Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 18:25

Journal3.jpg"Une "Une", là, sous vos yeux qui n'a rien à voir avec le Général.

 

 A 10 h 15, le 28 novembre 1947 un avion décolle de l'aérodrome d'Oran La Senia.

A son bord se trouve le général Leclerc, probablement le Français le plus populaire de son temps.

La météo est mauvaise pourtant l'avion de Leclerc fonce en direct de Colomb-Bechar. Tout droit vers la tempête de sable annoncée. L'appareil n'arrivera jamais à Colomb-Bechar. Il va s'écraser. Le choc - effroyable - est immédiatement suivi d'une immense gerbe de flamme.

  Le général Leclerc n'est plus.

 

 Cependant que des millions de Français pleurent un héros et lisent accablés les détails de la catastrophe, une singulière information commence à courir sur les ondes et les salles de rédaction.

 On a cherché et trouvé les corps déchiquetés des passagers. Celui de Leclerc a été identifié grâce à son portefeuille, à la chevalière qu'il portait à l'annulaire gauche et aussi grâce à un morceau de sa célèbre canne.

 On a dénombré sur le lieu de la catastrophe treize cadavres. Or de l'aérodrome d'Oran, douze hommes seulement se sont envolés.

 Ma Mamie en possède la preuve absolue.

 

 Que peut signifier ce treizième cadavre ? Un homme se serait-il caché à bord de l'appareil dans le but, en sacrifiant sa propre vie, de s'en prendre à celle d'un personnage trop dangereusement populaire ? S'agit-il réellement d'un accident ? Ou d'un attentat ? La question était posée.

 Les grands destins du passé ne manquent pas de susciter en nous de l'admiration, de l'incrédulité, voire de la nostalgie. Ils nous arrivent de soupirer et de penser que de telles épopées ne sont plus de saison. Effaçons les regrets, oublions le pessimisme et découvrons la vie de Philippe de Hauteclocque, le fameux général Leclerc.  

 

 Jeune, il choisit de préparer Saint-Cyr. A la veille d'y entrer, Philippe est un garçon de taille moyenne - 1,72 mètre - mince, très droit, avec un visage à la fois énergique et fin : des yeux bleus au regard vif avec de soudaines lueurs de tendresse, le tout sous des cheveux coupés en brosse.

 En ce temps, il écrit à sa mère :

- Rassurez-vous, je mettrai toujours ma conduite en accord avec mes principes." Un programme auquel il n'admettra jamais d'entorse. Le doute ? Il ne connaît pas.

 L'idée seule d'une controverse lui paraît inconvenante.

 Il sort de Saint-Cyr cinquième sur trois cents quarante et premier de l'escadron. Il sera affecté au 1er cuirassier en occupation à Trèves. Il n'y part pas seul. Le 11 août 1925, il s'est marié avec une jolie brune, mince et fine, Marie-Thérèse de Gargan.

 En septembre 1939, le capitaine de Hauteclocque - trente-sept ans et six enfants - se retrouve dans les Ardennes. Un jour, à la tête de ses hommes, il s'enfonce de quatre kilomètres en zone allemande.

 Un des rares succès de cette "drôle de guerre".

 

 Le 10 mai 1940, c'est la foudroyante attaque de la Wehrmacht. Les bombardements en piqué des Stuka et la force de feu des divisions blindés allemandes font mouches.

 Terrible découverte : la France a une guerre de retard.

 Hauteclocque croise le commandant Blanc qui ose dire à voix haute ce qu'il pense tout bas.

- Mon pauvre Hauteclocque, la guerre est perdue d'avance. Il n'y a rien à faire, nous sommes trop surclassés.

 Le 29 mai, Hauteclocque sera fait prisonnier. Il fait le point. Il est chef d'état-major et il n'y a plus d'état-major. Il est chef du 3ème bureau de la division et il n'y a plus de 3ème bureau. Pourquoi se laisserait-il prendre ?

 Une solution, une seule : s'échapper de la nasse. A ce moment précis commence l'épopée de Leclerc.

 

 Il se mêle au flot des réfugiés, vole une boule de pain dans un camion et, dans un autre, un vélo. Il roule pendant vingt kilomètres lorsque, tout à coup, il se trouve nez à nez avec une colonne de camions allemands. Il jette sa bicyclette et, à toutes jambes s'enfuit vers un champ de seigle avant de s'étendre de tout son long et d'entendre siffler les balles.

 Un orage éclate qui le trempe jusqu'aux os. Il ne repart qu'à la nuit pour se cacher dès que paraît le jour. Il frappe à des portes qui se ferment. Un seul geste de solidarité lui vient d'un adolescent qui lui donne sa bicyclette.

 Il pédale encore toute la nuit avant de devoir abandonner sa bicyclette. Qu'importe, un gamin lui en procure une autre. La troisième ! Plus tard, il balance entre la colère et le désespoir quand il apprend que l'armistice a été signé.

 La France s'est inclinée devant Hitler.

 Il rentre dans Paris où il entend parler d'un général de Gaulle qui, de Londres, appelle les Français à le rejoindre pour continuer la lutte.

 Philippe de Hauteclocque n'hésite pas : c'est là que se trouve la solution. Il n'en est pas d'autre.

 Au fait, n'est-ce pas ce qu'il tente lui-même depuis qu'il a quitté Lille ? Tout comme de Gaulle, il a refusé de se soumettre. Comme lui, il estime que tant qu'il existera une possibilité de se battre contre les Allemands, il faudra la saisir. Alors, partir. Ne pas perdre un jour. Le 27, pour la première fois, il entend à la radio la voix du général de Gaulle alors qu'il part pour l'Espagne.

 Non seulement, il se sent confirmé dans sa résolution, mais plus encore : galvanisé.

 

 L'Espagne puis le Portugal puis enfin l'Angleterre où deux hommes se retrouvent face à face, dignes l'un de l'autre : le plus petit, c'est Philippe de Hauteclocque ; le plus grand - à vrai dire interminable - c'est Charles de Gaulle.

 Est-ce que cette poignée d'obstinés peut vaincre la formidable armée Allemande ?

Qu'importe à Hauteclocque, il faut un commencement à tout. Mais il doit impérativement changer de nom. On lui demande de s'adresser aux Français sur les ondes de la BBC. Si on le présente sous son véritable patronyme, sa famille restée en France risque d'en pâtir. Tranquillement, il annonce qu'il s'appellera désormais Leclerc : nom fort courant en Picardie.

 La légende est en marche.

 

 En Afrique, Leclerc organise sa division avec un art qui ne peut que susciter l'admiration de tous, peu à peu se crée autour de lui cette extraordinaire cohésion qui marquera la légendaire 2ème DB. 

 

 Le 6 juin 44, c'est le débarquement. Chez Leclerc on passe la journée à l'écoute de la radio. Quels soupirs de soulagement, quels cris de bonheur, quand il se révèle que les alliés ont pris pied - solidement - sur le sol normand ! Chaque jour la 2ème DB s'attend à être appelée. Elle ne part pas. L'heure de la division viendra bientôt.

 

 Le 1er août, à 11 heures du matin, Philippe de Hauteclocque, général Leclerc, saute sur la plage de Utah Beach. Il se fige, frappe le sable de sa canne. On l'entend murmurer :

- Drôle d'impression...

Puis, plus fort :

- Ca fait bougrement plaisir.

 Il est heureux, pleinement. Et rassuré : la participation de sa division ne sera pas seulement symbolique. Elle arrive en plein combat. La bataille fait rage. Leclerc s'y jette lui-même en jeep.

 Ce n'est qu'après avoir essuyé les rafales d'une mitraillette allemande qu'il accepte de monter dans un scout-car qui a le mérite d'être blindé.

 Un peu plus tard, il conduira les opérations dans son char personnel, dont il a fait enlever le canon pour mieux y voir.

 Partout, la 2ème DB tient les Allemands en échec. Elle a taillé en pièces trois divisions de panzers. L'obsession de Leclerc, désormais, c'est Paris.

 Mais le 19 août, Leclerc apprend - stupéfait - que les Américains ont décidé de ne pas entrer dans Paris. Ils veulent consacrer toutes leurs forces à la poursuite et à l'écrasement des Allemands.

 Le lendemain, parvient l'extraordinaire nouvelle de l'insurrection des Parisiens. Leclerc ne serait pas lui-même s'il ne se décidait instantanément. Il donne l'ordre de partir pour Paris. Eisenhower se décide alors : l'armée alliée va donner la main aux insurgés parisiens.

 La suite vous la connaissez. Le défilé de l'Arc de Triomphe à Notre-Dame : de Gaulle, Leclerc,  Koenig, Bidault - président du conseil National de la Résistance - et tant d'autres qui, ayant été à la peine, sont enfin à l'honneur.

 C'est le déferlement de bonheur de deux millions de Parisiens.

Ce n'est pas fini, après la délivrance de Bacarrat - l'une des actions dont Leclerc sera le plus fier -, ce sera la percée des Vosges. La division souffre beaucoup, mais prouve une nouvelle fois sa valeur.

 Enfin, Strasbourg. Leclerc écrit : "Voilà le couronnement ! Maintenant nous pouvons disparaître. La tâche est remplie... Je suis éreinté mais heureux."

 Le serment de Koufra a été tenu.

 

 Le 5 mai 1945, les chars français entrent dans cette ville qui fut le haut lieu du nazisme : Berchtesgaden. La résidence de Hitler brûle encore. Quel symbole !

 La carrière de Leclerc pourrait s'achever ici mais on a encore besoin de lui. Le Vietnamien Hô Chi Minh a déclenché une insurrection générale. Pour faire face et tenter de garder ce fleuron de ce qu'on appelait naguère notre empire, de Gaulle n'hésite pas : il fait appel à Leclerc.

 L'été de 46, ce sont les premières vacances de Leclerc depuis 1938 ! Il retrouve Tailly, sa femme, ses enfants, ses bois, ses fermes. Est-il désabusé le général Leclerc ? Pendant toutes les années de lutte, il s'était forgé une autre image de la France victorieuse, sa France.

 Le départ du général de Gaulle, sa retraite à Colombey-les-Deux-Eglises, l'ont confirmé dans son amertume. La IV ème république qui vient de naître ne lui dit rien qui vaille. Sa réprobation est bientôt connue.  

 Dans l'opinion, Leclerc apparaît comme un "recours". Mais il est un soldat, il veut le rester. Il accepte avec joie la proposition de Juin de lui confier l'inspection d'Afrique du nord.

 Cette Afrique évoque pour lui tant d'heures essentielles de sa vie ! Il y a triomphé de tant d'obstacles, traversé tant d'espoirs, connu tant de joie ! 

 Le 27 novembre, il est à bord de son avion Mitchell qu'il a baptisé "Tailly" comme il l'avait fait, à la 2ème DB, de son char de commandement. L'avion décolle. On connaît la suite.

 Après cinquante ans, le problème reste posé : accident ou attentat ? Ma Mamie n'en démord pas, on l'écoute :

- Le temps était tout bonnement effroyable. Aucun autre avion n'a décollé ce matin-là. Le pilote du Mitchell, lui, n'a pas pu rester à terre : personne n'osait dire non à Leclerc".

 

Le 13ème cadavre ? Ma Mamie m'a dit que c'était des conneries.

 

 Leclerc était sans peur et quasi sans reproche. Toujours il s'est interdit de se courber devant les hommes comme de se plier aux évènements. Il avait dit : "Tout ce que j'ai réussi je l'ai fait parce que j'ai désobéi".

 Ce jour-là, Leclerc dont le parlement allait faire un maréchal de France n'a pas voulu davantage obéir aux éléments. Fidèle à lui-même, il a ajouté une touche ultime à sa légende.

 

 

Collection "Mamie explore le temps"

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 18:25
almanach-copie-1.jpg"Un almanach, là, sous vos yeux. 

 

 "Je tiens l'affaire.

L’homme qui vient de pénétrer en rafale dans un bureau du palais Mazarin, le souffle aussi court que celui d’un coureur de marathon touchant au but, a 32 ans, mais en paraît 40.

 Il est trapu, très maigre, très pâle. Ses vêtements sont en désordre. Il a oublié de peigner ses cheveux noirs. Mais ces yeux étincelles quand il lance cette affirmation péremptoire au visage ahuri de l’érudit assis là, derrière sa table de travail :

- Je tiens l’affaire !

 Il jette sur la table une brassée de documents, y plonge les bras comme le boulanger dans son pétrin. Triomphalement il en extrait des feuillets qu’il brandit l’un après l’autre sous le nez de son vis-à-vis.

 Il s’appelle Jean-François Champollion et celui à qui il s’adresse n’est autre que son frère aîné.

 En phrases haletantes il s’explique. C’est de l’Egypte qu’il parle. Un mot revient sans cesse dans son discours : hiéroglyphes. Son frère l’écoute, réservé d’abord, bientôt conquis. Emerveillé enfin.

Il parle toujours Jean-François. Il semble que rien ne puisse l’arrêter. Tout à coup, son frère le voit s’immobiliser, se raidir, la bouche ouverte. Aucun son ne sort plus de ses lèvres. Il titube puis finalement s’abat sur le parquet.

 Apparemment, il est sans vie. Terrorisé, Champollion l’ainé se jette à genoux, entrouvre la chemise et l’habit de son frère.

 Le coeur bat !

  On va le transporter, inconscient, jusqu’à son domicile heureusement tout proche. Durant cinq jours et cinq nuits, Rosine, son épouse, et son frère vont se relayer à son chevet.

 Il ne sort pas de son coma.

  Le sixième jour, il ouvre les yeux. Sa femme et son frère le voient sourire. Jean-François se tourne vers son aîné et, tranquillement, comme une chose toute naturelle, reprend avec lui la conversation là où elle s’était interrompue.

 Il explique qu’il est parvenu au but poursuivi depuis tant d’années : il a percé le secret des hiéroglyphes égyptiens.

  Il semble que l’un des privilèges du XIXème siècle soit d’avoir vu éclore plus de destinées extraordinaires peut-être que toute autre période de l’histoire.

 Parmi celles-ci, la vie de Champollion, mêlant à chaque instant l’insolite et l’exaltant, apparaît comme l’une des plus fabuleuses.

 Seul, de par son génie et son incroyable acharnement, il a restitué à l’humanité plusieurs milliers d’années de son histoire.

 Depuis des dizaines de siècles, l’Egypte faisait rêver tous ceux qui l’abordaient : voyageurs, marchands, diplomates, soldats. Sur son passé, on ne savait à peu prêt rien.

 Des hiéroglyphes partout !

 Des marchands en avaient importés de nombreux en Europe. Le drame c’est que, ces hiéroglyphes, personne au monde n’était capable de les déchiffrer.

Privée de son écriture, l’ancienne Egypte semblait définitivement perdue.

 A plusieurs reprises des savants avaient tenté de les déchiffrer. Tous, ils avaient échoué. Jusqu’au jour où...

 

 Non seulement il ne faut pas craindre l’anecdote en histoire, mais il faut la retenir soigneusement lorsqu’elle est éclairante et souligne un jalon chronologique.

 Au début de la Révolution française, l’épouse de Jacques Champollion, qui tenait une librairie à Figeac, souffrait de violentes douleurs rhumatismales. Peu à peu, toutes les parties de son corps s’étaient ankylosées.

 En janvier 1790, totalement paralysée, elle ne pouvait plus quitter son lit. Les médecins l’ayant abandonnée, elle attendait la mort.

 Le libraire aimait sa femme. Elle lui avait donné quatre enfants.

 Mais un seul des trois fils avait survécu, Jacques-Joseph, onze ans ayant sa petite soeur Marie. Désespéré et quoique adepte de la raison. Jacques Champollion se résigna à faire appel à un certain Jacquou que les gens de la petite ville appelaient "le Sorcier". On affirmait que Jacquou détenait un grand nombre de connaissances étonnantes et qu’il avait mené à bien beaucoup de guérisons.

 Jacquou entra. De sa besace, il tira des plantes.

 Il les fit chauffer et demanda que l’on portât la malade sur ce lit d’herbes. Pendant ce temps, il préparait des tisanes qu’il laissa au libraire en lui recommandant d’en faire boire certaines à sa femme et de la frictionner avec d’autres.

 En prenant congé, il jura que la malade connaîtrait bientôt un rétablissement "complet et rapide". Il ne s’en tint pas là : il déclara que la jeune femme, une fois guérie, donnerait naissance à un fils qui serait une "lumière des siècles à venir".

 Si on se réfère à des "relations unanimes" pour affirmer que la patiente put se lever au bout de trois jours et qu’"au bout de huit,  elle montait et descendait les escaliers de sa maison en courant". 

 La ville toute entière s’émerveilla. Comme la première partie de la prédiction s’était réalisée, on voulut voir ce qu’il en serait de la seconde.

 Le 23 décembre 1790, vers deux heures du matin, Mme Champollion donnait naissance à un garçon que le curé baptisa sous le nom de Jean-François.

 C’est donc pendant la Révolution qu’il grandit. Il voit croître l’arbre de la liberté, il entend chanter la Carmagnole. Un vieux prêtre réfractaire devient son premier professeur.

 Si son frère aîné manifeste déjà une intelligence lumineuse, Jean-François fait preuve d’une remarquable précocité. A cinq ans, il apprend à lire tout seul dans un missel.

 Il explique à ses parents abasourdis qu’il s’est borné à comparer une page imprimée du livre sacré avec une prière qu’il connaît par coeur. En vérité, pour la première fois, Jean-François Champollion a déchiffré.

 A onze ans, il en sait autant que son vieux professeur qui déclare forfait.

 Dès cette époque, l’ainé a voué à son cadet une admiration sans limite. Il faut dire que Jean-François le mérite : à onze ans, il connaît aussi parfaitement le grec que le latin et il est capable de réciter des pages entières de Virgile et d’Homère.

 Dès qu’il aborde l’hébreu - pour son plaisir ! - il accomplit des progrès stupéfiants.

 Au vrai, la curiosité de Jean-François se révèle insatiable.

 Son frère voudrait qu’il mît plus de discipline dans ses recherches et ses études. Mais tout l’intéresse, tout le passionne. Il refuse de se limiter.

 A douze ans, il écrit un premier livre dont le sujet apparaît bien inattendu : l’histoire des chiens célèbres.

 A treize ans, il commence à apprendre l’arabe, le syriaque, le chaldéen. Non content d’absorber toutes ces langues en quelques mois, il décide d’étudier aussi le copte.

 Il faut s’arrêter sur ce dernier choix.

 A l’époque, le copte est une de ces langues anciennes les plus oubliées.

 Seuls quelques érudits - on pourrait dire : quelques maniaques - songent à s’en approcher.

 Cependant le copte représente la seule survivance abâtardit de l’égyptien. Si déjà Champollion décide de maîtriser cette langue, c’est déjà qu’il se dirige vers l’Egypte.

 Il commence ensuite à étudier le chinois ancien parce que certains savants - qui s’égarent - affirment que la civilisation égyptienne aurait pris sa source en Chine. Ou réciproquement.

 Il aborde la langue zend, le pahlavi, le parsi. Stupéfait par cette capacité insensée d’apprendre et de retenir, le préfet Fourier lui procure les textes dont il a besoin.

 L’enfant réunit peu à peu une documentation fabuleuse. Il est doté d’un autre génie : celui de la classification. Toutes les informations qu’il a recueillies seront pour lui subdivisées.

 Le 27 août 1807, il assiste à la fête qui marque, au lycée, la fin de l’année scolaire. Une délivrance, car il échappe à cette discipline de fer qui régentait les lycées impériaux et dont il avait beaucoup souffert.

 L’histoire a-t-elle enregistré souvent un tel saut ? Le 27 août, Champollion quitte le lycée ; le 1er septembre, il lit son introduction devant l’Académie de Grenoble !

 Le jeune homme qui monte à la tribune est mince, élancé, non sans beauté. Il paraît plus que son âge. La maturité qu’il manifeste le situe très loin au-devant des lycéens, ses camarades de la veille.

 En outre pour la première fois de sa vie, il est amoureux.

 Son frère, le même été, s’est marié avec une charmante Zoé, Jean-François s’est immédiatement épris de la soeur de celle-ci, Pauline, qui a six ans de plus que lui.

 C’est ainsi que naissent les grands amours.

Finalement, cela ne donnera rien.


 Après quoi, une autre rencontre féminine effacera tout. Tel est en général le destin des amours adolescentes.

 Pauline mourra en juillet 1813, a 29 ans.

Son frère l’amène ensuite à Paris. Il songe alors sans cesse à la stèle de basalte noir dont les inscriptions l’obsèdent.

On affirme que dans la diligence il se serait penché vers son frère et se serait écrié :

- Je déchiffrerai les hiéroglyphes ! J’en suis sûr !

 Même s’il ne pas exprimé en ces termes, nous pouvons être convaincus que telle était bien sa pensée.

  A Paris, pour la première fois de sa vie, Champollion va vivre dans une solitude presque complète.

 Séparé de cet ainé qui lui a tenu lieu de père, éloigné de la jeune fille qu’il aime. Il souffre douloureusement.

 Dans sa chambre, le soir, il ne peut refréner les larmes qui lui viennent aux yeux : "Je suis seul.  Je ressens un vide affreux. L’étude et le travail seuls absorbent mon esprit et mes pensées, apportent un peu de calme dans mon âme. Ce sera mon unique remède et ma seule occupation."

 Sa consolation, en attendant l’ouverture des cours de collège : ses longues stations à la Bibliothèque nationale où il consulte tous les textes coptes que celle-ci possède."

 Il est si imprégné de copte qu’il en vient à prendre ses notes quotidiennes dans cette langue. Bien plus tard, un érudit mettra la main sur un manuscrit rédigé en copte et le publiera comme un "original égyptien de l’époque des Antonins" ! il s’apercevra - trop tard - qu’il s’agissait tout simplement d’écrits laissés par Champollion.

 Au cours de l’hiver qui suit, il commence à tousser : les premiers signes de la tuberculose. A cette époque, on ne la soigne pas.

 Il n’a pas encore osé attaquer de front la pierre de Rosette. Un jour, après tant d’autres, il fait face, se procure une copie récente de la stèle et se met au travail. Du premier coup, il identifie toute une série de lettres. Il sent passionnément qu’il est sur la bonne voie.

  Un jour, il rencontre dans la rue un ami très agité.

- On a déchiffré les hiéroglyphes !

Champollion pâlit, chancelle. Le rêve de toute sa vie ! On l’a devancé ? Il questionne : qui ?

- Alexandre Lenoir, dit l’ami, qui vient de proposer une brochure qui propose une interprétation complète des hiéroglyphes. 

 Jean-François plonge dans une perplexité profonde. Il connaît Lenoir depuis un an et celui-ci ne lui a parlé de rien.

 Il prend ses jambes à son coup, court chez le libraire, demande la brochure de Lenoir, l’achète et l’emporte en courant chez lui. Quelques minutes plus tard, ses voisins entendent de véritables hurlements. Ils s’inquiètent à tort : ce ne sont que des rires !

Ecroulé sur son sofa, Jean-François est secoué par une hilarité gigantesque.

 Sous la plume de Lenoir, il ne trouve que des hypothèses hasardeuses, dont aucune ne soulève le moindre coin du voile. une bonne raison de s’écrier de nouveau :

- A nous deux les hiéroglyphes !

Il faudra douze ans à Champollion pour arriver au but.

 

Champollion cherche et trouve

Champollion, l'homme qui fit parler l'Egypte

Champollion cherche et trouve

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 18:19

Tresor.jpg"Une bateau, là, sous vos yeux.

 

 Il s’appelle Paul Truck - nom curieux mais parfaitement authentique. C’est le personnage le plus original, le plus pittoresque de la S.M.N - société maritime nationale - où il travaille et à qui on va proposer de retrouver le fameux trésor.

 Paul Truck - dit aussi le captain -, avait pendant la guerre, risquant vingt fois la mort, déminé le port de Calais. A la fin de la guerre, le président Henri Estier l’avait envoyé en Argentine pour acheter des bateaux.

 Tâche difficile, à un moment où la France manquait de tonnage. Paul Truck avait brillamment réussi. On disait volontiers que, servant les intérêts de la compagnie, il n’avait pas oublié les siens.

 En 1922, Truck n’avait pas encore la trentaine. Il était ce qu’on appelait un bel homme, avec des cheveux très noirs, une moustache conquérante. Dès qu’il arrivait au bureau, il semblait que tout s’arrêtât. Chacun, inconsciemment, se mettant à la disposition du captain.

 Chaque entrée était une tornade, un ouragan.

 Il appuyait sur toutes les sonnettes en même temps, décrochait le téléphone, surgissait de son bureau pour appeler tel ou tel d’une voix éclatante.

 Il ne passait jamais plus de deux ou trois heures à la S.M.N.

 Après quoi, il descendait rejoindre sa voiture, une limousine de grande marque conduite par un chauffeur d’aristocratique allure. Souvent une jeune femme l’y attendait. ravissante, fine, élégante, c’était un ancien mannequin. Truck l’avait arrachée au couturier dont elle présentait les collections et l’avait mise dans ses meubles. Mary - appelons-là par son prénom - éprouvait plus de peur que d’amour pour le fracassant captain Truck.

 Elle savait qu’il avait une femme légitime, d’autres maîtresses, et que, pour elle, il n’était disposer à en sacrifier aucune. Mais la générosité de Truck était sans borne. Elle s'émerveillait des bijoux qu’il lui offrait. Il voulait qu’elle fut toujours plus belle, pour lui faire honneur.

 Un jour, un homme de petite taille d’une trentaine d’années arriva aux bureaux de la S.M.N. Il demanda Paul Truck. Sur sa carte qu’il remit à l’huissier, ou pouvait lire : Major Sippé. Paul Truck le reçut.

 L’entrevue dura longtemps, beaucoup plus longtemps que celles que le captain accordait à ses  autres visiteurs. Il fut questions des confidences d'un certain O'Donnagain et d'un trésor qui gisait dans l'épave du Tubantia en mer du Nord. A la sortie de l'entrevue, Truck était convaincu qu’il fallait aller, en mer du Nord, repêcher le trésor du Tubantia.

 Un trésor recèle en lui-même sa force de conviction. Pour le captain, ce trésor devint une impérieuse nécessité. Dès qu’il rejoignait Mary, il lui parlait de l’or. En voiture, c’était toujours de l’or qu’il était question. Et le soir, chez Maxim’s, tandis qu’il distribuait à la ronde des pourboires fastueux, il avait beaucoup de mal à parler d’autre chose que du Tubantia.

 Avec Paul Truck, les affaires ne traînaient jamais. Il décide de passer à l'attaque et file à Dunkerque. Là-bas, il était chez lui. Dans les cafés du port, il eut fait de retrouver de vielles connaissances.

 Il s'installa dans une cabine du Berny-en-Sancerre et, de conserve, les deux bateaux quittèrent le port pour Ostende. A peine débarqué, Paul Truck alla retenir un appartement à l'hôtel Wellington. Le plus beau, le plus luxueux des appartements. Il attendait Mary et il fallait que l'écrin fût digne de la beauté de la jeune femme.

 Le soir même, le captain revêtit son smoking bleu de nuit et, par la digue, gagna le célèbre Kursaal d'Ostende, ce casino en forme de rotonde, bâti face à la mer comme un défi.

 Pendant des heures il joua. Et il gagna. Décidément, la chance était avec lui.

 Dès le lendemain matin, à l'aube, la recherche de l'épave commença. 

 Pendant des jours, deux remorqueurs quadrillèrent la mer. Régulièrement, on s'arrêtait, on lançait un grappin. Rien. Toujours rien.

 Mary était arrivée à Ostende, s'était installée au Wellington.

Elle attendait.

 

 Un mois. Oui, un mois. Toujours rien.

 Parfois la drague crochait dans un obstacle. Un scaphandrier descendait, ne trouvait rien, décrochait la drague. On repartait. Impavide, Paul Truck. Certes, son impatience montait, mais il ne le montrait pas. Sippé, lui, tuait le temps en vidant force bouteilles de whisky.

 Le mois de mai était largement entamé. Une journée de plus de recherches infructueuses.

Tout à coup, un choc.

 La drague qui se tend. Quelque chose.  Et cette fois, visiblement, quelque chose de sérieux. On stoppe les machines. la journée est trop avancée pour qu'on puisse y aller voir. Demain.

 Il n'est pas encore sept heures du matin, quand un scaphandrier désigné par Paul Truck se livre à ses aides pour l'habillage. tout est prêt. On le jette à l'eau.

 Quand il remontera, lentement, il faudra le déshabiller bien sûr. Après quoi, il se présentera à l'échelle du Berny. Paul Truck l'attend, l'entraîne dans sa cabine où ils retrouvent Sippé. Là, le scaphandrier dit tout : l'épave repérée, le nom du Tubantia lu à l'arrière. Un cri de joie qui est un rugissement. Voilà, on y est. Le trésor est à portée de la main.

 La tâche fixée aux scaphandriers est de s'ouvrir un chemin, à l'intérieur du Tubantia, jusqu'à la chambre froide où l'on sait que les fromages plein d'or ont été entreposés. Ce chemin, il faudra des semaines pour qu'il soit frayé.

 Les jours passent, les semaines. De temps en temps, en coup de vent, Paul Truck surgit au Wellington, retrouve Mary, court au casino avec elle, joue de plus en plus gros jeu. On dirait que la fièvre de l'or du Tubantia a exacerbé sa passion de jouer. Longtemps, il a gagné.

 Maintenant, il perd. Il s'acharne et il perd. Des sommes énormes restent entre les mains des croupiers du Kursaal. Bientôt, Paul Truck doit se rendre à l'évidence : il est ruiné s'il ne trouve le trésor du Tubantia.

 Mais comme dit Mamie : Le trouvera-t-il ?

Et si le trésor n'existait pas ?

 

Avril 1923. Les scaphandriers se sont remis au travail. La brèche dans la coque est devenue une ouverture profonde. Peu à peu, on s'approche de la chambre froide. Mais Dieu que c'est long !

 Le 9 juillet, un soleil de feu frappe droit une mer étale. Les scaphandriers sont au fond. Sur le pont du Berny, Paul Truck aperçoit tout à coup un bateau gris qui se rapproche à vive allure.

 Un bateau anglais qui stoppe et laisse couler l'encre à moins de trois encablures du Berny. Manquait plus que ça. Qu'est-ce que cela veut dire ?

 Dans les jours suivants, des scaphandriers anglais voudront à leur tour descendre sur l'épave du Tubantia. Paul Truck fera comme eux, il larguera des charges pour obliger les Anglais à remonter.

 Alors, alors seulement, le commandant du bateau anglais Bourne se décidera à se présenter sur le Berny-en-Sancerre. Avec une simplicité admirable, Bourne priera Truck de vider les lieux. Pour toute réponse, le captain invitera l'Anglais à déguerpir sur-le-champ.

 Finalement, on discute. Truck fera de violents efforts pour garder son calme. Finalement, on décide de porter l'affaire devant la Haute Cour de justice de Londres.

 A Londres, on a plaidé. Le Times du 1er août 1923 a publié une relation éloquente des débats. d'évidence, la voie est libre aux Français.

 Sur place, autour des bouées qui marquent l'épave, il faut bien tenir compte d'un climat nouveau. A regret, le bateau anglais s'éloigne.

Pour Paul Truck, la mer est libre.

 

La suite ? Plus de nouvelles. C'est à croire que le Tubantia n'a jamais existé. Et puis, à la fin de septembre, tout change, la porte du bureau de la S.M.N. bat et, plus magnifiquement que jamais, le captain paraît.

 La téléphoniste Anne-Marie admire sa peau tannée par des mois de mer et sa moustache toujours conquérante. elle constate qu'il porte au revers de son veston la Légion d'honneur et la croix de guerre, alors qu'il s'en abstenait auparavant.

 A son doigt, un diamant.

Curieux.

 Visiblement, Paul Truck a du mal à s'intéresser de nouveau à la compagnie. De même, il ne s'entend plus avec François Estier qui lui reproche son luxe, cette Rolls qui, maintenant l'attend en bas, avec son chauffeur en livrée.

 Esthier, lui, se contente de taxis et d'autobus. mais peut-être le président a-t-il des reproches plus graves à formuler à l'encontre du captain ?

 On apprendra bientôt que Paul Truck vient d'être nommé directeur pour l'Europe de la compagnie Dodero, richissime société argentine. On apprendra bien d'autres choses. Le démon du jeu a repris Paul Truck. Sa Rolls le véhicule vers les cercles de jeu parisiens, vers Enghien, vers Deauville. La belle Mary est toujours a ses côtés.

Elle arbore des bijoux comme n'en portent plus les têtes couronnées. Chez Maxim's, le captain tient table ouverte. On le voit souvent entrer aux bras d'autres jeunes femmes que Mary. Pour une nuit, il fait cadeau d'un bijou qui vaut une fortune.

 Alors ? Paul Truck a-t-il retrouvé le trésor du Tubantia ?

 Ses amis le croient. Le personnel de la S.M.N le croit. Mais comme dit Mamie très justement, personne n'en a la preuve.

 L'énigme sera résolu par Leonce Paillard près d'un demi-siècle plus tard quand il aura une conversation avec le neveu du captain.

 Oui, Paul Truck avait découvert le trésor du Tubantia. Quand le bateau Anglais s'était éloigné, les scaphandriers avaient pu reprendre leur travail. On était proche du but. Une dernière cloison céda.

 Enfin, on pénétrait dans la chambre froide. Et là, à peine altérés par le long séjour au fond de la mer, bien alignés dans leurs caisses. Il y avait les "fromages". Un à un, on les avait remontés. A l'intérieur de chacune d'elles, se trouvaient bien les lingots d'or annoncés par O'Donnagain.

 Cependant, Paul Truck ne remonta pas tous les "fromages". Délibérément, il arrêta son exploration. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il craignait que l'affaire ne s'ébruitât, que la Monnaie française réclamât l'or, que les assureurs demandassent la restitution...

 Qui peut savoir ? tels sont les arguments que le captain soutint devant François Esthier lors du partage clandestin. Officiellement, la S.M.N n'avait rien trouvé. Personnellement, Paul Truck et François se partageaient l'or du Tubantia.

 Mais si Paul Truck n'avait pas persévéré dans ses recherches, c'était en vérité pour une raison qu'il se garda bien de dire à François Esthier. Parmi les "fromages" remontés, il avait découvert les trois boites métalliques sur lesquelles O'Donnagain avait pu lire la lettre K.

 Ces boîtes étaient pleines de diamants, de rubis, de topazes, de décorations impériales incrustées de pierre s précieuses, de colliers de perles, de bagues de toutes sortes. Une immense fortune. Le trésor du Kaiser Guillaume II que celui-ci, dès 1916, peu sûr de l'issue des hostilités, exportait délibérément. A quoi bon continuer à remonter des lingots d'or quand on a mis la main sur les trésors de Golconde ?

 

 Il n'est trésor qui ne s'épuise.

A force de distribuer les rubis et diamants à ses petites amies, à force de "flamber" sur les tapis verts, la fortune s'évanouit en fumée. Cette fois, le captain était définitivement ruiné. Landi, lui, l'homme du bateau anglais, revint plus tard sur les lieux et récupéra ce qui restait d'or, soit une valeur d'un million de livres sterling. Ni plus, ni moins.

 Il ne faut pas chercher de morale dans les affaires de trésor. Le major Sippé, pour son malheur, supportait mal la mer. Il n'était pas sur place au moment où Truck avait récupéré l'or et les pierres précieuses. Comme dit Mamie, la recherche de l'or du Tubantia ne lui rapporta pas un kopeck. 

 Pendant des années, il vécut d'expédients, buvant de plus en plus, fumant au-delà du raisonnable. Il se maria avec une Française, il en eut un fils. Après quoi, il descendit la pente. Vers 1969, on le trouva un soir ivre mort dans un ruisseau. On l'emporta à l'hôpital. C'est là qu'il mourut, "misérable et seul".

 

 O'Donnagain avait trahi le secret du Tubantia. Ayant trahi, il devait payer. d'où le poignard qui le frappa en plein coeur, près de la place Vendôme.

 Et Paul Truck ? Tout était vendu. Ses propriétés, ses meubles, sa Rolls, et même sa garde-robe. Il gagna Boulogne, anonymement, et désormais travailla pour le compte d'un mareyeur. On le vit débarquer des caisses de poisson. Il avait un frère riche.

 Mais un Paul Truck peut-il en venir à tendre la main ?

 L'hiver de 1935, une congestion pulmonaire le terrassa. Il dut garder la chambre, une chambre misérable d'un hôtel à matelots, l'hôtel du Faisan. Son état s'aggrava, son frère fut prévenu. Il arriva aussitôt et paya l'hôtel, le médecin et les médicaments.

 Une femme se présenta, jeune encore, toujours belle. C'était Mary. Elle tendit au frère de Paul Truck un bracelet de diamants. Elle ne voulait pas voir Paul. Elle craignait qu'en le retrouvant, il ne sentit plus encore la différence entre son brillant passé et son actuel dénuement.

 Ce bracelet, c'était Paul qui lui avait offert. Il fallait le vendre. Il fallait que captain fut transporté dans une clinique. Le frère remercia Mary, mais refusa le bracelet. Il était sûr que dans cet hôtel, Paul était bien. Il entendait les rires des matelots, leurs chants, le bruit de leurs bottes. Par la fenêtre pénétraient le cri des mouettes et les sifflets des bateaux.

 C'est là, à l'hotel du Faisan, quelques jours plus tard, que mourut, pauvre et sans rien regretter, l'homme qui avait tenu entre ses mains l'incroyable trésor du Tubantia.

 

 Fin de l'histoire.

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 18:11

Alamo2.jpg"Une illustration, là sous vos yeux.

 

 Dans le fort de l'Alamo, c'était la nuit et le silence. Chacun dormait. Il était 5 heures, ce 6 mars 1836. Il fallait, pour s'abandonner ainsi, beaucoup de fatigue ou beaucoup d'inconscience.

 Car le fort était encerclé par deux milles quatre cents Mexicains, sous le commandement du général Santa-Anna. Il y avait onze jours que durait le siège. Onze jours que la mitraille s'abattait et que les balles pleuvaient sur l'Alamo. Onze jours que s'affirmait l'incroyable disproportion des forces en présence.

 Onze jours que les optimistes se demandaient si les Mexicains attaqueraient, et les pessimistes quand ils attaqueraient.

 Soudain, l'officier de garde au mur nord, le capitaine John Baugh, entendit un cri dans la nuit. Le cri d'un Mexicain :

- Viva Santa Anna !

Qu'est-ce que cela voulait dire ? il ne s'écoula qu'un instant et une sonnerie de clairon retentit, suivie aussitôt par d'autres qui se répondaient de loin en loin.

 Un autre cri, un hurlement plutôt, proféré du milieu des herbes, à deux cents mètres au nord de l'Alamo :

- Arriba !

Pour le capitaine John Baugh, il n'y eut pas la moindre hésitation : c'était l'attaque. Il fit volte-face, courut vers les cantonnements. C'était lui qui hurlait maintenant :

- Colonel Travis ! Les Mexicains arrivent !

L'heure était donc venue de l'affrontement final. L'heure ultime de la grande aventure qui avait commencé bien des années plus tôt.

 

 Depuis la fin du XVII ème siècle, le Mexique, à qui appartient le Texas, s'est préoccupé de se ménager des positions solides, surtout face aux français de Louisiane. On a établi, en direction de la frontière, des presidios et des missions. L'établissement qui a réussi le mieux s'est implanté sur les bords de la rivière San Antonio. Bientôt, c'est une ville qui s'est élevée là, appelée d'abord San Fernando, puis San Antonio de Bexar. Et, à côté de cette ville, s'est bâtie une mission, San Antonio de Valero.

 C'est là que va vivre l'histoire que m'a raconté ma Mamie.

Car une garnison est venue s'installer dans la mission. Celle-ci, dès lors, devient un fort - et on l'appelle l'Alamo.

 Nous sommes  en 1830 - à la louche -, le Texas a le vent en poupe. Des empresarios comme Stephen Austin ne sont pas étrangers à cette fièvre. Ils ont habilement lancé une campagne, suscité des articles dans les journaux, édité des cartes, publié des brochures. D'évidence, le Texas y est dépeint sous des couleurs parfaitement idylliques.

 Il est atteint, le but. De tous les Etats de l'Union, les plus entreprenants se sont mis en route. Ces affamés de rêves ne vont pas être déçus. ils trouvent au Texas ce qu'ils étaient venus y chercher.

 A leurs yeux, c'est l'Eldorado.

Les lettres qui partent à l'adresse des amis laissés en arrière, très loin, ne parlent que de l'herbe inépuisable des prairies tapissées de fleurs, que de la pureté et de la fraîcheur des rivières aux rives d'un vert tendre, que de lys qui couvrent les étangs, du foisonnement du gibier, du poisson, de la surabondance des cheveux sauvages et des buffles.

 Des agglomérations voient le jour, dont certaines deviennent de petites villes, de véritables bastions américains au Texas. Dans ces villes, se sont installés des médecins, des avocats, des géomètres, des commerçants. Pour tous ces gens-là, un dogme absolu : pas d'impôts au Texas.

 Seulement voilà, les esprits américains vont alors s'échauffer. En fait, cette province, où 75% des habitants parlent anglais et ont des réflexes américains, n'a plus rien de Mexicain. Quand on décide de réagir, il est bien tard.

 Réagir, oui. Le congrès Mexicain décide de fermer le Texas à toute nouvelle immigration américaine et prend une décision lourde de sens : emprisonner à Anahuac des Américains en situation illégale.

 La riposte ne se fait pas attendre. les Américains du Texas prennent les armes. Stephen Austin, fidèle au Mexique, doit s'entremettre. La révolte s'apaise. Mais les Texans ont occupé le fort mexicain Velasco et le conservent. Pour la première fois, des Texans révoltés l'ont emporté sur les Mexicains.

 Dans la foulée, quand Santa Anna renforce les douanes, rétablit les impôts et réoccupe Anahuac, la colère monte.

 C'est ici qu'intervient William Barret Travis, celui nous avons rencontré déjà à l'Alamo. L'intervention de Travis se situe en juin 1835, soit sept mois avant l'affaire. On peut dire qu'en juin 1835, Travis entre dans l'histoire.

 Qui est Travis ?

 Il est né en Caroline du Sud, en 1809, et il n'a donc que vingt-six ans. Il incarne très exactement ces Américains venus refaire leur vie au Texas. Il a passé sa jeunesse en Alabama, il a étudié le droit, donné des leçons pour vivre. Il a épousé une de ses élèves, Rosanna Cato, fille d'un riche fermier. Ils ont deux enfants. Travis a ouvert un cabinet juridique. Ses affaires marchent bien. L'avenir de la famille paraît sans histoire.

 Et puis c'est le drame. Le ménage se sépare. Il semble que Rosanna ait été infidèle. Délibérément, Travis va rompre avec son passé.

 En 1831, il part pour le Texas. Il ne parle à personne de sa vie d'autrefois. Il se dit célibataire, plus tard il se dira veuf.

 Travis mesure 1,82 m, il pèse 75 kilos. C'est le type de l'American hero. Il fait parti des révoltés de 1832. On l'emprisonne et peu s'en faut qu'il ne passe de vie à trépas.

 Ensuite il s'installe à San Felipe. Il vit en bohème, dans une pension de famille. Pour tout bagage, il n'a qu'une musette. Pour vivre, il rédige des testaments, arbitre des conflits, récupère des biens contestés, établit des contrats. Jamais il ne refuse une affaire. N'a-t-il pas une fois accepté d'être réglé avec une paire de boeufs ?

 Il s'habille volontiers de façon excentrique et son pantalon rouge a longtemps fait sensation. Il accumule les aventures sans lendemain, qu'il note dans son journal.

 Mais un jour, il tombe amoureux d'une fille alerte et gaie, Rebecca Cummings, qui tient une auberge. Il lui fait une cour ardente. Elle est émue. Il  lui révèle qu'il est marié mais il jure qu'il divorcera.

 Elle, elle est prête à attendre. Un jour que des inondations l'empêchent d'aller vers elle, il écrit dans son journal : "La première fois de ma vie que j'ai rebroussé chemin." Il est cultivé, il lit les bons auteurs. Aventureux aussi : il est l'un des premiers à financer un bateau à vapeur.

 Mais il se veut sûr de lui, il croît en sa mission.

 Là-dessus, on a vu surgir au Texas sa femme Rosanna qui lui demande de la rejoindre ou de divorcer. Il n'hésite pas : il lui rend sa liberté mais toutes ces difficultés familiales éloignent Travis des affaires du Texas. Soyons rassurés, il y revient.

 Au vrai, tout va très vite pour les Texans au cours de cette année 1835. Très vite et très fort. De nouvelles troupes mexicaines sont en route et cette-fois Travis va se ranger parmi les furieux.

 Il se sent plus texan que les anciens Texans. Miracle de l'identification. Face à l'armée mexicaine, se constitue une petite armée texane, formée de volontaires qui d'emblée se placent sous le commandement de Stephen Austin puis de Sam Houston.

 Encore un curieux personnage que ce Houston. Naguère, il avait brillé dans les fonctions de gouverneur du Tennessee. Il avait donc quelque chose en lui de Tennessee. Un drame intime, sur lequel ma Mamie en sait pas grand chose - en tout cas, il s'était séparé de sa femme -, l'avait contraint à démissionner. dépressif, il s'était réfugié chez les Indiens cherokee.

 Après quoi, il était venu habiter au Texas avant de commander l'armée texane. Une armée qui a le vent en poupe mais qui pour exister et pour défendre l'Alamo doit trouver de nouveaux hommes, de nouveaux chefs, un moral neuf.

 Toutes choses impossibles à obtenir en apparence.

 Mais les hommes de l'Alamo pensent que le mot impossible n'est pas texan.


 Le 25 janvier, l'armée de Santa Anna se met en marche. L'armée mexicaine se met en marche sur San Antonio. Elle marche sur l'Alamo.

 Sam Houston ne mésestime pas la puissance de l'armée mexicaine. Faut-il tenir l'Alamo ? Il ne le pense pas. Son plan ? Abandonner San Antonio et démanteler l'Alamo afin que les Mexicains ne trouvent que des ruines. Pour porter ses ordres au colonel Neill, Houston choisit Jim Bowie.

Il s'agit d'un personnage de haute stature, un autre type d'American Hero. Avec ses  cheveux rouges et ses yeux bleus, ce quadragénaire a fière allure. Dans sa jeunesse, il a dressé des alligators, combattu au cours d'une rixe fameuse et tué son adversaire d'un coup de poignard.

 Ce n'est pas la seule fois, d'ailleurs, où il a joué du couteau. Il a fait fortune avant d'épouser la femme la plus riche de la région, Maria Ursula, dix-neuf ans. Du coup, il a encore accru sa fortune, survivant à mille aventures, notamment à un affrontement avec les Indiens. Avec dix compagnons, pendant deux jours, il a tenu tête à cent soixante-quatre indiens.

 Cet homme courtois et doux n'élève que rarement la voix. mais il sait ce qu'il veut. Il est heureux en ménage. Très heureux. Jusqu'en 1833, car, à cette date, Maria Ursula meurt du choléra avec leurs deux enfants.

 Pour Bowie, c'est un immense malheur. Il vivra désormais en solitaire et boira au-delà du raisonnable.

 Avec lui, pour porter les ordres de Houston, galopent une trentaine d'hommes, les dernières recrues. Quand Bowie arrive à l'Alamo, il trouve pas de vivres, pas de médicaments, pas de poudre à fusil, pas de projectiles pour l'unique canon que l'Alamo puisse être fier. Sans oublier les déficiences de la défense et l'indiscipline qui règne dans le fort. Pourtant, ces hommes "en veulent".

 Ils ont choisi de rester.

 Vite, Bowie se persuade que ces hommes représentent un matériel humain de premier ordre. Se replier ? Détruire l'Alamo ? Bowie le désire de moins en moins. Plutôt que d'exécuter les ordres, il préfère trouver des chevaux, améliorer les défenses et faire rentrer des vivres et des munitions. Et grâce à Green Jameson, un jurisconsulte devenu ingénieur, l'Alamo se transforme en une forteresse véritable.

 La vérité, c'est que Bowie est dévoré par un feu intérieur. Il a donc basculé. Or, il est malade, très malade. Il tient à peine debout et les médecins ne savent pas ce dont il souffre. Mais malade ou non, Bowie fait face alors que les Mexicains approchent. Il demande alors des renforts.

 Des renforts ? En voici. Trente hommes font leur entrée dans le fort. Ils sont commandés par Travis. Le plus curieux est que le futur héros de l'Alamo ne s'était pas montré fort empressé pour se rendre au fort. Il trouvait cette mission au-dessus des responsabilités de son grade. Il s'était mis en route en maugréant avant de se résigner.

Et le singulier de l'affaire, c'est que l'Alamo va une fois encore exercer sa fascination.

 Une fois sur place, Travis oublie sa maussaderie. Au contraire, il va se démener pour parachever, lui aussi, la défense de l'Alamo.

 Le 8 février, un nouveau groupe de cavaliers fait son entrée. Plein d'entrein, ces nouveaux-là. Comment s'en étonner quand on sait que celui qui les commande n'est autre que Davy Crockett...

Dès que Crockett et les siens pénètrent dans le fort, tous les défenseurs de l'Alamo accourent sur la place centrale. Crockett, très à son aise, saute sur une caisse et prononce aussitôt un discours.

 Il déclare qu'il est venu défendre les libertés de la nation. Sur ces fortes paroles, on l'acclame.

 Mais qui est ce Davy Crockett ? Haut de 1,80 m, il pèse 80 kilos. Son enfance s'est déroulé dans les bois. A douze ans, il va par les chemins, un fusil en bandoulière, affrontant les ours. Cet aventurier se marie, il a trois enfants. Ce qui ne l'empêche pas d'aller se battre dans l'Ouest contre les Indiens Creek. En 1814, il s'engage comme soldat. Sa femme meurt, ils se remarie. Il se lance alors dans la politique. Son personnage pittoresque plaît. Il siège coiffé d'un bonnet de fourrure dont la queue lui bat sur les épaules.

 Il raconte des histoires énormes dont il s'attribue le principal rôle. On y croit ou on y croit pas. Les journaux s'emparent de la légende de Davy Crockett.  Il aurait tué cinq cent ours en un seul hiver ! Dès qu'il a été question du Texas, il a pris parti et a juré que s'il n'était pas réélu, il irait défendre le pays, les armes à la main. Il n'est pas réélu, donc il part.

 Il a cinquante ans, il réunit une douzaine d'hommes. C'est avec eux qu'il arrive à l'Alamo. Il déclare qu'il ne veut pas de commandement. Il exige d'être considéré comme un simple soldat. Il se contente de prendre sa aprt de la mise en défense.

 Ainsi, la garnison s'est peu à peu gonflée. Elle compte maintenant cent cinquante hommes à peu près, sans compter les femmes et les enfants.

 La présence de ces femmes va suffire à Davy Crockett pour organiser un bal.

 

 Le danger grandit alors que Bowie boit plus que jamais. Car ils sont là, les Mexicains.

 Quand on monte sur les murs de l'Alamo, on peut voir au loin leurs uniformes, apercevoir leurs canons. Bientôt, on voit monter au clocher de l'église de San Antonio un drapeau rouge, un drapeau qui signifie qu'il n'y aura pas de quartier pour les hommes de l'Alamo. Certes, cette éventualité, on l'attendait.

 Mais devant cette réalité, les défenseurs de l'Alamo se sentent tous un peu serré. Et puis tout à coup, la pièce du 18 de l'Alamo a sonné. Enorme, le fracas. Toute la ville a tremblé. D'évidence ce coup de semonce est un défi. Défi que Bowie regrette aussitôt. Il n'est plus sur que  l'on ait eu raison de tirer.

 La nuit est tombée. Autour de l'Alamo, la redoutable pression mexicaine se resserre. Dans le fort, deux chefs mécontents : Bowie et Travis. Ils sentent bien que la dualité du commandement est préjudiciable à la défense. Comment envisager l'avenir ?

C'est le destin qui décide.

Littéralement, la maladie de Bowie le terrasse. Ils 'effondre. Est-ce de la phtisie galopante ? Une fièvre typhoïde ? Une pneumonie ? On ne sait. Ce qui demeure, c'est que Bowie est hors du coup. Bon gré, mal gré, on est parvenu au commandement unique.

 Le lendemain les Mexicains commencent à creuser des tranchées. Une chose est désormais certaine, ils se préparent pour un siège en règle. de fait, au début de l'après-midi, le bombardement commence. Les obus ne cessent de pleuvoir sur la forteresse. L'Alamo répond mais sur un rythme très lent. Il importe d'économiser les munitions.

 Travis, lui, s'est assis devant une table et s'est mis à écrire. Il adresse un message à "tous les américains du monde". Pathétique, ce message et, aujourd'hui encore, il soulève l'émotion.

Travis ne peut croire que les Américains, ses frères, ne viendront pas à son secours. Ce message, un soldat pourra l'emporter dans la nuit sans être repéré des lignes mexicaines.

 Le lendemain, ça repart de plus belle. Désormais, chaque fois qu'un Mexicain sera à portée de fusil, on tirera sur lui. Davy Crockett se garde de manquer à sa légende et fait mouche à tout coup.

 Le moral reste très haut. Crockett se multiplie, égaye les hommes, il joue du violon, provoque un concours avec un joueur de cornemuse. Une semaine déjà que le siège a commencé devant l'Alamo.

 Les hommes sont fatigués. tendus. Enervés. Les messages de Travis ? Ils ont été publiés dans la presse texane et ont soulevé un grand émoi. De loin en loin, l'appel a traversé les Etats-Unis. A Gonzalès, des volontaires sont partis. Ils sont trente-deux. Ils vont marcher lur l'Alamo, parviendront, en pleine nuit, à traverser les lignes ennemies et à pénétrer dans le fort.

 Travis dénombre les hommes valides dont il dispose. Ils sont cent quatre-vingt trois.

Cent quatre vingt-trois contre des milliers. 

 Le 3 mars, un messager quitte encore l'Alamo. Il porte un fiévreux appel de Travis : "Ne viendrez-vous pas à notre secours ? Ne m'enverrez-vous pas de munitions ?"

 A l'aube du 4 mars, les mexicains bombardent encore plus fort. Il faut sans cesse se mettre à l'abris/ A la fin de l'après-midi, une accalmie. Le feu a cessé. Travis en profite pour réunir les hommes sur la place. Il leur parle. Assurément, il ne reste plus d'espoir de secours.

 Il faut choisir. S'enfuir ou se battre jusqu'au bout.

On a raconté que Travis, à ce moment précis, a tracé une ligne sur le sol. Ceux qui la franchiront pourront quitter le fort. Un seul l'a franchie : un français, Louis Rose, vétéran des guerres napoléoniennes. Il partira la nuit suivante.

 Dans la journée, on voit les Mexicains faire mouvement. En fait, ils préparent la grande attaque. Dix-huit cent hommes doivent y participer, qui attaqueront en quatre colonnes, de quatre côtés différents. Et c'est la nuit la dernière nuit de l'Alamo. le cri dans l'obscurité :

- Viva Santa Anna !

 Les hommes de l'Alamo, réveillés en sursaut, ont couru prendre position. Si souvent, ils avaient répétés ! Chacun sait très exactement ce qu'il  faire. Davy Crockett et les siens tiennent la position la plus difficile, au sud-est, derrière la palissade.

 Déjà les colonnes mexicaines sont près des murs. Travis et ses hommes repoussent les échelles, foudroient à bout portant ceux qui montent. Travis fait le coup de feu comme les autres. Il est là, magnifique, tiraillant dans le noir. Soudain, une salve du côté des Mexicains, Travis qui chancelle, tournoie. il est atteint à la tête, il dévale le monticule de terre. Il est sur le sol, moribond.

 Les canons mexicains tirent sans discontinuer. Mais les assaillants cernent aussi le fort dans le feu roulant de leurs fusils.

Ils tiennent bon, les texans.

 Chacun a disposé derrière soi plusieurs fusils chargés. Ils tirent sans discontinuer. C'est un feu nourri qui accueille les Mexicains. Ceux-ci, à l'est et au sud, sont stoppés. L'attaque leur coûte cher, très cher. Un seul coup de canon de l'Alamo tue quarante assaillants. La force de feu du fort est telle que l'on constate un mouvement de retraite chez les Mexicains.

 Mais ralliés par leurs officiers, ils s'élancent de nouveaux. Puis ils reculent encore. Un moment Santa Anna se dit qu'il va échouer. Il faut regrouper ses hommes. Au nord-est, il a repéré une brèche dans le mur. C'est là qu'il faut attaquer. Les mexicains s'acharnent. Quelques-uns arrivent à se hisser le long du mur.

 Ça y est, ils sont dans la place !

C'est un torrent qui jaillit sur l'Alamo. Ceux des Mexicains qui sont entrés courent ouvrir la porte du nord.

Toute l'armée mexicaine s'engouffre.

 Dans le même temps, au sud-est, la palissade tenue par les hommes de Davy Crockett subit des assauts incessants. Crockett se bat - tous le diront - comme un lion.

Il tire avec calme, choisissant sa cible, ne cherchant nullement à se protéger. Après la mort de Travis, c'est le capitaine John Baugh qui a pris le commandement. il hurle ses ordres : que les hommes quittent les murs, qu'ils se réunissent dans les cantonnements ! Les survivants s'y ruent.

 Les Mexicains se sont emparés du canon. Ils le braquent sur les cantonnements, font voler en éclat portes et fenêtres. Ils s'élancent. Ce sont de terribles, d'affreux corps à corps. tous les bâtiments, l'un après l'autre sont pris. Pas de quartier. Les Texans qui ne sont pas morts dans le combat sont abattus. Les femmes, les enfants subissent le même sort.

 Bowie a fait porter près de son lit ses pistolets. Quand paraissent les Mexicains, il lève vers eux les armes. Une salve l'abat. On l'achève.

C'est fini.

 Davy Crockett ?

D'après des témoignages mexicains, il se serait rendu. En tout, il y a eu six redditions. Sur l'ordre de Santa Anna, ces six prisonniers ont été abattus. Donc Davy Crockett aurait été exécuté après sa reddition. Mais les témoignages américains sont différents. On le dépeint mort au combat, héroïquement.

Pour ma Mamie, cette version est la plus vraisemblable. Voit-on se rendre l'homme qui n'avait jamais peur ?

 Dans l'Alamo, c'est le silence.

Des défenseurs, il ne reste pas un survivant. Pas un seul.

 Alors, une défaite ? Un massacre inutile ? Non. D'abord, Santa Anna a perdu six cents dans l'attaque. Surtout, à travers tous les Etats-Unis, le retentissement de l'affaire est énorme. Avec après l'abattement, la douleur, une volonté de vengeance. Un cri, partout : souvenez-vous de l'Alamo !

 sam Houston va pouvoir reconstituer une véritable armée. C'est elle qui, à San Jacinto, le 21 avril 1836, mettra en déroute Santa Anna. les Mexicains encerclés crieront en se rendant : - 

 Je n'étais pas à l'Alamo !"

 Il faudra néanmoins dix années de combat pour que le Texas devienne américain. pendant toute la campagne, une pensée constante a soutenu les combattants : l'Alamo.

 Par delà la mort, les véritables vainqueurs c'étaient Bowie, Travis, Davy Crockett, tous les autres.

 Des gens simples. Des gens obscurs. pourtant, ils avaient gagné.

Souvenez-vous de l'Alamo. Les Américains s'étaient souvenus.

 

Collection "Mamie explore le temps"

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 18:05

Le Petit Journal illustré"Le Petit Journal, là, sous vos yeux. 

 

 La voiture roulait dans la campagne anglaise. De part et d’autre de la route, les arbres tendaient vers le ciel leurs branches dénudées. A l’avant, à la place du passager, un homme jovial, chaleureux, l’inspecteur des services secrets William Skardon. près de lui, au volant, l’un des plus grands savants atomistes du monde, Klaus Fuchs.

 Dans la voiture, ce 24 janvier 1950, le silence. Aucun des deux passagers ne parlaient et chacun respectait les réflexions de l’autre.

 Regardons-le, ce Klaus Fuchs, observons ce fin visage, sensible, sérieux, réservé, souligné par des lunettes d’intellectuel.

 Chaque jour, nous rencontrons dans la rue des centaines de docteurs Fuchs, des gens aussi effacés, dont la carte d’identité porte cette mention : signes particuliers, néant.

 Et pourtant, Klaus Fuchs avait livré aux Soviétiques le secret de la première bombe atomique. William Skardon le savait. Depuis des jours, il voulait  le lui faire avouer. Depuis des jours, Klaus Fluchs se taisait.

 La voiture s’arrêta devant le domicile du savant. Les deux hommes entrèrent dans la maison. Entre eux, toujours le même silence. Soudain, Fuchs se retourna et dit :

- Maintenant, je vais tout vous avouer. Questionnez.

- Quand avez-vous commencé ? demanda Skardon, en souriant amicalement.

- En 1942, à Londres. J’ai pris moi-même contact avec les Russes...

 

Regardons-le encore, le docteur Fuchs.

 C’est l’anti-James Bond, le contraire de l’image qui s ‘impose à nous quand nous pensons à un grand espion.

A ce moment précis, Klaus Fuchs avouait précisément qu’il était un espion. Bientôt, il allait entrer dans les détails, tout expliquer de sa démarche, de ses motifs.

 Oui, lui qui, avec quelques autres, avait imaginé et construit la première bombe atomique, il avait estimé de son devoir d’en livrer les plans aux Soviétiques.

 Ce savant, ce grand savant, choisit alors la trahison. Comment est-il possible d'en arriver là ? Ma Mamie s'est posée la question. Pour tenter de comprendre, il faut se demander qui était Klaus Fuchs.

 

 Un petit village près de Francfort-sur-le-main, Russelsheim. Là, en 1911, vit un pasteur luthérien, Emil Fuchs. Un saint homme, doté de plusieurs enfants. A ceux-ci, il répète qu'ils doivent toujours faire ce qui leur paraît juste. Il n'y a pas beaucoup d'argent chez les Fuchs, mais une piété ardente et très stricte. C'est dans ce climat que grandit le petit Klaus.

 En 1927, l'adolescent s'inscrit à l'université. D'emblée, le voilà plongé au sein des luttes politiques qui déchirent les Allemands. Journellement, les ultranationalistes affrontent les démocrates.

 Le fils du pasteur ne va pas tarder à choisir son camp. Il devient social-démocrate. Les études ? Elles sont brillantes. Il a choisi les mathématiques et la physique. Très vite, il y excelle. Les professeurs distinguent en lui un sujet d'élite.

 Avec les mois et les années qui passent, les tensions politiques grandissent. C'est le temps où le parti d'un certain Adolf Hitler fait de plus en plus parler de lui et réunit de plus en plus d'adeptes.

 Plus les Nazis font du bruit, plus Klaus réagit violemment. Il décide alors de faire campagne pour les communistes. Du coup, il est exclu du parti social-démocrate. 

 Bouclée, la boucle.

 Un jour de 1933, alors que la terreur nazie s'abat sur l'Allemagne, alors qu'on arrête par milliers les opposants, Klaus Fuchs sera empoigné par les étudiants nazis, roué de coups et jeté dans le canal de Kiel. Il en sortira plus assuré que jamais dans ses nouvelles convictions.

 A travers toute l'Allemagne, la grande chasse aux rouges a commencé. On les jette par milliers dans les nouveaux camps de concentration récemment inaugurés. La police nazie est sur la piste de Klaus.

 Il se terre. Puis se décide : il passe en France et gagne Paris. Il n'a pas d'argent, il plonge dans la misère, il a faim. Que faire ? Le 24 décembre, il débarque en Grande-Bretagne pour poursuivre ses études. Il va avoir vingt-deux ans.

 De Paris, il gardera le souvenir d'une rencontre avec une jeune Allemande. Elle s'appelle Greta. Elle est elle-même communiste. pendant quelques semaines, ils se sont aimés.

Elle, elle veut rejoindre  l'Union soviétique. Elle a tenté de convaincre Fuchs de l'y accompagner. Il a refusé. Il a dit :

- Je préfère rester dans les pays occidentaux. C'est là que je peux le mieux étudier. C'est là que j'aurai le plus de possibilités dans ma spécialité.

 Profonde, la déception de Greta. Ils se sont quittés et engagés chacun sur son chemin. Une page de la vie de Fuchs est tournée.

 

 En Grande-Bretagne, il s'est intégré dans la vie anglaise autant qu'un étranger peut y parvenir. Il en ressent la chaleur et le calme profond.

 Le consul allemand de Bristol a bien signalé à la police que Klaus était un "communiste fanatique". mais on a attaché aucun prix à cette dénonciation qui, d'évidence, venait en droite ligne de la Gestapo. Les nazis n'avaient-ils pas l'habitude d'accuser tous leurs ennemis, de quelques opinions qu'ils fussent, d'être communistes ?

 Klaus Fuchs a-t-il oublié son passé ?

 Séduit par la démocratie britannique, a-t-il répudié les convictions de son adolescence ? Quand on le voit vivre, on peut le penser. Quand on l'écoute, on s'en persuade. Tout cela n'est qu'apparence.

 Dans son petit appartement, il a toujours le nez dans les ouvrages des théoriciens marxistes. Tous ils sont là. Lus et relus. Ce qu'il y cherche, ce qu'il y trouve, c'est une vérité. A ses yeux, la vérité.

 Un jour, c'est au nom de cette vérité qu'il trahira.


 Après la campagne de France et alors que Hitler menace l'Angleterre, Fuchs reçoit une lettre du professeur Peierls, un réfugié allemand lui aussi, qui luié crit : "Venez à Birmingham. J'ai besoin de vous pour un travail particulier, en rapport avec la guerre, dont je ne puis vous révéler la nature. Venez, c'est urgent."

 Urgent, en effet. C'est des recherches nucléaires que s'occupe le professeur. On savait que les Allemands avaient poussé très loin leur travaux, plus loin que leurs confrères anglais, américains ou soviétiques. Celui qui posséderait la bombe atomique gagnerait à coup sûr la guerre.

 Au début de 1941, la Grande-Bretagne est seule. L'Allemagne assure son empire triomphant sur l'Europe. la Luftwaffe écrase Londres sous les bombes. Mais cette Angleterre accablée tient bon. D'ores et déjà, on a décidé de mettre au travail les meilleurs savants présents en Royaume-Uni. Les meilleurs spécialistes. Fuchs est de ceux-là.

 On a créé une organisation appelée Tub Alloys. Ce qui se traduit par : alliages pour tubes. Sous cette raison commerciale anonyme, des savants travaillent activement au projet capital. Klaus, plus et mieux que les autres.

 Etrange situation : c'est un Allemand qui travaille d'arrache-pied à élaborer cette bombe qui doit vaincre l'Allemagne. D'évidence, la situation ne peut plus durer. Fuchs demande à être naturalisé anglais. Il l'est, le 7 août 1942.

 Il faut connaître la formule du serment traditionnel qu'a prêté le nouveau citoyen britannique : "Moi, Klaus Fuchs, je jure par le Dieu tout-puissant d'être loyal envers sa majesté  le roi Georges VI, ses héritiers et ses successeurs, conformément à la loi."

 Au moment où il s'engage avec tant de solennité, Fuchs a déjà commencé à trahir.

 

 Quand bien même on irait vers la victoire, coude à coude, Fuchs était persuadé qu'après la guerre les Alliés de l'Ouest se retourneraient contre la Russie. Les occidentaux qui disposeraient de la bombe ne manqueraient pas de s'en servir contre leur ancien allié, mettant une nouvelle fois en péril la paix du monde.

 Fuchs ne voulait pas que l'on mît la paix en péril. Il pensait que la bombe, instrument de guerre, pouvait être un instrument de paix, à condition que la menace fut égale pour les deux camps. C'est ainsi que Fuchs, dès qu'il avait été convaincu que la bombe n'était plus une utopie, s'était préoccupé d'en doter l'Union soviétique.

 Fuchs entre alors en relation avec les Russes. Son contact se nomme Simon Davidovitch Kremer. Chaque mois, Fuchs rédige un rapport sur l'évolution des travaux.

 Entre octobre 41 et fin 42, Fuchs rencontre quatre fois Kremer. En général, il le retrouve dans une rue encombrée ou dans une station de métro. Les feuillets du rapport sont insérés entre les pages d'un journal plié. Ou encore, microfilmés, ils sont dissimulés dans une cigarette que Fuchs offre à Kremer.

 Ces années-là, Fuchs habite chez les Peierls. Il a été accueilli à bras ouverts. On peut dire qu'il fait parti de la famille. Mme Peierls lui recoud ses boutons, s'occupe de son linge. Il est de toutes les fêtes de famille. Visiblement, il apprécie cette vie. il aime les enfants et les chiens.

 Et pourtant il continue à faire passer aux Soviétiques une quantité impressionnante. Etrange Fuchs.

 En octobre 1943, se produit un évènement qui peut être considéré comme un tournant dans la vie de Klaus Fuchs. Il vient d'être désigné parmi les savants britanniques qui doivent rejoindre leurs collègues américains aux Etats-Unis.

 Désormais, les alliés britanniques, américains et canadiens travailleront ensemble à la fabrication d'une bombe commune. Comment n'aurait-on pas choisi Klaus Fuchs, alors qu'il était considéré comme l'un des plus remarquables parmi les atomistes anglais ?

 Fuchs va alors être inséré dans le Manhattan Project. Là, dans l'ombre, il ne cesse d'accumuler les renseignements précieux qu'il destine aux Soviétiques.

 Avant son départ de Grande-Bretagne, il avait annoncé son départ. On lui avait alors donné l'ordre de se mettre en rapport avec un émissaire des Russes à New-York.

 Cet agent soviétique, il devait le rencontrer dans une rue de l'East Side, un samedi. Cet homme se présenterait comme étant Raymond. Il serait ganté, porterait un livre à reliure verte et tiendrait à la main une seconde paire de gants. Fuchs, lui, devrait être porteur d'une balle de tennis.

 Détail : le précautionneux, le scrupuleux Fuchs avait acheté la balle de tennis avant de quitter l'Angleterre. Il l'avait emportée dans ses bagages.

 Le 5 février 44, la rencontre a lieu. Fuchs voit paraître un petit homme rond, aux cheveux très noirs et brillantinés.

- Je suis Raymond, dit le petit homme.

- Et moi, le docteur Fuchs, répond Klaus.

 Raymond s'appelait en réalité Harry Gold. le plus fameux espion soviétique qui ait jamais paru aux Etats-Unis.

Juif, Harry avait souffert de ses origines; Ses camarades de travail lui volaient ses burins, ses ciseaux, lui versaient de la colle dans sa boîte à outil et dans les poches de son costume.

 Plusieurs fois, il avait été "enlevé par des bandes d'Irlandais antisémites et tellement battu qu'on l'avait laissé à demi-mort sur le terrain".

 Que l'URSS ait banni l'antisémitisme avait été pour lui "comme une lumière dans la nuit". Gold ne semble pas avoir soupçonné jamais qu'il avait construit sa vie sur un mensonge.

 En réalité, le stalinisme cultivait l'antisémitisme avec une ardeur qui ressemblait à de l'enthousiasme. On sait qu'à la fin de sa vie Staline envisageait la totale déportation des juifs d'Union soviétique.

 Plus tard, après son arrestation, Harry Gold qui avait joué un rôle de premier plan dans la livraison de la bombe A et aurait pu légitimement en concevoir de l'orgueil, s'entendit demander :

- pendant vos onze années d'espionnage, de quoi êtes-vous le plus fier ?

 Il répondit :

- D'avoir transmis aux Russes les secrets du procédé Eastman Color.

 En effet, ce procédé, propriété de Kodak, était beaucoup mieux protégé que n'importe quel secret militaire...

 La suite ? Fuchs part pour Los Alamos. Il fera partie de l'état-major trié sur le volet qui oeuvre sous la direction du docteur Oppenheimer.

 Curieusement, Fuchs a confié que le temps de son travail à Los Alamos fut le plus heureux de son existence. Il jouissait de l'air pur et sec du désert. Il ressentait un bien être physique, une grande joie intellectuelle. En lui, c'est le savant qui l'emportait.

 Parce qu'il savait qu'on touchait au but, il traversait une période d'exaltation intense. Il prenait ses congés à la montagne, heureux de se livrer à l'escalade et au ski. Il semble - si insolite que cela puisse paraître - qu'il ait complètement oublié les Russes.

 Harry Gold guette depuis des mois un retour possible du savant. Il surgit comme à point nommé.

Fuchs le reçoit aimablement. Gold presse Fuchs de fournir de nouvelles informations. Et, sans faire de manières, Fuchs consent. Pour qu'il se remette à espionner, on dirait que Fuchs avait besoin d'un déclic.

 Ce déclic, Gold l'a donné. Il donne des détails sur la bombe, sa forme, la méthode de construction. Il décrit la lentille qui permet de déclencher l'explosion intérieure.

 Toutes ces informations , acheminées vers l'URSS, vont permettre aux savant soviétiques un gain de temps précieux. Ils vont - grâce à Fuchs - connaître tous les détails de la bombe, comme s'ils l'avaient sous les yeux.

 Le 2 juin 1945, lors d'une nouvelle rencontre avec Gold, Fuchs annonce que la première explosion atomique expérimentale aura lieu, le mois suivant, dans le désert du nouveau-Mexique.

 Information vérifiée par ma Mamie : la première explosion se produit le 16 juillet 1945. Très exactement à Alamo Gordo.

 L'image nous est familière. Un énorme champignon s'élève à l'horizon. Une lumière aveuglante qui efface celle du soleil. Un fracas d'apocalypse. Voilà la première explosion atomique de l'histoire de l'humanité. Imaginons, pendant qu'elle se produit, les savants tapis dans leur abri, regardant, en dirent, le résultat de tant d'efforts.

 Parmi eux, il y avait le docteur Fuchs.  Au moment de la formidable déflagration, plusieurs savants, mus par un réflexe bien compréhensible, se jetèrent sur le sol. Fuchs resta debout.

 Il contemplait avec un double orgueil cette incroyable réussite. Comme savant, il avait vaincu. Il avait construit l'arme absolue. Comme homme, il croyait avoir pallié les effets incalculables de cet instrument de mort.

 Trois semaines plus tard, explosera la bombe d'Hiroshima.


 Achevés, les travaux des savants. La place est désormais aux hommes de guerre et aux hommes d'état. A Potsdam, Truman a annoncé à Staline que les Etats-Unis disposaient d'une arme de guerre terrifiante. Il a été étonné, et un peu vexé, de voir que Staline ne manifestait qu'un intérêt poli.

 Cette attitude se comprend mieux quand on sait que Staline savait tout, depuis longtemps, de l'arme atomique. Il savait tout, grâce au docteur Fuchs.

 En septembre, les savants britanniques vont quitter Los Alamos pour la Grande-Bretagne. On se réunit pour un pot d'adieu. C'est Fuchs qui va chercher le whisky à Santa-Fé. Il en profite pour rencontrer une dernière fois Harry Gold. Ce jour-là, il lui fournit les ultimes détails qui auraient pu manquer aux Russes.

 

 En Grande-Bretagne, Fuchs continue paisiblement ses recherches. Au moins sa tâche d'espion est-elle achevée ? Nullement. Les soviétiques ont commencé à construire leur bombe.

 De temps en temps, un renseignement leur fait défaut, ils ont besoin d'un détail. Les informations donnés par Fuchs permettent de doubler les étapes. Fuchs ne se fait pas prier.

 Le 23 septembre 1949, le président Truman annonce la première explosion atomique Russe. Il fulmine : si les Russes ont la bombe, c'est parce que des traitres leurs ont fournie. Ce sera le début d'une grande psychose américaine, de la peur atomique. On enquête sur tous les savants qui ont fabriqué la bombe. Sur Fuchs, naturellement.

 Pendant la guerre, on avait balayé le rapport qui faisait état de son statut de communiste. Aujourd'hui, on prend la chose beaucoup plus au sérieux. Les services américains recueillent des informations et concluent à l'existence d'un traître parmi les savants anglais. lequel ? De nouveau, on en revient à Fuchs. mais on ne possède aucune preuve.

 

 Le plus curieux dans cette histoire, c'est qu'au moment où on commence à le soupçonner, Fuchs a cessé d'être un espion. Il avait commencé à l'être parce qu'il se posait des questions. Il a mis fin à son action parce qu'il se pose d'autres questions.

 Les informations qui lui proviennent d'Union soviétique provoquèrent chez lui une insurmontable angoisse. D'évidence, le stalinisme n'est rien d'autre qu'un nouvel impérialisme. On sait maintenant que le régime ne se soutient que par la terreur. Pour la plus grande gloire de Joseph Staline, des millions d'hommes et de femmes sont morts.

 Est-ce pour un tel résultat qu'il a fait ce qu'il a fait ? 

 A son procés, il dira :

- Peu après la guerre, j'ai commencé à avoir des doutes sur la politique russe. Je ne fus plus sûr d'avoir raison de leur transmettre toutes les informations que je possédais. Je manquai un rendez-vous, puis le suivant aussi.

 Il s'est libéré de ses maîtres. Mais un espion peut-il jamais redevenir libre ? Le drame intérieur de Fuchs se prolonge dans sa vie quotidienne. Lui qui a trahi l'Angleterre, il se sent de plus en plus anglais. Sa décision est prise, il n'espionnera plus jamais. Oui, pourquoi a-t-il fait cela ?

 C'est le colonel Henry Arnold qui va être chargé de l'enquête pour trouver la fuite. Il connaît bien tous les savants. Il a procédé par élimination. Insoupçonnable, tous les savants. Tous, sauf Klaus Fuchs. D'évidence il faut opérer avec discrétion. De jour et de nuit, Fuchs est filé. On ne trouve rien.

 Ce qui est normal puisqu'il n'a plus aucun contact avec l'espionnage soviétique. A ce moment précis va entrer en scène un nouveau personnage, William Skardon. C'est un inspecteur des services secrets, spécialisé dans les enquêtes concernant la trahison. Skardon se donne donc tout entier à la tâche particulièrement ardue d'obtenir des aveux de Fuchs.

 Mais Skardon est arrivé au bon moment. Au moment où les scrupules obsèdent littéralement Fuchs. Il va parler. Et il va tout déballer laissant Skardon épouvanté, abasourdi. Quand il suspectait Fuchs, il pensait surtout à des imprudences. Et il s'aperçoit que son interlocuteur s'est livré à un acte d'espionnage démesuré, qu'il a livré à Staline le principal secret de son temps. Une question encore :

- Qu'avez-vous, en fait, livré aux Russes ?

Une réponse proférée avec une inimaginable douceur :

- A mon sens, le pire que j'ai fait a été de révéler à l'Union soviétique les méthodes de fabrication de la bombe atomique.

 Fuchs sera naturellement arrêté et jugé. Il se montrera étonné quand on lui dira que le maximum de la peine qu'il encourt est de quatorze ans de prison. Il croyait risquer la mort. En matière de trahison, la peine de mort n'existe en Angleterre que pour les renseignements livrés à un ennemi. Fuchs avait fourni des informations à un allié. Il sera condamné au maximum de sa peine. Il déclarera au tribunal avoir été bien jugé et remerciera les juges.

 

 En prison, Klaus Fluchs. Autour de lui, le silence. Mais pas l'oubli.

 En 1958, le Daily Express l'interviewe dans sa prison.

- Referiez-vous la même chose dans les mêmes circonstances ?

- Question terriblement difficile. Mais c'est non, car je n'ai plus exactement les mêmes points de vue aujourd'hui. Je suis toujours marxiste, mais je ne puis accepter tout ce que disent et font les communistes.

 Le 2 juillet 1959, il est libéré avant la fin de sa peine. Ne s'est-il pas montré un prisonnier exemplaire ?

A Berlin-Est, sur l'aérodrome, une femme l'attendra. Elle a cinquante-trois ans, les cheveux gris. Elle est "forte et trapue". Elle tend des fleurs à Klaus Fuchs. A Fuchs qui la reconnaît brusquement. Il s'agit de Greta, cette Greta qu'il a aimé à Paris en 1933.

 Le 9 septembre 1959, Fuchs épousera Greta, veuve de Max Keilson, un membre du parti.

 Sur tous les plans, Klaus Fuchs a retrouvé ses premières amours.

 Telle fut l'aventure de Klaus Fuchs, espion par idéal, espion scrupuleux. Ce qu'il souhaitait est arrivé. Il voulait un équilibre dans le monde d'après-guerre. Il voulait que l'on n'utilisât point cette bombe atomique qu'il avait contribué à créer. Pour cela, il fallait que les deux grands antagonistes la possédassent tous les deux.

 Grâce à lui, les Russes ont disposé plus tôt de la bombe. Aujourd'hui quand Fuchs songe à tout cela, il doit être satisfait.

 Mais peut-être pense-t-il aussi parfois à la campagne anglaise, à ses collègues de Harwell qui étaient aux petits soins pour lui, à ces amitiés qu'il a fait naître, à ce pays qui l'avait reçu les bras ouverts - et qu'il a trahi.

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 17:57

LepasducommanditePetitjournal-copie-1.jpg"Un dessin, là, sous vos yeux.

 

 L'un des hommes les plus riches du monde. Sa fortune ? Personne ne la connaît, pas même lui. Calculée en euros, elle dépasserait 800 millions !

 Cet homme, c'est sir Basil Zaharoff, au lendemain de la guerre 14-18, au soir de sa vie.

 mais qui est-il cet homme-là ? Appartient-il à l'une des dynasties de la banque ou de la grande industrie, où la richesse se découvre dans le berceau ? Appartient-il à cette aristocratie où la fortune, de génération en génération est devenue une sorte de noblesse ?

 Non. Sir Basil Zaharoff vient du néant. Du plus bas de l'échelle sociale. Né de la plus misérable des familles. Il n'était rien. Il est tout.

 Ce n'est pas un conte de Mille et une nuits. Cela se passe de notre temps. Nombreux ont été les contemporains de sir Basil Zaharoff. Ma Mamie avait onze ans, quand il est mort.

 Comment une telle ascension a-t-elle été rendue possible ? C'est justement ce que ma Mamie a essayé de découvrir.

 Il n'y a pas un sou à la maison. Alors, on court les rues. Très vite, il faut gagner sa vie. Le jeune garçon se fera donc guide. Qu'est-ce à dire ? En fait, les petits guides de Tatavla savent ce qu'ils font.

 A Constantinople, le quartier de la prostitution se trouve à Galata. Disons de la prostitution normale. Tatavla, ce sont tous les vices interdits, ceux qui conduiraient tout droit en prison en occident. A Tatavla, on s'en tire si on paie. Alors les Européens cherchent un guide. Le petit Basil est l'un d'eux. Il procure ce qu'on lui demande.

Inutile d'insister.

 Un peu plus tard, Zaharoff devient pompier. C'est mieux. En apparence. Parce que les témoins nous disent que les pompiers de Constantinople, jusqu'à la fin du XIX ème siècle, ont ressemblé plus aux bandes de gangsters américains des années 30. Dès qu'un incendie éclatait, ils accouraient, moins pour se servir de leurs pompes - à peu près hors d'usage - que pour piller consciencieusement la maison qui les avait appelés.

 Le troisième stade la carrière de Basil Zaharoff, ce sera l'exercice du métier de changeur. On le verra derrière une petite table compter inlassablement des billets avec ses longs doigts. Certains ont affirmé qu'il magouillait.

 Au vrai, toute cette période de la vie de Zaharoff reste très floue. Autour d'elle, une zone d'ombre qui permet toutes les suppositions. Certains biographes parlent d'un vol très grave, d'une fuite en Angleterre, de prison, d'évasion, d'assassinat. Toute sa vie, dans divers journaux du monde entier, Basil Zaharoff lira cela.

 Regardons-le, Basil Zaharoff. Il est mince, un peu trop élégant, un peu trop obséquieux.

 Il plaît aux femmes, mais il est célibataire. Il ne se veut arrêté par aucun lien, aucune entrave. La vie, il a l'intention de la prendre de force. Pour cela, il faut être libre.

 Le moment est propice. Les Balkans sont en révolte contre la Turquie. La Russie, elle, qui se veut protectrice des Slaves opprimés, est en guerre contre la Turquie. Les Grecs, qui brûlent d'entrer en guerre aux côtés de la Russie, sont contenue par l'Angleterre. Le résultat est là : chacun s'arme. 

 L'Autriche-Hongrie, qui se sent concernée dès que la Russie avance une pièce sur l'échiquier, vote un crédit de 60 millions de florins en vue d'armements. Bref, c'est la course.

 L'armée grecque ne cesse de voir grandir son arsenal.

 De là, on comprend mieux de quel terrain d'action idéal va bénéficier Zaharoff. L'une des spécialités de la maison Nordenfeldf est un sous-marin, le premier du genre. Malheureusement, les grands Etats rechignent devant cette arme nouvelle.

 Les grands, mais les petits ? Ici entre en scène M. Zaharoff.

 Il démontre avec tant de talent au gouvernement grec les qualités de ce sous-marin - et en même temps, il propose de telles facilités de paiement - qu'on le lui achète. Victoire !

Au gouvernement, il soulignera le danger que représente le sous-marin en possession de la Grèce. Par voie de conséquence, le gouvernement turc commandera deux sous-marins à M. Zaharoff. Mais ces deux sous-marins turcs vont apparaître comme une menace que la Russie ne peut supporter. Alors, la Russie commandera plusieurs sous-marins à la maison Nordenfeldt.

 Eclatants, ces débuts.

 Quatre ans après, on dira des merveilles sur ce jeune Grec qui a déjà considérablement élargi son champ d'action. Et qui veille.

 

 Le principal adversaire de la firme Nordenfeldt, c'est un Américain, un certain Maxim, Hiram Maxim. Un ancien boxeur devenu ingénieur et qui, lui aussi, fabrique de l'armement. Il propose une mitrailleuse, un chef d'oeuvre de m"canique. Logiquement, Maxim devrait supplanter partout Nordenfeldt et son fusil. Mais il y a Zaharoff.

 Le duel Zaharoff-Maxim va durer deux ans.

 Premier épisode : deux représentants de Maxim doivent produire la fameuse mitrailleuse à un concours de tir en Italie. Mais le jour du concours, les représentants de Maxim brillent par leur absence.

 La veille au soir, un "inconnu" a visité avec eux tous les établissements de nuit. Pour le moment, ils gisent ivres morts sur leurs lits. En l'absence de la mitrailleuse Maxim, l'arme Nordenfeldt fait merveille au concours.

 Second épisode : Hiram Maxim présente lui-même sa mitrailleuse à Vienne. Après quelques centaines de coups, le tir devient irrégulier, puis s'arrête entièrement.

 Maxim démonte l'arme. Il s'aperçoit qu'elle a été sabotée. Plus rien à faire. Maxim devra se replier vers l'Angleterre avec sa mitrailleuse invendue. Dans ses souvenirs, il évoque cette hsitoire comme "la plus grande mésaventure de sa vie".

 Achevé le duel Maxim-Zaharoff. Maxim lui-même baisse les bras. Il s'en va trouver son adversaire dans sa chambre d'hôtel. Le résultat de l'entretien ? La société Nordenfeldt et la société Maxim disparaissent pour faire place à la Maxim Nordenfeldt.

 De la nouvelle firme, basil Zaharoff devient le principal vendeur. Avec, sur chaque affaire, une commission importante. D'ores et déjà, sa fortune est commencée.

 

 Un champ d'action immense s'ouvre à Zaharoff. Et d'abord, c'est la Russie. Il va se lancer littéralement à sa conquête. De quelle manière ? En utilisant la corruption.

 Quand il arrive à Saint-Petersburg, en 1888, un grand-duc, directeur de l'artillerie russe, préserve farouchement son indépendance. Difficile de l'aborder. mais il a une maîtresse, une célèbre danseuse. Quatre mois après son arrivée, Basil Zaharoff est entré dans l'intimité de la danseuse. Elle est folle de lui. Naturellement, elle présentera le beau Grec au grand duc. Une semaine plus tard, la première commande part pour Londres.

 La corruption, Zaharoff ne la réserve pas à la Russie. Il en use dans toutes les capitales. Dans une ville des Balkans, il arrive un lundi. Il se fait annoncer au ministre de la Guerre. Il est reçu. Alors s'engage ce dialogue :

 - Je ne vous ai laissé entrer que pour vous dire de ne plus perdre votre temps. Vos offres ne m'intéressent nullement

- vous réfléchirez ! Je reviendrai vous voir demain jeudi.

- Ne vous donnez pas cette peine. D'ailleurs, demain n'est pas jeudi, c'est mardi.

Demain est jeudi.

 - Mardi.

 - Parions, Excellence. Je parie 100 000 francs avec vous que demain est jeudi.

 Naturellement, le ministre gagne le pari. Son pays deviendra le meilleur client de la Maxim Nordenfeldt. Qu'il achète un lustre sans valeur pour 150 000 roubles, qu'il offre un yacht à un ministre pour dix livres sterling, la manoeuvre est la même. Elle réussit souvent.

 

 Dans l'association Maxim-Nordenfeldt, l'homme fort, c'est Maxim. En 1890, Nordenfeldt se sépare de lui. Choix difficile pour Zaharoff. Il ne semble pas avoir hésité. Il restera avec Maxim et deviendra son conseiller pour les ventes. Toujours à la comission. La fameuse mitrailleuse Maxim apparaît comme inviolée, incontestée. Et que de terrains d'utilisations ! C'est la guerre partout et l'âge d'or de l'expansion coloniale.

 L'argent qu'il gagne, Zaharoff s'en sert pour acheter des actions de la société Maxim. Il devient peu à peu un gros porteur. Si gros qu'il peut se présenter un jour à Maxim et lui déclarer : je ne suis plus votre employé, mais votre associé. Bon gré mal gré, Maxim devra entériner la nouvelle situation. Désormais, l'ancien guide de Tatavla retient des suites dans les palaces internationaux. Il sillonne l'Europe en train de luxe. 

  Un soir, dans son sleeping du train Zurich-Paris, il ne parvient pas à chasser de son esprit un visage de femme. Une heure plus tôt, il dînait au wagon-restaurant et, cette femme, il la regardait.

 Elle était assise en face d'une dame de compagnie. Elle avait "des yeux tristes, une petite bouche rouge d'enfant que l'on vient de gronder". La jeuen femme n'a touché à aucun plat. Une question discrète au maître d'hôtel l'a renseigné : il s'agit de la duchesse de Marchena, cousine du Roi d'espagne.

 Le maître d'hôtel s'est penché, a expliqué que le duc n'avait pas voulu quitter son appartement et que, même, on disait qu'il était un peu fou. 

 Maintenant, debout dans le couloir du wagon-lit, il ne trouve pas le sommeil. Le train roule dans la nuit. soudain, le bruit d'une gifle, des cris, une porte qui bat. La jeune femme du wagon-restaurant apparaît, en déshabillé de nuit. Elle court vers Basil :

- Monsieur, je vous en prie...

Elle est hors d'elle, tremblante.

- Cachez-moi, je vous en supplie, mon mari veut me tuer.

- Entrez, dit Zaharoff.

 Elle a ouvert la porte de sa cabine. Elle s'y engouffre. Dans le couloir silencieux et désert, il est seul. Quelques secondes et voici le mari, un petit homme au visage maigre. furieux, il s'approche de Zaharoff, lui demande s'il n'a pas vu sa femme. Avec un grand calme, Zaharoff répond négativement. Le duc regarde du côté de la cabine, hésite. Si l'on était en Espagne... Mais l'on n'est pas en Espagne. Et puis il y a la tranquillité immense de Zaharoff. Il n'insistera pas. Il s'en ira.

 Alors seulement, Zaharoff rentre dans le compartiment. Il trouve la duchesse à demi évanouie, la rassure.

- N'ayez pas peur. Remettez-vous. Il ne vous sera fait aucun mal. Je vous le promets.

 Capital, cet épisode. Le coeur de cet homme de glace vient de s'éveiller. Il ignore tout du phénomène qui vient de le frapper. En fait, pour la première fois, il aime.

  Le merveilleux de l'affaire, c'est qu'ils era payé en retour. Cette femme malheureuse, mariée à un déséquilibré qui finira dans un asile d'aliénés, trouve la paix auprès de cet homme dont la force la rassure. Désormais, la vie de Zaharoff sera rythmée par ses rencontres avec Maria del Pilar.

 Trop rares, à son gré, ces rencontres. Il traverse l'Europe pour la voir quelques heures. Ils se retrouvent tantôt à Genève, tantôt à Paris, à Venise ou à Saint-Sébastien.

 Chaque fois, un rituel identique. Une voiture aux stores baissées s'arrête devant la grille d'une villa. Une femme voilée en descend. A une fenêtre, Basil Zaharoff attend. Quand on a interné le duc, Zaharoff a cru que son heure avait sonné. Mais la duchesse ne voulait pas d'une vie irrégulière.

- J'attendrai, a dit Zaharoff.

 

 Cet homme amoureux ne néglige pas les affaires. Grâce aux relations de la duchesse, il équipe l'armée espagnole. Le marché, semble-t-il, a représenté un milliard de nos francs.

 Maxim est ensuite racheté par Vickers, une firme d'envergure internationale. Son paquet d'action va se gonfler. Il continuera à en acheter. Il entrera au conseil d'administration et sa carte finira par porter ce titre, qui est comme un bulletin de victoire : Basil Zaharoff, administrateur délégué de la Vickers.

 Elle continue, la folle course aux armements.

 Mais maintenant, on en est plus aux petits bakchichs d'autrefois. Plaisanterie, les lustres à 150 000 roubles ! M. Zaharoff s'est adapté. C'est qu'il a pignon sur rue, maintenant.

 Il habite à Paris, près du parc Monceau. meubles rares, tableaux de prix, personnel stylé. Le guide de Tatavla est devenu une figure du Tout-Paris. Ma Mamie a jeté un oeil sur l'annuaire de l'époque, il mentionne : "Zaharoff, Basil, titulaire d'ordres étrangers.

 Là, du 41, avenue Hoche, il tire les ficelles. Il a compris qu'il y avait mieux que les pourboires, les petites entreprises de corruption. Il se sert du plus puissant de tous les leviers : l'action directe sur l'opinion.

 Si vous ouvrez des journaux français à cette époque, vous lirez : "Au Reichstag, on vote une augmentation du budget de l'armement". En France, une autre campagne commencera : nous laisserons-nous distancer par l'Allemagne ?

 Peser sur les journaux, acheter le concours des journalistes, cela suppose beaucoup d'efforts. Mieux vaut acheter des journaux. C'est ce que fait, à Paris, Basil Zaharoff. Il prend une position dans le quotidien Excelsior, qui ne cessera de refléter les points de vue des marchands de canon.

 Une plaque tournante, décidément, le 41, avenue Hoche, en 1914. M. Basil Zaharoff a maintenant soixante-cinq ans. Avec son crâne dénudé, sa barbiche blanche, il a belle allure. il est reçu partout, honoré. C'est un grand de ce monde.

 Mais, à date fixe, il part toujours pour quelque capitale européenne. devant chez luis 'arrête toujours la voiture aux stores baissés. Et à une fenêtre, il attend toujours cette femme qu'il n'a cessé d'aimer.

 Le fou, dans son asile, ne se décide pas à mourir. On ne divorce pas d'un fou. M. Basil Zaharoff attend toujours.

 Depuis quelques années, la richesse ne lui suffit plus. Il lui faut les honneurs. Il est trop lucide, trop sceptique, pour s'y attacher réellement. s'il les souhaite, c'est pour Maria drl Pilar. pour elle qui l'attend et qu'il attend. Alors, il fonde un foyer pour les marins français et cela lui vaut la croix de la légion d'honneur. Il fonde une chaire d'aérodynamique à l'Université de Paris, il passe officier. le 31 juillet 1914, un décret paraît à l'Officiel :

Basil Zaharoff commandeur de la légion d'honneur. Le decret est signé Poincaré. Motifs : services exceptionnels.

 Le jour même, Jean Jaurès est assassiné. C'est la guerre. Cette guerre-là, peut-être que Basil n'y est pour rien. Il y a des machines qui s 'emballent d'elles-mêmes, sans que l'on ait besoin d'encourager leur accélération. Mais pour la Vickers et pour Zaharoff -, c'est le jack-pot.

 L'influence financière, la richesse, pour Basil Zaharoff, débouchent sur l'influence politique. Il se lie d'amitié avec Lloyd George, ministre des armements, et reste son ami intime quand celui-ci devient Premier ministre.

 A Paris, le cabinet d'Aristide Briand lui est largement ouvert. Tout a commencé un jour de 1915. Il s'agissait d'une affaire de munition. Aristide Briand a reçu Basil Zaharoff. L'entretien terminé, le visiteur a pris congé. Mais, silencieusement, il a posé une enveloppe sur le bureau du ministre. Il s'en est allé.

 Briand a ouvert l'enveloppe : elle contenait un million pour les veuves de guerre. Aussitôt, Briand a couru à la porte rappeler Zaharoff.

 Trop tard, il était parti.

 L'un des épisodes les plus extraordinaires de la Première Guerre mondiale est celui qui concerne la Grèce. Briand pense que le moment est venu d'attirer la Grèce dans le conflit pour alléger le poids de la guerre à l'est. Briand fait appeler Zaharoff, lui expose la situation, la stratégie à mettre en place et confie qu'il ne peut, dans cette campagne d'opinion, mettre que 350 000 francs. C'est peu, très peu.

- Très bien, dit Zaharoff, je mettrai le reste.

 Et il le met. Disons que ce reste pèsera très lourd. Simplement, Zaharoff a créé une agence de presse qui inonde la Grèce de nouvelles favorables à l'Entente. Il ne faut que quelques mois pour que le président soit chassé et emporté l'adhésion de la Grèce.

 Le Temps, au cours de l'été 1918, imprime que "depuis le début de la guerre, M. Basil Zaharoff a sacrifié au moins 50 millions - des millions-or - à la cause des Alliés". Mais qui estimera les sommes que les Alliés lui ont fait gagner ?

 Quand la guerre s'achève, sa fortune est devenu incalculable. C'est alors qu'il est fait baronet, qu'il devient sir Basil. C'est alors que les honneurs s'abattent sur lui. Les plus grands ordres du monde lui sont décernés.

 Quelque chose a changé dans sa vie. il a acheté le château de Balaincourt à Arronville. Que ce soit avenue Hoche ou à Balaincourt, il ne vit plus seul. Bravant l'opinion, la duchesse est venue le rejoindre. Mais le fou ne veut toujours pas mourir.

 Est-ce la retraite pour Zaharoff ? Il a soixante et onze ans.

 Il vit avec la femme qu'il aime. Il réserve toute son affection aux deux filles de la duchesse, il les a mariées, il en fait ses légataires universelles et l'on dit que l'une d'elles lui ressemble singulièrement. L'inaction pour Basil Zaharoff ? Dérision. Il se sent plus jeune que jamais.

 Son rêve nouveau : un rêve d'empire.

 On arrive à ceci, qui est fantastique : en plein XXème siècle, un homme va s'offrir une guerre, une guerre personnelle. L'apothéose pour Zaharoff qui a été mêlé a toutes les guerres des autres.

La Turqui est à terre, c'est un fruit mûr dans lequel la Grèce doit mordre. Ce sera un échec et là, on va l'attaquer de partout. Zaharoff s'enfermera dans le silence.

 Le silence mais pas l'inaction. Car ce diable d'homme va procéder au regroupement de plusieurs sociétés anglaises qui deviendront la British Petroleum, la B.P, l'un des grands du pétrole mondial. Il a vu, il a senti que l'avenir était là.

 Il a acheté pour Maria del Pilar une grande villa à Beaulieu. Quand ils sont tous les deux, ils s'en vont à Monte-Carlo. C'est amusant, Monte-Carlo. Sir Basil rencontre parfois le prince Louis II. Un homme charmant. Louis II se plaint que, depuis 1641, la principauté a perdu la plupart de ses droits. Il se sent pas trop le vassal de la France. Il en souffre.

- Je vais arranger ça, dit Zaharoff.

 Quelques mots à Clemenceau et l'affaire s'arrange. Monaco retrouve ses droits.

 Un jour, l'idée vient à Zaharoff : et s'il achetait Monaco, pas la principauté, mais la Société des bains de mer ? Ce qu'il fait, moyennant 150 millions. La société était déficitaire, elle redevient bénéficiaire. Zaharoff l'administre de sa main de fer. Il n'est plus question de pensions pour les vieux habitués ni d'indulgence pour les joueurs. Une demande lui demande une recette pour gagner.

- Ne jouez pas, madame, répond-il.

 Au mois de juillet 1923, c'est enfin le télégramme tant attendu : le duc de Marchena est mort. Une année à attendre. Et puis sir Basil et Maria del Pilar quittent le château de Balaincourt pour se rendre à la mairie.

Le maire va procéder à leur mariage. 

 Dix-huit mois plus tard, une mauvaise grippe la frappe. En quelques jours, la maladie fait des progrès foudroyants. Elle meurt.

- Dix-huit mois, c'est court, dit seulement sir Basil.

Pour lui, il le sent bien, tout est fini. Il est vieux. Il n'a pas d'amis. Les journées sont longues. Sir Basil Zaharoff mourra à Monte-Carlo en 1936. On ne parlera pas beaucoup de sa mort. Les vivants l'avaient oublié. Peut-être comme on oublie les cauchemars.

Quant à ceux qui avaient éprouvé directement le feu des innombrables armes qu'il avait fabriquées, comme dit justement ma Mamie, ils n'étaient plus là pour donner leur avis. 

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 17:53

Detective.jpg"Un magazine, là, sous vos yeux.

 

 Un magazine dédié à Stavisky. L'escroc qui a défrayé la chronique. Souvenez-vous...

 

 Un homme martèle une porte à grands coups de poing. De l’intérieur, une voix angoissée s’élève.

- Qui est là ?

- Ouvrez ! Police !

 Aussitôt à travers le battant, une détonation retentit.

Personne n’ignorera plus bientôt que, le 8 janvier 1934, à Chamonix, Stavisky s’est donné la mort. A l’origine d’une escroquerie sans égale, il va ébranler le régime parlementaire français. La République sera mise en péril par la faute de l’homme qui gît au sol, la tête baignant dans le sang.

 

 Le Tout-Paris le connaissait sous le nom de Serge Alexandre. Un mois plus tôt, il résidait encore dans un palace. A ses réceptions se pressaient les ministres, les généraux, les magistrats. Il était propriétaire d’un théâtre et d’une écurie de courses.

 Aux tables des casinos, il hasardait des bancos de plusieurs millions.

 Il laissait dans son sillage comme une traînée de puissance et de gloire, celles que procure la grande richesse. Partout, on saluait avec obséquiosité M. Alexandre.

 On ne savait pas très bien d’où lui venait l’argent qu’il répandait, tels ces nanabs dont on célèbre la légende. A ceux qui s’interrogeaient, les gens informés répondaient :

- Il fait des affaires.

  

 Les Stavisky sont venus s’installer à Paris en 1900. Le père, dentiste, a installé son cabinet dans le quartier des Champs-Elisées. Si son fils Sacha comparaît devant le commissaire de police, c’est qu’il a fait imprimer des cartes de visite au nom de M. Lemerre, éditeur, et qu’il les a utilisées pour obtenir des places de théâtre gratuites.

 Il n’aura droit de la part du commissaire qu’à des paroles sévères. M. Lemerre n’a pas porté plainte.

 Le père est un homme d’une honnêteté irréprochable, un grand travailleur. Pourquoi le fils se situe-t-il aux antipodes ? Mystère de l’hérédité.

 La vérité est que Sacha aime la vie facile.

 Il se sent des envies de luxe, il voudrait gagner beaucoup d’argent. Le drame est qu’il ne cultive que sa paresse.

Travailler ? Quelle idée !

 Alors, il a dérobé l’or acquis par son père pour ses prothèses et l’a revendu à des boutiquiers de la rue des Blancs-Manteaux. Bien sûr, M. Stavisky n’a pas déposé plainte.

 A vingt ans, Sacha s’est cru une vocation artistique. Il se range parmi ceux qui pensent - à tort - que le métier d’artiste rapporte beaucoup d’argent en exigeant peu d’efforts.

 Engagé comme comique dans un café-concert, le public le chahute, crie qu’il n’est pas drôle. Il renonce.

 Peut-être s’en serait-il tenu là s’il n’y avait pas eu le grand-père. La devise du grand-père Stavisky : rouler tous ceux qui sont prêts à se laisser gruger. Sacha l’admire.

 Ils montent un coup en 1909 où ils encaissent 12 000 francs. Après quoi, ils résilient le bail et partent avec la magot. Pensaient-ils qu’aucune de leur dupes ne réagirait ?

 Nous sommes en présence d’une constante qui se situe à l’origine même du comportement de l’escroc. Comme dit Mamie, ce qui importe à celui-ci, c’est d’encaisser tout de suite l’argent. Il ferme son esprit à la seule évocation des conséquences du risque qu’il prend.

 Bien sûr les victimes se plaignent. On ouvre une information judiciaire. Le grand-père Abraham meurt à point nommé. Voilà le jeune Sacha dans la nécessité de répondre seul de ses actes. Il choisit comme avocat le frère d’un homme politique de haut vol et sera condamné à quinze jours de prison avec sursis et 25 francs d’amende. 

 Grande leçon. Le jeune Sacha a compris l’importance des relations et surtout des influences.

 En outre, ce beau gosse mince et brun ne compte plus les conquêtes féminines. Ses maîtresses l’hébergent quand il ne sait plus où coucher et souvent il leur doit son argent de poche.

 Ses succès médiocres ne correspondent en rien à ses rêves de fortune et de puissance. Marié en 1910, il divorce presque aussitôt, ouvre un cabinet de contentieux et se lance dans des entreprises qui tournent court.

 De nouvelles plaintes sont déposées contre lui. Il doit s’enfuir à Bruxelles. On le condamne pour abus de confiance.

 Quand la guerre éclate, il s’engage. Une bonne note, enfin ? On le réforme aussitôt.

 Mais de la guerre, il rapporte une chance inespérée : l’amnistie, en qualité d’ancien combattant, de ses précédentes condamnations.

 Fort de ce casier soudainement vierge, il se campe face à Paris, dents plus longues que jamais.

 Il s’affine, oublie ses habitudes de vulgarité, s’habille mieux et plaît de plus en plus.

 Une certaine Jeanne Darcy - de son vrai nom Fanny Bloch - a parcouru avant guerre une assez jolie carrière de chanteuse. Elle se déclare folle de lui. Leur aventure illustre parfaitement ce curieux temps où l’on meurt en masse à l’avant, cependant que ceux de l’arrière se partagent entre la recherche du plaisir et la course à l’argent. Sacha et Fanny unissent leurs destinées.

 Dans la foulée, ils ouvrent ensemble des salles de jeux clandestines dont le croupier n’est autre que Stavisky et gagnent assez d’argent pour inaugurer un cabaret-dancing, rue Caumartin.

 La caisse se remplit. L’ennui est que Sacha puise dans cette caisse et trompe Fanny.

 D’où des scènes particulièrement pénibles. Les barmen évoqueront les algarades des deux amants, les cris suraigus de fanny, les injures de Sacha, parfois ponctuées de coups. On se sépare, on liquide. Sacha est à la tête de 800 000 francs.

 Il s’associe alors avec Himmel pour fonder une compagnie de cinéma. Le pot aux roses ne tarde pas à se révéler : les associés américains annoncés aux actionnaires n’existent pas. Une instruction est ouverte.

 On voit Stavinsky à Istanbul, à Budapest, à Athènes. Il touche au monde de la drogue, abandonne pour se lancer dans une affaire de consommé de viande en cube, le P’tit Pot. Faillite frauduleuse.

 Toute sa vie et jusqu’au bout, il dépensera plus d’argent qu’il n’en gagne. D’où la nécessité de s’en procurer toujours davantage.

 Une nuit à Montmartre, un Américain éméché signe un chèque de 600 francs. Stavisky le "lave" et en transforme le montant en 48 200 francs. Un complice, Popovici, présente le chèque à l’American Express qui paye.

 Sur le conseil de Stavisky, Popovici file à l’étranger.

 Avec cet argent frais, Stavisky se lance dans de nouvelles affaires : tissus, gabardines, soieries. Popovici regagne Paris pour réclamer sa part. Il est arrêté sur-le-champ. Or, une seule personne était informée de son retour : Stavisky. persuadé qu’il a été "donné", Popovici le dénonce.

 En prison, Stavisky.

  Quand le juge d’instruction ouvre le dossier, il cherche en vain le chèque falsifié, seule pièce à conviction. Disparu ! Stavisky a fait le nécessaire.

 Libéré, c’est une nouvelle morale personnelle qu’il se forge : on peut tout obtenir par la corruption.

 Ces quelques jours de captivité lui ont-ils au moins servi de leçon ? Pas même.

 Il fait monter sans cesse ses propres enchères. Avec un "spécialiste", il imprime des bons du Trésor. Une femme dénonce toute l’affaire. On arrête les complices, pas Stavisky. Il se terre le temps nécessaire, puis reparaît à Paris au bras d’un ravissant mannequin de chez Chanel, Arlette, vingt-deux ans.

 On dirait qu’il a fait peau neuve, Sacha. On les voit très épris l’un de l’autre. Bientôt, on saura qu’Arlette attend un enfant. Sacha, lui, s’occupe.

 Il organise le vol de sept millions de titres chez deux agents de change. On les liquide à Londres mais, au passage, Stavisky rafle cinq millions.

 Est-ce la grande réussite ? Non. L’édifice est par trop bâti sur le sable. En quelques heures, il s’écroule. Cette-fois, la police sort de sa singulière léthargie. On l’arrête. Au moment où on l’introduit dans le cabinet du juge d’instruction, il s’évade ! 


 Contre lui, les plaintes pleuvent : entre autres, celles de la Banque nationale de crédit, sur laquelle il a tiré plus de 1 500 000 francs en chèques sans provision. Stavisky ? Il a pris la fuite. Nul ne sait où il se trouve.

 La police opère une descente chez son père qui, très digne, annonce qu’il entend bien indemniser les dupes de son fils. Il regagne son domicile et se donne la mort.

 A la fin de juillet 1926, la Sûreté générale reçoit une dénonciation : Stavisky se cache dans une villa de Marly-le-Roi. On vérifie : c’est vrai.

 Une nuée de policiers envahissent la villa qui regorgent d’invités. On finit par découvrir Stavisky, caché dans les toilettes.

  Cette fois, c’est sérieux. Stavisky est écroué à la Santé. Fidèle à lui-même, il engage deux célèbres avocats et deux ténors du barreau.

 Maintenant père d’un petit garçon, décidé à retrouver bientôt sa femme et son fils, il prépare, avec une ingéniosité qui s’apparente au génie, sa libération. Il simule alors la maladie. On commet un expert, le docteur Paul. Il produit un rapport inquiétant : le prisonnier risque l’abcès, la péritonite, la mort.

 Le parquet cède et le libère pour raison médicale. Trois jours après, le quasi-mourant fête le nouvel an dans un cabaret à Montparnasse. Les inspecteurs commis à la filature manifestent leur étonnement : Stavisky sort deux fois par jour. Il marche d’un bon pas.

 Le 20 janvier 1928, Stavisky se marie. Voilà le petit Claude légitimé. Plus tard, Arlette lui donnera une soeur.

 Le couple se présente sous le nom d’Alexandre, parce que Stavisky a décidé de changer de peau.

Stavisky ? Connaît pas.

 Désormais, Serge - nouveau prénom - ne fréquentera plus que les palaces, les restaurants huppés. Il se fera conduire dans des somptueuses voitures. Les femmes envieront les toilettes et les bijoux d’Arlette.

 D’où vient l’argent ? D’une firme Ales, fondée par Stavisky, qui vend des bijoux et des objets d’art au Touquet, à Biarritz, à Cannes. Il a fallu une mise de fonds dont on ignore l’origine. Il dira simplement : "Un homme m’a aidé, il est mort."

 Comme dit Mamie, il reste encore bien des mystères dans l’histoire de Stavisky.

 Il vit avec de multiples épées de Damoclès suspendues sur sa tête mais quel rapport pourrait-il dès lors exister entre le petit escroc Stavisky et l’homme d’affaires Serge Alexandre qui mène la vie à si grandes guides ?

 La belle Arlette est devenue la chargée des relations publiques du couple. On ne voit quelle à Biarritz, à Deauville, à Saint-Jean-de-Luz. Dès que son mari l’y rejoint, on le voit entouré d’amis. Beaucoup d’amis. ceux-ci boivent les paroles de leur hôte quand il répète avec componction :

- Les relations, c’est le secret de tout. 


 En fait, M. Alexandre est en train d’édifier la plus colossale escroquerie du siècle.

C’est sur le Crédit municipal d’Orléans qu’il a décidé de jeter son dévolu. Son directeur, Desbrosses, est bien connu de lui et M. Alexandre le sait prêt à tout. Il a raison : Desbrosses obéira aveuglément à ce qu’il exigera de lui.

 Puisque M. Alexandre est joaillier - la maison Alex -, il ne lui est pas difficile de se procurer des fausses émeraudes. Celles-ci sont portées au Crédit municipal et acceptées pour vraies par Desbosse. Dès lors, les millions vont glisser dans les poches de Stavisky : en trois ans, quarante-trois !

 Ma Mamie s’effare lorsqu’elle constate que M. Alexandre, au milieu de sa splendeur, a conservé les réflexes du petit escroc qu’il était gamin. Celui qui répétait : "On verra bien."

 Le commissaire Pachot - qui avait déjà arrêté Stavisky à Marly - n’a pas perdu de vue l’homme qu’il continue à considérer comme un simple malfaiteur. Les rapports de M. Alexandre avec le Crédit municipal attire son attention. D’autant plus qu’un complice arrive à point nommé dénoncer la fraude. L’inspecteur Cousin enquête sur l’affaire. Il rédige un rapport qui révèle tout le mécanisme de l’opération. Le document est transmis au Parquet.

 Desbrosses sent que le filet se resserre, il meurt de peur. Il court à Paris, supplie M. Alexandre. Que deviendra-t-il, lui, Desbrosses ? Que deviendra son "patron" ? Fulgurant la réplique d’Alexandre : il rembourse les quarante-trois millions !

 L’enquête s’arrête d’elle-même. Mais où a-t-il trouvé tout cet argent ? C’est quand même un gros paquet, quarante-trois millions. Qu’importe, on a dit adieu à Orléans.

 On ira donc à Bayonne.

 A Bayonne, M. Alexandre vante les bienfaits d’un crédit municipal. Convaincu, le député-maire Garat fait agréer le principe d’un mont-de-piété à Bayonne. Reste à savoir qui le dirigera. Toujours prompt à rendre service, M. Alexandre s’empresse.

 Il recommande un certain Tissier dont il jure qu’il est l’homme de la situation. Garat l’engage sur-le-champ. Et la valse des millions recommence. Un bijou valant 1 500 francs est estimé 600 000 francs et, la-dessus, on prête à M. Alexandre 500 000 francs.

 A ce train, le Crédit municipal devrait courir à la ruine. Mais M. Alexandre trouve le moyen de combler le gouffre qui se creuse : il suffit d’émettre des bons de caisse ! Ce qui est fait. Le Crédit municipal de Bayonne encaisse quarante millions en 1931, cent millions en 1932.

 La plus grande partie de ces fonds a été reversée au crédit de M. Alexandre. M. Garat ne s’étonne pas. De la main à la main, il a touché sa part. Il ne faudrait surtout pas dire du mal de M. Alexandre devant le député-maire Garat.

 Au printemps 1932, Stavisky apporte son soutien à l’avocat Bonnaure à la députation du IIIème arrondissement de paris. Bonnaure est élu. Or, il appartient à la majorité radicale. Il est clair que Stavisky a joué la bonne carte.

 La Volonté, son journal - car il a un journal - soutient la politique radicale. On n’a plus rien à lui refuser.

 Pourtant, la fin est proche. On découvre la supercherie à Bayonne et M. Alexandre ne  plastronne plus. De temps à autre, il a tout de même pensé que ses audaces auraient peut-être une fin. Il s’est alors juré de ne plus retourné en prison. Une cellule, pendant des années ? Jamais.

 Une terrible catastrophe ferroviaire vient de se produire à Lagny. Deux cents morts, trois cents blessés. Un instant Stavisky songe à monter une extravagante mise en scène : pourquoi ne pas envoyer un complice à Lagny qui déposerait ses propres papiers sur l’un des cadavres ? Le temps lui fait défaut.

 Ma Mamie s’est pris à regretter que la manoeuvre n’ait pas réussi : elle manque à la carrière de l’escroc.


 Alors il s’enfuit. Il fait ses adieux à ses amis les plus proches, demande qu’on lui procure de l’argent. Une valise de bijoux - authentiques ceux-là - et part au volant de sa Peugeot jusqu’en Haute-savoie où, à Servoz, Pigglio, un de ses comparse, possède un chalet. La voiture s’arrête au coin des rues François-Ier et Pierre Charron.Arlette l’attend.

 Adieux que l’on peut imaginer déchirants. 

 Là-bas, Henry Voix viendra relayer Pigaglio. Les deux hommes se croisent, l’un partant, l’autre arrivant. Mais Henry Voix s’ennuie. Sa maîtresse, Lucette Almeras, lui manque. Il part la rejoindre.

 Pendant quarante-huit heures, Stavisky va rester seul.

 Quel bilan a-t-il pu dresser de sa vie ?

 Les jours suivant l’affaire éclate. Stavisky fait les gros titres des journaux. Partout s’étale sa photo. Impossible à présent pour lui de se déplacer sans qu’on le reconnaisse.

 Retour de Pigaglio, suivi de Voix et de Lucette. Stavisky ne tient plus en place. Lucette prépare les repas, presque toujours des pâtes. Toujours les parties de Belote, toujours la lecture des journaux.

 Le 17 janvier, Pigaglio repart pour Paris. Cependant, de bonnes âmes ont signalé le comportement singulier des locataires enfuis quasi clandestinement du chalet.

 La police locale flaire une affaire intéressante au moment où il n’est bruit que de Stavisky et de sa fuite. Elle avertit celle de Paris qui immédiatement charge le commissaire Charpentier d’une enquête sur place. La piste est bonne. Le filet se resserre autour de Stavisky.

 Vous connaissez la suite.

 La fin ? On l’emmènera à l’hôpital de Chamonix. Les médecins constatent qu’il ne lui reste qu’un litre de sang dans l’organisme. A l’époque, la transfusion sanguine n'est pas entrée dans les moeurs. On se bornera donc à le panser - et à attendre.

 Stavisky s’éteindra à 3 h 15 du matin, le 9 janvier 1934.

 

 

Collection "Mamie explore le temps"

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 14:30

liberation.jpg"Une illustration, là, sous vos yeux.


 Une illustration qui sonne la fin d'une époque. Pas la plus belle. La fin d'un homme aussi... Bref retour en arrière :

 

 L'homme s'avance, inspecte longuement la cellule. La plupart du temps, les occupants n'ont droit qu'à un regard dédaigneux. La porte se referme, l'exploration continue. De temps à autre un sourire éclaire le visage du visiteur. Il s'adresse à un assassin, à un voleur ou à un escroc : comment le directeur l'oublierait-il ?

- Libérez-le, dit l'homme.

Le capitaine Radecke se contente d'approuver. 27 détenus vont ainsi quitter la prison. A chacun d'eux, l'homme aux cheveux noirs a dit simplement : 

- T'es libre.


 Il s'appelle Henri Lafont. Ce jour-là, il commence à recruter les effectifs qui, au service des Allemands, composeront ce que l'on a appelé la Gestapo française.

 A ces individus en marge, le service de l'Allemagne nazie va fournir l'occasion d'une revanche acquise au mépris de tous les principes moraux existants. Au prix de toutes les abjections.

 

Tout a commencé quand les Allemands ont mis en place des bureaux d'achat chargés de négocier tout ce qui se révélera disponible sur le marché français. Le raisonnement de Lafont est simple :

- Ça, c'est un bon coup à ne pas rater. Moi, je vais leur acheter n'importe quoi, tout ce qu'ils veulent, les Fritz.

Plus tard, il affirmera qu'il aurait pu tout aussi bien, à cette époque, rejoindre un réseau de Résistance.

- Et qu'est-ce que je serais devenu maintenant ? Et bien, tout simplement un héros ! Et je n'aurais pas fait de cadeaux aux Fritz. J'aurais fonçé comme un dingue, comme un forcené, à fond. Seulement, voilà, en juillet et en août 1940, des résistants, je n'en ai pas connu, pas vu la couleur. Je ne savais même pas ce que c'était.

 Ça tient à rien la vie et le destin d'un homme : un truc comme rien, un petit hasard. Une histoire d'aiguillage.

 Ou alors, c'est la fatalité, et là je n'y peux rien. Mais à l'époque, j'avais simplement envie de ne pas crever, de vivre.


 Mué en grossiste, il parcourt l'Ile-de-France, la Normandie : il achète du blé, du maïs, du beurre - par tonnes -, du bétail et même des fourrures.

 Les Allemands apprécient. Voilà un homme.

Son raisonnement est simple : si les employeurs allemands le lâchaient, il serait un homme fini. Pour éviter une telle éventualité, une solution, une seule : les compromettre si complètement qu'il leur deviendra impossible de se passer de lui. Lafont va donc s'appliquer à mêler à son "entreprise" tous les chefs allemands qui l'utiliseront. Il leur verse des commissions considérables et leur offre des "cadeaux" dont il gardera soigneusement la trace. Ainsi va croître sa puissance. Il en arrivera à dicter ses ordres à ceux qui, dans la hiérarchie nazie en France, occupe des postes clés. L'ex-petit truand va faire trembler des lieutenants de Hitler.  

Mais Lafont a besoin d'hommes de confiances qui sont prêts à tout. Il va aller les trouver en prison.

 A ces détenus, Lafont s'est montré explicite : au services des Allemands, il y a du fric à gagner. Beaucoup. Ce n'est pas le patriotisme qui étouffe ces truands. Ils ne demandent qu'à se mettre "au travail". A chacun de ses hommes, il a lancé :

- Tu m'appelleras Patron.


 Mais Lafont dépasse les bornes et se retrouve dans le collimateur des Allemands. Il va alors dénicher Lambrecht, un des chefs de la résistance antinazie qui se cache dans le Sud-Ouest. Aucune haine ne l'anime à l'égard de cet homme qu'il ne connaît pas.

 Pour Lafont, il n'y aura jamais de guerre idéologique. Il avance des pions sur un échiquier, rien de plus. Lambrecht en est un.

 La vie de Lambrecht contre - pour lui - la fortune et la puissance ? Il trouve ce donnant donnant parfaitement équilibré

 D'ailleurs est-ce que cela compte la vie humaine ?

 

 Il se précipite à Bordeaux. Quelques nuits de beuverie dans les bars de la ville lui permettent de nouer des contacts. Un policier ivre mort lâche le morceau : Lambrecht se cache à Toulouse.

 Il livre même l'adresse. Cadeau. Il retourne à Paris. Le ressentiment des Allemands n'est pas éteint, mais la perspective de capturer Lambrecht efface tout. Il obtient des armes, des uniformes allemands, des Ausweiss et beaucoup d'argent. Il a posé ses conditions : aucun Allemand n'interviendra. Il veut réussir l'affaire avec ses hommes et personne d'autre.

 

 Qui sont à cette époque les hommes de Lafont ? Il s'agit de Robert dit "le Fantassin", de Hyrbes dit "la Rigole" - deux figures notoires du milieu - et d'Estebéteguy, un tueur surnommé "Adrien la main froide". 

 On loue une voiture, on file sur Toulouse. A l'adresse indiquée, on trouve Lambrecht en train de se raser. On l'assomme, on le ligote, on s'empare de ses documents, on le jette dans le coffre de la voiture et on le dépose au siège de la Gestapo.

 Maintenant, il faut que Lambrecht parle. "Laissez-moi faire", dit Lafont aux Allemands. Il va conduire l'interrogatoire... Il va durer deux jours et deux nuits. Lafont ne s'accorde pas une minute de repos, pas un instant de sommeil. A la fin, ses propres bras lui refusent tout service, ses hommes doivent le relayer. Réduit à l'état de loque sanglante, Lambrecht craque. Il donne tous les détails qu'on attendait de lui.

 Grâce à ses aveux, les services allemands arrêteront plus de six cents personnes. Six cents !

 Une "réussite" totale.

 

 Cette réussite sera fêtée au One-two-two, "maison" parisienne célèbre. dans cette capitale qui, en octobre 1940, meurt littéralement de faim, le colonel Reile offre à "Monsieur Henri" ainsi qu'il l'appelle - le nom lui restera - un dîner somptueux.

 Galvanisé, Monsieur Henri jette son dévolu sur un appartement de l'avenue Pierre-1er-de Serbie. Très vite, les locaux se révèlent trop exigus. Quand Lafont prend pour quartier général un hôtel particulier, 93, rue Lauriston. 

 Il ne cache pas que les vastes sous-sols ont été pour beaucoup dans son choix. On pourra y recevoir des prisonniers et les "interroger" sans que leurs cris ameutent le quartier.

 En même temps, il recrute.

 Autour de lui, travaillent désormais Paulo du Helder dit "la Gamberge", Charles Cazauba, secoué de tics, Miclar qui se spécialisera dans les dénonciations de juifs, Riri l'Américain, proxénète connu - et le pire de tous : Abel danos dit "le Danois", "le Sanguinaire", "le Mammouth", "le Gros", "Gros Bill", "Bel Abel". Il mérite tous ses surnoms. En 1936, l'attaque du train de Marseille-Blancarde lui a permis de rafler 100 kg d'or. Danos est "un tueur à froid, dira l'inspecteur Chenevier. Danos avait le crime dans le sang".


 D'autres encore : Armand le fou, huit condamnations, interdit de séjour, meurtrier d'un de ses amis, le proxénète Raymond Richard et sa "régulière" Simone Verhes qui, en mai 1944, provoqueront à eux deux, en une seule journée, l'arrestation de soixante résistants.

 S'y ajoutent Gaston Lorraine et Charles Forêt, tenanciers de maison close, Feu-Feu dit "le Riton", sept condamnations, surtout respecté dans le milieu depuis l'attaque du fourgon postal de la rue de Maubeuge, Jo le corse, un tueur à gages, Adolphe Cornet dit "Frédo la terreur du Gnouff" qui, rue Lauriston, va se spécialiser dans les interrogatoires électriques, ce qu'il appelle la "magnéto à effacer le sourire".

 Et d'autres, bien d'autres.

 

 C'est entouré de ces membres éminents de l'aristocratie du crime que Lafont va pendre la crémaillère. Sur une longue table jonchée d'orchidées, les crus des grandes années voisinent avec les champagnes millésimés. Toute la soirée défile des plats exquis.

 A table, à la place d'honneur, il y a même le conseiller criminel Boemelburg, l'un des hommes qui ont reçu pour mission de transposer dans les faits les théories prêchées par Hitler. Boemelburg doit concourir à la création de ce Grand Reich allemand qui doit vivre mille ans.

 Aux yeux des nazis français, du fait même qu'il va au bout de ses principes, il est respectable et doit être respecté.


 C'est à ce moment là qu'arrive Bonny. Les Allemands l'ont trouvé dans la misère. Prêt à tout. C'est un organisateur. Il sait tenir des dossiers, toutes choses dont Lafont - qui sait à peine lire et écrire - est incapable. Du patron, il deviendra le complément indispensable. C'est grâce à lui que Lafont a pu glisser dans la paume des Allemands un rouage précis, huilé, ciselé, qu'il n'y a plus qu'à enchâsser dans la machine policière qui broie le coeur de la patrie.

 Contre les réseaux de résistance, l'efficacité du Service va se révéler redoutable. Daniel Hirbes dénonce le groupe "Résistance-fer". Après s'être infiltré dans l'organisation, Bernard Tertre porte des coups sérieux aux maquisards de "Libération vengeance".

 Lafont élimine personnellement le réseau "défense de la France" auquel appartient Geneviève de Gaulle. Le 26 juillet 1943, Bonny arrête lui-même la nièce du général.

 

 On a affirmé que Lafont était l'inventeur du supplice de la baignoire.

 Le certain est que la bande utilise abondamment cette méthode née de l'occupation.

 Très simple : on attache les mains du "client" dans le dos par des menottes. On remplit une baignoire d'eau glacée. On plonge sous l'eau la tête de celui dont il faut tirer les aveux.

 Lorsque le supplicié cesse de se débattre, prouvant par là qu'il a tteint la suffocation complète, on le ramène à la surface en le tirant brusquement par les cheveux. Si, ayant repris souffle, il refuse encore de parler, on le replonge dans l'eau.

 

 Parfois certaines maîtresses de Lafont assistent aux interrogatoires. Il advient qu'elles mettent la main à la pâte, brûlant par exemple avec une cigarette la pointe des seins d'autres femmes arrêtées.

  Pour obtenir des aveux toutes les méthodes sont bonnes. Jacques Delarue en énumère un certain nombre. Tantôt, le "terroriste", doit s'agenouiller tandis que l'un des hommes de Lafont monte sur ses épaules, tantôt on le suspend par les bras ramenés en arrière, à moins que l'on préfère le frapper à coup de pied, de poing, de nerf de boeuf.

 Le résultat est le même : la perte de conscience. Pour réveiller le "client", on lui jette un sceau d'eau en pleine figure

 "On limait les dents, on arrachait les ongles, on brûlait avec une cigarette et parfois même avec une lampe à souder. On pratiquait aussi le supplice de l'électricité. On entaillait la plante des pieds au rasoir, et on obligeait ensuite le blessé à marcher sur du sel. Des morceaux de coton imbibés d'essence étaient placés entre les doigts de pieds et enflammés."


 Lutter contre la résistance, la décapiter si possible, mais n'oublier jamais de se remplir les poches : tel était le programme du Service.


 A son procès, on prouvera que Lafont a sauvé la vie de résistants, de Juifs. Un coup de téléphone aux Allemands suffit : "Ici Lafont, faites libérer M. X..." On libérait M. X... pour ces interventions, il demande de l'argent, parfois beaucoup. dans d'autres cas : "Envoyez-moi des fleurs."

 Jouir de la gratitude de gens qu'il n'aurait pas même osé aborder dix ans plus tôt est un plaisir qu'il savoure.

Il se plaît à recruter ses maîtresses dans l'aristocratie.

La comtesse Natacha Kolnikov est sa grande passion de l'année 41. Lui succèdent Geneviève de P..., puis la marquise d'A... dont le règne sera plus long et qui l'initiera aux joies de l'équitation. Il monte Séville, tandis que la marquise monte Belle Cocotte. Une fois par semaine, il offre un plantureux repas aux clochards : souvenir du temps où il était dans la rue ?

 A mesure que croît l'audace des réseaux de résistance, le service durcit son action et augmente ses effectifs.

A la fin de l'occupation, on estime à 34 000 hommes, le nombre d'agents de la Gestapo française. Chiffre effarant, accablant, les Allemands ont atteint leur but : gangrener la société française.

 

 Pour la résistance, Lafont est devenu l'ennemi public numéro 1, l'homme à abattre. Plusieurs fois on tente de l'assassiner. Il est trop bien protégé. On lui propose alors une rencontre. Il accepte. Le 17 août 43, un homme se présente à lui :

- Lieutenant-colonel Ricard.

L'homme de l'ombre va droit au but : Lafont a joué la mauvaise carte, la défaite allemande est certaine, il a commis des crimes mais on sait qu'il a aussi sauvé des Français. Il est temps encore. On connaît ses qualités d'organisateur. pourquoi ne les mettrait-il pas au service de la Résistance ?

Lafont a semblé d'abord attentif, puis ému. En définitive, il refuse. il saisit la bouteille de champagne, boit au goulot.

- Colonel Ricard, ne me demandez pas d'être habillé de beaux sentiments. Pourquoi irais-je me déguiser chez vous ? Aimez-vous les femmes colonel ? Moi je les aime blondes, brunes, rousses, châtain clair, lisses, potelées, minces ; je les aime parfumées, maquillées, sages, démentes, douces, agressives. Je les ai toutes, jusqu'à satiété, jusqu'au doux écoeurement.

 Avez-vous autant de femmes à m'offrir ?

Il lève sa bouteille de champagne, boit encore :

- Aimez-vous l'argent, colonel Ricard ? Moi j'aime le posséder, le pétrir de mes mains, le jeter par les fenêtres... Aimez-vous la puissance, la gloire, colonel Ricard ?... Moi, j'aime dominer, humilier, vaincre, faire courber les têtes, voir des hommes ramper devant moi, m'implorer, me supplier, demander grâce, devenir fourbes, lâches, serviles, répugnants de bassesse.

Il a reposé la bouteille sur la table. il regarde bien en face le résistant. Les yeux dans les yeux :

- Vous ne me donnerez jamais, comme je le veux, autant de femmes, autant d'argent, autant de puissance. Et vous voulez que j'abandonne tout cela, que je me lance dans l'aventure, que je revienne à une vie d'errance, de clandestinité, de danger ? Non.


 Après le débarquement, les rats quittent le navire : plusieurs de ses complices l'abandonnent. L'un deux Adrien Le basque, croit trouver une filière pour passer en Amérique du Sud et finira dans la chaudière du docteur Petiot. On retrouvera le cadavre de Ménard dans la banlieue de New-York : assassiné. Herbert sera exécuté d'une rafale de mitraillette dans une boîte de Mexico. Du fabuleux butin de Lafont, d'autres ont profité qui auront pignon sur rue. Lafont sera dénoncé et n'opposera aucune résistance.

Lors du procès, il ne se départira pas d'un grand calme qui ressemble à de la dignité. Il assumera toute la responsabilité.

 Pour Lafont comme pour Bonny et plusieurs de leurs lieutenants, le même verdict : la mort.


Le 26 décembre 1944, Lafont et Bonny marchent vers le peloton d'exécution. Lafont refuse le secours de l'aumônier. A l'adresse de Maître Floriot, il lance :

- On devrait moderniser et, plutôt qu'un curé, vous envoyer, par exemple, une belle nana, histoire de garder de la vie un bon souvenir !

Il rajoutera : Vous savez, je ne regrette rien. Quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça paye, non ? J'ai vécu dix fois plus vite, c'est tout.

Il est de la première fournée. Jusqu'au dernier moment, il tire sur sa cigarette. il se laisse attacher au peloton d'exécution mais refuse qu'on lui bande les yeux :

- Je veux boire jusqu'au dernier rayon de soleil.

 

A 9 h 50, les balles le frappent en plein visage. Le long du poteau blanc, il glisse vers le sol.


Ma Mamie m'a avoué qu'elle avait peur de deux choses : du bruit des bottes allemandes dans les rues et des misérables de la Gestapo française.

 

 

Collection "Mamie explore le temps"

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 14:15

LepasducommanditePetitjournal.jpg"Une photo, là, sous vos yeux.

 

 Une photo de l'homme le plus riche du monde. Question : Comment devient-on l'homme le plus riche du monde ? Ma Mamie s'est posée la question.

 Mieux : comment, après être entré dans la vie sans un sou, peut-on en venir à posséder deux milliards de dollars ? La fortune d'un homme, un homme seul.

 Un homme qui s'appelait John Davidson Rockefeller, nom que l'on abrégea en John D. Rockefeller. Le nom le plus fameux de l'histoire des Etats-Unis au XIXème siècle. 

 Mamie fait bien sûr référence à la conquête de l'Ouest. La guerre de Sécession, Lincoln et l'émancipation des esclaves. La ruée vers l'or. L'ère industrielle qui prend son élan.

 Parce qu'il faut bien préciser que dans notre monde moderne, une réussite telle que celle de Rockefeller ne serait plus possible. Mais revenons au commencement : le conte de fées commence donc le 8 juillet 1939 au petit village de Richford où un petit garçon vient de naître.

 

 Son père William Rockefeller - plus connu sous le sobriquet de Big Bill Rockefeller - a aussitôt quitté la maison. Car Big Bill n'est jamais chez lui.

 Il court les grands chemins, avec un cheval et une carriole. Dès qu'il arrive dans un village, il tend au premier aubergiste sa carte : William Avery Rockefeller , docteur en médecine.

 D'où lui vient ce doctorat ? De sa propre autorité. Les malades affluent : pionniers, trappeurs, indiens. A tous, il remet la même fiole qui contient uniquement de l'eau de source et du sucre de canne. A sa décharge, disons que les véritables médecins de son temps ne guérissaient pas davantage le cancer ni la tuberculose, pas plus que les rhumatismes ni les maladies de peau.

 William Avery Rockefeller, lui, vend au moins de l'espoir.

 De temps à autre, William retrouve les siens à la ferme. Le petit John, qui grandit, le voit surgir chaque fois avec joie. C'est que le père arrive non seulement avec les poches pleines d'argent, mais aussi muni d'un stock inépuisable d'histoires. L'argent ne dure pas, car la plupart du temps, William le perd au jeu. Alors, il harnache de nouveau son cheval, l'attelle à la carriole, renouvelle son stock d'eau sucrée et repart visiter ses indiens et ses pionniers.

 Des voisins médisants affirment d'ailleurs que, pour échapper à la police, il change de nom et de personnalité. On dit même qu'il entretient un second ménage dans l'Ouest.

 On raconte aussi que, pour capter la confiance de certaines tribus indiennes, il s'est fait passer pour un sourd-muet, ce genre d'infirmité étant considéré par les Peaux-Rouges comme d'origine divine.

 Un jour, en 1849 - John a dix ans - c'est le drame : l'huissier parle d'une condamnation encourue par le père et saisit tous les biens.

Mais qu'à fait ce père ?

Dans le village, chacun a son opinion. Pour les uns, Big Bill a encore volé des chevaux pour les revendre. Personne ne sait mieux camoufler un cheval que lui. Pour d'autres, c'est quelque chose de bien pire que le vol des chevaux. Big Bill aurait violé une mineure. Il aurait été condamné à des dommages et intérêts. C'est pour les payer qu'on vend le mobilier.

 Le fait est que Big Bill est un homme traqué.

Il ne viendra plus chez lui qu'en se cachant. En pleine nuit, sa femme, John, ses cinq frères et soeurs, l'entendent frapper. Tout le monde se lève, on passe quelques heures avec le "docteur en médecine". Big Bill repartira avant l'aube. Personne dans le village ne sait même plus qu'il existe.

Un jour, d'ailleurs, Mme Rockefeller annoncera la mort de son mari. Quand elle-même mourra, bien des années plus tard, son acte de décès la dira veuve. Pourtant, vers les années 1850, près de la frontière canadienne, vivait un certain docteur William Livingstone. Lui aussi soignait le cancer et la tuberculose. Avec de l'eau sucrée. Chose bien étrange, les amis de John avaient vu apparaître chez celui-ci le docteur Livingstone.

 Ma Mamie parvint à se procurer une photo de Big Bill et une photo de Livingstone. Elle est formelle : ils se ressemblaient comme des frères.

 

 Chez les Rockefeller, on est pauvre, très pauvre. Le petit John a appris très tôt la valeur de l'argent. A douze ans, il possède 50 dollars d'économie. Il décide d'arracher les pommes de terre d'un voisin pour gagner quelques sous - trois dollars -, mais il ne tient plus debout tant son dos lui fait mal. Or il prête ses cinquante dollars à un autre fermier. Quelques mois plus tard, quand il les récupère, il encaisse un intérêt de 3,5 dollars. Le petit John vient de découvrir la valeur de l'argent.

 "Je compris ce jour-là qu'il est absurde de travailler pour l'argent : il faut que l'argent travaille pour vous.

C'est la règle d'or du capitalisme. John D. vient de découvrir le capitalisme.

 Après l'école primaire, Big Bill décide d'envoyer son fils à l'école de commerce de Cleveland. Au bout de six semaines, il a tout appris, tout compris, tout enregistré.

 Aucune disposition pour la littérature, l'histoire, les arts, la science, le petit John D. En revanche, il se révèle un as en calcul. Personne ne peut le battre lorsqu'il se livre à une opération de calcul mental. Plus tard, face à un adversaire coriace, il sera toujours le premier à pouvoir estimer les résultats pratiques d'une opération financière. Ce don lui fera gagner quelques millions de dollars de plus.

 Le voilà sorti de l'école de commerce. Il a seize ans.

Que va-t-il faire ?

Naturellement, trouver une situation. Mais à Cleveland, c'est la crise, John D. frappe à toutes les portes. Aucune ne s'entrouvre : "Rien pour vous, petit." Chaque soir, il rentre épuisé à la maison. Le lendemain, il repart. Jusqu'au jour où un employeur est séduit par le petit. John D. est engagé comme aide-comptabl à l'essai.

 L'évènement se passe le 26 septembre 1855. Toute sa vie, Rockefeller le célèbrera comme un épisode capital de sa vie. Il gagne un demi-dollar par jour. Quelques années plus tard, il gagnera plusieurs milliers de dollars à l'heure. Il est entré dans une entreprise qui s'occupe d'expéditions de marchandises par eau et chemin de fer. Une aubaine pour John D. Il apprend là un métier qui, plus tard, va être pour lui d'une utilité essentielle.

Mais comment est le petit John D. ?

 Il est mince légèrement au-dessus de la moyenne, toujours tiré à quatre épingles. Il regarde bien en face ses interlocuteurs. Il parle peu, sourit rarement. Toutes qualités comme dit Mamie qui, d'évidence, sont le propre d'un businessman qui veut réussir.

 C'est Casanova qui a dit : "L'homme appelé à faire fortune doit être souple, insinuant, dissimulé, impénétrable, souvent bas, perfidement sincère, faisant toujours semblant de savoir moins qu'il ne sait, patient, maître de sa physionomie..."

 John D. Rockefeller a-t-il lu la définition de Casanova ?

 

 Maintenant, il loue à Cleveland une petite chambre. Sa mère réside dans une ferme assez proche où elle se fait aider pour le ménage par une jeune fille, Melinda Miller.

 Jolie, la petite Miller.

Le froid John D. s'étonne lui-même de l'intérêt qu'il commence à ressentir pour cette servante. Il se promène avec elle mais la mère Miller ne mange pas de ce pain-là. Un mariage avec John D. ? Il n'en est pas question. Sa fille n'épousera pas un "garçon sans avenir".

 Trois ans déjà qu'il travaille dans l'entreprise de transport, John D. juge à propos de demander une augmentation. On la lui refuse. Il démissionne. Peut-être existe-t-il une autre raison à ce qui pourrait apparaître comme un coup de tête. Il vient de rencontrer un jeune anglais du nom de Clark qui possède des économies.

 John D. Lui propose une association. Pourquoi ne pas créer une entreprise qui s'occupera de transport ? Lui, John D. connaît admirablement le mécanisme d'une telle affaire. Il apporte son expérience à l'entreprise future. Mais il lui faut des sous. Opportunément, voici que Big Bill vient, une nuit de plus, frapper à la porte. John D. en profite pour lui demander un prêt de mille dollars.

 Miracle ! Big Bill les possède et ne les a pas encore perdus au jeu.

Il les avance à son fils. Mais comme il n'y a pas de petits bénéfices, il réclame 10% d'intérêts.

 La suite ? La firme Rockefeller and Clark ouvre ses portes à Cleveland au moment où la guerre éclate, la terrible et inexpiable guerre de Sécession. De jeunes Américains du Nord et du Sud vont s'entretuer pour ou contre les Noirs. A la différence de son frère, John D. n'y participe pas.

 Chaque dimanche, il se rend ponctuellement à l'église. Nul ne chante mieux les hymnes. Nul n'écoute avec plus d'attention le pasteur. Au vrai, le paroissien modèle. A l'école du dimanche, John D. se mue en ardent propagandiste. Il trouve tout à coup des paroles de feu pour enseigner aux jeunes gens la vertu et le sens du devoir.

 A l'école du dimanche, fréquente une jeune fille que, familièrement, on appelle Cettie.

 Elle se nomme Laura Celestia Spelman. John D. la connaît depuis l'école primaire. Elle ne manque pas une des allocutions du jeune Rockefeller. Elle l'écoute de toutes ses oreilles et le dévore des yeux. Comme lui, elle hait le théâtre, l'alcool et la fumée des cigarettes. Quand on critique John D. - car on le critique déjà - elle prend fougueusement sa défense. 

 En 1864, John D. va épouser Cettie.

Mariage d'amour ? Sûrement pas.

 Il a sentie l'attachement de Cettie pour lui, a pesé soigneusement ses qualités. Il a jugé qu'elle ferait une bonne épouse. Il lui a proposé de l'épouser. Il a raison. Ce mariage durera soixante-cinq ans. la nouvelle Mme Rockefeller sera pour son mari une collaboratrice efficace.

 Elle lui donnera cinq enfants - et le bonheur privé. Jamais il ne la trompera. Sans doute n'en a-t-il jamais eu l'idée.

 1862 devait rester pour John D. l'année pendant laquelle il découvre l'existence du pétrole. Jusque-là, sa vie est celle d'un homme d'affaires remarquablement doué et qui a réussi. Il pourrait s'en contenter, continuer à faire fructifier la firme Rockefeller and Clark.

La voie est tracée. Qui dira pourquoi certains êtres, justement, ne se contentent pas de la voie tracée

 Dans le secret de son âme, John D. a juré de devenir Rockefeller. Et il n'est pas encore Rockefeller. Il en est loin.

C'est le pétrole qui va faire de lui Rockefeller.

 On connaît le pétrole de toute éternité. Le bitume dont Noé enduisit son arche provenait tout droit du pétrole. Au début du XIXe siècle, le pétrole aux Etats-Unis s'appelait rock oil : huile de roche. On le recueillait en Pennsylvanie, dans les rivières où il se mêlait aux eaux. On en emplissait des bouteilles que l'on vendait comme spécialité pharmaceutique.

 Les héros ne manquent pas. Dans tous les pays, on consomme de l'huile de roche. La demande ne cesse de croître. Comment récolter davantage de pétrole ? Une question qui est sur toutes les lèvres.

 Ici intervient un certain Edwin L. Drake. C'est un chef de train qui a dû abandonner ses fonctions dans les chemins de fer pour raison de santé. En 1857, il est engagé par une compagnie formée dans le dessein de découvrir du pétrole en Pennsylvanie.

 Un détail : on engage Drake que parce qu'il jouit, à titre d'ancien cheminot, d'un titre de transport gratuit. On estime que ses frais de voyage coûteront ainsi moins cher à la nouvelle société.

 Le PDG M. Townsend décerne à Drake, de sa propre autorité, le titre de colonel : "Cela fera mieux en Pennsylvanie", décrète-t-il. Ainsi le colonel Drake va-t-il entrer dans l'Histoire.

 Car, parvenu à Titusville, au centre des gisements supposés, Drake va avoir l'idée de faire appel à un vieux puisatier, affectueusement appelé "oncle Bill". En un lieu où le pétrole suinte à la surface du sol, Drake décide de forer un puits. Le 27 août 1859, la sonde parvient à vingt-trois mètres de profondeur.

 Elle s'enfonce dans une petite cavité. Quelques heures plus tard, le puits s'emplit de pétrole. A la fin de la journée, on en a recueilli près de quatre mille litres. Drake vient de forer le premier puits de pétrole.

 En quelques heures, la nouvelle va se répandre dans la région. En quelques jours, dans tous le pays. Aussitôt, les prospecteurs affluent. On s'arrache à prix d'or des terrains susceptibles de contenir du pétrole. Partout les puits surgissent. Aussi les fortunes.

 De pauvres hères deviennent riches en quelques semaines. C'est la fièvre du pétrole qui, dans l'épopée américaine du XIXème siècle, apparaît comme l'équivalent de la ruée vers l'or. Elle comporte des enrichissements fabuleux, des ruines spectaculaires, des vols et des assassinats.

 D'autant plus que vers 1860, les chimistes découvriront le moyen de raffiner ce pétrole. Jusque-là, en brûlant, il répand une odeur épouvantable. Désormais, on pourra, sans empuantir une maison, s'éclairer au pétrole. Du coup, la demande devient gigantesque.

 Tout le monde civilisé veut s'éclairer au pétrole. Tout le monde civilisé demande ce pétrole à la Pennsylvanie. On voit les villages pennsylvaniens se couvrir de baraques, de saloons, de magasins. Des villes naissent en quelques mois. Les derricks montent partout vers le ciel.

  Mais si la demande de pétrole va croissant, un problème se pose chaque jour avec plus d'acuité : celui du transport. Entre l'hiver où les charrettes s'embourbaient, les embouteillages monstrueux et les tarifs prohibitifs exigés par les charretiers, on ne s'en sort plus.

 Or, un jour de 1862, un jeune homme de vingt-trois ans vient visiter Titusville, capitale du pétrole pennsylvanien. C'est John D. Rockefeller. Il faut l'imaginer sur la terrasse - quelle terrasse ! - du rudimentaire hôtel de la ville. Il regarde les derricks érigés dans un désordre total. Il voit la foule des pionniers déambuler dans les rues. Il entend le piano des saloons.

 Et - scandale !- il voit devant ces établissements les prostituées aguicher d'éventuels clients.

 Très vite, John D., toujours froid, réservé, sévère, va prononcer un jugement sans appel. Un businessman digne de ce nom ne peut pas s'intéresser au forage du pétrole.  Seuls des gens de peu, des aventuriers, des amateurs de jeux de hasard peuvent se passionner pour une telle entreprise.

 Lui, John D., a par définition horreur des jeux de hasard. Il est venu voir, parce qu'on parle beaucoup de pétrole, parce qu'on raconte partout l'histoire des gens qui se sont enrichis avec le pétrole. Mais le forage du pétrole n'offre aucun intérêt. En revanche, le pétrole, lui, en tant que tel, vaut qu'on s'y intéresse.

 Car John D. fait une distinction entre le forage et le raffinage. Si le forage est, à ses yeux, une aventure malpropre et quelque peu déshonorante, le raffinage lui semble une affaire sérieuse.

 La demande mondiale ne cesse d'augmenter. Cette demande intéresse le pétrole raffiné. Celui qui raffine le pétrole ne peut pas perdre. Il ne dépend pas du hasard. Il trouvera toujours des producteurs pour lui vendre leur pétrole. Donc lui, John D., raffinera le pétrole. Parce qu'i croit au pétrole. Parce qu'il pense que celui qui vendra du pétrole fera une immense fortune.

 

 Cette fois, l'agent du destin va s'appeler Andrews, l'aîné de Rockefeller de quelques années. Andrews fabrique des bougies. Et il a découvert un nouveau procédé de raffinage, qui permet d'obtenir du pétrole de meilleure qualité. Rockefeller n'hésite pas. Il s'associe avec Andrews. Celui-ci va se révéler un "véritable génie du raffinage". Sa technique laisse loin derrière lui les concurrents.

 La réussite est immédiate. Les capitaux que Rockefeller a placés dans l'affaire lui rapportent 100%. Donc, il avait vu juste. De nouveau, son flair en éveil. L'affaire est excellente, mais il sent qu'il peut aller beaucoup plus loin et décide d'abandonner son affaire de transports et de se consacrer uniquement au raffinage. Clark ne veut pas le suivre. Tant pis, ou tant mieux ? Rockefeller quitte Clark, lui serre la main :

- Maurice, vous avez eu tort, car cette fois-ci je suis sur la route de la fortune.

 Dans la nouvelle affaire, il y a trois associés : John D., Andrews et un certain Henry Flager. Flager est une sorte d'aventurier sympathique. Il a connu des mois et même des années de misère, dormant, sur une botte de paille, sous le comptoir d'un débit de boisson. Mais un de ses oncles, distillateur d'alcool, a fait fortune.  On affirme d'ailleurs que ces alcools étaient plus ou moins frelatés. Flager investira la fortune de son oncle dans les entreprises de Rockefeller. Le puritain John D. s'abstient d'alcool par principe. Que ce nouvel argent qui lui vient soit le résultat d'une production d'alcools frelatés, il l'accepte néanmoins.

 Pour lui, l'argent n'a pas d'odeur.

 Ce qui résume John D., c'est une extraordinaire passion de l'économie. Quand il achète du pétrole, il choisit les moments où les cours sont bas.

 Il stocke le pétrole raffiné pour le vendre au plus haut cours. Il deviendra maître dans ce genre de sport.  En juin 1870, il fonde la Standard Oil of Ohio, au capital d'un million de dollars. l'évènement passe naturellement inaperçu. C'est pourtant ce jour-là que naît le plus colossal trust de toute l'histoire l'économique.

 A cette époque, coexistent vingt-six raffineries à Cleveland. Un soir, Rockefeller se promène en compagnie de Flager. Autour d'eux, les cheminées des raffineries et les flammes qui brûlent. Flager, méditatif, dit :

- Il y a beaucoup trop de ces usines par ici, je me demande comment on pourrait les regrouper.

 John D regarde brusquement Flagler. Il le quitte sans dire un mot. Il rentre chez lui. Tout simplement, il vient d'avoir l'idée. Le lendemain, Flagler, dûment chapitré, se rend chez un petit raffineur dont l'affaire, de notoriété publique, est peu brillante. Flagler lui offre 4700 dollars de sa raffinerie. L'homme croit rêver. Il accepte. C'est le début de la gigantesque entreprise d'absorption dans laquelle Rockefeller va mettre toutes ses forces et tout son génie.

 Pour acheter les raffineries concurrentes, il faut les ruiner. C'est une véritable guerre qui commence, où tous les coups seront bons. Clandestinement, Rockefeller va passer avec Vanderbilt l'un des plus monstrueux contrats qui aient jamais été signés avec des compagnies de chemin de fer. Celles-ci sont aux mains de véritables pirates, notamment le fameux Gould.

 Un jour, Gould a provoqué en duel l'un de ses concurrents. Traditionnellement, l'offensé a le choix des armes. Celui-ci choisit la locomotive. Donc les deux locomotives se sont élancées sur la même voie l'une contre l'autre. Des deux carcasses défoncées et fumantes, on a retiré le cadavre du concurrent - et Gould, grièvement blessé, mais vivant.

Vanderbilt est du même tonneau.

 Ce que Rockefeller a signé avec lui, c'est un accord qui lui consent des tarifs 50% moins élevés qu'à ses concurrents. Au contraire, on élèvera de 50% le tarif des concurrents. Ce qui apparaît plsu incroyable encore, c'est que Rockefeller a obtenu de toucher une partie des superbénéfices venant de l'augmentation supportée par ses propres concurrents.

 Deux chiffres pour mesurer l'écart des camps en présence : en 1872, la Standard Oil ne représente que 4% de la capacité de raffinage américain alors que cinq ans plus tard, elle contrôlera 95% du marché mondial des pétroles. En seulement cinq ans !

 Sa technique ?

Il va voir les raffineurs un à un. Il déclare qu'il ne veut pas leur mort. Il pense seulement que l'isolement est néfaste. par voie de conséquence, il leur propose le rachat.

 C'est leur intérêt.

 D'autant plus qu'il ne leur donnera pas d'argent, mais les paiera en actions de la Standard qui, assurément, sont destinées à monter. En rachetant leur raffinerie, Rockefeller annonce à ses confrères qu'il fait leur fortune. Le plus étrange est que l'affirmation se révélera souvent vraie. Ceux qui recevront des paquets d'action de la Standard se trouveront quelques années plus tard en possession de titres qui auront centuplé.

 Il faut le dire : beaucoup acceptent le marché. Mais il en est qui refusent.

 Ceux-là voient tout à coup les prix baisser. Ils sentent venir la ruine. A point nommé, Rockefeller formule de nouvelles propositions que, cette fois, on accepte.

 Une raffinerie va résister plus longtemps que les autres. Son propriétaire engage un technicien qui fait bruler la raffinerie en poussant trop fort les feux de l'alambic. On poursuivra Rockefeller. Il démontrera qu'il n'a rien à voir avec l'ingénieur. C'est vrai.

 Cet ingénieur ne connaissait que les associés de John D.

 La vérité est que Rockefeller est passé sans pitié sur les corps de tous les raffineurs. Un jour, pourtant, une femme est venue l'implorer. Elle est veuve. Pour élever ses enfants, il faut qu'elle garde sa raffinerie. Le prix qu'on lui propose ne lui permettra plus de vivre. Son accent est émouvant.

 Il se passe alors quelque chose d'extraordinaire - et peut-être d'unique : les yeux bleus d'acier de Rockefeller s'embuent. Il est ému.

 Il promet : elle gardera la raffinerie. Elle rentre chez elle, rassérénée. Le lendemain, les associés de Rockefeller  exigent son départ. Stupéfaite, elle proteste. John D. ne lui a-t-il pas promis de lui laisser sa raffinerie ? Implacables, les associés. La femme demande à le revoir. Il refuse. Elle ne le rencontrera plus jamais et devra céder.

 Le seul mouvement de pitié de John D. n'a duré qu'une seule nuit.

 Mais tout ne se passe pas si aisément. Un jour, quelqu'un dévoie le détail des contrats secrets de Rockefeller avec les chemins de fer. Scandale immense. A point nommé, on annonce que les contrats ont été annulés. Vanderbilt confirme. Apparemment, Rockefeller a capitulé. Tout rentre dans l'ordre. La presse se tait.

 Or lisez bien ceci : Rockefeller bénéficie toujours secrètement des mêmes tarifs !

 Toutefois cet homme grave se déride avec ses enfants. A la table familiale, parfois il chante, il jongle avec des assiettes ou il pose un biscuit en équilibre sur son nez pour le happer.

 De nouveau, on attaque Rockefeller. Cette fois c'est une meute qui l'assaille. Il n'a pas pu cacher éternellement qu'il dominait tout le pétrole du monde. Une longue guerre l'opposera au pouvoir.

 Il est un homme haï. Mais il s'en tirera toujours en montrant une éternelle bonne conscience. Il se sent dans son droit. Lorsqu'il voit paraître les premières voitures automobiles, il comprend que son empire va encore grandir. Il faudra du pétrole pour ces voitures. C'est lui, Rockefeller, qui va alimenter les voitures automobiles du monde entier.

 Brusquement, c'est le coup de théâtre.

 L'incroyable, l'imprévisible. Nous sommes en 1895, la fortune de Rockefeller est la plus vaste du monde et ce potentat, ce milliardaire annonce qu'il se retire des affaires. Il n'a que cinquante-six ans.

 Pour charmer sa retraite, John D. se borne à spéculer. Un simple amusement. Mais entre ses doigts, le jouet devient de l'or. presque sans l'avoir voulu, il gagne quelques centaines de millions de dollars de plus.

 Alors, adieu la spéculation.

 Maintenant, il ne s'intéresse plus qu'au golf. Mais dans sa vie, il y a une faille : Rockefeller a peur. Il vit dans la terreur d'être assassiné.

 Il se sait l'homme le plus détesté du monde.

 Un jour John D. rencontre un pasteur, un certain Gates. Gates parle au vieil homme : l'heure est venue pour lui de distribuer son immense fortune. On va alors assister à la plus extraordinaire des métamorphoses de cette vie hors série. Rockefeller a été convaincu.

 Pourquoi un homme seul garderait-il tant d'argent ? Il n'a vécu que pour le profit, il va exister pour la charité. Ce sera la mission de son fils. On assiste alors au plus insolite des spectacles, celui d'un fils n'ayant qu'une préoccupation : redistribuer la fortune que son père a gagnée. Du jamais vu !

 La fin ? John D. est devenu octogénaire, nonagénaire. Sa femme est morte, ses amis sont morts. il survit. Il reste seul.Le jour de son 97ème anniversaire, il déclare :

- Je fais le pari d'arriver à la centaine.

Il n'a pas droit aux trois petites années, emporté par un infarctus du myocarde.

 Faut-il l'envier Une telle réussite laisse pantois. Néanmoins, ma Mamie ne puis s'empêcher de penser à ce dialogue qu'il a échangé un jour avec l'un de ses amis, amateur de livres. Il lui demandait :

- Vous êtes heureux avec tous vos bouquins ?

- Très heureux.

- Pour moi, la seule chose qui me fasse plaisir, c'est de toucher des dividendes !

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 14:01

Henriette-Caillaux.jpg"Le Petit journal, là, sous vos yeux.


 16 mars 1914, 6 heures du soir.

 Dans le vaste cabinet de travail de Gaston Calmette, directeur du Figaro, il fait sombre. Il est là, Calmette, debout près du bureau, et regarde d'un air étonné la femme devant lui.

- Vous savez pourquoi je viens, dit cette femme.

 Précisément, non, Gaston Calmette ne le sait pas.

 Grande a été sa stupeur quand l'huissier lui a remis une enveloppe dans laquelle il a trouvé une carte de visite : Madame Joseph Caillaux. Une telle démarche, d'une telle femme ? Pourquoi ? Est-ce pour le savoir qu'il l'a fait introduire ? En tout cas, elle est devant lui. Et elle a dit :

- Vous savez pourquoi je viens.

 Calmette n'a pas à prendre la peine de chercher une réponse. Tout va très vite. Brusquement, Mme Caillaux sort sa main droite de son manchon. Cette main tient un revolver. Elle tire.

 Gaston Calmette va mourir dans la nuit.

 Un fait divers ? Non. Beaucoup plus qu'un fait divers.

L'histoire de Mme Caillaux met en scène des individus, des actes parfaitement contradictoires. Et elle va dévoiler d'inexpiables passions. Alors que se profile la menace qui aboutira à la Première Guerre mondiale, à l'arrière plan des cinq coups de revolver tirés par Mme Caillaux sur un journaliste, de formidables haines politiques vont s'affronter.

 Au travers de ce drame, c'est peut-être la guerre et la paix qui hésitent.

  Au centre de tout, ma Mamie m'a dit qu'il y a un personnage. Il faut aimer les personnages. Il faut s'attacher à ces hommes qui tout à coup bousculent le train-train de l'Histoire.

 Ici, le personnage s'appelle Joseph Caillaux. Le plus original, le plus fracassant des hommes politiques qui se soient illustrés sous la troisième république. L'un des plus admirés, sans doute.

L'un des plus détestés sûrement.

 

 Reçu brillamment à l'inspection des Finances, ambitieux, entreprenant, impatient, il ne s'est guère attardé dans la fonction publique. A trente-six ans, il était déjà ministre des Finances et très vite, il a manifesté une intelligence hors de pair.

 Un technicien, certes, mais allant bien au-delà de la technique.

 Ce petit homme mince, cambré, d'une élégance raffinée était très jeune devenu chauve, presque intégralement. Excellente façon de ne plus vieillir.

 Sur la jaquette de bon faiseur, un oeillet. A l'oeil, un monocle. Sur tout cela, de l'insolence.

 Ce politique reste un aristocrate. "Il a la classe, dit Chenu, témoin du procès de sa femme, il piaffe comme un cheval de pur sang et méprise en secret les lourdauds et les croquants, amis ou ennemis."

  Avec l'affaire d'Agadir, Caillaux a sauvé la paix pour trois ans. Cette affaire l'a consacré grand homme d'Etat mais elle a déchaîné contre lui des sentiments violents. Il se montrait si personnel, si cassant, qu'il iradiait aussi bien ses adversaires que ses amis.

 Il ne supportait pas la contradiction, éclatant sans cesse en colères et foucades. Il se montrait vaniteux, orgueilleux "jusqu'à l'enfantillage", dit Chastenet.

  Et puis sa vie privée était agitée. Il se voulait passionné en amour comme en politique.

 Il s'est marié en 1906 une première fois avec l'épouse divorcée d'un de ses collaborateurs, de son nom de jeune fille Mlle Gueydan, une très belle femme brune de beaucoup d'allure.

 Dès 1908, il a rencontré une jeune femme, Henriette Rainouard, épouse divorcée du journaliste Léo Clarétie, plus discrète que l'épouse légitime, l'air doux, un peu effacé, aussi blonde que l'autre était brune. Aussitôt, de nouveau, la passion. Henriette est devenue sa maîtresse, sa "Riri" quand il lui écrivait, cependant qu'il signait : "Ton Jo."

  Cette vie double s'est poursuivie jusqu'au moment où une lettre compromettante est venue tout apprendre à l'épouse. Il s'est excusé, à tergiversé, menti, avoué, promis de ne plus revoir Riri. Bien sûr, il n'en a rien fait. Tumultueuse, la liaison a continué.

  Un beau jour, ouvrant un tiroir de secrétaire avec la clef d'un autre meuble, Mme Caillaux a découvert une correspondance, des lettres, de Riri et deux lettres de son mari à Riri.

 C'était en 1910, année d'élections. Conjuguer une procédure de divorce et une campagne électorale était dangereux. Une fois élu, Caillaux a entamé lui-même le procès. Le divorce a été prononcé à ses torts. Sans tarder, Caillaux a épousé Henriette Rainouard, devenue la seconde Mme Caillaux. 

  Ce temps-là était celui de la menace allemande. Avec inquiétude, l'Europe voyait l'Allemagne augmenter ses effectifs militaires.

 Le kaiser Guillaume II voulait la guerre. Pourrait-on l'éviter ? Fallait-il l'éviter à tout prix ? Ma Mamie était trop jeune pour répondre à cette question.

  La volonté d'abattre Caillaux a redoublé quand le ministre des Finances a annoncé son intention d'équilibrer le budget de 1914 à l'aide d'un impôt progressif sur le capital.

 Un tollé !

Briand, Barthou et Poincaré n'en démordait pas. Il fallait l'abattre. L'abattre absolument.

 Oui, mais comment ?

 

 Ce qu'il fallait c'est attaquer Caillaux, l'attaquer sans cesse. Produire contre lui des documents qui l'accableraient. Le déconsidérer. Le déshonorer. Pour cela, il fallait trouver un journal. On le trouva, ce fut le Figaro.

 Le tirage du Figaro n'est pas comparable à celui du Petit Parisien, par exemple, qui, avec 1 600 000 exemplaires, peut à bon droit se réclamer du plus fort tirage du monde entier.

 Mais son influence est grande car ceux qui le lisent appartiennent à la grande et moyenne bourgeoisie. Qui s'est chargé d'approcher Gaston Calmette, directeur du Figaro ? Probablement Louis Barthou.

 En 1914, Calmette a cinquante-cinq ans. Le visage un peu rond, le ventre également, une épaisse moustache, des lorgnons, il est entré au Figaro à l'âge de vint-sept ans, est devenu le gendre du directeur - bonne façon de faire carrière - et un jour, en 1902, a succédé à son beau-père. Un homme courtois, doux, un peu timide.

 Le contraire d'un polémiste. Pourtant, cet homme discret va conduire en personne l'attaque contre Caillaux.

 Rarement a-t-on vu dans la presse une attaque d'une aussi grande envergure et menée avec autant de méthode. L'attaque infondée sur les jetons de présence que toucherait Caillaux et sur les ristournes, ce ne sont que des broutilles.

 Le Figaro continue de plus belle en dévoilant que le Comptoir d'escompte a versé 400 000 francs à la caisse de Caillaux. Or le Comptoir dément avec force.

 Seulement voilà, chaque jour les lecteurs du Figaro découvrent une nouvelle affaire, une nouvelle attaque, un nouveau "scandale".

 On accuse Caillaux de trafic d'influence, on dénonce ses coups de Bourse.

 Rien de décisif, certes, mais ces banderilles quotidiennes seraient venus à bout de l'épiderme le plus coriace.

 Chez les Caillaux, le climat est devenu très lourd. Chaque matin, Henriette ouvre Le Figaro l'angoisse au coeur. Fièvreusement, elle court à la découverte de nouvelles infamies, puis pose le journal sans mot dire sur la table. Caillaux, furieux, le crâne empourpré, jette à terre la feuille.

 Henriette souffre, profondément. C'est elle, bien plus que son mari, que la campagne atteint. Elle admire, elle aime Joseph Caillaux.

 Contre Calmette lui viennent des accès de fureur : pourquoi ? pourquoi ?

 Or le pire est à venir.

 

 Le 10 mars, Calmette attaque derechef. Il accuse Joseph Caillaux d'avoir fait pression sur le président de la Chambre des appels correctionnelle pour une remise en faveur d'un certain Rochette.

 Qui est ce Rochette ?

Un homme d'affaires aux larges ambitions, habile à drainer l'épargne au profit d'affaires d'envergure. Tantôt il réussit, tantôt il échoue. Le certain, c'est que Rochette était, en 1911, sous le coup d'une inculpation. C'est alors que Caillaux aurait exigé une remise qui aurait fait acquérir à Rochette le bénéfice de la prescription et lui aurait permis de soutirer 60 nouveaux millions à l'épargne.

Voilà la plus redoutable attaque à laquelle Caillaux ait eu à faire face.

 Il se souvient très bien de l'affaire Rochette. Pour lui, une certitude : si Calmette connaît aussi bien l'affaire Rochette, c'est par ce que le document Fabre qui dévoile tout lui a été communiqué, soit par Briand le garde des ceaux, soit par son successeur Barthou. Va-t-il le publier ?

 Comment réagirait l'opinion si on dévoilait tout cela sur la place publique ? Logiquement, il ne devrait pas publier ces rapports, dits "documents verts". Ce serait signaler aux Allemands que notre espionnage connaît leur propre chiffre

 Caillaux pense maintenant que Calmette ne reculera devant rien.

 Pourtant, à la chambre, Jaurès prend sa défense. L'admirable orateur, index pointé en avant, s'écrie :

- Les attaques de Calmette, c'est contre M. Caillaux seul qu'elles sont dirigées, parce qu'il est l'homme qui incarne la justice fiscale !

 

 Pour Henriette, l'existence quotidienne est devenue un cauchemar. Physiquement, il lui semble que l'étau se resserre. Elle plonge dans un état nerveux inquiétant.

Caillaux s'en aperçoit peu.

 Toutes ses forces, il les tend pour se battre, pour répondre, se défendre, attaquer. Il n'imagine pas que la femme qui vit près de lui n'a peut-être pas reçu en partage la même force de caractère.

 Quand elle entre dans un salon, elle croît qu'on la dévisage. Elle affirme qu'elle a entendu dans un magasin, au moment où elle payait, une vendeuse dire tout bas à une autre :

- Avec l'argent de l'Allemagne...

 

 Le vendredi 13 mars, le Figaro paraît avec, en première page, ce titre : "La preuve des machinations secrètes de M. Caillaux."

 Sur toute la page, on peut découvrir la reproduction d'une lettre de Caillaux adressée à sa première femme, en 1901, et qui contient cette phrase : "J'ai écrasé l'impôt sur le revenu en ayant l'air de le défendre..."

 Selon Calmette, cette lettre découvre le fond de la pensée de Caillaux. Elle montre à l'évidence que Caillaux ment à ses électeurs, à l'opinion, à la France.

 Dans Paris, on s'arrache le journal. Un véritable coup de théâtre !

 Aux yeux des ennemis de Caillaux, le document apparaît foufdroyant. Il l'est moins qu'il n'y paraît. Une simple manoeuvre politique, c'est tout. Mais ce qui inquiète Caillaux, c'est qu'une telle lettre ait pu être connue de Calmette.

Ainsi donc, Mme Gueydan s'est rangée dans les rangs de ses adversaires ! Il avait tout imaginé, sauf cela. Quant à Henriette, elle tremble. Si Mme Gueydan a communiqué cette lettre-là, que fera-t-elle pour les autres ?

 Après avoir eu au téléphone Mme Gueydan jurant qu'elle n'est pour rien dans la publication, Henriette ne désarme point. Cette Mme Gueydan est capable de tout. Et Calmette donc !

 Caillaux apprend alors que Calmette publiera mardi le document Fabre. Fou de rage, il hurle à l'adresse d'Henriette :

- Tu entends, mardi !

 Elle entend, oui, mais ne pense qu'aux lettres. A ses lettres. A celles que l'autre va donner en pâture au public. Et ces mots, ces phrases, où il est question d'instants enivrants, de baisers, de "ton corps tenu entre mes bras", ces phrases seront connus de tous et c'en sera fait d'elle-même, Henriette Caillaux. Son honneur sera mort.

 De même, de son premier mariage, Henriette a une fille. Celle-ci va-t-elle découvrir qu'une liaison a précédé le mariage de sa mère avec Joseph ? Cette seule idée, Riri ne peut la supporter.

 

 Le 16, à midi, les Caillaux déjeunent. Ils sont là, à table, tous les deux. On apporte des côtelettes. Elles sont brûlées. Cette cuisinière, décidément...

 Caillaux s'empourpre :

- Fous-là dehors tout de suite !

Henriette lui demande ce qu'il va faire.

- Casser la gueule à Calmette !

- Mais quand ?

- A son heure !

Il est reparti. Elle est seule. Elle médite.

 Casser la gueule à Calmette ? Est-ce que cela suffira pour l'intimider ? Et puis comment ? Jamais on ne laissera Caillaux entrer au Figaro !

 Mais elle, peut-être...

 Un psychiatre, plus tard, parlera d'elle en évoquant un dédoublement de la personnalité. C'est très exactement ce que suggère son emploi du temps dans les heures qui suivent.

 D'une part, elle gère les affaires courantes et continue à vivre comme a toujours vécu Mme Caillaux. Mais, d'autre part, elle passe chez le célèbre armurier Gastine-Renette et demande à acquérir un revolver. On lui en montre un, il est trop lourd. Un autre lui convient parfaitement. Le vendeur suggère :

- Madame fera un carton ?

 Elle accepte, descend dans le stand de tir. Il y a là une cible de 1,62 mètre, taille d'un homme moyen. Elle tire, amuse le vendeur parce qu'elle a tiré trop vite. Pourtant, elle a touché trois fois la silhouette. Elle rentre ensuite chez elle et écrit :

Mon mari bien aimé,

Tu m'as dit que tu voulais casser la gueule à l'ignoble Calmette. J'ai compris que ta décision était irrévocable. Mon parti à moi fut alors pris : c'est moi qui ferai justice. La France et la République ont besoin de toi. C'est moi qui commettrai l'acte.

 Pardonne-moi, mais ma patience est finie.

 Je t'aime et je t'embrasse du plus profond de mon coeur.

Ton Henriette.


 Elle demande la voiture, y prend place, fait enlever la cocarde tricolore et ordonne :

- Au Figaro, rue Drouot.

Il est 5 heures quand elle entre dans le salon du journal. A l'huissier, elle demande M. Calmette qui l'infome qu'il n'est pas là et que de toute façon, s'il vient...

 Péremptoirement, Henriette rétorque :

- Il me recevra.

Elle s'assoit, attend. L'horloge sonne 5 heures et quart. Elle sonne 5 heures et demi. Puis 5 heures trois quarts. Puis 6 heures. Et Calmette survient. L'huissier l'informe : une dame est là. Calmette a un geste de dénégation, mais l'huissier lui tend l'enveloppe, qu'il déchire : cette dame est Mme Caillaux ! Il annonce alors qu'il ne peux pas fermer la porte à une dame. Dans la pénombre, il la regarde avancer.

- Vous savez pourquoi je viens.

 

 Henriette ne cessera de tirer qu'une fois le chargeur vide.

 Calmette, touché par la première balle s'est affaissé. La police retrouvera les impacts de deux balles dans la bibliothèque. Calmette en a reçu quatre en plein corps.

 Au bruit, l'huissier est accouru. Il voit son patron à terre et désarme Mme Caillaux. Très digne, elle lance :

- Ne me touchez pas, je suis une dame !

Toujours la Belle Epoque.


On relève Calmette, on l'assied dans un fauteuil. Il esquisse un sourire, murmure :

- Je vous prie de m'excuser.

Puis :

- Je ne suis pas très bien.

Mme Caillaux lance :

- Puisqu'il n'y a pas de justice en France...

On l'emmène à la clinique Hartmann à Neuilly, où l'on hésitera de longues heures avant de l'opérer. Cette hésitation lui sera fatale. Il mourra sur la table d'opération sans avoir repris connaissance.

Quand Mr Caillaux arrive, il aborde sa femme, lance :

- Qu'as-tu fait ?

Elle répond :

- On m'a introduite dans un bureau obscur, j'ai perdu la tête et j'ai tiré.

Au commissaire de police, M. Carpin, Henriette a déclaré :

- Je regrette profondément mon acte. Je ne voulais pas donner la mort.

Déjà le commissariat est assiégé. On devra sortir Henriette par une porte de derrière et l'emmener en taxi.

 Elle va se voir attribuer la plus belle cellule - dénommée "pistole de la comtesse" -  de la prison Saint-Lazare. Aux cent coups, le directeur l'a fait astiquer par quatre détenues et pour le lit il lui a fait apporter la couverture de sa propre épouse. Tout de même, il refusera les fleurs que l'on commence à envoyer.

 Plus de dix mille personnes suivront les obsèques de Calmette en scandant le même cri :

- Assassins ! Assassins !

On conspue Caillaux, sa femme, le régime.

Caillaux a démissionné. Pour une grande partie du personnel politique, il n'existe aucun doute : sa carrière est achevée. Un mot court Paris : les balles de Mme Caillaux ont fait deux morts, Calmette et Caillaux.

 Redressant sa petite taille, vrillant son monocle dans l'arcade sourcilière, Caillaux réplique :

- Ils disent ça ? Eh bien, ils verront. Ils verront aux élections.

En rentrant en campagne, il fait face, une fois de plus. Et il est élu. Triomphalement. Après quoi, il se paie le luxe de provoquer en duel un adversaire qui l'a insulté pendant la campagne.

 Deux balles sans résultat.

 Au procès, elle s'explique, Henriette. Elle raconte toute l'affaire, elle parle de son long calvaire, de sa peur panique quand elle a vu paraître un fragment d'une lettre intime que Caillaux, alors son amant, lui adressait.

 Elle rappelle qu'elle a une fille. Voir sa liaison mise à nue, c'était une perspective qu'elle ne pouvait pas supporter. Doucement, elle dit :

- C'est vrai, je n'en rougis pas, je suis une bourgeoise.

N'importe, elle affirme qu'elle ne voulait pas tuer Calmette, qu'elle voulait mettre son directeur devant ses responsabilités et qu'elle avait longtemps hésité :

- Je ne savais pas encore si j'irais à un thé ou au Figaro.

Le revolver ? C'est une habitude que lui avait inculquée son père : porter toujours un revolver sur soi dans les circonstances graves. Elle jure qu'elle n'avait pas l'intention de s'en servir :

- C'est effrayant, un revolver comme ça. Ça part tout seul.

Elle déclare encore : 

- C'est la fatalité. Je déclare ici que j'aurais préféré laisser publier n'importe quoi plutôt que d'être la cause de ce qui est arrivé.

 En fait, le procès est tout entier dominé par Caillaux. A toutes les audiences, il est là. On dirait qu'il surveille tout. A chaque instant, il se dresse, darde un regard foudroyant sur le président, les avocats, les témoins. 

 Dans la salle, l'émotion monte. Va-t-on connaître la vérité ? Non. On ne lira pas le document vert qui menace la France. Tumulte. Embarras des magistrats et des avocats. Et Caillaux marque un point. Sans modestie, il triomphe.

 Le 23 juillet, Mme Gueydan est à la barre. Sensation. Le président la malmène, parle de la correspondance dont elle s'est emparée. Très brune, très belle, elle répond :

- J'en avait le droit.

 Le président la somme de dire où sont les lettres.

- Elles sont là, dans mon sac.

Maître Chenu insiste : il faut lire ces lettres.

Le lendemain, on en lira deux à l'audience. Le public se montrera très déçu. Ce sont des lettres sans éclat, très simples. On attendait des révélations croustillantes. On reste sur sa faim. 

 Certains moments dépassent les limites de la décence. Caillaux est ainsi, il ne sait jamais jusqu'où il ne faut pas aller trop loin. Il quitte la barre, s'élance vers le banc des accusés, prend les mains de sa femme entre les siennes, les embrasse longuement.

 Quand il quitte la salle, il a l'air d'avoir lui-même levé l'audience. A ce point que le président Albanel, décontenancé, n'a plus qu'à confirmer. Mme Caillaux sanglote. Mme Gueydan est acclamée.

 Mais depuis la déposition de Mme Gueydan, on s'endort un peu. Soudain, on va vivre un réveil éclatant.

Henry Bernstein lance : 

- Je suis artilleur, je pars le 4ème jour de la mobilisation. Je ne sais pas quel jour part Caillaux, mais je dois le prévenir qu'à la guerre on ne peut pas se faire remplacer par une femme et qu'il faut tirer soi-même...

 Du public monte une longue acclamation. Les bravos crépitent. Albanel, dans un état proche du coma, doit précipitamment lever l'audience.

 Après une heure de délibération, le 28 juillet au soir, les douze jurés rentrent en séance.

 A la question : "Mme Caillaux, est-elle coupable d'avoir commis un homicide volontaire sur la personne de Gaston Calmette ?, le chef du jury répond :

- Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la déclaration du jury est : non.

 D'abord, des applaudissements. Et puis une clameur inouïe, redoutable. Des injures, on entend :

- Vive Caillaux ! Vive Laborie ! Vive la France !

- Vive la France ! A bas Caillaux ! A bas les traîtres !

 Impossible de se faire entendre, impossible de prononcer le verdict d'acquittement. Le président Albanel se lève, s'enfuit, suivi par les autres magistrats. Le tumulte est tel qu'il faudra expulser le public.

 Albanel reviendra sur son siège et Mme Caillaux, sera déclarée acquittée. Elle glisse dans les bras de Maître Laborie. Son chapeau roule à terre.

Ma Mamie m'a dit que c'était fini. Pour elle, du moins. Il reste quatre jours de paix au monde.

 

Devant les mécanismes qui s'emballent, il n'est plus au pouvoir de personne de barrer la route à la guerre. Il n'y aura jamais de ministère Caillaux-Jaurès : Jaurès lui même va mourir...

 

 

Collection "Mamie explore le temps"

Partager cet article
Repost0
Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps

Livre d'or

Première affiche

 

  "MA MAMIE M'A DIT"  

Spectacle nostalgique 

 

"On nous avait promis la magie, promesse tenue : un spectacle plein de féérie de souvenirs où chacun se retrouvait. Une belle énergie. Les résidents ont adoré. Merci." Marie ("La Clairière de Luci" - Bordeaux)
 
"Formidable ! Nous sommes tous remontés dans le temps, nous avons vingt ans, on a ri, on a presque pleuré et surtout on a chanté. Merci." Cathy (Arles)
 
"Un véritable petit chef d'oeuvre" ; "La légion d'honneur pour la créativité" "Un véritable artiste" ; "Après-midi formidable" ; "Absolument parfait" ; "Une rétrospective originale" ; "Un très bon moment d'évasion". Propos recueillis à la résidence Emera d'Angoulême  
 
"Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux... C'était magnifique. Nous avons revu toute notre jeunesse et notre enfance. Et c'est beau de redevenir jeune dans l'ambiance d'autrefois." Aimée et Janine
 
"Les chansons, les réclames et les anecdotes ont transporté les résidents dans leur enfance. Une après-midi de nostalgie mais aussi de chansons et de rires. Merci encore pour ce magnifique spectacle." Sandrine
 
"Spectacle complet, tellement agréable et thérapeutique pour nos personnes âgées, encore félicitations !" Docteur Souque
 
"Un choix extraordinaire de chansons, des moments magiques, des photos magnifiques, vous nous avez mis de la joie dans le coeur. Et retrouver sa jeunesse avec tous ces souvenirs, ça fait plaisir et j'espère que vous reviendrez nous voir." Mme Lorenzi (Juan-Les-Pins)
 
"Pour ma fête, par un pur hasard je me suis retrouvé dans un club de personnes âgées où j'ai pu assister à votre spectacle sur le passé. Cela m'a rappelé mes grands-parents et mes parents et c'était vraiment un moment magique." Josette, La Roque d'Antheron
 
"Bravo bravo bravo Regis, c'est le meilleur spectacle que j'ai vu depuis que je fais le métier d'animatrice." Bénédicte La Salette-Montval (Marseille)
 
"Je n'imaginais pas lorsque je vous ai accordé un rendez-vous que vous enchanteriez pendant 1 h 1/4 les personnes âgées d'une telle façon. Merci pour votre prestation qui a fait revivre les moments publicitaires, évènementiels et musicaux de leurs vies." Michelle, CCAS de Toulouse
 
"Un super voyage dans le temps pour le plus grand plaisir des résidents. Merci à Régis pour cette magie et à bientôt." Brigitte (Lunel)
 
"Enfin un retour à notre "époque". Quel bonheur, que de souvenirs, quelle belle époque ou l'amitié était de mise. Merci pour cette très belle après-midi, on s'est régalé avec ce très très beau spectacle". Danielle (Mirandol)
 
"Super - divinement bien -  tout le monde était enchanté même que M. Benaben a dit : "Vous nous avez donné l'envie de revivre notre vie"." Sylvie (Sainte Barthe)
 
"Un grand merci pour ce bon moment et je crois, je suis sûre, qu'il a été partagé par mon mari." Mme Delbreil
 
"Une féérie de l'instant." Christian
 
"Beaucoup d'émotion dans ce spectacle plein de chaleur et d'humanité." Sylvie
 
"Une soirée inoubliable. Continuez à nous émerveiller et faites un long chemin." Claude
 
"Le meilleur spectacle que j'ai jamais vu. De loin." Tonton Kiko
 
"C'est bien simple, je n'ai plus de Rimmel !" Claudine (seconde femme de Tonton Kiko)
 
"A ma grande surprise, j'ai versé ma larme. Tu as atteint mon coeur. Bravo pour ces sentiments, ces émotions fortes, j'ai eu des frissons par moment." Ta couse Céline
 
"Redge, encore un bon moment passé en ta présence. On était venu plus pour toi que pour le spectacle, mais quelle agréable surprise ! On est fier de toi, continues d'oser, de vivre !" Pascale
 
"J'avais froid, un peu hagard, l'humeur moribonde et puis voilà, il y a toi avec toute ta générosité, l'intérêt, l'affection que tu as toujours su apporter aux autres, à moi aussi et Dieu sait si tu m'as rendu la vie belle depuis qu'on se connaît comme tu as su le faire une fois de plus." Jérôme
 
"Ce spectacle est nul à chier et je pèse mes mots." Gérard
 
memoria.viva@live.fr

Ma Mamie m'a dit...

Madka Regis 3-copie-1

 

COLLECTION "COMEDIE"

Mamie est sur Tweeter

Mamie n'a jamais été Zlatanée !

Mamie doit travailler plus pour gagner plus

Mamie, tu l'aimes ou tu la quittes

"Casse-toi pauvre Régis !"

Papi a été pris pour un Rom

Mamie est sur Facebook

Papi est sur Meetic

Il y a quelqu'un dans le ventre de Mamie

Mamie n'a pas la grippe A

La petite maison close dans la prairie

 

COLLECTION "THRILLER"

Landru a invité Mamie à la campagne...

Sacco et Vanzetti

Mamie a rendez-vous chez le docteur Petiot

La Gestapo française

Hiroshima

 

COLLECTION "SAGA"

Les Windsor

Mamie et les cigares du pharaon

Champollion, l'homme qui fit parler l'Egypte

Mamie à Tombouctou

 

COLLECTION "LES CHOSES DE MAMIE"

Mamie boit dans un verre Duralex

Le cadeau Bonux

Le bol de chocolat chaud

Super Cocotte

Mamie ne mange que des cachous Lajaunie

 

COLLECTION "COUP DE COEUR"

Mamie la gauloise

Mamie roule en DS

Mamie ne rate jamais un apéro

Mamie et le trésor de Rackham le Rouge

 

COLLECTION "DECOUVERTE"

Mamie va au bal

La fête de la Rosière

Mamie au music-hall

Mamie au Salon de l'auto

 

COLLECTION "SUR LA ROUTE DE MAMIE"

Quand Papi rencontre Mamie

Un Papi et une Mamie

Mamie fait de la résistance

Mamie au cimetière

24 heures dans la vie de Mamie

 

COLLECTION "MAMIE EXPLORE LE TEMPS"

Jaurès

Mamie embarque sur le Potemkine

Mamie et les poilus

Auschwitz

 

COLLECTION "FRISSONS"

Le regard de Guynemer

Mr et Mme Blériot

Lindbergh décroche la timbale

Nobile prend des risques

 

COLLECTION "MAMIE EN BALLADE"

Mamie chez les Bretons

Mamie voulait revoir sa Normandie !

La fouace Normande

La campagne, ça vous gagne...

Mamie à la salle des fêtes

Launaguet

La semaine bleue

Le monastère

 

COLLECTION "MAMIE AU TEMPS DES COURTISANES"

Lola Montès

Les lorettes

Mme M.

Napoléon III

Plonplon

La marquise de Païva

Mme de Pompadour

Générique de fin