"Un couple inséparable.
Un conseil de mamie : "Ne cherches pas à interpréter tes rêves. Penses à ceux qui ont fait de leur vie amoureuse, un rêve. Penses à Yvonne Printemps et à Pierre Fresnay. Pierre était un acteur remarquable. Cet homme travailleur, intelligent, presque froid à force d'être rigoureux se transformait en un autre être fou d'amour et d'attention pour Yvonne Printemps. Où qu'il soit, il l'appelait toutes les demi-heures. "Je vais appeler Mourée", disait-il. Il s'inquiétait d'elle, mais, chaque fois, elle l'envoyait promener, et il raccrochait avec un vrai grand sourire, heureux comme un petit garçon !
Mais reprenons l'histoire au commencement du début : Avant de se faire voler la belle Yvonne, Sacha Guitry avait osé séduire Charlotte Lysès, la maîtresse de son père, Lucien. Ils tombèrent amoureux et se marièrent. Furieux, Lucien en voulut à son fils pendant treize ans et ne lui pardonna cette trahison que lorsque Sacha écrivit Mon père avait raison, pour lui exprimer toute son admiration, son affection et sa tendresse. Charlotte avait alors découvert aux Folies-Bergères une jeune fille blonde aux yeux bleus et au petit nez retroussé qui chantait, dansait et jouait la comédie. Sacha eut besoin d'une jeune comédienne pour sa nouvelle pièce et Charlotte lui rappela la demoiselle blonde qui triomphait alors dans une revue au Palais-Royal. Sacha alla l'applaudir, tomba instantanément amoureux d'elle et l'engagea sur-le-champ.
Jean Cocteau me raconta que Charlotte inquiète de l'intérêt que portait Sacha à la jeune fille s'était confiée à lui :
"Sacha a parfois des faiblesses, mais là je crois que c'est sérieux...
- Et comment le savez-vous ?
- Et bien lui qui ne raffole pas des animaux, je sais qu'il descend trois fois par jour, et depuis une semaine, le bâtard d'Yvonne pour lui faire faire pipi sur le trottoir ! Il est amoureux, il n'y a pas de doute...
- Et quel est le nom de cette Yvonne ? Demanda Cocteau, amusé.
- "Printemps", répliqua Charlotte.
Cocteau lui sourit gentiment.
"Rassurez-vous, c'est une saison qui ne dure pas..."
Yvonne Printemps partagea pendant dix ans la vie de Guitry. Et - ironie du sort ! - c'est lui qui engagea Pierre Fresnay pour jouer dans Franz Hals. Pierre tomba amoureux fou d'Yvonne et ils vécurent une liaison secrète et passionnée. Ils se retrouvaient chez Mme Karinska, la célèbre couturière et faisaient l'amour dans le salon d'essayage. C'est pour dire.
Sacha qui était jaloux, faisait suivre Yvonne en tout lieu. Mais cela décourageait nullement nos tourtereaux ! Pierre grimpait sur l'arbre qui faisait face à la chambre où Yvonne était prisonnière, dans l'hôtel particulier de Sacha. Et là, sur sa branche, avec la braise de sa cigarette, il lui disait "Je t'aime" en morse !
Le couple mythique était détruit. Tout Paris commenta l'évènement. La femme de Fresnay - la grande Berthe Bovy - fit dresser un constat d'adultère et obtint une énorme pension. Cependant, elle refusa de divorcer pour empêcher "l'autre" de se marier. En fait, elle ouvrit un compte bancaire et versa intégralement le montant des pensions pour qu'il ait de quoi vivre le jour ou Yvonne le plaquerait. Car, elle en était sûre, cette histoire ne durerait pas !
Mais là aussi, ce fut une belle et longue histoire d'amour. Lorsque Pierre fut victime d'une congestion cérébrale qui lui sera fatale, Yvonne Printemps le veilla jour et nuit et finit par se laisser mourir après trois ans de chagrin. Elle demanda à son régisseur qu'il veille bien à ce que, le jour de sa mort, elle soit revêtue du tailleur noir de chez Lanvin qu'elle portait aux obsèques de Pierre. "Pour qu'il me reconnaisse en arrivant au Paradis !"
Un jour j'ai croisé Yvonne chez la concierge du théâtre. Elle me serra sur son coeur, elle embaumait Heure bleue de Guerlain. Elle parla de Fresnay, avec passion et tendresse ; il était redevenu le capiston de La grande illusion. Soudain, elle m'attrapa le bras et, dans un souffle, elle murmura : "Hélène, j'ai tout eu dans ma vie, la beauté, la voix, la gloire, l'argent, Paris et les hommes les plus beaux à mes pieds. Mais je ne méritais pas ça ! Il y a des femmes qui peuvent pleurer, moi je ne peux pas. Je suis en colère !"
Ma Mamie m'a dit qu'elle n'avait jamais entendu plus belle formule pour dire non à la mort. Elle m'a dit aussi, qu'avant de partir, Yvonne avait ajouté : "La seule chose qui me console, c'est que parfois, dans la nuit, Pierre vient dans mes rêves me faire l'amour..."