"Une histoire.
Une histoire qui a une morale : la compétence est importante, l'intelligence et la compréhension aussi. Mais l'émerveillement, l'intuition, l'innocence et la sagesse de coeur le sont au moins autant. Florilège :
En 1920, Walter Elias Disney et Ub Iwerks font faillite. Plus tard Walt répétera souvent : "C'est important d'avoir un bon gros échec quand on est jeune."
Ensuite, ils relancent la réalisation de dessins animés avec un lapin nommé Oswald.
Echec à nouveau, c'est un coup dur, contraint de créer un personnage de substitution, Walt esquisse les premiers traits d'une souris nommée Mickey. Toute sa vie Walt a été un enthousiaste. S'investissant totalement dans chaque projet nouveau, obsédé par les nouvelles technologies, se lassant aussitôt de ce qu'il avait acheté la veille.
A peine Disney s'impose-t-il dans les années 50 sur le marché des films de divertissement, que Walt Disney est déjà en train de prendre ses distances avec le studio et commence à consacrer de plus en plus de temps à sa dernière lubie : Disneyland, un concept nouveau de parcs de loisirs.
Ce qu'il a en tête ne ressemble à rien de connu. Plutôt que des manèges on y proposerait des attractions conçues comme des histoires, des voyages qui amèneraient les hôtes à travers des paysages animés par les personnages des films de Disney. Son frère ne voit là ni magie, ni profit et refuse d'accorder un financement qui proviendrait des studios. Walt va dépenser tout son argent personnel pour ce projet.
La réussite passe par un exemple parfait de synergie avec trois éléments parcs, films et TV qui vont être à l'origine d'un 4ème pilier. En 54, Walt Disney embauche Fess Parker qui se dit allergique aux chevaux et au cuir, l'habille d'une veste de daim et tourne une broutille pour la TV à partir des histoires autobiographiques d'un député qui s'appelait Davy Crockett. L'audience fait un bon immédiat.
Dans toute l'Amérique, les petits garçons réclament une panoplie. L'ampleur du succès va tout changer. Très vite les magasins regorgent de panoplies et de toutes sortes d'attirails estampillés du logo officiel de Disney. L'argent afflue maintenant de 4 sources : films, TV, parcs et produits dérivés.
Walt Disney a quatre qualités indispensables au leader : créativité, énergie, faculté de communication et charisme.
La créativité est comme un muscle. C'est l'exercice qui la développe et Walt s'exerce depuis l'enfance par un travail acharné : livreur de journaux, vendeur de boissons dans les trains, proposant aux industriels de prendre en charge leur inventaire.
Très vite il apprend que plus l'idée est bonne, plus la rémunération est élevée. En termes de créativité, Walt pousse systématiquement toutes les idées un peu plus loin, dans l'essentiel comme dans le détail. L'énergie, l'acharnement même que Walt Disney déploie pour faire aboutir ses projets sont légendaires.
Il ne s'arrête jamais de travailler, effectue des visites surprises à Disneyland, rédige des notes... En matière de communication, Walt est un expert. C'est un conteur né.
Racontant sans cesse les histoires qu'il veut produire. Cet art est aussi utile à la base de l'organisation Disney. Qu'il raconte à un architecte les plans qu'il souhaite pour un studio ou à des investisseurs le mode de fonctionnement d'un projet nouveau, Walt est toujours un homme qui fait voir et réaliser les rêves qu'il raconte aux autres.
Quant au charisme, il est évident que Walt Disney a cette capacité extraordinaire d'obtenir le maximum de ses collaborateurs et on peut dire sans exagérer que ces derniers le font par amour pour leur patron.
Ils sont tous tombés amoureux de l'homme et des visions qu'il leur fait partager. Les gens semblent se plier spontanément aux exigences de Walt. Cette énergie et ce souci de la perfection sont ancrés dans la culture de l'entreprise.
"Un royaume magique"
Walt cherche à matérialiser un univers parfait à ses yeux, au milieu des années 60, il veut bâtir un "royaume magique", un projet fantastique : construire une véritable ville, parfaite à tous points de vue, sans misère ni crime, un laboratoire d'urbanisation. Mais pour lui, il s'agit d'une course contre la montre. Depuis des années ses collaborateurs se sont habitués à sa toux rauque. Il fume sans arrêt.
A cette époque, la pub ne manque pas de souligner que la nicotine est un bon moyen de diminuer le stress et Walt est loin de s'imaginer que sa toux persistante est un symptôme du cancer qui lui ronge les poumons. A mesure qu'il prend conscience de sa maladie, la panique le gagne.
Fasciné par les progrés de la médecine, il fait faire des études sur la technique naissante de la cryogénie : la congélation des corps vivants qui pourraient être ranimés dans plusieurs années et guéris des troubles physiques que les progrés de la science auront permis de soigner.
Son but n'est pas l'immortalité, mais un désir irrépressible de revenir corriger les erreurs que son frère ne va pas manquer de commettre à propos du "royaume magique".
Persuadé que s'il ne fait pas aboutir le projet lui-même, son frère ne le fera jamais. Le 6 décembre 1966, aux premières lueurs du jour, le service de presse de Disney émet un communiqué, Walt Disney est mort. Mort d'un homme, naissance d'un mythe... Après des années de disette, Michael Eisner prendra le relais.
Michael Eisner, sa vie est un conte de fée, morceaux choisis : ses professeurs estiment que s'il doit réussir, ce sera en dehors du milieu académique. Les portes de l'établissement se ferment à lui, un échec providentiel. Signalé par Diller en ces termes : "Voyez ce que vous pouvez tirer de ce garçon. Si ça marche nous saurons comment l'occuper; sinon, virez-le."
Il a du charme et une certaine facilité de contact, toujours volontaire avec un enthousiasme fabuleux. L'homme devient plus pragmatique : "13 heures de Shakespeare ont suscité un immence enthousiasme à ABC, mais le type qui a pris cette initiative a été viré.
Moi j'ai gardé ma place et son exemple m'a servi de leçon." Il devient "un cadre énergique et dynamique, sur qui on peut compter lorsqu'on lui donne des responsabilités." Puis, "un élément moteur, bien qu'il s'agisse de toute évidence d'un effort collectif."
Son flairs'est manifesté en maintes occasions et il sera le pivot de sa carrière. Il élabore un style de leadership personnel et parfois surprenant, "prêt à tout pour atteindre ses objectifs, il ne renonce jamais à un projet. Quand il trouvait qu'une idée était géniale, il nous communiquait son ardeur et il nous entraînait dans son sillage. Je n'ai jamais connu d'homme aussi passionné."
Autre don, le goût du risque et enfin sa capacité à dénicher des gens intelligents sur qui il peut compter et qui osent parfois le contredire. Il a conscience de ses propres limites et il sait reconnaître les personnalités différentes de la sienne. Disney était à la recherche d'un nouveau prince, une personne capable de dire "Nous sommes confrontés à un défi. Comment allons nous nous y prendre pour le relever ?" Eisner sera celui-là...
Il est intéressé par Disney, malgré la crise que traverse le groupe et sa faible position par rapport aux principaux studios, la société possède des forces profondes et un potentiel important. Mais au départ le conseil d'administration ne voulait pas d'Eisner, il trouvait qu'"il manquait d'expérience, qu'il n'avait après tout jamais dirigé de société, jamais eu affaire à un conseil d'administration, à des actionnaires ou à des banquiers d'affaires..."
Le discours célèbre de Stan Gold va alors changer la donne : "Vous pensez que la créativité peut s'acheter comme une marchandise. Vous considérez des gens comme Eisner comme un peu fous. N'oubliez pas que tous les grands studios ont été dirigés par des cinglés.
Qui était Walt Disney à votre avis sinon un dingue? son frère veillait à ce qu'il ne dépasse pas certaines limites. Disney est une institution de créativité. Les difficultés auxquelles la société est confrontée depuis 20 ans tiennent au fait qu'elle est dirigée par des hommes beaucoup trop rationnels. C'est pourquoi nous devons trouver de nouveaux fanatiques pour la redresser. A vous de voir votre conception de la folie. Je vous parle de fous créatifs car ce sont les gens qu'il nous faut et ils sont beaucoup plus difficiles à trouver que des gens bardés de diplômes."
"La Team Disney"
Après son intronisation, c'est à Eisner qu'échoue la responsabilité de résoudre toutes les difficultés de Disney dont la baisse de fréquentation des centres. Il doit faire beaucoup de choses et très vite. Il faut d'abord stabiliser la société, écarter la vague d'OPA et les menaces financières des actionnaires dissidents.
Pour écarter les raiders, il doit faire bouger Disney, convaincre les actionnaires que les choses évoluent, le public que ce qu'imagine Disney est intéressant, les salariés que c'est un endroit formidable. Il faut enfin augmenter les bénéfices, faire entrer de l'argent dans tous les secteurs.
Le 1er jour, il fait le tour de tous les studios pour faire connaissance avec ses collaborateurs. Puis se met au travail en écrivant son habituel flot de mémos. Convoque les six personnes les plus créatives à une séance de Brainstorming.
Il ne veut pas seulement réduire les coûts, il veut vraiment changer Disney. Il passe l'entreprise au "peigne fin", l'une de ses tâches les plus délicates est de "constituer une équipe de "cadres de choc". Selon lui, son don le plus précieux est un flair infaillible qui lui permet de dénicher les compétences des autres. "L'une des clés du succès c'est de savoir s'entourer de gens qui sont tous meilleurs que vous."
Ce sera la "Team Disney".
Kaltzenberg d'abord, on estime à un millier le nombre d'individus avec qui ce dernier garde un contact téléphonique régulier. On le surnomme la voix de la raison et on admire la ténacité. Dés qu'il a quelqu'un sous le coude, il l'initie aux secrets de la profession.
Pour lui, tout est affaire de relations. Il vous appelle quand il a besoin de vous. Il vous appelle aussi si vous avez besoin de lui. de l'enthousiasme pur avec un sourire d'enfant dont il ne se départit pas. Mais il arrive toujours à ses fins. "Il est capable de vous appeler 15 fois dans la journée.
Et si vous ne répondez pas à son appel, il ira sans doute jusqu'à forcer votre porte. Il se débrouillera pour savoir dans quel restaurant vous déjeunez et fera en sorte que l'on vous y offre une bouteille de vin accompagnée de sa carte. Il sait s'y prendre pour diligenter les choses."
Gary Wilson ensuite, un génie de la finance, un négociateur imperturbable, tranquille et cérébral. Ce personnage distant détonne avec l'enthousiasme enfantin d'un Eisner.
On dit de lui que c'est "le nec plus ultra du rationalisme. Il fonctionne comme un rayon laser." Complément idéal d'Eisner et de Weils : Eisner le visionnaire - créatif, chaleureux, dynamique, optimiste; Weils le gestionnaire_ chargé de veiller au budget et à l'immobilier de l'entreprise, tenant les rênes; et enfin un homme de la trempe de Wilson _ dur, cassant, cynique et hautain qui apporte une grande rigueur.
Comme Kaltzenberg, il veut tout savoir et parvient d'ailleurs généralement à ses fins. Il prévoit les choses longtemps à l'avance. Un de ses interlocuteurs en affaire dit de lui : "C'est l'un des négociateurs les plus coriaces qu'il m'ait été donné de rencontrer. Il ne vous laisse aucun répit."
Il est capable d'amener son interlocuteur à accepter des choses que personne n'oserait demander. Sa force : disposer des bonnes informations. Résultat des courses, grâce au management rigoureux d'Eisner, à l'ambition de l'équipe qu'il met en place et au potentiel de Disney, cette stratégie va commencer à porter ses fruits et relancer le groupe.
Disney, une souris et des hommes... créatifs !