"Un roman de Grégoire Delacourt. Morceaux choisis :
"J'étais une sorte de Candide. Un enfant sauvage qui n'avait pas vu L'épouvantail, Le Parrain, Que la fête commence, Monsieur Klein. Qui ne fut pas au courant du suicide de Mike Brant. Qui avait raté la naissance de U2, The Clash et Jake Shimabukuro, futur virtuose de l'ukulélé. Qui jamais ne verrait les Beatles ensemble.
Mais revenons à 1978. Cet été 78 plane avec le bondissant Plastic Bertrand. Village People chante Y.M.C.A, Boney M., Raspoutine, les Bee Gees, Saturday Night Fever et The Scorpions, Tokyo Tapes.
Pour mes parents, ma naissance avait fait d'eux un père et une mère. Ils avaient été fiers. fait risette. Areuh. Guiliguili. Goulougoulou. Ils avaient trouvé l'enfant parfait. Ils avaient fait des milliers de photos. Ils s'étaient réveillés la nuit pour s'embrasser, bénir la chance qu'ils avaient ; ils avaient pensé un peu honteux mais non sans déplaisir à la cousine Mado qui ne pouvait pas en avoir.
Plus tard, je montai rejoindre ma soeur dans sa chambre rose. Du musicassette on entendait Sheila chanter Hotel de la Plage. Claire était allongée sur le lit, elle lisait dans Marie-Claire les témoignages de femmes désabusées par les hommes.
Dans le silence qui suivit, sa voix s'éleva, haute, claire, aérienne ; l'ange chantait :
"L'ombre s'enfuit, adieu beau rêve
Où les baisers s'offraient comme des fleurs
La nuit fut brève
Hélas pourquoi si tôt fermer nos coeurs
A l'appel du bonheur ?"*
* Chanté par Tino Rossi (1939). Paroles Jean Loysel. Musique Chopin, Opus 10 n°3
La suite ? Je m'étais retrouvé en comptabilité, faisant partie de ces pauvres types qui a dix-huit ans renonçaient aux rêves de leur âge. Pour les garçons : un métier fabuleux, une copine belle comme Linda Evangelista, une 911 targa, beaucoup d'argent pour tout ça et pleins d'amis envieux.
Pour les filles : un corps etd es seins fabuleux comme ceux de Linda, des types qui nous désirent et bavent et parmi eux un poli, riche, un bien élevé qui nous ouvre la portière de sa Porsche et nous aprle mariage et plein de copines jalouses.
Je me souvins alors des paroles de cette chanson à la mode quelques années plus tôt de Gérard Lenorman :
"Je revois les yeux tendres et les visages tristes
Qui autour de moi écoutaient
Et pendant les leçons dans mon coin je rêvais *
* Les Matins d'Hiver
... et je sus que l'enfant dont il fredonnait la mélancolie, c'était moi.
Deux mois passèrent avant de rencontrer Monique. Ce n'était aps drôle d'avoir les dix-huit ans jolis et de se prénommer Monique quand on avait entendu le sketch de Coluche, vous savez comment on l'appelle dans mon quartier ? Monique deux qui la tiennent trois qui la niquent.
Mais ce n'est pas pour ça que Monique changea de prénom dix ans plus tard. C'est parce qu'elle n'aimera pas ce que nous serons devenus et qu'elle aussi voudra en guérir.
Premier émoi ? "Ses lèvres se refermèrent doucement, comme des jambes qui se croisent. Tu s jeune encore, tu verras, tu me mettras dans un de tes livres. Comme un regret.
Elle s'éloigna, je compris. Mais trop tard. Une femme peut pardonner une maladresse, jmais d'avoir laissé passer une occasion.
Quand je l'ai vu, je ne pus m'empêcher de penser aux paroles de La Bohème d'Aznavour.
"Dans les cafés voisins. Nous étions quelques-uns qui attendions la gloire.
Et bien que miséreux, avec le ventre creux, nous ne cessions d'y croire..."
Je commençai.
Notre mauvais mariage. Mon désamour. Nptre couple qui n'en fut jamais un. Nos routes séparées. Son studio. Ma chambre d'hôtel. Les promesses de scène et de bohème, encore des mots, toujours des mots chantait Dalida.
Je ne m'arrêtai plus.
Ce fut elle qui m'arrêta.Avec trois mots. Trois balles.
- Je suis enceinte.
Quatre mois que Monique était revenue.
Une nuit, elle entra dans ma chambre et s'allongeat sur le lit. Nos doigts ne se frôlèrent pas. Nos jambes ne se s'effleurèrent pas. Nos corps morts. lourds. Puis plus tard, sa voix, comme un filet d'eau.
- Mais qu'est-ce qui nous est arrivé ?
Me revinrent alors les paroles d'une chanson à succès des années 70 de Daniel Guichard :
La tendresse, c'est quelquefois ne plus s'aimer mais être heureux
De se trouver à nouveau deux.
Cette année-là, deux millions de Français rirent end écouvrant Trois hommes et un Couffin et plus à l'est des millions de gens ne rirent plus du tout à cause de l'explosion du réacteur de Tchernobyl dont les méchants effets s'arrêtèrent miraculeusement à notre frontière.
La suite ? Vous vous retrouvez au Carré des Feuillants où l'on vous propose un salaire d'un million de francs entre le dessert et le café. Et une Mercedes pendant le café.
La gâterie de la stagiaire. La standardiste troussée. Les amis formidables. Le million. La Mercedes 420. Et le cigare après le café.
Alzheimer ? On n'a plus de souvenirs tu te rends compte, plus rien, plus d'intimité, plus de chair, plus d'odeur, plus de peau.
"Vous pouvez luyi parler vous savez, il ne réagira peut-être aps à ce que vous dites mais votre voix est comme une musique et parfois, quand on entend de la musique, il y a des choses, des images qui refont surface, et puis ça vous fera du bien de lui parler croyez-moi."
Elle m'avait ça sur le parking.
C'est là, sur ce parking, que m'attendra un jour la fille assise sur la voiture.
Il fit beau ce jour-là. L'autoroute était dégagée. Peu de poids lourds.
De l'autoradio résonnaient les derniers tubes, Remember the Time de Michael Jackson, Don't Let The Sun Go Down On Me d'Elton John et George Michael ou Petite Marie de Francis Cabrel et puis un flash spécial. Jean Poiret était mort. Le Renato Baldi de la Cage aux folles ne babillerait plus. L'inspecteur Lavardin venait de succomber à une crise cardiaque. J'éteignis la radio. Je ne voulait pas de mort à mes côtés.
Merci.
Mon père regardait ma mère et il luyi dit merci. Ma mère porta une main à sa bouche, étouffa un sanglot puis elle contourna le lit qui les séparait, elle vint s'y asseoir, face à lui, pris ses mains. Et mon père qui ne parlait plus parla à nouveau et répéta,
Merci.
Dumbo s'était trompé. Les enfants sont capables de miracles. Ils peuvent unir. Ils peuvent réunir.
Puis ma mère cria mon nom.
Je me laissais aussitôt glisser du capot jusqu'à ce que mes pieds touchassent le sol et la fille assise sur la voiture tourna gracieusement la tête vers moi et sourit et ce fut le début de tout.
Ma mère sortit de la voiture puis se pencha vers moi.
- Je ne sais pas où tu en es avec tes romans Edouard, mais tu viens de nous écrire quelque chose de plus beau qu'un livre.
Rideau.