"Gabrielle Andersen-Schiess.
Quand elle se présenta sur la piste, les soixante-dix-sept milles spectateurs rassemblés au Coliseum de Los Angeles, au matin du dimanche 5 août 1984, en eurent le souffle coupé.
Ils étaient venus passer un moment doucement héroïque au soleil de la Californie. Et voilà que l'histoire hoquetait lamentablement ! Le drame faisait de nouveau irruption dans l'univers désormais bien policé de l'athlétisme.
Avec sa casquette de travers, ses jambes qui se dérobaient sous elle et son regard vitreux, non vraiment, elle n'était pas belle à voir, la Suissesse, à l'arrivée du premier marathon olympique féminin.
Pendant d'interminables minutes d'une intensité dramatique suraiguë, la malheureuse allait tanguer comme un bouchon secoué par la houle. Ses genoux s'entrechoquant, la foulée cassée, elle divaguait d'un couloir à l'autre de la piste, sur laquelle des cônes rouges traçaient une rambarde dérisoire.
Trois juges l'escortaient, écartant les bras, comme pour la maintenir debout à distance quand elle s'arrêtait, stupide d'épuisement, avant de repartir cahin-caha. "J'ai pensé un instant abandonné, mais c'était tellement idiot, car la fin était si proche ! Et puis, il s'agissait d'un marathon pas comme les autres. L'instinct me dictait de continuer", raconta-t-elle plus tard.
Parmi les officiels, on s'interrogeait : fallait-il l'empêcher de continuer ou non ? Et l'on s'inquiétait. Autant à propos des dangers encourus que de l'image déplorable donnée. Des "Go on ! Go on !" s'échappaient de la foule, digne échantillon d'un pays d'anciens pionniers qui ne déteste rien tant que ceux qui abandonnent en cours de route. Surtout si près du but !
Au terme de son tour et demi en forme de chemin de croix, elle s'effondra dans les bras de deux juges. Secouristes et médecins s'affairèrent autour de la civière qui l'emporta sous un tonnerre d'applaudissements mêlant admiration et soulagement. "Lorsque j'ai fait mon entrée dans le stade, les encouragements que j'entendais par intermittence, m'ont redonné quelques forces. J'essayais d'aller droit. Vainement ! Mon corps était tellement chaud ! Je me souviens pas du tout de ce qui est arrivé", témoigna-t-elle quand elle eut retrouvé ses esprits.
A 39 ans, elle n'était pourtant pas une débutante. Mais il faisait chaud et elle n'avait pas suffisamment bu. De même, elle s'était levé une heure seulement avant la course et pris le départ le ventre vide. La chaleur allait faire le reste.
L'obscurité et le froid relatif du tunnel conduisant à la piste lui portèrent le coup de grâce. Victime d'un coup de chaleur et d'une importante déshydratation, elle parvint tout de même à se traîner jusqu'à la ligne d'arrivée, qu'elle franchit à la 37ème place en 2 h 48, au terme d'un dernier tour pantelant de 400 mètres en un peu moins de six minutes.
Preuve de sa belle santé : deux heures après, elle était sur pied et courut encore par la suite plusieurs marathons sans encombre.
Fin de l'histoire.