"Initiales B.B.
"Le livre de la vie est le livre suprême
Qu'on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix ;
On voudrait revenir à la page où l'on aime
Et la page où l'on meurt est déjà sous vos doigts."
Alphonse de Lamartine
Le 28 septembre 1934, Monsieur et Madame Louis Bardot eurent la joie de vous faire part de la naissance de leur fille : Brigitte.
Il était 13 h 20, j'étais Balance ascendant Sagittaire.
Petite, Maman jouait à la poupée avec moi. Elle et Dada, une jeune femme sortit d'un orphelinat que ma grand-mère maternelle avait ramené d'Italie. A cette époque, mes parents sortaient beaucoup.
Un soir, dans un bistro, alors qu'ils dînaient avec des amis, arriva une "diseuse de bonne aventure". Elle fit les lignes de la main à chacun et s'attarda sur celles de papa. "Monsieur, votre nom fera le tour du monde, il sera célèbre outre-Atlantique et mondialement connu !"
Papa, ravi, pensa que les usines Bardot, qui étaient en plein essor, allaient enfin lui faire récolter les fruits du labeur familial ! Ils sabrèrent le champagne en trinquant à al prédiction miraculeuse de cette charmante pythonisse. Personne ne pouvait s'imaginer que ce ne serait pas l'usine mais moi, petite fille inconnue, vouée à un destin tellement extraordinaire, qui confirmerait les "dires" extravagants de cette bohémienne en portant, tout au long de ma vie, ce nom qui ne m'a jamais quittée malgré mes multiples mariages.
J'étais fascinée par les grandes jupes noires de ma grand-mère, sous-lesquelles elle rangeait ses clefs, son mouchoir, son argent. Elle avait aussi une grosse boîte ronde en fer, dans laquelle elle mettait les bonbons colorés qu'elle nous distribuait le soir si nous avions été sages. Cette boîte ne quittait pas son sac à ouvrage et le sac à ouvrage ne quittait pas mémé. Elle marchait en s'appuyant sur deux cannes et en faisant de tout petits pas. Impossible de jouer avec elle à cache-cache. Dommage, après tout. J'avais quand même droit de lécher les casseroles pleines de chocolat et, suprême récompense, de dresser la table du dîner.
Une table où je n'avais pas le droit de manger parce que j'étais trop "petite", que la cuisine étai bien suffisante pour les enfants qui font des tâches partout et ne savent pas se tenir à table. Pourtant, moi je savais. Je savais même qu'il faut s'essuyer la bouche avant et après avoir bu, qu'il ne faut jamais parler la bouche pleine, qu'il ne faut du reste pas parler du tout, car les enfants ne parlent pas à table. Oui mais non. J'étais trop petite... Alors je mangeais dans la cuisine avec mes cousins et mes cousines.
Je me souviens de l'heure du goûter, et quel goûter !
Il y avait du chocolat chaud, du quatre-quarts et des petits beurres avec du miel. Ça sentait bon le gâteau sec, la cire, les fleurs sèches, la tisane, mais aussi un peu le moisi. Une odeur que je n'oublierai jamais.
On me faisait faire "l'aéroplane" au milieu du salon et des rires des amis. Mais un jour, les amis des parents ne riaient plus lorsqu'ils venaient les voir. Chacun était pendu au poste de T.S.F. et écoutait les informations avec un grand sérieux.
Nous étions en 1939, à la veille de la déclaration de guerre entre l'Allemagne et la France. Hitler avait envahi la Pologne.
Quelques jours plus tard, les placards étaient bourrés de victuailles. Il y avait même des piles de tablettes de chocolat, mais il était interdit d'y toucher. Je restais le nez en l'air à regarder ces trésors, ne comprenant pas pourquoi j'en étais privée ! Il y avait aussi des pelotes de laine de toutes les couleurs dans une grande malle d'osier, avec de la naphtaline qui me piquait le nez ! Avec les dizaines de paquets de tabac pour la pipe, la maison ressemblait à un magasin dans lequel on n'avait le droit de toucher à rien. C'était les provisions. C'était le paradis.
"La guerre, la guerre", je n'entendais plus que ce mot-là.
La suite prochainement.