"Pétain.
Il faut avoir vécu en ce temps-là, avoir considéré partout son image multipliée, pour mesurer la dimension de ce qu'on pourrait appeler : le phénomène Pétain.
Depuis 1918, les Français s'enorgueillissent de leur victoire - et se complaisent dans son souvenir. Aux yeux de beaucoup, Pétain incarne personnellement cette victoire. Le destin lui a accordé un physique qui correspond au concept même que l'ont peu se créer d'un grand soldat victorieux. Qui ne serait impressionné par l'imposante stature de cet octogénaire, son pas majestueux, le regard bleu que l'on est tout prêt à assimiler à un autre bleu, celui de la ligne des Vosges ?
Son mariage, à soixante-cinq ans, avec une divorcée va jusqu'à rassurer. On cite le mot du Maréchal, découvrant trop tard que son mariage ne s'imposait pas :
- J'attendais depuis vingt ans. J'aurais du attendre encore dix ans !
Car ce qu'il ne faut jamais oublier, quand on parle de Maurice Pétain, c'est l'âge. Dans sa vie, tout est arrivé tard. Trop tard.
L'âge, oui. Quand il devient pour la première fois ministre, il a soixante dix-huit ans. La charge de l'Etat lui sera remise à quatre-vingt-quatre ans. Avec cela, une forme physique éblouissante, une autorité si naturelle qu'elle en impose à tous, un magnétisme que subissent même ses adversaires.
Ambitieux ? Sûrement. La vie lui a tout apporté mais il lui demande toujours davantage. Lui aussi se fait une certaine idée de la France mais comme dit Mamie - à juste raison -, de plus en plus, il a tendance à assimiler cette France-là à sa propre personne.
Quand l'armistice sera inéluctable, l'avis de Paul Reynaud - qui pèsera si lourd dans l'histoire - de nommer Pétain n'est pas discutable. La suite vous la connaissez. Mais pour ceux qui ont perdu la mémoire, Mamie se souvient :
"J'avais dix-huit ans. Dans la délicieuse ville de Carmaux où nous étions repliés, la radio rythmait notre vie et scandait nos angoisses. Soudain, le 17 juin, à l'heure du déjeuner, on annonça un message du maréchal Pétain. Ah ! Comme nous avons écouté ! Le vieux soldat nous annonçait qu'il assurait la direction du gouvernement : "Sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur." Nous écoutions toujours : "C'est le coeur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat." Cessez le combat ! C'est sur ces mots que les larmes me sont venues".
A la même heure des millions de Français ont pleuré. A la même heure, des régiments entiers ont mis bas les armes. "Il faut cesser le combat", avait dit le Maréchal. Erreur suprême. Mais Mamie a déjà raconté les conséquences de ce message.
Après la guerre quand le procès s'ouvre, l'enceinte de la première chambre de la cour d'appel ne sera peuplée que de ses ennemis. Mamie était présente au tribunal, elle m'a tout raconté. Extrait :
"Faites entrée l'accusé !" Il paraît en petite tenue de maréchal de France, uniforme kaki, médaille militaire, ceinturon de soie, gants blancs. Un silence écrasant l'accueille. Alors, il élève son képi et salue à la ronde. Et c'est l'évènement "stupéfiant" : ce public se lève, d'un seul mouvement. Plusieurs des gardes républicains se mettent au garde-à-vous, sans qu'aucun ordre leur ait été donné.
Même ma Mamie s'est levée !
L'histoire raconte que Mamie aurait écrit au général pour qu'il le grâce. Une lettre que j'ai récupéré, la photocopie tout du moins et qui finissait par ces mots :
"De grâce général, ne laissez pas Pétain refaire à la France le don de sa personne !" A vous qui étiez à Londres, je peux le dire : Enough is enough !
Si vous êtes surpris, c'est que vous ne connaissez pas ma Mamie. Moi qui la connaît bien je peux vous affirmer qu'elle était capable de faire un truc pareil.