"Le Rossignol.
Avertissement : le temps d'un article et de quelques mots, faisons chanter encore une fois le beau Tino. Revisitons son parcours, ses refrains, ceux que fredonnaient nos grands-parents, ceux que nos mères nous chantaient.
Un souvenir de Tino : "Tout enfant, je savourais la célèbre chanson de René de Buxeuil Ferme tes jolis yeux...
Et tout en berçant la gamine,
La mère lui chante câline :
Ferme tes jolis yeux,
Car les heures sont brèves
Au pays merveilleux
Au beau pays du rêve...
Ses grands débuts ? on écoute Tino religieusement :
"C'était à mon tour de jouer mon destin, je n'avais plus rien à attendre de personne. Une douloureuse sensation de solitude me parcourut. les alrmes vinrent aux yeux...
Ô Corse, île d'amour,
Pays où j'ai vu le jour.
J'aime tes frais rivages
Et ton maquis sauvage...
Enorme et impressionnant silence dans la salle rouge et or du Casino. Tino enchaîne...
"Vieni, vieni, vieni
Tu sei bella, bella, bella, bella
Bella, bella accuanto a me...
Le destin était en marche.
La suite ? La "Rossimania" qui s'abattit dès 1934 sur la France n'a rien d'une légende. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les coupures de presse de l'époque...
Pas une qui ne rapporte ici une anecdote piquante à la sortie d'un théâtre, là le témoignage d'une femme marié et mère de famille qui avoue - ouvertement ! - ne rêver que d'une chose : faire l'amour avec Tino Rossi dans le salon pendant que le mari dormirait dans la chambre, à côté.
Il est même une des groupies de Tino qui lui envoie, chaque jour et de façon obsessionnelle, ces mêmes vers :
Je n'aime pas Tino
Qui dit "no",
Je préfère Rossi
Qui dit "si, si"...
Mireille Balin, histoire d'un amour.
Entre elle et Tino, dès leur première rencontre au Carlton de Cannes, ce fut le coup de foudre. Tino succomba immédiatement au charme de la belle brune qu'il compare dans ses Mémoires à la "Marylin Monroe de l'avant-guerre". "Elle avait tout pou ensorceler les hommes", affirme-t-il encore.
Très vite, après cette première soirée qu'ils passèrent à danser et à s'observer plus qu'à parler, ils surent se retrouver et le grand amour, celui auquel on ne s'attend pas forcément mais que l'on sait reconnaître et qui fait peur, pris tous les droits.
En même temps que la passion, Tino découvrit les côtés sombres de la jalousie maladive et exacerbée ; celle de sa partenaire, une tigresse ascendant panthère qui lui avait un jour promis : "Je monterai la garde autour de toi. Gare à celles qui te feront les yeux doux !"
Mireille voulait faire de Tino sa propriété, avec des "Défence d'entrer" plantés un peu partout autour de lui.
Et pendant ce temps-là, on ne peut pas tourner le bouton de la radio sans l'entendre aussitôt. Tous les gens dans la rue chantent Vieni vieni. Tous les orchestres jouent cet air, c'est le plus grand succès avant Marinella, Tarentelle...
C'est dans l'un de ses films, Destins, qu'en 1946 Tino Rossi égrène pour la toute première fois les aproles d'un refrain qui va faire pleurer ma Mamie et éblouir bien des petits enfants : petits Papa Noël.
Traduit dans toutes les langues, bientôt ce "tube permanent" allait prendre la place de Mon beau sapin dans les amternelles de France et de Navarre et faire un véritable carton.
Un raz-de-marée.
La petite histoire racontée par Tino :
"Au début, henri Martinet avait voulu composer une chanson sur le mythe de Noël. mais il avait séché quelque peu et finalement il s'était orienté vers un "truc" où un enfant chantait "Petit Papa Noêl ne m'envoie pas de soldats... mais fait revenir mon papa !"
Or, dès la première représentation, tous les gens s'étaient mis à pleurer, ce qui n'était pas tout à fait le but recherché. Puis la versio définitive, celle retenue par le film Destins où je tiens le rôle d'un père qui se penche au chevet de son enfant malade et chante pour lui faire oublier son mal et le faire pénétrer dans l'univers féérique de Noël, a été enregistrée."
Vous savez tout.
Un mot encore : "Les enfants, tu crois que ce n'est rien de pouvoir toucher le coeur des enfants. Avec Petit Papa Noël, je leur apporte le merveilleux dont ils ont besoin dont nous avons tous besoin parce que nous désirons, tous retrouver notre enfance à un moment où à un autre de sa vie."
C'est dit. Pire : c'est écrit.
Mireille Mathieu - qu'on ne présente plus - abonde dans ce sens quand elle déclare : "Lorsque j'étais enfant, chez nous, la vie était dure, mais elle était belle. Parce qu'il y avait ma mère, mon père, tout un chapelet de frères et de soeurs et parce qu'entre deux naissances, l'hiver quand il fallait sortir pour aller chercher l'eau à la pompe, la musique fouettait le sang de la maison !
La voix de ténor de papa, les disques de Luis Mariano et surtout, surtout un certain Petit Papa Noël... Cette chanson de Tino Rossi reste gravée dans ma mémoire comme le chant sacré de l'enfance."
Elle en rajoute une couche : "J'ignorais alors que ce grand seigneur à qui l'on ne donnait pas d'âge avait été un jeune homme aux cheveux gominés et que pour lui, pour le voir, le toucher, les femmes se battaient comme des folles."
Un dernier mot de Mireille pour la route : "Il faut compendre que de mon temps, on demeurait un gamin beaucoup plus longtemps qu'aujourd'hui et l'époque bénie des fins d'années avec le multicolore des boules et des papillotes, avec la couleur du rêve. Alors la chanson de Tino, c'était un peu l'étoile autour du sapin !
Toutes et tous nous l'adorions. Ce disque de Noël, que nous écoutions sans arrêt, maman l'a gardé. Il est le symbole d'une grande partie de notre vie passée auprès d'elle, avec un Tino jamais très loin."
Ma Mamie aurait pu dire la même chose. Je me souviens qu'un jour elle m'a même dit : "Je suis enfant, la France se donne un Front Populaire, et c'est Tino Rossi que j'entends. la guerre éclate, l'angoisse nous habite, la présence de Tino nous rassure..."
"Ni poing tendu, ni main levée, moi je chante." Tino
Paris, octobre 1944. Passée l'ivresse de la Libération, les arrestations vont bon train, parfois suivies de procès sommaires avec exécutions immédiates à la clef, sous les yeux avides de sang de la populace. La même qui aimait à se repêtre en 1793 du spectacle de milliers d'innocents jetés dans des charrettes et poussés en place publique pour y être raccourcis.
Femmes en majorité, on les appelait les "lêcheuses de guillotine". Epuration, on n'a plus que ce mot à la bouche.
Cibles offertes, les gens du spectacle sont les premiers à subir les horreurs du grand nettoyage. Guitry, Chevalier, Mistinguett, Clouzot, Suzy Solidor, Lifar, Dullin, Ginette Leclerc, Pierre Fresnay : cela fait beaucoup de monde à estampiller "collabo".
Pour être du lot, Arletty explique en résuman ainsi l'esprit du moment : "Il a du talent, j'en ai pas : faut que ça change !" L'une des rares a être encore en odeur de sainteté est joséphine Baker, une française de fraîche date. "La seule blanchie est une noire", risque alors un observateur un peu plus subtil que les autres.
"Quand tu reverras ton village,
Quand tu reverras ton clocher,
Ta maison, tes parents, les amis de ton âge,
Tu diras rien chez nous n'a changé."
La valeur sûre Tino Rossi n'en finit pas de grimper. Les foules hurlent sur son passage. Elles sont pléthore à entretenir chaque jour un mythe. L'une de ces groupies, Suzanne Griselle, qui déclare être atteinte de "tinorossite" chronique depuis ses tendres quatorze ans, en a maintenant treize de plus et n'entend pas décrocher de sitôt !
Teinturière de métierSuzanne consacrera sa vraie vie à son Tino. propriétaire d'une collection de 5000 photos de LUI, elle le file dans Paris, assure le guêt près de son domicile, s'arrange pour se retrouver sur les plateaux de cinéma où l'idole est en train de tourner.
En 1948, à l'ABC, une "tinopathe", de la Haute cette fois, fut arrêtée pour s'être promenée nue sous son vison, dans l'intention d'exhiber son corps devant qui l'on sait.
A Montreal, en 1952, à la fin d'une représentation, une femme défit son corsage pour demander à son Dieu de lui dédicacer son soutien-gorge. Tino refusa ferme !
Les lettres arrivent en masse chez les Rossi, l'hystérie féminine est toujours à son comble. "Incroyable ! se plaint Lilia Vetti. Elles lui proposent tout. leurs corps, leurs pensées..."
Une fan allemande de trente ans, blonde élégante, discrète suit Tino dans toutes ses tournées. Elle a confessé avoir vu 52 fois Naples au baiser de feu et 63 fois Méditerranée. Pour Le temps des guitares, prévoyante, elle a déjà loué sa place par téléphone depuis Berlin. Curieusement, elle demande toujours le fauteuil 35...
Nul aussi n'a oublié l'exemple de cette jeune tyrolienne qui, quelques années en arrière, après avoir entendu Tino chanter l'Ave Maria de Schubert, retrouva sa foi perdue et reprit le chemin de l'église pour demander pardon à Dieu.
Ils furent ainsi kyrielles à faire la ronde dans la tête de la pauvre Lili tous ces souvenirs bleu pâle "que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître".
Sur scène, Tino ranimait de vieux souvenirs en feuilletant, de refrain en refrain, leur album de famille.
La suite ? Dans un fracas de "roulements de tambours loufiques", le rock'n'roll s'était abattu sur la France. Or l'évènement des sixties va précipiter la chute des anciens artistes qui résistaient encore, vaille que vaille...
"De tout côté on entend plus que ça
un air nouveau qui nous vient de là-bas...
Chouette ! Sper ! Sympa ! Sensas ! attention les yé-yés débarquent !Et Tino est toujours là.
A Tahiti, l'accueil est plus que délirant, il est gaullien ! Enseveli sous les fleurs et les compliments par des foules monstrueuses et enthousiastes, Tino s'entend dire par une vieille dame qu'elle a quitté son île voisine seulement deux fois dans sa vie ; la première lors de la visite du général de Gaulle, la seconde aujourd'hui pour Lui !
Une autre femme, plus jeune et plus alerte, n'hésite pas à sauter au cou de l'illustre visiteur : "Je suis Marinella !", lui souffle-t-elle.
"Là-bas, Marinella, c'est comme La Marseillaise, ils reprennent le refrain debout !", se glorifiera Tino.
Ah, si Lili avait vu ça !
La corse
Dans l'île, un proverbe dit : "Chi un' si stimà, un' è stimatu (celui qui n'a pas d'estime pour lui-même ne recevra pas l'estime d'autrui).
Là, Tino va donner un récital de 25 chansons qui retraceront son parcours depuis son départ de l'île jusqu'à cette journée de gloire. Du monde partout : sur les gradins, dans les allées, sur la route, dans les arbres, autour des grilles...
U Rusignolu attaque avec Aiacciu, enchaîne sur Une rose, poursuit avec U pinzutu, Solenzara, Ti tengu caru.
D'autres standards encore : J'avais vingt ans, La Paloma, Mon pays, Ave Maria, Marinella, Chi-Chi, Ile d'amour...
Mais pourquoi donc entre chaque refrain le chanteur jette-t-il systématiquement un oeil à sa montre ?
- Voici maintenant Petit Papa Noël !
Les enfants qui ont envahi la scène sont aux anges.
Soudain, nouveau regard à sa montre et tino s'arrête de chanter : "Il est minuit, lance-t-il. Nous sommes le 15 août, et le 15 août c'est..."
Sous le feu des projecteurs, la statue de Napoléon s'embrasse alors et L'Ajacienne retentit dans la nuit chaude et sucrée, reprise en coeur par l'assistance.
"Un Corse ne s'exhile pas, il s'absente !"
C'était hier, mais ça ne s'oublie pas...
La fin ? Tout ramena Tino auprès des siens. Un morceau de copa sur une tranche de bon pain entre deux fiacchini ajacciennes, le bruit des vagues sous le Scudo, deux accords de guitares qui glissent sur sa voix et vont se perdre dans le maquis et l'homme retrouvait sa place.
Paisanu, paisanu,
Quoique tu dises, quoique tu fasses d'autre,
Paisanu, paisanu
Tu resteras toujours des nôtres...