"Mes rayons de soleil. Morceaux choisis :
Grand-père n'est plus.
Moustaches et cheveux d'argent, le dos voûté du cycliste chevronné, on le vit jusqu'à sa fin partir aux aurores. Il observait le lever des fleurs éveillées par le soleil, s'énivrait du parfum des violettes, des acacias, des amandiers, des foins.
- J'ai voulu devenir champion cycliste, je n'ai pas réussi, mais je n'ai jamais renoncé au vélo pour autant, répétait-il. Ce qu'il faut , c'est essayer de ne pas mener une existence trop hostile à nos désirs. Laisse-toi envoûter par le silence. ca vaut le coup. On y puise émotion et réconfort et respire bien, un jour tu ne pourras plus.
Ce jour survint pour lui. Que virent ses yeux quand il prit définitivement congé de nous ? Grand-maman aussi est parvenue au bout de sa course.
"En parlant un peu de vélo
Le vainqueur Maurice Archambaud
Pélissier dérape, Leducq le rattrape
Et rejoint Maurice au poteau...
Sont-ce les paroles exactes ? Je les entendais ainsi sur la ligne d'arrivée des grandes courses, quand j'étais enfant ; "En parlant un peu de vélo" sur l'air de En parlant un peu de Paris : cela ne manquait pas d'allant.
Les camions publicitaires faisaient florès : "Midi, sept heures, l'heure du Berger", "Si vous les aimez bien roulées, papier à cigarettes O.C.B", "Gomina Argentine"...
Il y avait encore :
Hardi ! Les p'tits gars !
De Flandre au Vaucluse
Y a d'la Suze !
Les bonimenteurs s'égosillaient ; les gens s'attroupaient : il est des souvenirs qu'on n'efface pas.
J'avais alors des liasses de magazines sportifs sous le bras et n'avais d'yeux que pour les coureurs. Leur prénom et leur nom chantent encore dans ma tête : Alfredo Binda, Georges Speicher, René Vietto, Gino Bartali, Félicien Vervaecke.
Des millions de cellules cérébrales m'ont quitté ; eux perdurent.
Jour après jour, sans faiblir, ma vocation se trempait avant d'affirmer en famille et aux copains d'écoles : "Je serai coureur cycliste."
Je me souviens de son sourire candide après lui avoir annoncé que j'arrêtais la compétition, un de ces sourires qu'on n'oublie pas, qu'on niche avec précaution dans un coin de mémoire afin qu'il nous réchauffe l'âme longtemps.
El là, un autre projet mûrissait. Vaste ! Lumineux ! Faire le Tour de France ! Pa s n'importe lequel, dicté par le hasard, comme en une vulgaire loterie. Celui dont je me devais d'emprunter les routes m'était imposé par le souvenir. Son vainqueur ? Fausto Coppi.
La suite prochainement.