers ?
Pour une femme peut-être...
Une femme qui n’a pas seize ans. Elle est belle, Adèle Foucher. L’étrange de l’affaire, c’est que les parents n’y ont vu que du feu de toutes ces soirées organisées autour du feu.
Ils n’ont rien vu de ce qui est flagrant : à chaque instant, Victor quittait son livre des yeux, à chaque instant, c’est Adèle qu’il regardait.
Où en est-il, Victor, avec les femmes ? Nulle part. Nous avons surpris depuis l’enfance, la continuité d’un intérêt qui ressemble à de l’avidité. Ces jeunes femmes qui mettent leurs bas, ces chevilles entrevues, ces jarretelles qui frémissent et le font frémir, ces dos nus, la peau mate de Pépita, les élans mal contrôlés que lui inspire Mme Lucotte, tout cela n’est pas seulement le signe que Victor est intéressé par la femme, mais celui qu’elle le fascine.
Mamie qui connait l’avenir et sait que l’octogénaire Hugo restera doté d’un tempérament flamboyant, elle peut facilement imaginer les élans d’un adolescent tourmenté par la puberté. Seulement voilà, les femmes, il se contente de les dévorer des yeux - de loin.
De très loin.
Alors rien ? Rien.
Il est vierge et il en est fier parce qu’il se garde pour celle qu’il aime. Un point, c’est tout.
Un garçon de 17 ans qui occupe des soirées entières à regarder une fille. Une fille de 16 ans croyant n’être pas devinée, qui regarde ce garçon : voilà qui promet des lendemains auxquels le destin peut associer soit des chagrins accablants, soit des joies sans limite.
Tout dépend évidemment du destin.
Un soir, Victor et Adèle se font des déclarations d’amour. Ce soir-là, ils se séparent, ivres tous les deux - mais elle avec plus de retenue que lui - du bonheur le plus pur, celui de l’amour sincère, avoué, partagé. Le premier. "Après ta réponse, mon Adèle, j’ai eu un courage de lion."
Ils vont alors s’écrire régulièrement. En secret.
Car il n’est pas question de confier cet amour-là à leurs parents. Cela ne se fait pas. Et puis, n’oublions pas que nous sommes en 1819 et que c’est les parents qui choisissent pour leurs enfants.
D'emblée, ils se proclament mari et femme. Victor déteste le mot fiancé qu’il trouve conventionnel et douceâtre. Leur amour demeure pur, comme au premier jour. Les lettres ? Elles sont passionnées mais l’on y chercherait en vain cette légèreté, ces fantaisies, dont les amants aiment à semer leur correspondance.
Ses lettres à elle ? Mamie ne partage pas l’opinion de ceux qui, les lisant, ont cru pouvoir l’accabler.
Certes, elle fait des fautes d’orthographes, et des grosses, elle use d’une langue souvent pauvre - ce n’est qu’après 40 ans de vie commune avec Hugo qu’elle deviendra écrivain, preuve que cela s’apprend.
Lui n’en peut plus, il craint de la perdre.
Une idée lui traverse l’esprit : pourquoi ne l’épouserait-il pas secrètement ? Il passerait une nuit avec elle et se tuerait le lendemain. "Ainsi tu serais ma veuve. Un jour de bonheur vaut bien une vie de malheurs..." Imparable !
On en est là quand, le 26 avril 1820 - un an exactement après l’aveu -, la foudre s’abat sur eux.
Ce jour-là, Adèle laisse tomber une lettre de Victor devant sa mère qui aperçoit la feuille blanche, couverte d’une fine écriture. D’un air irrité que sa fille ne lui connaissait pas, elle s’écrie : Qu’est-ce que cela ? Dis-le moi. Je le veux. C'est la fin de leurs rencontres clandestines et de leur correspondance.
Et entre elle et lui, l’ignorance de ce que fait l’autre, de ce qu’il pense. L’attente, la souffrance.
Le silence.
Collection "Mamie raconte Hugo" : Victor et Adèle se marient ; Victor et Adèle ; L'éveil du petit Hugo ; Les châtiments de Mamie