Montigny sur Ostrevent est une bourgade charmante située à douze heures de Carmaux (en passant par Reims).
C'est ici - à cet endroit très précis -, qu'on s'est retrouvé pour un voyage dans le temps en compagnie de Mme Bernat et de ses amis.
Qui est Mme Bernat ?
Mme Bernat est une Mamie fascinante qui nous a raconté une histoire déroutante, morceaux choisis :
"C'est dans un bal, peut-être celui du 14 juillet, que mon père et ma mère se rencontrèrent pendant l'été 1914. Abandonnée par sa mère à la naissance, Hélène était une enfant de l'Assistance publique.
Elevée par un couple d'agriculteurs près d'Autun, elle était montée à Paris.
Hélène avait vingt ans, et travaillait comme brodeuse.
André, âgé de vingt-six ans, avait raté le concours d'entrée à Polytechnique et était emplyé comme statisiticien dans une compagnie d'assurance.
Mobilisé en août 1914, il sert d'abord comme "tringlot" au cinquième escadron du train des équipages.
Dans les premières cartes à Hélène, il la vouvoie encore, preuve que leur relation était balbutiante.
Le soldat André obtint sa première permission, comme tous les autres poilus, l'été 1915.
Dans un courrier, André disait alors à son frère Robert qu'il espérait avoir une autre permission pour Noêl 1915. Il vint sûrement àn Paris, puisque Hélène tomba enceinte à cre moment-là.
A la mi-juin 1916, André profite d'une nouvelle permission pour se marier avec Hélène à la mairie du XVIIème arrondissement. Le lundi 19 juin, après cette radieuse mais trop courte parenthèse, l'artilleur repart pour le front de la Somme, où se prépare la grande offensive...
Le soir même, lui écrit cette carte :
"Lundi soir
Mon petit André,
Comme cette journée de lundi m'a semblé longue ! Je revis et revivrai longtemps les heureux instants que tu m'as fait passer. Sans cesse tes traits sont devant mes yeux, je crois encore sentir le délicieux contact de ta bouche gourmande ; hélas ! cela n'est qu'illusion, tu es loin de moi mon chéri et je n'ai que la ressource d'attendre un message de mon bien aimé.
Je veux répondre couragement la vie paisible de ces temps passé à espérer.
Bonsoir mon petit aimé. Tous mes baisers vont à toi.
Hélène.
PS. J'ai perdu en rentrant le bel oeillet rouge de mon bouquet reste un blanc et deux boutons rouges, ils se portent très bien. Je ne quitte pas ma chambre sans les sentir. Un long baiser de ton H."
Le 23, André envoie du front sa dernière carte postale, qui croisera sûrement celle expédié le 18 par sa femme :
"23 juin 1916
Ma chérie,
La journée d'aujourd'hui s'est écoulée de la plus calme façon. Je veux que tu aies ton petit mot quoique ce bavardage me semble bien morne à côté de ceux que nous faisions ces jours derniers et je ne te cache pas que tout ej me faisant une raison, j'ai des périodes de "cafard" pendant lesquels je songe tristement à toi, maintenant si éloignée.
J'attends avec une certaine impatience la première lettre de ma petite femme qui sera sans doute pour demain et viendra me tenir compagnie, la seule à laquelle je puisse aspirer pour un temps indéterminé.
Meilleurs baisers de ton "p'tit homme"
André
Le lendemain, à l'aube, débute la préparation d'artillerie qui prélude à la grande attaque de la Somme. Elle va durer jusqu'au 30 juin. Le fracas des quatre mille pièces tonnant jour et nuit sur 40 km de front s'étend jusqu'en Angleterre, à 200 km de distance.
Un millier de crapouillots bombardent la première ligne allemande. Le 1er juillet, l'offensive est lancée.
Le dimanche 16 juillet 1916, à dix heures du matin, le brigadier Turquand d'Auzay est tué par un éclat d'obus allemand, la colonne vertébrale brisée.
Le 11 août, probablement sous le choc de la mort de son mari, Hélène accouche d'un enfant prématuré de deux mois. On devait craindre pour la vie du nouveau-né car en octobre le curé procéda à son ondoiement.
L'enfant vivra pourtant. La jeune veuve lui donne les trois prénoms de son mari tué. André, Auguste, Marie.
La suite ? Jusqu'à sa mort, Hélène Turquand d'Auzay portera le nom de ce jeune homme qu'elle connut si peu. elle ne se remariera jamais. Pourtant les prétendants ne manquèrent pas. L'un d'eux, éconduit, devait se suicider.
Après la guerre, Hélène était entré à la compagnie d'assurance qui employait son défunt mari, et elle y travaillera toute sa vie. hélène ne vit plus que pour son fils, sur qui elle a reporté tout son amour pour le défunt.
En 37, son fils réussit le concours de Polytechnique, où son père avait échoué.
La fin ? Hélène Turquand d'Auzay décède d'une tumeur au cerveau, à l'âge de cinquante-cinq ans.
Rideau.