"Il faisait froid...
Jamais peut-être il n’avait tant neigé sur Moscou : du moins, c’était l’avis de Mamie.
Pendant tout le mois de février 1953, il avait neigé. Une neige drue, insistante, insidieuse, s’accumulant peu à peu en couche énormes.
Puis le vent s’était levé, la pourga, le vent glacé de la Sibérie, un vent qui balayait tout. Sous son souffle, la neige s’était prise et transformée en verglas. Circuler dans Moscou devenait une aventure. Seul, de rares trains précédés de leur chasse-neige, quittaient la ville ou y rentraient.
Le 4 mars, les auditeurs tôt levés qui se rasaient en écoutant Radio-Moscou entendirent soudain à 6 heures 19, un simple flash : le speaker annonçait que Staline était gravement malade.
A 6 h 21, Radio-Moscou précisait que le généralissime était atteint d’une hémorragie cérébrale.
A 6 h 25, l’agence Tass annonçait que Staline souffrait de troubles cardiaques, qu’il respirait avec peine et que des bulletins de santé seraient diffusés à intervalles rapprochés.
A 6 h 36, Radio-Moscou annonçait que l’état du Maréchal ne s’était pas amélioré.
A 6 h 38, l’agence Tass communiquait : "Le pouls de Staline est de 120 et son rythme respiratoire de 38 à la minute".
A 6 heures 55, c’était un communiqué officiel : "Le comité central et le conseil des ministres de l’URSS annoncent qu’un grand malheur vient de fondre sur notre parti et notre peuple : la grave maladie du camarade Staline".
Suivait un bulletin de santé officiel. Le premier. "Dans la nuit du 2 mars, le camarade Staline a été frappé d’une hémorragie cérébrale atteignant les régions vitales du cerveau.
Le camarade Staline a perdu connaissance. Le bras droit et la jambe droite ont été paralysés. L’usage de la parole a été perdu". Après quoi, venaient plusieurs paragraphes de pleurs lyriques et d’officiels dithyrambes...
C’est ainsi que ma Mamie apprit que le plus grand dictateur qui ait régné sur la Russie, depuis Ivan le terrible venait d’être frappé par l’aile de la mort.
Or tous les éloges éplorés qui courait sur les ondes ne dissimulaient qu’un mensonge.
Là-dessus, Mamie est formelle : tout ce qu’on "dévoilait" sur la mort de Staline était faux.
Les dirigeants de l’Union Soviétique, simulant un désespoir de circonstance, affolés par une réalité qui les libérait mais faisait peser sur eux d’effroyables responsabilités, avaient choisi d’imaginer pour Staline une fin forgée de toutes pièces.
La suite prochainement.