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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 13:29

philby.jpg"Une photo, là, sous vos yeux.

 

 Beau temps, ce 7 juin 1951. Rien de plus exquis que le printemps anglais.

Ce matin-là, les trains de banlieue déversèrent leur flot habituel de banlieusards venus pour quelques heures gagner leur vie dans la cité. Aux portes des gares attendaient les habituels marchands de journaux.

Mamie qui acheta le Daily Express découvrit un titre barrant toute la première page : deux diplomates britanniques avaient disparu. Information débouchant tout droit d’un roman d’aventures.

L’article révélait que que deux fonctionnaires du gouvernement britannique avaient quitté Londres avec l’intention de se rendre à Moscou. 

Le même jour, à 5 heures de l’après-midi, le Foreign office publiait un communiqué qui confirmait la nouvelle. Pour la première fois, on livrait les noms des deux fonctionnaires : l’un s’appelait MacLean et l’autre Burgess.

 C’est ainsi que ma Mamie apprit qu’il existait une affaire Burgess-MacLean. Souvenons-nous.

 Tous les journaux évoquèrent la carrière de ces deux fonctionnaires britanniques. On publia leurs photographies. Chaque jour, on en apprenait davantage sur Burgess et MacLean. l’inquiétude se mua en scandale lorsqu’on apprit que Burgess avait été membre des Services secrets britanniques ! Étaient-ils si "secrets", ces services dans le sein desquels pouvaient se glisser des agents soviétiques ?

 Au cours de ce mois de juin 1951, les responsables britanniques crurent avoir bu la coupe de l’amertume jusqu’à la lie.

 Or l’affaire Burgess-MacLean n’était rien - presque rien - comparée à celle qui éclaterait plus tard. Pour que la vérité se fit jour, il fallut des années. exactement douze ans. Le 23 janvier 1963, un autre membre des services secrets britanniques, Kim Philby, quittait secrètement Beyrouth et, par un itinéraire soigneusement jalonné, gagnait lui aussi Moscou. Ainsi donc, douze ans après, Philby rejoignait Burgess et MacLean. Quel coup de théâtre quand on apprit que Philby avait été chef de section de contre-espionnage soviétique de l’Intelligence Service !

 Le comble est que ce maître espion anglais était en fait un agent des services spéciaux soviétiques. Et ce, depuis 1932. Comment avait-on pu en arriver là ?

 Comment les Services secrets britanniques avaient-ils pu être dirigés pendant des années par des agents soviétiques ? C’est toute la question. 

 Une question à laquelle ma Mamie n'a pas voulu répondre. Elle m'a juste dit que l'agent soviétique Guy Burgess avait réussi a être dans la place grâce à son poste à la TSF. C'était l'âge d'or de la TSF.

 Pour passer devant les micros, les hommes politiques feraient n'importe quoi, comme il en est aujourd'hui pour la télévision. Au milieu de ces solliciteurs, Burgess se conduit comme un potentat. Avec cela, il continue à boire outrageusement. En 1937, très ivre, il dit à un ami :

- Je suis un agent du Komintern.

 L'ami ne fait qu'en rire. Et c'est vrai !

 En fait, les excentricités de Burgess le servent. Si Philby avait fait la même déclaration, on l'aurait cru. Burgess, lui, ne suscite que l'hilarité.

 Et MacLean ? Il a réussi le concours du Foreign Office, où il est rentré en 1935. Lui non plus ne parle plus jamais de marxisme.

 MacLean ? Un jeune fonctionnaire convenable, respectable, bien sous tous les rapports. Un seul problème : ses échecs auprès des femmes. On sourit toujours de ses hanches féminines.

 En 1938, il est nommé à l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris. Indéniable, la réussite. La politique ? Il n'en parle jamais. Il est un habitué des "deux-magots" et du Flore". Dans ce milieu très libre, très gai, il rencontre une jeune Américaine, Melinda Marling.

 Étudiante, elle faits es études à Paris. Pour la première fois, voilà Donald MacLean amoureux. Très amoureux, même. On est à la veille de la guerre de 1939.

 Philby quant à lui a été chargé en Espagne de recueillir des renseignements capitaux sur tous les aspects de l'effort de guerre fasciste. Il a  été convenu qu'il transmettrait cette masse d'information de la main à la main jusqu'à des contacts soviétiques.

 Tout cela n'est pas sans danger. Un jour qu'il porte sur lui des papiers importants destinés aux Soviétiques. Il est arrêté à Condoue par la milice franquiste. Il parvient à avaler les papiers. Ainsi sera-t-il sauvé du peloton d'exécution.

 Après la guerre civile espagnole, c'est la guerre mondiale.

 Combien, au long des siècles, découvre-t-on d'individus dont le destin a été modifié par les guerres ! Pour Philby, Burgess et MacLean, c'est maintenant que le destin va tourner.

Définitivement.

 D'abord MacLean. En pleine débâcle française, il a épousé Melinda. Leur nuit de noces s'est déroulée sous les bombardements, dans un champ. Ils ont regagné l'Angleterre où il travaille d'arrache-pied. Il s'est mis à boire.

La situation de Burgess s'est considérablement renforcée. Philby est correspondant du Times à Arras pendant la drôle de guerre. Il s'ennuie ferme. Il n'a rien à raconter à ses lecteurs. Il ne rentrera en Angleterre qu'après la débâcle de juin.

 Que va-t-il faire ? Ici entre en scène Burgess qui le fait entrer à son tour dans les services secrets, lui qui avait recruté Burgess pour les services soviétiques. La dette est payée.

 

 Il existe entre Philby, Burgess et MacLean un étrange point commun : tous les trois, ils se révèlent d'énormes buveurs. Mais Philby a de la chance : l' alcool lui ferme la bouche.

 Un bon point pour lui vu que dans sa vie, se mêlent à chaque instant des activités doubles : celles dont il peut parler, celles qu'il lui faut absolument cacher. Il va lors manigancer pour prendre la tête du contre espionnage britannique.

 A la fin de la guerre, les services soviétiques disposent de trois informateurs de premier plan : Burgess, intime de la plupart des hommes politiques anglais ; MacLean, qui connaît tous les secrets du Foreigh Office ; Philby enfin, chef de la principale section du Secret Intelligence Service.

 Et puis pour Philby le destin tourne encore.

 Il sera envoyé à Washington où il sera chargé de la liaison avec le directeur de la CIA. La CIA, c'est la plaque tournante où l'on veille sur tous les secrets les plus jalousement gardés aux Etats-Unis. On imagine la fièvre de joie qui a dû saisir Philby quand il a appris sa nouvelle nomination.

 A ce poste, que des renseignements capitaux il allait pouvoir récolter à l'intention de ses maîtres soviétiques.

 En 49, on est en pleine guerre froide. On vient d'apprendre que Staline possède à son tour la bombe atomique. Une véritable panique déferle sur les Etats-Unis, une hystérie anticommuniste s'est levée qui aboutira à la trop célèbre "chasse aux sorcières" où le sénateur McCarthy allait tristement s'illustrer. Les journaux calculent l'effet que produirait une bombe atomique éclatant dans le port de New-York.

 Cette peur découle d'un postulat : on est persuadé aux USA que l'URSS n'a pu construire sa bombe atomique que grâce aux renseignements donnés par des traîtres américains.

C'est précisément le moment où Philby est introduit dans la gueule du loup.

 La CIA mène la lutte anticommuniste, Philby va se retrouver aux premières loges pour en connaître tous les épisodes, même les plus secrets. Un ancien agent de la CIA a déclaré :

- Philby pouvait apprendre tout ce qu'il voulait découvrir.

 La suite ? Le scandale. Immense, le scandale.

 

 On vient de démasquer Fuchs, on va interroger longuement Philby. Mais on arrive pas à le prendre en défaut. Il répond victorieusement à d'innombrables questions.

 Il suffit qu'un agent secret soit soupçonné pour qu'il soit "brûlé".

Maintenant, Philby n'est plus rien.

Il ne doit plus songer qu'à gagner sa vie. Il sera représentant en pâte dentifrice. Cette partie de sa vie reste mystérieuse. Il va ensuite devenir correspondant de presse à Beyrouth où il arrive en septembre 1956. Son épouse, Aileen, est morte. Il épouse Eleanor, qu'il enlève à un confrère américain qu'il avait connu durant la guerre d'Espagne. A Beyrouth, Philby boit toujours davantage. L'effondrement est spectaculaire.

 En 1961, la police britannique est convaincu qu'il a travaillé pour les Soviétiques mais Philby ne flanche pas lors des interrogatoires. A la fin de 1962, un nouvel officier est dépêché qui lui redit la certitude de Londres qu'il est un espion

 Cette-fois, Philby va craquer.


 Quelques semaines plus tard, il apparaît à Moscou.

 Melinda avait retrouvé MacLean en URSS en 53. Burgess était mort en 63 sans avoir revu Philby. MacLean, lui, avait appris le russe et travaillait au ministère des affaires étrangères.

 De l'aveu des gens qui l'ont rencontré, son alcoolisme avait encore fait des progrès. Il était dans un "état épouvantable". Quant à Philby, Eleanor devait aller le rejoindre avec deux de ses enfants, les plus jeunes. Ce rapprochement ne durera guère. Eleanor ne supporte pas la vie soviétique. Elle quitte son mari en 65. Et cette même année, la femme de MacLean, Melinda, vient vivre avec Philby. Il finira par l'épouser.

 A MacLean, qui avait tout perdu, il ne restait que la solitude.


 Voilà tout ce qui reste de l'affaire Burgess-MacLean, de l'affaire Philby, dont on a dit qu'il était l'espion du siècle. Pour se défendre, ils diront qu'ils n'ont pas touché d'argent.

 Ce qui est vrai. N'importe. Danton criait que l'on n'emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers. Philby et MacLean ont-ils oublié entièrement leur patrie ? On peut penser qu'au milieu de leur apparent confort moral, il leur sera impossible de se sentir entièrement à l'aise avec eux-mêmes.

 Jamais.

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Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 13:06

kkk.jpg"Une photo, là, sous vos yeux.

 

 Dans l’Etat de Tennessee, aux Etats-Unis, le village de Pulaski n’est qu’un modeste chef-lieu de canton. Pourquoi ce nom polonais ? Parce que le comte Pulaski accourut un jour mettre son épée au service de Washington et trouva la mort pendant la guerre d’Indépendance.

 Il semblait que le village de Pulaski fut voué définitivement à l’obscurité. Erreur. Car, le 24 décembre 1865, c’est là que six jeunes gens, tous anciens combattants de l’armée du Sud pendant la guerre de Sécession, se réunirent pour fonder le Ku-Klux-Klan.


 Le Ku-Klux-Klan ! Le nom seul parle à l’imagination de ma Mamie.

D’avoir ainsi baptisé ce groupe appelé à faire tant de bruit - et de mal - dans le monde, voilà qui a fait plus pour son renom que tous ses crimes et exactions. Au fait, que voulait dire ce singulier vocable, Ku-Klux-Klan ?

 Certains ont affirmé que le terme voulait évoquer seulement le claquement d’une culasse de fusil. D’autres se disent persuadés qu’il s’agit d’une déformation du mot lux, lumière.

 Un autre jure que l’on a voulu rappeler le souvenir d’un chef fantôme, Clocletz, dont le seul nom faisait mourir les Noirs de peur. Il faut chercher ailleurs.

 Sur le mur d’une maison toujours existante de Pulaski, on peut lire ces mots gravés sur une plaque : "Le Ku-Klux-Klan a été organisé ici, dans le bureau du juge Thomas M. Jones, le 24 décembre 1865.

 Nom des premiers organisateurs : Calvin E. Jones, Franck O. Mac Cord, Richard R. Reed, John B. Kennedy, John C. Lester, James R. Crowe."


 Donc, six fondateurs. Six jeunes gens qui, après avoir vécu intensément les quatre années de guerre, s’ennuyaient à Pulaski.

L’ennui, tout vient de là.

Les six amis avaient décidé de se réunir et de fonder leur club.

 Ils ne se cherchaient pas de but. Il serait bien temps de les trouver plus tard. Pour le moment, il s’agissait simplement de s’occuper et de trouver un nom à l’organisation.

 C’est John Kennedy, lequel avait étudié le grec, qui se souvint du mot kuklos et de changer les lettres os en ux. Cela faisait Ku-Klux. John Lester intervint à son tour. Il rappela que les six membres étaient d’ascendance écossaise. Ils avaient tous lu Walter Scott et se souvenaient des clans célèbres en écosse.

Pourquoi, à la fin du nom, ne pas ajouter clan ?

 Mais, puisqu’il y avait déjà deux k dans le nom retenu, John Lester proposa que l’on écrivît Klan. Le Ku-Klux-Klan était né.

 

La suite prochainement.

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Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 12:39

troie3.jpg"Un dessin, là, sous vos yeux.

 

 Les pioches s’abattent, les pelles soulèvent la terre à la volée. Là, sur la colline éventrée, une nuée d’ouvriers peine sous le soleil. Car il fait chaud, très chaud, ce 15 juin 1873, à Hissarlitk. Ces ouvriers-là sont au service d’un Allemand devenu citoyen américain, Heinrich Schliemann.

 Le voici, M. Schliemann. La cinquantaine, mince, sévère, les cheveux très noirs encore, une moustache drue qui s’abaisse des deux côtés de la bouche. A grand pas, il parcourt le chantier. Il est partout, surveille tout, domine tout. Un chantier ? Mieux, une passion.

 Car M. Schliemann ne poursuit qu’un seul but : prouver qu’à Hissarlik s’élevait jadis la ville de Troie. Celle d’Homère

L’incarnation de l’un des plus beaux rêves dont se soient bercés les hommes.

 

 L’heure a sonné de la pause des ouvriers. Ils s’égaillent, s’en vont chercher l’ombre et le repos.

Une femme a rejoint M. Schliemann, la sienne.

Elle est jeune - vingt ans -, brune, élancée, avec un visage où se lit, ressuscitée, la beauté grecque des âges classiques.

 Maintenant, Heinrich et Sophia sont seuls devant un mur énorme. Il y a quelque temps que ce mur a été dégagé. Dès que Schliemann l’a vu, il n’a pas douté. Ce mur cyclopéen ne peut avoir appartenu qu’au palais d’un roi. Puisque nous sommes à Troie, peut-on songer à un autre roi que Priam ?

 De l’hypothèse, Schliemann est aussitôt passé à une certitude. Son enthousiasme s’est donné libre cours. Son imagination l’a - une fois de plus - entraîné très loin, vers ces temps homériques où Priam régnait sur Troie, la fabuleuse.

  Schliemann a saisi une pelle. Il creuse. Soudain, la pelle heurte du métal. Il déblaie la poussière, les gravats. Il croît reconnaître de l’or. Il appelle sa femme :

 - Sophia !

Elle a compris au son de sa voix, qu’un évènement important vient de se produire. Vite, elle s’est approchée. Il montre ce qui luit. En silence, Sophia se met à aider son mari à déblayer. Déjà, on peut reconnaître le couvercle d’un coffre. Les Schliemann le soulèvent. Et l’or, cette fois apparaît. Une grande quantité de bijoux et d’objets d’une beauté écrasante dans sa barbarie. Pour Schliemann, une fois de plus, aucun doute 

 - Le trésor de Priam !

 Heinrich Schliemann vient d’écrire la dernière page de l’une des aventures les plus prodigieuses qui soient. Il vient de donner des contours palpables à son rêve d’enfant.

 

 Mamie est formelle quand elle affirme que l’enfance aime l'inaccessible. C’est pour cela que les songes d’enfants ne se refusent rien.

 Et puis la vie coule, les années passent.

Nous oublions notre rêve.

Ou bien, si nous y pensons, c’est avec cette sorte de nostalgie souriante dont se teintent les regrets.

Nous sommes devenus adultes, voilà tout.

Rarissimes sont les exceptions. Mais il y en a. Celle de Schliemann par exemple.

 Son histoire fait penser à Jules Verne. Il y a dans les livres de Jules Verne, de ces histoires où, contre vent et marée, des héros téméraires vont jusqu’au bout de leurs ambitions. Ils se rendent autour de la lune, ils voyagent jusqu’au centre de la terre, ils survolent l'inaccessible Afrique en ballon, ils font le tour du monde en quatre-vingt jours

 L’histoire vraie d’Heinrich Schliemann fait penser à ces destins imaginaires.

 Il est né en 1822 au village de Neubukow en Allemagne, où son père était pasteur.

 En 1829, Heinrich reçut pour cadeau de Noël une Histoire universelle dont l’auteur était Ludwig Jerrer. Il l’ouvrit sur le champ et tomba en arrêt devant une gravure représentant l’incendie de la ville de Troie. La réaction fut immédiate :

 - Père, Jerrer a vu Troie ; autrement il ne pourrait pas la représenter ici !

 - Mon fils, répliqua le pasteur, ce n’est qu’une image de fantaisie.

Alors, Heinrich s’écria :

 - Père, si de tels murs ont jamais existé, il est impossible qu’ils aient été complètement détruits ; ils ont du laisser de grandes ruines et elles doivent subsister encore ; mais elles sont recouvertes par la poussière des siècles.

Le père, naturellement, maintint son opinion. L’enfant défendit mordicus la sienne. En fin de compte, il s’écria qu’un jour il irait à troie et qu’il en retrouverait les restes.

 A sept ans, le rêve d’Heinrich Schliemann venait de prendre son essor.

 

 Quand il parlait de Troie à ses petits camarades, ils se moquaient de lui. Seules deux petites filles l’écoutaient avec intérêt. Elles s’appelaient Louise et Minna. Celle qui écoutait le mieux était Minna, qui avait exactement l’âge d’Heinrich. Bientôt ils devinrent inséparables. Ils jurèrent qu’ils s’aimeraient toujours. Sûrement ils se marieraient un jour.

 Le pasteur savait le latin. Il l’apprit à son fils. Le petit avait neuf ans lorsque sa mère mourut. Ce fut la fin de son enfance heureuse.

 La suite ? Son père fut discrédité pour avoir pris sa servante pour maîtresse. Le résultat : la misère. 


 Heinrich entra comme commis dans une épicerie de la petite ville de Furstenberg. Pendant cinq ans et demi, il allait vendre des harengs, de l’eau-de-vie, du lard, du sel. Il allait broyer des pommes de terre dont l’épicier faisait un alcool très prisé. Il allait balayé la boutique.

 La clientèle ? De pauvres gens.

Les études pour Heinrich ? A peine un souvenir.

Même il oubliait ce qu’il avait appris. Ou tout au moins il croyait l’avoir oublié. Un jour, un étudiant, chassé de l’école pour mauvaise conduite entra dans la boutique.

Il était éméché.

 Mû par on ne sait quelle pulsion, il se mit à réciter en grec une centaine de vers d’Homère. Heinrich, bouche bée, écoutait cela. Il ne comprenait pas un mot, mais la langue et le rythme l’enchantaient. Il offrit un petit verre d’eau-de-vie à l’étudiant et demanda une nouvelle édition. Le garçon dut même réciter les vers une troisième fois, mais il y gagna trois verres d’eau-de-vie en tout.

 Maintenant Heinrich Schliemann rêvait d’apprendre le grec.

 Alors qu’il vendait du hareng ou de l’huile, quelle pratique aurait pu croire que le petit apprenti épuisé pensait à la ville de Troie et aux poèmes d’Homère ? Qui aurait imaginé que le petit garçon épicier pensait à Agamemnon, à son frère Ménéla, à Ulysse, à Achille enfin, le plus vaillant ?

 Etait-elle vraie la ruse que raconte Homère, l’histoire du cheval de Troie, un cheval dont le ventre était bourré de guerriers ?

 Le petit Schliemann n’en savait rien. Mais ce qu’il savait bien, c’est que les murs cyclopéens, même si la ville avait été pillée et incendiée, n’avaient pas pu brûler.

 C’est le temps qui les avait fait disparaître. Il est bien vrai que la poussière du temps peut recouvrir des ruines. Elle ne peut pas les effacer.

 Cinq ans et demi, oui. Le travail qui dévore et annihile le jeune Schliemann. Il va sur ses vingt ans mais comment sortirait-il de la situation où il se trouve ?

Paradoxalement, ce qui le sauve, c’est un accident.

 Un jour qu’il veut soulever une barrique trop lourde, il sent que quelque chose se déchire sur sa poitrine. A partir de ce moment-là, il va cracher le sang.

 En fait il présentera tous les symptômes de la tuberculose. Sa faiblesse le rend impropre au travail qu’on lui demande. Il doit quitter la boutique. Il réussit ensuite à se placer de nouveau dans un magasin d’épicerie. Il est devenu si faible qu’il ne peut presque plus rien faire.

 On le renvoie. 

 Même sort dans un second magasin.

Il touche le fond du désespoir. Il a toujours été pauvre, il est devenu misérable.

 Le 28 novembre 1841, il quitte Hambourg et embarque comme mousse sur le Dorothea, un brick en partance pour l’Amérique du Sud. Là, un vent contraire va forcer le bateau à courir des bordées devant l’île d’Héligoland.

 Dans la nuit du 11 au 12 décembre, un ouragan se lève. Le bateau est jeté sur le banc non loin de l'île de Texel. Une voie d’eau se déclare. C’est le naufrage.

 Les neufs hommes de l’équipage - y compris Schliemann - se réfugient dans le canot de sauvetage. Une mer en furie. Un infini péril, la peur. Après neuf heures de navigation tumultueuse, l’embarcation est jetée sur un banc de sable près de la plage de Texel. Imaginons Schliemann sur cette plage.

 Epuisé, titubant, trempé. Dans cette infortune absolue, voici que surgit pourtant une chance : il récupère sur le sable la petite caisse qui porte ses affaires ainsi que les lettres de recommandation que le courtier en navire lui a procurées avant le départ. Du coup, ses camarades le baptisent Jonas. 

 Que faire ?


L’homme qui va le sauver, c’est toujours le courtier en navires, M. Wendt, un ancien ami de sa mère. Heinrich lui a écrit pour lui raconter ses malheurs. Wendt est à table avec des amis quand il reçoit la lettre.

 Le récit du naufrage soulève la compassion. On fait une collecte. Elle rapporte 480 francs qui sont aussitôt envoyés à Schilmann. Mieux encore : Wendt le recommande au consul général de Prusse à Amsterdam, qui le fait entrer comme garçon de bureau chez un certain M. Quien.

 Il est tiré d’affaire.

 Son travail ? Timbrer des lettres de change, aller les toucher en ville, mettre des lettres à la poste, en rapporter d’autres. Ce travail lui plaît : il lui laisse l’esprit libre pour apprendre.

 Apprendre, voilà le mot clé de la vie d’Heinrich Schliemann.

Dans son épicerie, il a été frustré de toute étude. Il veut se rattraper.

 

 Il s’agit d’abord de savoir écrire lisiblement. Il prend vingt leçons d’un professeur de calligraphie. Succès.

Ensuite, il décide d’apprendre les langues étrangères. Tout cela coûte cher.

Tant pis. Va pour un une misérable mansarde et des dîners qui ne coûtent jamais plus de quatre sous.

"Mais rien ne me stimule plus à l’étude, écrira-t-il, que la misère et la perspective de m’en sortir à force de travail." Et aussi, il y a Minna. Il pense toujours à Minna. Il l’aime toujours. Il doit être digne d’elle.

 Donc - c’est la logique d’Heinrich -, il faut bien savoir l’anglais.

 Chaque jour, il prend une leçon. Mais surtout, il passe des heures et des heures de répétition solitaire. En faisant ses courses, il tient un cahier à la main qu’il consulte sans cesse.

 Quand il fait la queue à la poste, il lit des livres anglais. Sa mémoire devient colossale. Au bout de trois mois, il est capable de réciter vingt pages imprimées d’anglais après les avoir lues seulement trois fois. Il ne dort que quelques heures, jugeant que les répétitions de nuit sont plus utiles que celles du jour, la mémoire - affirme-t-il - étant plus puissante la nuit.

 Au bout de six mois, il sait l’anglais couramment.

 Il entre alors comme correspondancier et teneur de livres dans un bureau, d’abord aux appointements de 1200 francs. Comme il donne toute satisfaction - voilà qui n’étonne pas ma Mamie -, son salaire passe à 2000 francs.

Alors, il apprend le russe.

 Il n’y a pas de professeur dans le coin, tout ce dont dispose Schliemann, c’est d’une grammaire, d’un dictionnaire et d’une traduction de Télémaque. Il reconstitue la langue tout seul. Comme il préfère parler à quelqu’un, il loue chaque soir les services d’un pauvre juif qui vient l’écouter parler russe, alors que lui, le juif, ne sait pas un mot de russe. 

 Quand des russes arrivent à Amsterdam pour traiter avec leurs collègues, Schliemann est sur le coup.

Miracle ! son accent est excellent.

Pour ses employeurs Hollandais, il devient une manière de providence. On lui donnera la responsabilité de toutes les tractations avec la Russie.

 Il est donc logique que lorsque sa firme a besoin d’envoyer quelqu’un en Russie, elle choisisse  Schliemann.

En janvier 1846, le voici à Saint-Pétersbourg. Il règle en un tournemain tous les problèmes et réussit toutes les affaires qu’il entreprend.

Ses employeurs gagnent grâce à lui énormément d’argent.

 Quelques mois plus tard, Schliemann franchit le Rubicon : il quitte la maison qui l’employait jusque-là et fonde sa propre firme.

 Il n’a que vingt-quatre ans.

Déjà, il est plus qu’à son aise. Sa première impulsion : demander la main de Minna. Il n’a pas de nouvelles depuis bien longtemps. Il n’a pas cessé de l’aimer. Une lettre lui parvient en réponse de la sienne : Minna est mariée, depuis trois mois à peine.

 Il croit en mourir, tombe malade, doit garder le lit. Enfin, peu à peu, il entre en convalescence. Il écrira : "Le temps, qui guérit toute blessure, guérit enfin la mienne et, malgré mes regrets, je continuai mes affaires commerciales sans interruption nouvelle."

 Elles prospèrent ses affaires. De plus belle. Deux ans plus tard, sa fortune atteint 200 000 francs.

 La suite ? Il se marie avec Ekaterina Lyschine, une Russe d’une grande beauté. Il aura d’elle trois enfants, mais le ménage sera un enfer. Ils n’ont aucun point commun.

 Elle est frigide et se désintéresse totalement de la ville de Troie. Il n’a qu’un regret : ses affaires prennent tout son temps et il a du interrompre ses études de langues.

 Il écrira plaintivement : "Ce ne fut qu’en 1854 que je pus apprendre le suédois et le polonais."


 Pendant la guerre de Crimée, il se lance dans le commerce d’armes.

Il double sa fortune en moins d’un an. En 1856, celle-ci commence à être considérable.

Il décide de souffler un peu. 


 Jusque-là, il avait toujours remis à plus tard l’étude du grec. Le moment est venu.

Il apprend en six semaines le grec moderne. Et puis, en trois mois, le grec ancien. Enfin il peut lire Homère dans le texte. Enfin il peut lire en grec la belle histoire de Troie, les combats d’Achille et d’Hector, l’enlèvement de la belle Hélène, la rivalité d’Agamemnon et de Priam. Le siège de Troie.

 En 1958 , il s’aperçoit tout à coup que les bribes de latin que lui a enseignées son père, il ne s’en souvient plus.

Oubli stupéfiant. Le latin lui semble très facile, il l’apprend en six semaines.

 Pendant ce temps-là, sa fortune ne cesse de s’accroître. Il est devenu fabuleusement riche. Un milliardaire. Alors, il écrit : "En 1958, me trouvant assez riche, je me retirai des affaires."

 Il a trente-six ans.


 Il décide de voyager, parcourt la Suède, le Danemark, l’Allemagne, L’Italie, l’Egypte. Il remonte le Nil jusqu’à la Nubie. Et s’apercevant qu’il ne sait pas l’arabe, il l’apprend en six semaines. Il le parlera si bien qu’il osera se rendre à La Mecque, déguisé en pèlerin musulman.

 On sait que tout non-musulman qui pénètre en fraude à la Mecque risque la mort. A aucun moment, les Arabes qui entourent Schliemann n’éprouvent de doute sur son origine. Il faut dire qu’il a pris la précaution, avant ce pèlerinage, de se faire circoncire.

  En fait, il tourne toujours autour de son rêve.

Ce rêve qui ne le quitte jamais.

 L’été de 1859, le voici à Athènes. Une véritable fièvre l’habite. Il sent qu’il touche au but. Il va s’embarquer pour Ithaque. Les héros de toute sa vie, il va se confronter avec eux.


 Erreur. Sa fortune est placée dans des maisons de commerce, surtout en Russie. La nouvelle lui parvient que l’un de ses débiteurs principaux vient de faire faillite. Va-t-il tout perdre ?

 Il vole en Russie, rétablit ses affaires en un clin d’oeil. En cinq mois, il emporte pour plus de douze millions de marchandises et se lance dans les cotons. Aux Etats-Unis, c’est la guerre de Sécession, le coton est rare.

 Schliemann gagne une nouvelle fortune.Par amusement, il entreprend le commerce du thé.Une bagatelle qui, en quelques jours, lui rapporte vingt millions. "Le ciel, écrit-il,  avait béni mes opérations commerciales. Cependant, je n’avais pas oublié Troie et la résolution que j’avais prise en 1830, devant mon père et Minna, d’en découvrir des restes. J’aimais l’argent, assurément, mais seulement comme le moyen de réaliser cette grande idée de ma vie."

 Il quitte les affaires et voyage encore et lors de son dernier passage aux Etats-Unis, il avait réussi un nouvel exploit : il avait divorcé à Indianapolis.

 Adieu, l’insupportable épouse !


 C’est donc en célibataire qu’il s’installe à Paris. Mais en célibataire qui ne songe qu’à se remarier. Il sait déjà de quelle nationalité sera sa nouvelle épouse : elle sera grecque.

 Pour un homme qui a décidé de consacrer le reste de sa vie à retrouver Troie, une Grecque s’impose. De plus, il faut que cette Grecque ressemble à Hélène de Troie. Telle qu’il se l’imagine bien sûr. Il a écrit à un de ses amis athéniens et lui a demandé d’établir une liste de jeunes filles pouvant faire l’affaire.

 Il faut qu’elles soient de pure ascendance grecque, et aussi belles que simples. Il demande des photos. Les photos arrivent. Schliemann examine chaque portrait et chaque description avec le soin méticuleux qu’il met à toute chose. Il en revient toujours à Sophia Engastromenos. Indéniable, sa beauté.

 Emouvante, la noblesse de son allure. Charmante, sa jeunesse : elle n’a que dix-sept ans, il ne semble pas avoir trouvé que la différence d’âge pouvait représenter un obstacle. Schliemann écrit : «J’irai à Athènes et épouserai Sophia.

 Septembre 1869. Schliemann arrive à Athènes. Sur-le-champ, il se rend au pensionnat où étudie Sophia. Au milieu des élèves, il la découvre. Il n’hésite pas : c’est elle, c’est Hélène.

Les choses sont menées tambour battant.

Emerveillé par tant d’argent, les parents intiment l’ordre à la jeune fille d’épouser le milliardaire. Docile, elle consent. Le mieux est que ce mariage de raison deviendra un mariage d’amour. Ils seront heureux et auront deux enfants : Agamemnon et Andromaque.

Il reste à Schliemann à découvrir Troie. Il l’a découvrira en se fiant à Homère.

 Un jour, tout concorde, la description d’Homère et le lieu qu’il a découvert. Il ne reste plus qu’à engager les ouvriers, qu’à ouvrir la colline. Assurément, c’est là, sous la terre, que se trouve la ville fabuleuse.

 De 1870 à 1873, Schliemann va fouiller le site de Troie.

Presque toujours, Sophia sera à ses côtés.

 On dirait que son mari lui a insufflé sa passion. Rien n’arrête Schliemann : ni la fièvre provoquée par les moustiques, ni le manque d’eau potable, ni le peu de zèle des ouvriers. Ni surtout le dédain et parfois les moqueries des savants de tous les pays.

 Naturellement, Schliemann a appris le turc. Il mène ses ouvriers - une centaine -avec une énergie remarquable. Homère avait dit que des murs entouraient le temple. On creuse et on trouve les murs.

 Et plus l’on creuse, plus on trouve de murailles. On voit bientôt apparaître des rues, des façades, des maisons. Comment ne pas comprendre l’émotion bouleversée d’Heinrich Schliemann ?

 Et puis, à mesure que l’on creuse davantage, on trouve toutes les traces de la vie, les ustensiles de l’existence quotidienne, les vases, les récipients. Et puis des bijoux. Et puis des armes.

 Les journalistes accourent.

On est témoin du prodige.

La presse du monde entier évoque le miracle de la résurrection de Troie.

 Schliemann a charrié avec ses ouvriers 250 000 m3 de terre. Il s’est battu. Il a gagné. Il décide d’arrêter les fouilles le 15 juin 1873.

 La veille, ill vient encore une fois inspecter le terrain. Il fait très chaud, le soleil brille. Sa femme et lui descendent encore une fois devant le mur de ce que Schliemann jurait être le palais de Priam. Et c’est la découverte.

 Le trésor, le châle qui s’emplit de merveilles.

 Schliemann demandera à Sophia de porter les bijoux dont il jurait qu’ils étaient ceux de la belle Hélène.

 Le trésor de Priam, Schliemann allait l’évacuer clandestinement de Turquie, le transporter à Athènes. L’évènement fit un bruit énorme. Le nom de Schliemann devint illustre dans le monde entier. Pourtant, il s’était trompé. On prouva plus tard que le trésor qu’avait découvert Schliemann était celui d’un roi qui avait vécu mille ans avant Priam.

Qu’importe ! Il avait retrouvé Troie.

 Dans la foulée, Schliemann se met en quête de trouver les tombes d’Agamemnon et de ses amis assassinés dans des circonstances cruelles.

 Il creuse et il trouve neuf tombes, contenant en tout quinze squelettes.

Il téléphone au roi de Grèce : "C’est une très grande joie pour moi que d’annoncer à Votre Majesté que j’ai découvert les tombes que la tradition désigne comme celles d’Agamemnon, de Cassandre, d’Eurymédon et de leurs compagnons tués au cours d’un banquet par Clytemnestre et son amant, Egisthe."

 Surchargés d’or et de joyaux, les corps. C’est là que Schliemann trouvera les armes les plus précieuses. "C’est un monde entièrement nouveau, insoupçonné, que je fis pénétrer dans le domaine de l’archéologie", a écrit Schliemann. C’est vrai. Et encore : "Tous les musées du monde réunis ne possèdent pas la cinquième partie."

 C’est vrai encore.

 En 1890, après avoir pratiqué d’ultimes fouilles à Troie, il doit s’embarquer pour l’Italie. Le jour de Noël, à Naples, il tombe dans la rue inanimé. Personne ne veut le transporter à l'hôpital. Qui paiera le transport ?

 Or cet homme-là est milliardaire et il a découvert Troie. Il mourra le jour même, le jour de Noël. On lui fera des funérailles nationales.


 Un mot encore.

Pendant la guerre, les poteries de Schliemann avaient été envoyées dans la région de l’Oder. Et puis ce fut la débâcle de 45.

 Les caisses furent laissées à l’abandon. Mais le village où elles se trouvaient vivait depuis fort longtemps dans une tradition : quand quelqu’un se mariait, il fallait pour lui porter bonheur, briser la vaisselle devant sa porte la veille des noces. En 1945, dans un pays anéanti, la vaisselle était un bien précieux. Impossible de s’en procurer de nouvelle.

 Un jour, dans une grange, quelqu’un découvrit ces caisses de vieilles poteries sans valeur. Alors, désormais, chaque fois que quelqu’un se mariait, on allait chercher les poteries de Schliemann et on venait les casser avec des cris de joie devant la maison des futurs mariés. C’est ainsi que Troie exhumé par un Allemand s’est trouvée de nouveau intégrée dans la terre, et dans la terre d’Allemagne.

 Comme si le sort avait voulu que la réalité revint à son point de départ : le rêve d’un enfant.

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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 16:23

Depeche"1099 morts.

 

 Courrières, 6 h 45 du matin, le 10 mars 1906. Une formidable explosion vient de secouer la fosse n°3 dans laquelle sont descendus près de mille cinq cents mineurs. Nul ne sait ce qui s’est passé.

 

 Les premiers rescapés restent muets de terreur. Ils ont le visage noirci, les vêtements déchirés, les mains et le visage en sang. Certains s’enfuient à toutes jambes.

 Quand ils racontent, comme le fait Pierre Dasson, sorti indemne de la fournaise, c’est pour évoquer le vacarme assourdissant, l’air qui se raréfie, les vapeurs toxiques, les camarades qui tombent, les corps qui s’enchevêtrent.

  Des épouses, des mères, des femmes affolées qui crient, qui pleurent, qui s’évanouissent. Elles attendent un père, un mari, un fils, souvent les trois.

 Et parfois même toute leur famille comme Philomène Pétain ou Cordule Levan, qui perdent chacune dans la catastrophe leur mari et leurs quatre garçons. Mile quatre-vingt-dix morts au total.

"Le destin", disent les journaux de droite. "Une sommation de justice sociale", écrit-on à gauche. 


Pas de chance ? Comment qualifier autrement l’infortune de ces pauvres bougres auxquels la mort avait donné rendez-vous par 350 mètres de fond ? 

 Est-ce que l’accident était inscrit en filigrane dans l’agenda de leurs vies ?


Les absents n’ont pas toujours tort. Jean Heirle ne travaillait pas ce jour-là, il se portera sauveteur volontaire.

 

 Partout c’est le chaos.

L’orphelin Charlemagne Venant, seize ans, venait de trouver une famille d ‘adoption chez Lucien et Amandine Delvallez. Il va mourir asphyxié à la fosse 4 de Sallaumines.

Son père adoptif, parti le chercher, ne reviendra pas de l’enfer.

 Les cadavres sont dans un état qui défie toute description. La plupart sont nus ; les vêtements ont été brûlés ; les corps carbonisés. A l’un les doigts sont arrachés ; un autre à les yeux sortis des orbites ; un troisième est privé de tête. "On remonte aussi un cheval amputé des quatre pattes, et décapité", rapporte l’envoyé spécial du Matin


 Parfois, pourtant, l’espoir renaît.

Ici, ce sont des coups frappés contre la paroi et laissent envisagé des survivants. Là, c’est Pierre Simon qui parvient, au péril de sa vie, à sauver vingt-sept de ses camarades et qui dit :

- Ils sont morts, seuls les yeux vivent." Ailleurs, c’est un chef porion, Adolphe Grandamme, qui en retire dix-huit autres avant de repartir dans les galeries. On ne le reverra pas.

 Le bilan est épouvantable : mille quatre-vingt-dix-neuf morts.


 Toutes les communes sont touchées. Tous les mineurs sont en deuil. Pourtant, on veut croire encore au miracle. Pour éviter des scènes pénibles, les corps sont maintenant remontés la nuit, à l’insu des familles, identifiés par les uns, déclarés "inconnus" pour les autres.

 Devant l’urgence et le nombre des victimes, des cercueils arrivent de toute la France. Ils forment le 13 mars, lors des obsèques officielles, un interminable cordon mortuaire.

 Et la neige qui s’en mêle et la mine qui brûle toujours. Et des questions sur toutes les lèvres : et s’il restait encore des vivants ? Et si l’on avait abandonné trop tôt les recherches ? Mais le coeur n’y est plus.


 Et pourtant, le 30 mars, l’incroyable arrive. Vingt jours ont passé, les secours ont cessé, l’espoir est mort quand, à 7 h 30 du matin, treize hommes surgissent d’une galerie, hébétés et hirsutes, devant une équipe d’ouvriers occupés à réhabiliter les lieux.

Stupeur.

On les installe avec précaution. Dans les rues, on accourt de toutes parts, les familles déboulent.

Camille-Léonie Busquet, qui a déjà perdu deux fils dans la catastrophe, s’évanouit en voyant le troisième indemne. Sans un mot, comme figée, Nelly Pruvost étreint son mari et son fils, sauvés tous les deux.

 

On pleure, on rit, on dit des banalités.

 "J’ai surtout eu froid." "Je n’ai jamais perdu espoir." "Je n’ai pas pu fermer l’oeil." "Tiens, te voilà toi." d’un frère aîné à son frère cadet. Un mari à sa femme : "Ben qu’est-ce que tu fous toute habillée en deuil ?

 On est submergé par l’émotion.

 Le fond ? Un seul y retournera.

 

Albert Dubois, dix-sept ans, quittera le métier. Le destin, disiez-vous ? Il sera, en 1914, huit ans plus tard, un des premiers soldats français à tomber au champ d’honneur.

  L'horreur encore.


 

Collection "Mamie explore le temps"

Lee Harvey Oswald -  Stavisky - Sarajevo ou la fatalité - Jeanne d'Arc -  Seul pour tuer Hitler -  Leclerc - Sacco et Vanzetti - La nuit des longs couteaux - Jaurès - Landru - Adolf Eichmann - Nobile - Mr et Mme Blériot - Les Rosenberg - Mamie embarque sur le Potemkine -  L'horreur à Courrières - Lindbergh - Mamie au pays des Soviets - Jean Moulin face à son destin - Mamie est dos au mur - L'assassinat du chancelier Dolfuss - L'honneur de Mme Caillaux - Mamie au pays des pieds noirs - La Gestapo française - Auschwitz - Le discours d'un Général - Mamie à Cuba - Le discours d'un Maréchal - Mamie et les poilus  

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 10:51

journal"Retiens ta vie.


 Les premiers Konzentrationslager apparurent en Allemagne au lendemain de la prise du pouvoir par les nazis.

  Les première victimes furent des Allemands : opposants politiques, inadaptés sociaux et même malades mentaux. L'intention des nazis était d'isoler ces éléments "dangereux" ou "dégénérés" et, par la contrainte, de les "rééduquer".

 Avant la guerre, la propagande nazi ne cachait pas l'existence des camps et n'hésitait pas à les présenter comme des modèles.

 Force est d'ailleurs de reconnaître que les nazis n'ont pas inventé ce type de camps, dont le régime soviétique, dès les années 20, a peuplé la Sibérie.


 Les détenus étaient distingués selon leur origine par un triangle de couleur cousu sur la poitrine : rouge pour les prisonniers politiques, vert pour les droits communs, rose pour les "asociaux".

 Après le début de la guerre, des lettres précisaient la nationalité des détenus, et les résistants étaient souvent affublés de la sinistre mention NN (Nacht und Nebel, nuit et brouillard), qui les promettait au régime le plus dur.

  Mais c'est surtout la décision de l'extermination des Juifs qui transforma les camps en usines de la mort industrielle.

 Après avoir songé à déporter des millions de Juifs d'Europe de l'Est vers Madagascar et les avoir entassés dans de gigantesques ghettos, les nazis entreprirent de les exterminer. 

  On bâtit alors de grandes chambres à gaz (camouflées en douches pour ne pas provoquer de mouvements de panique parmi les condamnés) et d'énormes fours crématoires destinés à brûler les cadavres.

 En 1944, le camp d'Auschwitz envoyait à la mort plus de 5 000 personnes par jour. A l'arrivée des trains, les SS distinguaient les aptes au travail (qui étaient promis à la mort lente par épuisement), des inaptes, envoyés immédiatement à la chambre à gaz.


 Ma Mamie m'a dit que sur les murs, il y a encore les griffes des personnes qui ont été déclaré inaptes. 

 Elle m'a dit aussi que parmi celles et ceux qui étaient déclarés aptes, deux phrases étaient sur toutes les lèvres. La première était celle qu'on disait à quelqu'un qui n'allait pas bien : Retiens ta vie

 

 La deuxième était celle que disait la personne qui n'allait pas bien justement et qui savait qu'elle ne pourrait pas la retenir plus longtemps.

 Elle disait alors : N'oublies pas d'en parler.

 

 

Collection "Mamie explore le temps"

Lee Harvey Oswald -  Stavisky ou la corruption - Sarajevo ou la fatalité - Jeanne d'Arc -  Seul pour tuer Hitler -  Leclerc - Sacco et Vanzetti - La nuit des longs couteaux - Jaurès - Landru - Adolf Eichmann - Nobile - Mr et Mme Blériot - Les Rosenberg - Mamie embarque sur le Potemkine -  L'horreur à Courrières - Lindbergh - Mamie au pays des Soviets - Jean Moulin face à son destin - Mamie est dos au mur - L'assassinat du chancelier Dolfuss - L'honneur de Mme Caillaux - Mamie au pays des pieds noirs - La Gestapo française - Auschwitz  

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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 00:01

05nnss8k"Victor Hugo et Juliette Drouet.

 

 Juliette fait une toute petite intervention dans la pièce. Une phrase, pas plus. Pourtant, malgré l’exiguïté de son rôle, elle a été remarquée. Par la critique, par le public et par Hugo.

Il est sous le charme.

  Le lendemain soir, ce n’est pas vers la loge de l’actrice principale qu’il se dirige, mais vers celle de Juliette.

Sur ce qui s’est passé ensuite, ma Mamie ne sait rien. Elle est sûre en revanche qu’il y est revenu le soir suivant, et les autres soirs.

 Sûre que, maintenant, il vit dans l’attente de l’heure où il la retrouvera. Juliette ressent avec une ivresse mêlée d’étonnement cette étrange patience d’un homme amoureux : car elle ne doute pas un instant qu’il le soit.

Plus tard, il lui écrira : "Tu sais qu’il y a un mot infini, je te le dis aujourd’hui comme je te l’ai dit pour la première fois le 16 février 1833 : je t’aime."

On commence à y voir plus clair.

 

 Mais les actes ne suivent pas toujours les mots. Etonnement, déception de Juliette. Les hommes qu’elle a connus jusque-là se sont tous montrés beaucoup plus entreprenants !

 Cette timidité est-elle chez Victor l’effet de l’inexpérience ? La question est sur la table mais plus probablement elle représente son ultime hésitation devant l’inconnu.

 Juliette, femme experte, sent qu’il lui appartient de lever les derniers scrupules de Victor. Cette nuit-même, elle lui écrit une lettre qu’il recevra le lendemain chez lui et qui annonce la couleur : "Merci mon bien aimé Victor, de tout le bonheur que tu me donnes. Merci à ta croyance en l’avenir. Il y a déjà entre nos âmes une alliance sainte qui ne peut pas être rompue.  Demain nous sentirons nos deux âmes se toucher sur nos lèvres."

Direct. Très direct.

Or, trois jours vont s’écouler sans qu’il ne se passe rien ! Elle ne comprend pas, elle ne comprend plus.

Elle sait que Victor doit venir la chercher pour l’amener au bal elle passe à la vitesse supérieure :

"Viens me chercher, ce soir, je t’aimerai jusque-là pour prendre patience - et ce soir - oh ! ce soir, ce sera tout ! Je me donnerai à toi toute entière. J."

Difficile d’être plus clair.

 Il est venu. Ils sont là tous les deux, dans le salon. En fait, ni elle, ni lui n’ont envie d’aller à ce foutu bal. Qui a prononcé la phrase qui allait déterminer tout leur avenir : et si nous n’y allons pas ? Elle, sans doute. Elle l’a entraîné dans sa chambre :

"Ce soir, ce sera tout."

Ce fut tout.

 

Huit ans plus tard il lui écrira :

  "T’en souviens-tu ma bien aimée ? Notre première nuit, c’était une nuit de carnaval, la nuit du Mardi gras de 1833. Rien pas même la mort, j’en suis sûr, n’effacera en moi ce souvenir.

"Toutes les heures de cette nuit traversent ma pensée en ce moment, l’une après l’autre, comme des étoiles qui passeraient devant l’oeil de mon âme. N’oublie jamais, mon ange, cette heure mystérieuse qui a changé ta vie. Cette nuit-là, tu as laissé au-dehors, loin de toi, le tumulte, le bruit, les faux éblouissements, la foule, pour entrer dans le mystère, dans la solitude et dans l’amour."

  Emerveillement de la découverte d’un corps et d’une âme. Ivresse, exaltation. Hugo en rajoute une couche, on le lit religieusement :

 "Le 26 février 1802, je suis né à la vie, le 17 février 1833, je suis né au bonheur dans tes bras. La première date, ce n’est que la vie, la seconde c’est l’amour. Aimer, c’est plus que vivre".

 

 Une dernière pour la route : "Je n’oublierai jamais cette matinée où je sortis de chez toi, le coeur ébloui. Le jour naissait. Il pleuvait à verse. De grands cris inondaient le boulevard du temple. ils étaient ivres, et moi aussi, eux de vin, moi d’amour. A travers leurs hurlements, j’entendais un chant que j’avais dans le coeur. Je te voyais, toi, douce ombre rayonnante dans la nuit, tes yeux, ton front, ta beauté, et ton sourire aussi enivrant que tes baisers. O matinée glaciale et pluvieuse dans le ciel, radieuse et ardente dans mon âme !"

 

 De cette nuit, elle et lui sont sortis éblouis.

Dans les bras de la femme aimée, il a connu des plaisirs jusque-là ignorés. Il s’est étonné de ses propres dons restés - si longtemps - assoupis au creux du lit conjugal.

Cinquante années d’amour viennent de commencer. Cinquante années !

 

 L’homme qui, à l’aube regagne l’appartement endormi de la place Royale sait-il vraiment où il va ? Et elle qui, au fond d’un lit redevenu solitaire, garde dans le coeur et sur le corps la trace de tant de baisers brûlants ?

 En effet, comment douter qu’il y ait là de l’amour et du meilleur ? 

 Rien ne manque à cette liaison qui s’engage, pas même la jalousie.

Et celle-ci vient, non de Victor, mais de Juliette. Il lui a dit vouloir se rendre à un bal - encore un - sans elle. Elle n’en accepte même pas l’idée qui la rend folle. D’où un véritable ultimatum : "Si vous ne me répondez, d’ici à minuit, je comprendrai que vous tenez peu à moi... et que tout est fini... et à tout jamais."

 On se réconcilie : comment pourrait-il en être autrement ?

C’est au tour de Hugo d’être jaloux, il demande des comptes. Réponse de Juliette : "Dieu m’est témoin que je ne t’ai pas trompé dans notre amour une seule fois depuis quatre mois..."

 Je ne sais pas vous cher lecteur mais moi je trouve qu’il y a trois mots de trop : "dans notre amour".

Juliette établit une différence très nette entre le don de son corps sans plaisir et l’offrande totale : très exactement la distinction que font les courtisanes. Victor, lui, la veut toute à lui. A lui seul. A Juliette, il demande tout et n’offre rien - que son amour.

Cet étrange marché, parce qu’elle l’aime d’un amour plus fort que la raison, Juliette va l’accepter.

 Alors la question que tout le monde se pose, Juliette a-t-elle cru un moment que Hugo quitterait tout, et d’abord Adèle, pour elle ?

Ma Mamie l’ignore.


 En tout cas, elle est formelle quand elle avance qu’à aucun moment - elle dit bien : à aucun moment - l’idée n'est venue à Hugo de vivre avec Juliette.

Dans les bras de Juliette, il retrouve quelque chose de capital qui n’est rien de moins que son identité. De nouveau, il peut croire en un avenir. Et puis, il ne faut pas oublier toutes ces scènes épuisantes.

 C’est qu’elle n’est pas facile à vivre, Juliette !

Malgré ces tempêtes, Hugo ne brisera rien. Jamais.

Perdre Juliette ! Cette seule idée lui fait monter aux lèvres un goût de cendre et de mort.


 Mieux : même au plus fort de son amour pour Juliette, il ne cessera jamais d’aimer Adèle. Il l’aime différemment, voilà tout.

Mais il a besoin de sa douce présence dans la maison, de cette connivence qui fait une famille, d’habitudes devenues une autre nature. Il aime Juliette, mais il a parfaitement conscience qu’une séparation d’avec Adèle lui serait un intolérable arrachement.

 Donc il n’y pensera pas.


 Leurs rencontres - et leurs étreintes - ont lieu dans la rue de l’Echiquier.

Chez elle. C’est là qu’éclatent des scènes de plus en plus violentes.

Elle a du caractère Juliette !

Un jour qu’Hugo a vraiment dépassé les bornes, elle a couru, après son départ, à la coiffeuse où elle enfermait les lettres de son amant et les a déchirées en mille morceaux. Après quoi, elle les a brûlées. L’apprenant, Hugo est au désespoir : ces pages, il estimait qu’elles contenaient le meilleur de sa prose.

Quelle perte pour la postérité !

Même en amour, l’écrivain se garde d’oublier son oeuvre.


 On se dispute. On se réconcilie sur l’oreiller. Humiliée, elle s’en veut d’avoir cédé : "Je vous demande pardon d’avoir consenti à vous appartenir, après ce qui s’était passé entre nous". Elle l’injurie, pleure, sanglote, puis se jette dans ses bras. Ce qu’ils sont, au cours de tous ces premiers mois : de merveilleux amants, mais des amants terribles.

 Au tumulte succède des moments de bonheur absolu.

Ce qui les lie encore, c’est que le sentencieux Victor s’est, tout à coup, et sans que rien n’annonce ce changement, senti redevenir un adolescent. En un instant, il perd ses airs graves pour retrouver la gaieté d’une enfant. Et bien sûr, cela s’achève au lit. Ce qui n’empêchera pas le lendemain une nouvelle scène et, tout à coup, la furieuse et solennelle promesse de ne plus se revoir. 

Jamais.

 

Victor à Juliette : "Croire, espérer, jouir, vivre, rêver, sentir, aspirer, sourire, soupirer, vouloir, pouvoir, tous ces mots-là tiennent dans un seul mot : aimer. De même ma Juliette, tous les rayons du ciel, ceux qui viennent du soleil, ceux qui viennent des étoiles sont mêlés dans un regard de toi !"

 Quelques jours plus tard, il oublie de venir à un rendez-vous et derechef Juliette crie sa colère et son chagrin :

"Il est bien évident que vous ne m’aimez plus. Adieu, pensez à moi sans amertume."

 Il accourt, il l’étreint, elle oublie.

 

 Le problème c’est qu’Hugo ne se montre pas aussi empressé au lit qu’elle le souhaiterait. Elle qui n’a jamais boudé les plaisirs du corps, proteste alors : "Je vous désire. Si vous aviez l’esprit d’en profiter, mais vous êtes plus bête qu’un bonhomme en pain d’épice et vous n’êtes pas même bon à être mis en loterie".

 Le 13 juillet 1835, elle protestera contre "la loi de chasteté que vous observé si rigoureusement avec moi". Et encore : "Je vous assure, plaisanterie à part, mon cher petit Toto que nous nous conduisons d’une manière tout à fait ridicule. Il est temps de faire cesser le scandale de deux amoureux vivants dans la plus atroce chasteté." Elle le poursuit de façon aussi drôle que charmante :

"Mon cher petit Totot, vraiment tu devrais venir, ne fût-ce que pour voir l’effet que cela me ferait."

 En revanche, quand elle le retrouve, c’est l’ivresse dont elle ne songe jamais à limiter l’expression :

"Je trouve que six heures passées dans les bras l’un de l’autre valent plus d’un siècle en omnibus. C’est mon opinion, et toi ?"

 Et lui n'en pense pas moins...

 

Collection Mamie raconte Hugo :  Victor et Léonie ; Victor et Juliette ;  Victor et Adèle se marient ;  Victor et Adèle ;  Les châtiments de Mamie ;  L'éveil du petit Hugo

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 18:22

spartacus.jpg"Une affiche, là, sous vos yeux. 

 

 Une nuit de juillet, en l'an 73 avant Jésus-Christ. Soixante-dix hommes s'évadent de l'école des gladiateurs de Cnaeus Lentulus Batiatus, à Capoue. Ces hommes-là s'avancent dans les cours de l'école. Autour d'eux, le silence. Ils ne marchent pas, ils se glissent.

 Avec d'infinis précautions, on tire les verrous, on ouvre les portes. Quelques aps et les voici dans la campagne. Ce qui, de toutes parts, les assaille, c'est l'odeur des arbres, des herbes, l'odeur de la liberté. A la tête de ces fugitifs, c'est un Thrace qui s'élance. Il s'appelle Spartacus.

 Qui est Spartacus ?

 Ma Mamie a ouvert une enquête à son sujet, extrait :

 

 Spartacus est un gladiateur. Donc un esclave. Mais il n'était né ni esclave, ni gladiateur. Ses origines restent obscures. Tout ce que ma Mamie sait, c'est qu'il avait vu le jour dans les montagnes de Thrace, la Bulgarie actuelle. Certains romans ont voulu que Spartacus ait été fils de roi. Rien ne le démontre. En fait, son enfance s'est consacrée à garder les troupeaux.

 Un berger, Spartacus.

 Un jour, les légions romaines sont passées par là. Il les a suivies.

 C'est une force redoutable que l'armée romaine. On conçoit que du plaisir et de la fierté puissent surgir de la certitude d'être un soldat romain. Mais l'armée, en ce temps-là, c'est également une discipline d'airain.

 On pense que l'on fait naître l'obéissance en brisant le soldat. On épuise son corps par des exercices harassants. On annihile sa volonté par d'éternelles punitions. On le bat, on l'emprisonne, on le jette dans le silo.

 Cette armée-là n'est pas celle dont a rêvé le petit berger thrace. Dans ses montagnes, il était libre. Nul ne le contraignait. Va-t-il tolérer, sous l'uniforme, une condition qui l'apparente à un esclave ? Non. Alors, il déserte. L'homme qui vient de retrouver sa liberté est grand, athlétique, donc d'une force peu commune.

 L'allure est fière, le regard hardi. C'est tout ce que ma Mamie sait de lui.

 Pour n'être pas repris, une seule condition : se faire brigand. Pendant des années, il va hanter les campagnes, au hasard des coups de main, des attaques de convois, des vols dans les villas.

 On s'abrite où on peut, dans des cabanes, dans des grottes. Sa bande est composée d'esclaves évadés et de gibier de potence très peu recommandable. Rien ne les retient, ni ne les effraie. Cela dure des années.

 Un jour, la petite bande est arrêtée, jetée en prison. Ce qui attend Spartacus, il le sait bien, c'est une mort atroce, précédée de longues tortures. Or, par une chance insigne, il est épargné. On se contente de le condamner à l'esclavage. Esclave ? Pourquoi pas ?

 Tous les esclaves ne sont pas malheureux. Après quoi on le conduit au marché. Spartacus, enchaîné, attend au milieu d'autres esclaves enchaînés. Il attend son futur maître. Dans la foule de curieux et des éventuels clients, un homme se présente, le fameux Cnaeus Lentulus Batiatus. Il regarde Spartacus, admire l'athlète qui se tient orgueilleusement campé devant lui. Il l'achète.

 A l'école de Capoue, on n'a pas de soucis, on dort, on mange à sa faim.

A jours fixes - ni trop ni trop peu - on conduit à l'école les prostitués du lupanar. Certains seraient prêts à se satisfaire de ce qui pourrait apparaître comme une bonne vie. Une bonne vie, certes.

 Mais au bout de la route, il y a la mort. Il faut méditer les chiffres que nous donne ma Mamie dans une étude pénétrante : personne - à quelques rares exceptions près - n'a survécu à plus de trois ans d'école de gladiateurs.

 Cnaeus Lentulus Batiatus n'est pas méchant.

 De lui, les élèves ne reçoivent que de bons traitements. Mais voilà, le jour vient où il faut partir pour l'amphithéâtre.

Là Spartakus se présente comme mirmillo (il porte une lance, un casque et un grand bouclier gaulois) prêt à affronter le retiarus ( qui se sert d'un filet et d'un trident), il se bat.

 Les spectateurs admirent son agilité, sa force, la puissance qui se dégage de sa musculature. Il est vif, adroit.

Et il tue.

 A chaque spectacle, Spartacus triomphe. On connaît son nom, on connaît ses victoires, on l'acclame. Le soir, il rentre saint et sauf mais jusqu'à quand ?

 Un sentiment envahit alors de plus en plus souvent Spartakus, le gladiateur, et c'est celuid e l'absurdiét de sa vie, telle qu'elle est devenue.

 Quand on lui conduit les filles du lupanar, il s'en sert et les regarde à peine. Un jour, tout change. L'une des filles est belle et c'est une thrace, comme lui. Sur la couche qu'ils partagent, ils se parlent dans leur langue. Ils évoques leur pays, leurs villages, leurs montagnes. Ils rêvent.

 Au vrai, la plus absolu des évasions n'est-elle pas le rêve ?

 Résigné, Spartacus ? Il ne l'est plus.

 Cette femme-là l'a changé. 

De beaux esprits pourront ironiser sur cette rencontre de l'esclave et de la prostituée. On pourra parler de romanesque à bon marché. On aura tort.

 Les sentiments qui soulèvent cet homme et cette femme sont vrais donc admirables.

 Maintenant, Spartacus veut vivre, il veut être maître de sa vie. Vivre pour lui-même, vivre pour elle. A la fille, il parle, et la fille l'écoute. Peu à peu, elle s'exalte. Ils vibrent à l'unisson. Leur avenir, elle le voit maintenant : ils réussiront leur évasion.

 A l'école, ces morts en survie obéissent toujours mais avec moins de docilité. Batiatus, vieux renard, sent le danger. D'un jour à l'autre, les épées et les lances disparaissent. On s'entraînera désormais avec des armes de bois. Les gardiens sont invités à plus de vigilance encore. Le résultat est d'accentuer le clivage parmi les gladiateurs. Spartacus en profite pour les inviter à partir.

 Oui, partir ensemble !

Quitter l'Italie. trouver un pays libre pour vivre ! Seulement voilà, sur les deux cents gladiateurs, cent trente renoncent : décidément ce que propose Spartacus est trop difficile. On se fera tuer. Mais ce qui compte, c'est que soixante-dix croient à l'évasion, croient à Spartakus. 

 

 La suite prochainement.

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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 15:57

84173966 o"L'écriture des vieilles pierres...

 

 Tout à coup voilà que le garçon, à la veille de ses dix-huit ans, tombe amoureux : Louise remplace Pauline. Nous ne savons rien de Louise Deschamps, sinon qu’elle était mariée et que son époux était beaucoup plus âgé qu’elle.

 Comment l’a-t-il rencontrée ?

Comment en est-il venu à un amour qui s’est très vite mué en passion ? Nous ne le savons pas.

 Et elle ? L’a-t-elle vraiment aimé ? Quelle a été la nature exacte de leurs relations ?

Nous l’ignorons.

 Ces amours passionnées de Jean-François l’ont occupé au moins deux années. Elles se révèlent si ardentes qu’à certains moments, cet amant de la science dans ce qu’elle a de plus pur a envisagé d’abandonner ses recherches pour se rapprocher de la femme qu’il aimait.

 Ce que nous savons, c’est que, deux ans plus tard, la même Louise, devenue veuve, se remariera. Avec un autre...

 Champolion a dit de lui-même que "son point faible" était le coeur.

 

 La mort de Pauline a du ranimer en lui les souvenirs nostalgiques d’un premier amour. Le remariage de Louise lui a porté un coup fort douloureux. Or voici que Jean-François tombe de nouveau amoureux. cette fois il s’agit d’une certaine Rose Blanc que ses proches appellent Rosine. Champollion est-il aussi amoureux qu’il le croit ? Ce n’est pas sûr. Mais bon, pourquoi pas, après tout.

Revenons aux premières années qui ont suivi le mariage. Il n’a plus d’emploi. Il ne peut plus enseigner. Dans sa nouvelle retraite, il va se consacrer totalement au déchiffrement des hiéroglyphes. La solution le fuit toujours. Il s’acharne de plus belle.

 Il n’est pas le seul. 

  La clé.

Par la lecture du texte grec de la pierre de Rosette, on savait qu’il s’agissait d’un hommage au roi Ptolémée Epiphane. Dans le texte, hiéroglyphique, où donc situer le nom de Ptolémée ?

 Champollion était frappé par un groupe de signes entouré d’un ovale. Il procéda avec cette logique qui lui était naturelle : il pensa que si l’on avait encerclé ce groupe, c’était parce qu’il était plus important que les autres. C’est  donc qu’il devait s’agir du roi.

 Alors il rangea les huit lettres de Ptolémée sous les huit hiéroglyphes enfermés dans le cartouche (l’ovale). Une telle démarche nous semble aujourd’hui évidente. Il en fut de même de l’oeuf de Christophe Colomb : encore fallait-il y penser.

 Ensuite, il superposa les hiéroglyphes  dont il supposait qu’ils signifiaent Ptolémée et Cléopâtre. Il retrouva des signes qui étaient identiques. Le système qu’il avait décelé se confirmait donc. Chaque hiéroglyphes correspondait à une lettre. Dans le nom Ptolémée et celui de Cléopâtre, il retrouvait par exemple le L, le P, le O.

 Progrès immense : grâce à ces deux mots , il découvrit douze lettres hiéroglyphiques différentes. A l’aide de ces douze lettres, il put, dans d’autres cartouches, déchiffrer quatre autres mots : Alexandre, Tibère, Domitien, Germanicus.

 Le tour était joué.

 Ensuite, il comprendra que l’écriture égyptienne, outre les signes qui indiquent des sons simples, comportait des signes d’idées dont, ainsi qu’il le dira, l’image valait pour le son qu’elle évoquait.

 Il touche à ce but poursuivi depuis tant d’années et auquel il a consacré sa vie.

Mais sa santé s’est dégradée, sa vue a dangereusement baissé. Déjà un oeil est presque perdu.

 De tout cela, il n’a cure. Il a trouvé !

 Il se dresse, rassemble les papiers sur lesquels il vient de travailler, sort de chez lui, dévale l’escalier et court retrouver son frère. Il entre.

 - Je tiens l’affaire !

 

 Unanime est la joie du monde savant français. En revanche, à l’étranger, on marque de la réserve. Qu’importe à Champollion !

Désormais, il sait.

 L’extraordinaire de l’affaire, c’est que ce travail immense, Champollion l’a accompli sans avoir jamais rien vu de l’Egypte. Maintenant, il veut parvenir à la confirmation que cherche tout véritable savant, celle que seule peut apporter l’expérience.

 Il tient à vérifier.

 

 La lecture d’un Rituel funéraire lui fait découvrir tant d’aspects nouveaux de la civilisation de l’ancienne Egypte qu’il croit en perdre la raison. 

 Le couronnement de sa carrière sera son voyage en Egypte, de juillet 1828 à décembre 1829.

 Le gouvernement français s’est enfin convaincu de l’importance capitale des découvertes du jeune savant. Mais la maladie l’accable, il incarne l’image même de la faiblesse humaine.

 La fièvre le dévore.

 Dans la felouque qui remonte le Nil, il oublie tout.

 Enfin, de ses yeux, il peut considérer ses pyramides qui occupent sa pensée depuis son enfance.

 Aucun homme peut-être n’a traversé de bonheur aussi absolu.

 Au reste son voyage se mue en véritable triomphe. Les fellahs accourent sur les bords du Nil pour apercevoir celui qui sait "lire l’écriture des vieilles pierres".

Quand il faut, il rectifie les erreurs, notant par exemple que tel temple n’est pas consacré à Isis mais à Athor, déesse de l’amour.

 A Karnak, il se sent en proie à une telle excitation qu’il ne faudrait pas - écrit-il lui même - qu’il en connaisse trop de semblables car il risquerait d’y perdre sa vie : "Là m’apparut toute la magnificence pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand..."

 

 Il rentre ensuite en France. Il ne se faisait pas d’illusions sur son état.

Le 29 janvier, il lui est désormais impossible d’émettre un son articulé. Il ne recouvrera la parole que dans la soirée du 3 mars. Il adresse ses adieux à son frère, à sa femme, à sa fille Zoraïde, qu’il appelle sa "fleur de printemps" et qui vient d’avoir huit ans.

Il demande qu’on lui apporte quelques objets égyptiens de sa collection. Il les regarde avec un sentiment qui ressemble à de la fascination. Après un dernier regard sur ce qui a représenté son univers, il s’éteint. Il a 41 ans.

 L’histoire de Champollion est celle de la victoire de l’esprit, celle aussi de la foi créatrice. En ce sens, elle représente un exemple et une leçon. Il n’existe point de grande réussite sans foi.

 Champollion tout le premier l’a ressentie, éprouvée, mise en action quand il s’est écrié :

"L’enthousiasme seul est la vraie vie."


A lire :      

Champollion, l'homme qui fit parler l'Egypte

Champollion cherche et trouve

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Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
25 avril 2012 3 25 /04 /avril /2012 16:59

47u7u8qj"L'amour passion d'Hugo.

 

 "Je m’enferme avec ton souvenir, je vais vivre avec ta pensée.

Je pourrais mon ange passer une nuit entière avec toi ! Comprends-tu cela ? Sens-tu tout ce que contient ce mot ?

Une nuit ! Je te sentirai dormir dans mes bras ! Je veillerai pour la première pour la première fois, heureux et enivré, sur cet adorable mystère de ton sommeil.

 Oh ! les anges doivent t’entourer quand tu dors ! Je tremble presque devant de pareils bonheurs, car c’est mieux que le paradis, et dans de semblables instants, le ciel doit être jaloux de la terre !"


 A qui s’adresse cette lettre ? Léonie Biard ?

Le lecteur doute comme ma Mamie a douté.

 Comment Léonie aurait-elle osé si souvent gravir l’escalier de l’immeuble, sonner, affronter le regard des domestiques, prendre le risque, pour se rendre jusqu’au cabinet de travail où à la chambre de Hugo, de rencontrer l’épouse, sa jeune fille, les fils devenus grands ?

 Invraisemblable, en vérité. Mamie oubliait le petit escalier discret qui donnait directement accès au cabinet de Victor. Nous savons que d’autres visiteuses l’ont emprunté, nombreuses.

 C’est par là que Léonie courait se jeter dans les bras de l’amant. Mamie est même certaine que parfois, pour le voir, elle était prête à jouer le tout pour le tout.


 Adele, elle, ferme les yeux.

Juliette de son côté se proclame jalouse de toutes ces femmes qu’elle devine rôdant autour de Hugo. Elle ne soupçonne pas l’essentiel qui est Léonie, mais va, Mamie est formelle, jusqu’à redouter Hélène d’Orléans.

 Jalousie, que d’erreurs on commet en ton nom !

De Léonie, ma Mamie ne sait pas grand chose. Sauf qu’elle est mariée et que son mari va demander la séparation de corps et de biens. Elle sera condamné aux dépens. La garde des deux enfants est dévolue au mari. La mère ne sera autorisée à les voir qu’une heure par semaine.

 Pauvre Léonie !

 

 Hugo est alors au plus bas. La mort de Léopoldine avait marqué la plus profonde douleur qui ait étreint son coeur d’homme. Le flagrant délit qui suivit aura signifié l’humiliation la plus cruelle qu’ait pu lui infliger la vie.

 Le miracle avec Hugo, c’est que cet homme foudroyé, loin de ployer les épaules, va précisément en ce temps-là commencer son oeuvre en prose la plus considérable. Une telle force de caractère semble si invraisemblable que notre esprit se refuse à le croire.

 Les faits sont là. Au plus fort de l’affaire Biard, Sainte-Beuve écrit à Pavie que le mari d’Adèle "travaille enfermé à l’on ne sait quelle oeuvre dont il espère que l’éclat retrouvera l’aube". L’oeuvre n’est autre que les Misérables.

 

 Léonie sortira du couvent et du scandale brisée. Depuis qu’elle a dû se séparer de ses enfants, c’est vers Victor qu’elle appelle au secours : "Que je suis malheureuse de vous aimer comme je vous aime sans aucun espoir d’avenir !

 Je n’aurai donc su ce que c’est qu’aimer que pour souffrir et ajouter une douleur de plus aux peines que j’ai eu dans ma vie !" Il eût fallu pour se dérober à de tels cris que Hugo fût doté d’un coeur de pierre, ce qui n’était pas. Il est assuré d’aimer Léonie comme il n’a jamais aimé, comme il n’aimera jamais plus.

 Elle lui a "embrasé le coeur" autant qu’elle "incendie sa chair".

 Il n’est que de le lire :

  "Vois-tu, nous sommes un. Dis-toi cela sans cesse. La flamme que je vois luire dans tes yeux est la même que je sens brûler dans ma poitrine. Je te connais jusqu’au fond comme je me connais : mieux peut-être. Je te pénètre. O ravissante contemplation ! Tu es transparente pour moi.

 A travers tes vêtements, je vois ton corps et à travers ton corps, je vois ton âme. Je t’aime parce que tu es une femme, je t’admire parce que tu es un esprit, je t’adore parce que tu es un ange. Oh ! quand tu t’envoleras, emporte-moi !"

  Quant à elle, les épreuves ont à la fois exalté et affiné l’amour qu’elle lui porte. Pour redire à Victor qu’elle l’aime, elle trouve comme Juliette de ravissantes formules : "Ton amour aujourd’hui, c’est ma rougeur ; dans l’avenir ce sera ma pourpre."

"Je voudrais mourir pour un de tes sourires, au risque de ressusciter par un de tes baisers" 

"Ma pensée a des ailes et va d’un souvenir à l’autre comme un oiseau vole de branche en branche."

Et lui  - qui délire :

"Je n’ai qu’un instant. Je t’envoie l’éternité dans une minute, l’infinie dans un mot, tout mon coeur dans : je t’aime."

C’est aussi à Léonie qu’il a écrit la seule de ses lettres où il évoque l’acte physique de l’amour :

"O toi que j’aime, mystérieuse épouse de ma nature et de ma destinée, vois-tu, dans les moments où je pénètre en toi, où nous sommes, moralement et physiquement, tellement mêlés l’un à l’autre que nous ne faisons plus en réalité qu’un seul être, qu’un seul corps, qu’une seule âme, dans ces moments-là, je voudrais mourir, car il me semble que c’est le ciel qui commence..."

 Ma Mamie voit naître la naissance d’une certitude.

 Au-delà de la jeunesse et de la beauté de Léonis, au-delà de cette passion sans limite, c’est l’admiration. Tout de cette femme lui plaît. Et puis, ce qu’il ne fait plus pour Adèle, ce qu’il n’a jamais fait pour Juliette, il sort Léonie et la montre même à ses amis.

 Un amour unique, irremplaçable. Seulement, les heures accordées à Léonie sont arrachées à d’autres et puis, il consacre de plus en plus de temps à sa famille. A ses enfants et à Adèle qui lui est devenue plus proche. Il pense à elle avec une tendresse immense. Le soir, les rencontres avec le roi se multiplient.

 Alors il lui arrive de ne rejoindre Léonie que tard dans la soirée, de rester avec elle jusqu’à une heure du matin et au-delà. Va-t-il en toute hâte rentrer chez lui ? Non, il dirige ses pas... chez Juliette !

 Cet amant comblé, l’homme qui aime cette femme comme - Mamie en est convaincu - jamais il n’en a aimé aucune autre, va la tromper.

 Le lecteur ici n’en croit pas ses yeux : tromper Léonie ? Oui.

 Pourquoi ? La facilité ? Il est vrai que, sans pudeur, des actrices s’offrent à lui. Mais faut-il obligatoirement céder à la facilité ? Le goût de découvrir ? C’est ici probablement que réside l’explication.

 La quarantaine aiguise les curiosités. L’homme en pleine force voit l’âge mûr à sa porte.

 Ce qui le saisit souvent, c’est une précipitation, la hâte d’accumuler sensations et souvenirs : un capital à placer en réserve pour la vieillesse qui va venir. C’est entre quarante et cinquante ans que la sagesse populaire situe le "démon de midi".

 Hugo a quarante-cinq ans.

N’oublions pas que Hugo est l’amant de Léonis depuis près de quatre ans. N’oublions pas non plus que son désir se lasse vite. Rien à voir avec l’amour.

"Car il faut que le corps exulte", dit une chanson de Jacques Brel que ma Mamie aime particulièrement.

 Le sien exultera avec d’autres.

 

 Aventures faciles et éphémères, parfois un peu vulgaires.

Hugo devenu Valmont ?

 Il adresse à une belle courtisane un billet dans l’esprit du boulevard : "A quand le paradis ? Voulez-vous lundi ? Voulez-vous mardi ? Voulez-mercredi ? Craignez-vous le vendredi ? Moi, je ne crains que le retard !"

 Ses carnets de ce temps-là sont pleins de mots d’actrices dont on sent qu’il est devenu le familier - et davantage. un quatrain du 22 avril 1847 résume un état d’esprit :

J’ai près d’une belle,

L’air humble et vaincu.

Je lui dis : Maz’zelle

Et je lui prends le cu

 

Rideau.

 

Collection Mamie raconte Hugo :  Victor et Juliette ;  Victor et Adèle se marient ;  Victor et Adèle ;  Les châtiments de Mamie ;  L'éveil du petit Hugo

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Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 17:03

4bs080vk"Avertissement.

 

Cet article fait parti de la collection "Mamie raconte Hugo". Il s'adresse aux personnes qui aiment ma Mamie, Victor Hugo ou tout simplement les jolies mariages !

 

Victor est ruiné. Il n'a plus un sou. Mais qu’importe pour lui la pauvreté ? Au diable l'avarice comme dit Mamie ! La seule chose qui compte c’est l’interdiction continuelle de rencontrer Adèle.

 C’est qu’il meurt d’amour pour elle. Je dis bien : il meurt.

 Pire, il est à bout. Oui, elle l'aime.

Mais comme toutes les femmes qui aimeront Victor Hugo, elle a du mal à le suivre.

 Victor fait le forcing, il sort le grand jeu. Le lot du joueur est de sans cesse doubler sa mise. Il passe au plan B en se faisant remarquer dans la presse. Le geste est là. Il est beau.

 Mais les parents d'Adèle ne bronchent pas et restent inflexibles. 

 

 Eperdument, il cherche une porte de sortie. Une solution, une seule : ne plus se contenter de suivre - de loin - les pas d’Adèle. L’approcher, lui parler.

 Chercher l’occasion.

 Il court sur les traces de celle en qui il a placé toute son espérance. Rue Bourbon-Villeneuve, Palais Royal... Chaque fois, Adèle la futée a aperçu son amoureux.

 Elle l’aime toujours !

 Ils se voient mais ils ne se parlent pas. Mamie l’affirme de source sûre, ils ne se sont pas parlé une seule fois entre le 26 avril et le 11 octobre 1820. Il a tenu six mois !

 

Ils vont se fâcher avant de se réconcilier. Cela dure guère. Victor souhaiterait qu’Adèle lui écrive plus souvent mais Adèle tremble toujours que leurs relations secrètes se découvrent. Du coup, ils se fâchent de nouveau.

 Rassurons-nous, la correspondance reprendra et ils se reverront.

Et puis, ils se fâcheront de nouveau, se réconcilieront encore.

François Mauriac : "Quand un homme se souvient d’une époque où il aimait, il lui semble que rien ne s’est passé pendant ce temps-là."

 

Il s’est passé que Victor s’est mis à composer un roman.

Oui, un roman. Un roman qui n’a été entrepris que pour compenser l’absence d’Adèle.

Toujours elle ! 

On en est là quand le malheur frappe les Hugo. C’est Adèle qui raconte le drame en quelques phrases naïves - d’autant plus touchantes :

"La mère de Victor est morte. Nous voilà devant l’inflexible. Vous pleurez, vous criez, vous vous tordez, vous essayer de ranimer ce cadavre, il est de glace. Aucun souffle n’échauffera cette lèvre ; pas une larme ne mouillera cette paupière. Si vous remontez de l’homme à l’enfant, vous trouverez votre mère.

Penchée sur vous, âme et corps, elle dirigea vos pas incertains et votre pensée balbutiante. Jamais elle ne vous railla et gravement vous reprenait.

Vous sanglotez à vos souvenirs. La mère grandit avec vous, la flamme s’affermit sur votre front...

De la mère et du guide, rien, pas même le fantôme."

Jamais Victor n’a éprouvé l’impression d’une solitude aussi accablante. Revenant, l’âme glacé, du cimetière, il s’interroge : quelle raison lui reste-t-il d'exister ? Ce père qui vit à Blois ? Il ne sait rien de lui.

 Le frère aimé ? Il est bien lointain. Eugène ? Mieux vaut ne pas en parler. Sa fiancée ? Il sait qu’elle continuera de lui être refusée par ses parents.

Pourtant, c’est vers Adèle qu’il ira.

Et Victor courut la voir. Il découvre les fenêtres toutes illuminées. Il entend de la musique, des rires aigus qui montent de l’ombre du jardin. De leur jardin ! Il se glisse entre les arbres et aperçoit Adèle en robe blanche qui danse et qui rit 

 Le coup est rude. Un choc affreux qu’il n’oubliera jamais.

 Le lendemain, Adèle se promène dans le jardin. Elle voit soudain Victor devant elle. Il est si pâle qu’elle comprend aussitôt. Elle s’élance vers lui :

 - Qu’y a-t-il donc ?

 - Ma mère est morte. Je l’ai enterrée hier.

 - Et moi, je dansais !

  Ensemble, les sanglots montent de leurs gorges.

 C'est la fin de sa période la plus dure.

  Aucun nuage n’assombrira plus l’horizon.

Ni celui du poète, ni celui du fiancé.


Le mariage sera célébré le 12 octobre 1822. Sitôt le repas achevé, on danse. Il faut reconnaître qu’elle est bien jolie, dans ses voiles blancs, Adèle Hugo, son visage radieux cerné par les torsades noires.

 Et mince, si mince !

Au fait, tant qu'on y est, n’est-il pas beau, lui aussi, le marié ? Les invités, à qui mieux mieux, répètent que ce bonheur fait plaisir à voir. La fête s‘achève. On les conduits à leur chambre. Ils sont seuls.

 Enfin ! 


 Mamie sait tout de Hugo.

Ce qu’il n’a pas dit sur lui-même, d’autres s’en sont chargés. Même ses nuits d’amour sont connues en détail. A commencer par la première.

Serrant pour la première fois contre son corps celui de la bien aimée, il lui a prouvé neuf fois son désir.

 C’est beaucoup. C’est trop.


Il écrit : "L’homme a reçu de la nature une clef avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures."

 

Charmant.

 

Collection "Mamie raconte Hugo"Victor et Adèle se marientVictor et Adèle ;  Les châtiments de Mamie ;  L'éveil du petit Hugo

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Livre d'or

Première affiche

 

  "MA MAMIE M'A DIT"  

Spectacle nostalgique 

 

"On nous avait promis la magie, promesse tenue : un spectacle plein de féérie de souvenirs où chacun se retrouvait. Une belle énergie. Les résidents ont adoré. Merci." Marie ("La Clairière de Luci" - Bordeaux)
 
"Formidable ! Nous sommes tous remontés dans le temps, nous avons vingt ans, on a ri, on a presque pleuré et surtout on a chanté. Merci." Cathy (Arles)
 
"Un véritable petit chef d'oeuvre" ; "La légion d'honneur pour la créativité" "Un véritable artiste" ; "Après-midi formidable" ; "Absolument parfait" ; "Une rétrospective originale" ; "Un très bon moment d'évasion". Propos recueillis à la résidence Emera d'Angoulême  
 
"Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux... C'était magnifique. Nous avons revu toute notre jeunesse et notre enfance. Et c'est beau de redevenir jeune dans l'ambiance d'autrefois." Aimée et Janine
 
"Les chansons, les réclames et les anecdotes ont transporté les résidents dans leur enfance. Une après-midi de nostalgie mais aussi de chansons et de rires. Merci encore pour ce magnifique spectacle." Sandrine
 
"Spectacle complet, tellement agréable et thérapeutique pour nos personnes âgées, encore félicitations !" Docteur Souque
 
"Un choix extraordinaire de chansons, des moments magiques, des photos magnifiques, vous nous avez mis de la joie dans le coeur. Et retrouver sa jeunesse avec tous ces souvenirs, ça fait plaisir et j'espère que vous reviendrez nous voir." Mme Lorenzi (Juan-Les-Pins)
 
"Pour ma fête, par un pur hasard je me suis retrouvé dans un club de personnes âgées où j'ai pu assister à votre spectacle sur le passé. Cela m'a rappelé mes grands-parents et mes parents et c'était vraiment un moment magique." Josette, La Roque d'Antheron
 
"Bravo bravo bravo Regis, c'est le meilleur spectacle que j'ai vu depuis que je fais le métier d'animatrice." Bénédicte La Salette-Montval (Marseille)
 
"Je n'imaginais pas lorsque je vous ai accordé un rendez-vous que vous enchanteriez pendant 1 h 1/4 les personnes âgées d'une telle façon. Merci pour votre prestation qui a fait revivre les moments publicitaires, évènementiels et musicaux de leurs vies." Michelle, CCAS de Toulouse
 
"Un super voyage dans le temps pour le plus grand plaisir des résidents. Merci à Régis pour cette magie et à bientôt." Brigitte (Lunel)
 
"Enfin un retour à notre "époque". Quel bonheur, que de souvenirs, quelle belle époque ou l'amitié était de mise. Merci pour cette très belle après-midi, on s'est régalé avec ce très très beau spectacle". Danielle (Mirandol)
 
"Super - divinement bien -  tout le monde était enchanté même que M. Benaben a dit : "Vous nous avez donné l'envie de revivre notre vie"." Sylvie (Sainte Barthe)
 
"Un grand merci pour ce bon moment et je crois, je suis sûre, qu'il a été partagé par mon mari." Mme Delbreil
 
"Une féérie de l'instant." Christian
 
"Beaucoup d'émotion dans ce spectacle plein de chaleur et d'humanité." Sylvie
 
"Une soirée inoubliable. Continuez à nous émerveiller et faites un long chemin." Claude
 
"Le meilleur spectacle que j'ai jamais vu. De loin." Tonton Kiko
 
"C'est bien simple, je n'ai plus de Rimmel !" Claudine (seconde femme de Tonton Kiko)
 
"A ma grande surprise, j'ai versé ma larme. Tu as atteint mon coeur. Bravo pour ces sentiments, ces émotions fortes, j'ai eu des frissons par moment." Ta couse Céline
 
"Redge, encore un bon moment passé en ta présence. On était venu plus pour toi que pour le spectacle, mais quelle agréable surprise ! On est fier de toi, continues d'oser, de vivre !" Pascale
 
"J'avais froid, un peu hagard, l'humeur moribonde et puis voilà, il y a toi avec toute ta générosité, l'intérêt, l'affection que tu as toujours su apporter aux autres, à moi aussi et Dieu sait si tu m'as rendu la vie belle depuis qu'on se connaît comme tu as su le faire une fois de plus." Jérôme
 
"Ce spectacle est nul à chier et je pèse mes mots." Gérard
 
memoria.viva@live.fr

Ma Mamie m'a dit...

Madka Regis 3-copie-1

 

COLLECTION "COMEDIE"

Mamie est sur Tweeter

Mamie n'a jamais été Zlatanée !

Mamie doit travailler plus pour gagner plus

Mamie, tu l'aimes ou tu la quittes

"Casse-toi pauvre Régis !"

Papi a été pris pour un Rom

Mamie est sur Facebook

Papi est sur Meetic

Il y a quelqu'un dans le ventre de Mamie

Mamie n'a pas la grippe A

La petite maison close dans la prairie

 

COLLECTION "THRILLER"

Landru a invité Mamie à la campagne...

Sacco et Vanzetti

Mamie a rendez-vous chez le docteur Petiot

La Gestapo française

Hiroshima

 

COLLECTION "SAGA"

Les Windsor

Mamie et les cigares du pharaon

Champollion, l'homme qui fit parler l'Egypte

Mamie à Tombouctou

 

COLLECTION "LES CHOSES DE MAMIE"

Mamie boit dans un verre Duralex

Le cadeau Bonux

Le bol de chocolat chaud

Super Cocotte

Mamie ne mange que des cachous Lajaunie

 

COLLECTION "COUP DE COEUR"

Mamie la gauloise

Mamie roule en DS

Mamie ne rate jamais un apéro

Mamie et le trésor de Rackham le Rouge

 

COLLECTION "DECOUVERTE"

Mamie va au bal

La fête de la Rosière

Mamie au music-hall

Mamie au Salon de l'auto

 

COLLECTION "SUR LA ROUTE DE MAMIE"

Quand Papi rencontre Mamie

Un Papi et une Mamie

Mamie fait de la résistance

Mamie au cimetière

24 heures dans la vie de Mamie

 

COLLECTION "MAMIE EXPLORE LE TEMPS"

Jaurès

Mamie embarque sur le Potemkine

Mamie et les poilus

Auschwitz

 

COLLECTION "FRISSONS"

Le regard de Guynemer

Mr et Mme Blériot

Lindbergh décroche la timbale

Nobile prend des risques

 

COLLECTION "MAMIE EN BALLADE"

Mamie chez les Bretons

Mamie voulait revoir sa Normandie !

La fouace Normande

La campagne, ça vous gagne...

Mamie à la salle des fêtes

Launaguet

La semaine bleue

Le monastère

 

COLLECTION "MAMIE AU TEMPS DES COURTISANES"

Lola Montès

Les lorettes

Mme M.

Napoléon III

Plonplon

La marquise de Païva

Mme de Pompadour

Générique de fin