"Les années 1960.
Dimanche 2 octobre 1960. Jean Seberg pose en couverture de Télérama devant un pot de pétunias. L'image est banale, n'étaient que les les cheveux blonds et les fleurs violettes. Quelqu'un, quelque part, a inventé la couleur. On surfe sur la vague des "rama" : Discorama de Denis Glase, Télérama donc et Cinépanorama de François Chalais.
Lentement, les références religieuses se raréfient. La messe se dit en français et parfois au son de la guitare. La société change et Mamie avec. En ce temps-là, elle a un peu plus de quarante ans ans.
Au sommet de l'Etat, c'est le grand chambardement. Avec le discours sur l'autodétermination, le général de Gaulle ouvre la porte à l'indépendance des "départements français d'Algérie". A Alger, les "Ultras" se révoltent et l'armée gronde.
De barricades en putsch, d'attentats en exode, les soubresauts perdurent jusqu'aux accords d'Evian, en 1962. A l'étranger, le vent de l'utopie s'est levé. Mais la consommation "made in USA" s'impose. Courrèges ouvre sa maison de couture. La mode est à BB, choucroute et Vichy rose. Elle sera bientôt mini.
Aux Etats-Unis, Kennedy accède au pouvoir. De passage à Paris, ils se présente comme 'l'homme qui accompagne Jackie". Les images en technicolor de ce président pétillant font un instant oublier la guerre froide, la construction du Mur de Berlin, le fiasco de Cuba et l'envoi de troupes au Viêtnam.
A Cannes, dans la bronca, La dolce vita de Fellini décroche la Palme d'or. Mamie est ravie. Elle s'émeut devant "Un homme et une femme" de Lelouch et se bat pour La religieuse de Rivette qui choque tellement que le film est officiellement interdit.
En 1969, tandis que les Beatles, les Who ou les Kinks électrisent la jeunesse, ma Mamie déclare en plein repas de famille : "Aujourd'hui rien ne résiste au rock, mais il mourra demain".
Ah ! Le charme des prédictions.
C'est aussi le début des yéyés, inaugurée par ya ya twist, une chanson de Johnny Halliday dont les paroles hautement intellectuelles laissent de marbre ma Mamie. Elle préfère les Bécaud, Brassens, Brel, mais se moque gentiment des couettes de Sheila, du spleen de Françoise Hardy ou des sautillements nerveux de Clo-clo.
Grâce à la commercialisation massive du transistor, la radio résiste encore à l'emprise de la télévision. Cela ne va pas durer. Mamie apprécie toujours autant le Jeu des milles francs lancé par Roger Lanzac sur Paris-Inter. Maurice Biraud dit "Bibi" est la grande vedette d'Europe 1 avec ses calembours. Il est aussi le chouchou de Mamie. Ses enfants préfèrent écouter Salut les Copains, animée par Daniel Filipacchi et par Franck Ténot.
Inéluctablement, la télévision monte en puissance. En 1961, Mamie sort sa calculette : 2 458 419 postes. Pas une de plus. C'est l'époque des premiers feuilletons de Marcel Bluwall. Les téléspectateurs dégustent son Dom Juan, avec le tandem Brasseur, Piccoli. Lecture pour tous de Pierre Dumayet est un must. Averty agace. La télé marque encore des points quand le monde assiste à l'assassinat de Kennedy puis, en direct, à celui de Lee Harvey Oswald. Tout le monde dans la rue parle des reportages de Cinq colonnes à la Une.
Si la télé est une école, elle dispose aussi d'une cour de récréation. Guy Lux crée sa Roue tourne, Pierre Sabbagh, L'homme du XXème siècle où "Sin papa ne sait pas répondre, il a l'air d'une bille", dixit ma Mamie. Henri Tisot est la vedette préférée des téléspectateurs dans le feuilleton Le temps des copains. Mamie applaudit Le Théâtre de la jeunesse de Claude Santelli avant de faire un triomphe à Intervilles et aux Coulisses de l'exploit.
Devant le poste, à 19 h 55, Mamie et ses enfants ouvrent de grands yeux gourmands devant le gros Nounours de Bonne nuit les petits, et raffolent de Pollux et son manège enchanté. Mais Mamie n'en démord pas, son émission fétiche c'est Dim' Dam' Dom', un point c'est tout.
Papi, lui, préfère Ivanhoé ou Thierry la Fronde. Le dimanche, on regarde en famille Télé dimanche, présenté par Roger Lanzac et Joseph Choupin. En 1964, l'ancienne présentatrice Noëlle Noblecourt a été renvoyée pour avoir montré ses genoux. L'époque est encore puribonde.
La nouvelle émission Face à face offre à Mamie la première interview politique en plateau. Guy Mollet s'y colle et sort avec l'impression d'être tombé dans "un guet-apens". Tandis que les dossiers de l'écran exposent les problèmes de société alors que Cinq colonnes à la Une suit la section Anderson pendant deux mois au Viêtnam. Un choc pour toute la famille.
Et voilà que tout d'un coup, toute la société se grippe. C'est la grève générale. Mai 68. De leur côté, les chars russes écrasent le Printemps de Prague. De Gaulle va se retirer. Les shadoks débarquent de leur drôle de planète, tandis que Kubrick réalise un chef d'oeuvre absolu, 2001 : L'odyssée de l'espace...
Les premières séries américaines apparaissent : Chapeau melon et bottes de cuir, Le prisonnier, Les incorruptibles. Et puis, en direct, dans la nuit du 20 au 21 juillet 1969, la télé connaît le moment le plus intense depuis sa création. A Houston, à Séalou, à Berlin, comme à Carmaux, cinq cents millions de regards écarquillés suivent les scaphandres qui sautillent sur l'écran. Le village mondial vient de décrocher la lune.
Mamie vient de fêter ses cinquante ans.