"Mamie pleure.
"Je me souviens. J'avais quatorze ans. A Montirat où nous nous étions repliés, la radio rythmait notre vie et scandait nos angoisses. Soudain, le 17 juin, à l'heure du déjeuner, on annonça un message du maréchal Pétain. Ah ! comme nous avons écouté ! Le vieux soldat nous annonçait qu'il assumait la direction du gouvernement : "Sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur."
Nous écoutions toujours : "C'est le coeur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat." Cessez le combat ! C'est sur ces mots que les larmes me sont venues. "Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités."
A la même heure, des millions de Français ont pleuré. A la même heure, des régiments entiers ont mis bas les armes. "Il faut cesser le combat avait dit le Maréchal. Erreur suprême.
Certes, on avait demandé l'armistice mais, en attendant que les conditions nous soient connues, il était indispensable de continuer à se battre. Et si elles étaient inacceptables ? Très vite, à Bordeaux, on a compris la faute. Le texte remis à la presse a été rectifié. "Il faut cesser le combat" est devenu "Il faut tenter de cesser le combat." Trop tard. Le mal était fait.
Hitler et Keitel communiquent à la délégation française les conditions de l'armistice. Une clause essentielle : l'Allemagne ne réclame pas la remise de la flotte française. En revanche, Hitler est formel : les réfugiés politiques allemands présents en France devront être livrés. Weygand, après avoir dit très justement que cet article était contraire à l'honneur, finira par s'incliner. Au moins aurait-on pu, au cours des jours suivants, et jusqu'à la signature définitive, alerter ces réfugiés antinazis - plusieurs milliers - et faciliter leur acheminement vers l'Espagne, par exemple. On fera tout le contraire. La police redoublera d'efforts pour mettre la main sur ces infortunés. On a promis de les livrer, on les livrera. Beaucoup connaîtront un sort effroyable. Deux vieux dirigeants socialistes mobiliseront particulièrement les efforts de la police française. A peine livrés, ils seront décapités à la hache.
Le gouvernement a choisi de se rendre à Vichy. La célèbre station thermale regorge d'hôtels : une providence pour un gouvernement en exil, on n'ose dire en transhumance. Sur l'heure, les infortunés curistes reçoivent l'ordre d'évacuer leurs chambres. Chaque hôtel abritera désormais un ou plusieurs ministères. Le Quai d'Orsay dispose de deux étages à l'hôtel du Parc, cependant qu'un autre est réservé au Maréchal Pétain, un autre encore au Président Laval.
Dans ce pays qui doute de tout, dans cette France de l'abandon et du désespoir, les Français croient découvrir soudain l'arbre auquel se raccrocher. Ses racines leur semble s'implanter au plus profond de la terre de France. Les vaincus regardent vers l'homme d'une victoire. Il est octogénaire et c'est le père. On jure qu'il n'est responsable de rien et c'est le recours.
Un certain général de Gaulle parle à la radio de Londres. Il jette l'anathème sur le gouvernement de Vichy, affirme que la France n'a perdu qu'une bataille et non point la guerre. On l'écoute peu. Ceux qui, répondant à son appel, le rejoindront les jours suivants à Londres, ne sont qu'une poignée.
Le 11 juillet, le maréchal Pétain promulgue trois actes constitutionnels. Le premier est ainsi conçu : "Nous, Philippe Pétain, maréchal de la France, déclarons assumer les fonctions de chef de l'Etat français." L'acte constitutionnel n°2 énumère les pouvoirs du chef de l'Etat. C'est bien simple, il les a tous. Il est plus absolu que Louis XIV. Après avoir signé, le Maréchal a ôté ses lorgnons, il a posé sa plume. Et il a dit :
- Voilà !
Quelques mois plus tard, le gouvernement de Vichy volait une musique à un juif pour composer une chanson à la gloire du Maréchal, elle commençait comme ça :
- Maréchal, nous voilà...
Rideau.