"Velaux.
Une fois n'est pas coutume, nous sommes retournés à Velaux pour revisiter les "Vacances de 36". L'occasion - qui fait le larron - de retrouver M. Lorrenzi.
Qui est M. Lorrenzi ?
Un capitaine de navire à la retraite qui ne parle plus - mais plus du tout ! - depuis cinq ans (calendrier en main). Les mauvaises langues racontent qu'il est rentré dans ce mutisme suite au décès de sa femme.
Il ne s'en serait pas remis et aurait décidé de la boucler.
Pour l'éternité.
Pourquoi pas, après tout. J'en connais - ils se reconnaîtront - qui la ferment pour moins que ça.
Passons.
Et revenons à nos moutons, pendant la représentation, M. Lorrenzi a retrouvé la parole. Il a dit - à la stupéfaction générale des spectateurs ! - cette phrase merveilleuse que je ne fais que citée : "Je me souviens."
La suite ? Fanfare, trompettes, hautbois, cymbales et tambourins.
Pour situer, je m'en suis renversé mon petit vin blanc - qu'on boit sous les tonnelles... - sur le pantalon.
Littéralement cloué !
La raison de ce retour à la parole appartient aux faits divers.
Quand la langue de M. Lorrenzi s'est déliée, on évoquait les souvenirs de vacances qui ont marqué la mémoire collective. Les petits rendez-vous bucoliques, les premiers flirts, les châteaux de sable, les baignades, les bains de minuit, l'émotion des premiers baisers volés et j'en passe évidemment.
Et bien figurez-vous qu'il n'en fallait pas plus pour que M. Lorrenzi se souvienne de Marcelle...
Ah Marcelle ! Son joli petit minois, son hanches larges, ses beaux gros tétés et son parfum délicat ("Soir de Paris de Bourgeois avec un J comme joie").
Bref, ni une ni deux, notre capitaine avait de nouveau vingt ans.
Détail : il se souvenait du souffle de la petite Marcelle contre sa nuque et de son joli coeur qui ne battait que pour lui...
Mieux : il n'avait plus qu'une envie, retrouver sa tendre sauvageonne - où qu'elle se trouve ! - et lui donner son amour.
La fin ? Badaboum et patatras, Alléluia, Hosannah, Allah est grand, God save the Queen...
Bienvenue à bord cher capitaine, vous avez retrouvé votre voix et nous pouvons repartir vers le grand large, vers les îles, ouf! on a eu chaud, on a contourné le récif.
Je m'embarque, nous gagnons la la cabine pour nous pourlécher les babines après avoir bu quelques bibines.
Oui mais non.
Notre capitaine n'avait plus de temps à perdre. J'entends encore son prénom glissé dans un murmure : "Ma tendre Marcelle."
M. Lorrenzi encore - à voix basse - : "Ma voyageuse, mon inconnue, ma frégate, mon Nouveau Monde, petite bise de l'Est , où es-tu tonnerre de Brest, mille milliards de mille sabords !"
Il s'est levé d'un coup.
- Bonsoir M. Iglesias.
Il m'a coupé la parole et a filoché à travers la résidence comme s'il avait un essaim de guêpes dans le pantalon...
J'ai tenté de le suivre à grandes enjambées mais il m'a semé dès la grille franchie...
En quittant Velaux, le vent a poussé une longue rafale sableuse qui a fouetté la voiture. Le ciel était dégagé et, malgré que la nuit fût encore loin et le pare-brise crasseux, j'ai distingué les premières étoiles.
Pourquoi ? Je l'ignore. Peut-être parce que je me souvenais que M. Lorrenzi avait lancé - en partant ! - cette phrase lapidaire :
- On oublie le dernier rêve, on se remémore toujours le premier amour.