"A m'en déchirer le coeur.
Je ne voulais pas faire carrière même si j'ai une jolie voix et que lorsque j'habitais encore chez mes parents, les voisins adoraient se mettre à la fenêtre pour m'entendre chanter.
"Je m'voyais déjà, en haut de l'affiche" dirait un certain Charles Aznavour, mais ce n'était que des jeux d'enfants où je m'amusais à jouer les reines du music-hall. Et à l'école, je gagnais toujours le premier prix de chant.
Puis, dès l'âge de quatorze ans, je m'arrangeais pour me présenter aux radios-crochets du 14 juillet, place Gambetta. La première fois, j'ai chanté "On a pas tous les jours vingt ans" et je me suis retrouvée ex aequoavec un garçon qui, lui, avait interprété du Richard Anthony.
Bref, pour moi, chanter, c'était plus une lubie, un passe-temps, quelque chose qui me faisait du bien. Je m'amusais, toute seule chez moi, devant ma glace, avec mon tourne-disque et ma brosse à cheveux en guise de micro.
- Puisque tu aimes chanter, me dit ma belle-mère, au lieu de rester chez toi, fais-en profiter les autres et ça te fera toujours un peu d'argent de poche."
Voilà comment j'ai commencé, sans le savoir, à en faire mon métier. juste pour le plaisir de chanter du Piaf, du Macias ou du Ferrat. Puis, un jour, tout va basculer !
Un communiqué à la télé annonce qu'on recherche des candidats pour aprticiper au Jeu de la chance de Roger Lanzac.
Quand j'entends que le gagnant pourra repartir avec des boîtes de jouets, mon coeur de maman fait un bon. Voir les grands yeux de mes enfants s'ouvrir et s'émerveiller devant leurs cadeaux, j'en rêve déjà...
Le grand jour arrive. Je choisis "La foule" de Piaf, mon idole. Sept jours plus atrd, je suis fidèle au potse avec une nouvelle partition : "L'hymne à l'amour". Et c'est le jackpot !
Le public me veut et me redemande. Je pense que l'histoire va s'arrêter là. J'ai eu ce que je voulais : des jouets pour mes fils. Merci, au revoir, et à la prochaine... Mais le public m'ayant choisie, je dois revenir la semaine suivante afin d'affronter de nouveaux candidats.
C'est sur l'air de "Padam Padam Padam" que je gagne pour la seconde fois consécutive. C'est ainsi que je me retrouve chez le pianiste de l'émisiion afin de répéter "Le dénicheur" pour repasser la semaine d'après. Mais je devrais céder ma place à une autre candidate : une certaine Mireille Mathieu...
C'est bien plus tard que je comprendrais tout ce qui s'est injustement tramé dans mon dos. Mais dé"jà je reprends mon petit bonhomme de chemin... Sans savoir que mon existence est en train de prendre un virage à 180°.
Tout s'accélère parce que France-Soir m'a mise en première page dans ses colonnes et qu'Eddie Marouani me prend sous son aile. Dans la foulée, les maisons de disques commencent à me contacter pour me faire des offres intéressantes et j'accepte de signer chez Philips, trop heureuse de me retrouver dans la même écurie chantante que Sheila.
Je donne mes premiers galas aux alentours de Saint-Ouen, je chante a capella dans de petites salles de quartier, à peine accompagnée d'un accordéoniste.
J'enregistre ensuite "A faire l'amour sans amour", une chanson écrite par Charles Dumont qui deviendra un hymne pour certaines prostituées.
A l'automne 67, quand Georges brassens m'engage en vedette américaine de son spectacle à Bobino, c'est mon mari qui s'occupe des détails techniques. On s'aime toujours, on a pu surmonter la crise. Rien de mauvais ne peut plus nous arriver. Si j'avais su ce que le destin me réservait, je n'aurais sans doute pas voulu y croire.
Nous sommes alors en pleine vague de Salut les Copains. C'est l'époque des yéyé, des Johnny et des Sylvie. Soit on fait partie de cette petite bande, soit on est méchamment exclu. une véritable secte !
En coulisses, un homme veille à ce que je ne fasse ni trop de bruit ni trop d'éclat. Johnny Stark.
L'homme qui a inventé Johnny hallyday et qui tente à présent de créer Mireille Mathieu, est bien décidé à faire oublier Georgette Lemaire. Je deviens interdite de plateaux à la télévision et d'émissions de radio.
Un jour on me propose un pianiste pour m'accompagné. Bob.
A peine a-t-il entamé le premier morceau que je suis sous le choc ! Envoûtée, hypnotisée. Cet homme m'aurait-il jeté un sort Je me sens comme ensorcelée, totalement séduite !
Bob trouve d'instainct le bon tempo de toutes mes chansons. Il ressent mes partitions et devine tout du premier coup l'accord idéal, la note parfaite, celle qui me sied le mieux. Je l'avoue, entre luie t moi, c'est un coup de foudre... professionnel ! Quelle naïve je suis.
Désormais, je ne veux plus que lui à mes côtés.
Et je souhaite le convaincre de poursuivre l'aventure après Bobino. Mais il refuse, prétextant avoir d'autres engagements à honorer.
Pourtant, quelques temps après, à la maison, le téléphone sonne. C'est Bob ! Qui me fixe un rendez-vous dans un petit hôtel parisien. Je m'y rends ne sachant pas du tout à quoi m'attendre. Et là, il m'annonce qu'il est tombé amoureux de moi.
S'il arefusé mon offre, c'est parce que qu'il se dit incapable d'être à mes côtés sur scène alors que je suis amriée. Question de décence, Bob me demande de passer la nuit avec lui. Je refuse et lui propose juste de rester avec lui un petit moment.
Mais Bob n'est pas du genre à s'avouer facilement vaincu. Et me pose cet ultimatum : "Non, c'est la nuit ou rien du tout !"
Et je reste !
Aux premières lueurs du jour, au moment de le quitter, je propose à Bob de le revoir régulièrement. Dans ma tête, l'idée a fait son chemin : il sera mon amant.
Je suis choquée, ébranlée, complètement paumée. Je ne sais plus quoi faire. Et je n'ai plus qu'une idée en tête : garder les deux !
Alors que je suis en pleine tournée avec Alain Barrière en vedette, je suis tiraillée entre Daniel qui commence à avoir de sérieux doutes sur ma fidélité et Bob qui me menace ouvertement de ne plus m'accompagner au piano.
La tournée s'achève enfin. Le dernier soir, direction Paris, je monte en voiture avec Daniel.
La nuit est profonde, nous sommes en pleine campagne lorsque soudain, Daniel arrête la voiture et me force à descendre.
- Je te laisse sur le trottoir me dit-il. avec un peu de chance, Bob va passer par là et te ramasser...
Et il redémarre en trombe sans même me laisser le temps de riposter.
Je suis mortifiée. Seule au beau milieu de la nature, je suis morte de peur. Mais bientôt Bob arrive et me récupère.
Au même moment, soulagée, je vois la voiture de Daniel revenir en marche arrière et mon mai me sommer de remonter avec lui. Mon orgueil en a pris un coup et je refuse de bouger.
Daniel demande à Bob de descendre pour aller s'expliquer "entre hommes" un peu plus loin. Je vois Bob se munir de trois gros pavés au cas où les choses tourneraient mal pour lui. Et mopi, je suis là, en larmes, impuissante, prostrée dans cette voiture à me morfondre sur les dégâts de ma vie. Bob a le courage d'avouer qu'il est amoureux de moi et Daniel me demande de choisir.
Je n'y arrive pas.
Je ne peux pas. J'aime les deux, je veux les deux : mon premier amour et mon pianiste de génie. Finalement, je remonte dans la voiture de Daniel en leur disant qu'on s'expliquera à Paris.
De retour à paris, j'ai l'impression d'être prisonnière : de Philips, de Daniel, de ma carrière. Je ne contrôle plus rien. Mes pulsions me dominent et m'entraînent sur une pente que je sais déjà vertigineuse et dangereuse.
Bob sera-t-il mon sauveur ?
Celui qui saura me redonner élan, courage, sensation d'ivresse et d'évasion ? Daniel est-il encore l'homme de ma vie ? Entre nous, n'est-ce pas déjà trop tard ? A force de trop s'aimer, peut-être finit-on par s'aimer mal. S'aimer moins. N'avons-nous pas atteint le point de non-retour ?
Vous le saurez au prochain épisode.
Pour les amateurs :
Les souvenirs de Georgette Lemaire