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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 14:41

Guynemer.jpg"Une illustration, là, sous vos yeux.

 

Guynemer, l'as des as. Quand ma Mamie m'a raconté son histoire, je me suis dit qu'un jour je serais aviateur, qu'un jour je volerai comme Guynemer...

 

"Foutez-moi ce petit con-là à la porte !

Cette réplique mémorable a été prononcée, le jeudi 10 juin 1915, par le capitaine Brocard, chef de l’espadrille M.S.3 à l’intention d’un jeune pilote fort inconnu, arrivé la veille et qui se nommait Georges Guynemer.

 Il n’est pas grand, Guynemer : pas plus de 1,70 mètre, mais comme il est maigre !

Une sorte de "fil de fer monté en graine". 

 Si le capitaine Brocard, fou de colère, l’appelle "petit con", c’est parce qu’il a "cassé" deux avions en une seule journée. Par chance, un pilote qui traîne par là prend la défense du blanc-bec. Un pilote qui  s’appelle Védrines et qui dispose d’un pedigree propre à le faire prendre au sérieux. En effet, il a remporté deux courses réputées et il insiste : les deux avions sont parfaitement réparables et quand le "petit con" aura surmonté sa nervosité, on pourra en faire quelqu’un.

 Difficile, même quand on est capitaine, de résister à un Védrines. Brocard grommelle dans sa moustache quelques onomatopées que personne n’entend mais que tout le monde comprend : on va garder Guynemer.  Provisoirement.

Pour les pilotes de la M.S.3 - qui deviendra bientôt la fameuse escadrille des Cigognes - ce Guynemer-là l’a échappé belle. Or il revenait de bien plus loin encore.

 

 Sept mois plus tôt, le capitaine Bernard-Thierry, commandant l'école des pilotes à l’aérodrome de Pont-Long, près de Pau, a vu entrer dans son bureau un monsieur de grande allure, arborant une moustache agressive et escorté d’un adolescent blafard, transparent à force de maigreur.

 Le monsieur s’est présenté comme étant Paul Guynemer, "ancien" officier.

Bernard-Thierry a tout de suite senti que, derrière lui, il y avait "beaucoup d’argent et quelques châteaux". Déjà le père s’explique. Poli, correct mais sachant ce qu’il veut, il expose que son fils - le gringalet n’a pas ouvert la bouche - a fait de bonnes études, qu’il a préparé Polytechnique mais que sa santé délicate l’a empêché d’y entrer.

 Le capitaine se demande où ce M. Guynemer veut en venir. Il a d’autres chats à fouetter que d’écouter des confidences sur les études secondaires d’un fils souffreteux. Tout se résume en peu de mots : ce fils veut se battre.

Au premier jour de la guerre il a déclaré à son père : je m’engage. Le père a répondu : je t’envie.

 Ils étaient comme ça, les grands bourgeois de 14. Mais le fait est que personne n’en veux du petit.

 Georges a été pesé : un peu plus de 40 kg pour 1,70 m. On a tâté ses muscles : inexistants. Comment marcherait-il quarante km par jour ? Comment porterait-il son sac et le fusil ? Ajourné pour faiblesse de constitution. M. Guynemer parle toujours : son fils a pris cela comme une insulte. Il ne s’en est pas remis.

 

Une lourde erreur du service de santé, assure le père avec force. Le petit est beaucoup plus robuste qu’il n’y paraît. Il est de première force au fleuret, bon joueur de tennis et il rêve d’aviation.

 Quand ce père loquace demande d’accorder à son fils l’honneur de s’engager en qualité d’élève pilote, l’officier répond par une fin de non-recevoir : que ce jeune homme fasse ses classes et l’on verra. Pour la première fois, le père abandonne sa superbe. Tristement, il confie que son fils s’est présenté dans cinq ou six bureaux de recrutement et que partout il a été refusé.

 Rien à faire, conclut le capitaine. Il se lève pour signifier à ses visiteurs que l’entretien est terminé : "Or, ayant accompagné ces messieurs jusqu’à la porte de l’école, je m’aperçus que le petit Georges pleurait." C’est à ce moment très précis que Bernard-Thierry a craqué. Il a regagné son bureau, il s’est plongé dans ses papiers et puis, brusquement, il s’est levé pour appeler son planton : 

- Va me chercher les deux messieurs qui sortent d’ici. Ramène-les moi !

Les voici de retour dans le bureau. Du coup, il ne pleure plus, le garçon. Il observe le capitaine avec une attention extrême. On dirait qu’il le transperce du regard.

Un quart d’heure plus tôt, Bernard-Thierry ne voyait en lui qu’une mauviette. Maintenant, il ressent l’impression d’être confronté à de l’énergie à l’état pur.

 Il s’étonnerait moins s’il savait qu’un jour, le même garçon, qualifié de plus petit de la classe, a giflé un professeur !

- Avez-vous des notions de mécanique ?

 Le père répond : "C'est bien simple, mon fils sait tout faire". Tant de détermination achève de convaincre Bernard-Thierry. Il signe même dans la foulée un certificat d’aptitude professionnelle.

Plus tard, il jurera que ce fut là le seul faux de sa vie. Nous le croyons sur parole.

 A mesure que progresse l’escalade, Bernard Thierry sent le trouble s’accroître en lui. Encore faut-il que tout cela ait au moins l’air vrai ! Le capitaine conseille donc au petit, avant de se présenter, d’aller acheter une salopette de mécano et de se salir un peu. Voilà comment Georges Guynemer, l’après-midi du même jour, entre comme élève mécanicien dans l’aviation française.

 Le 26 janvier 1915, la sonnerie du téléphone retentit dans le bureau du capitaine Bernard-Thierry. Le général Hirschauer lui annonce qu’il va recevoir une nouvelle fournée de cent élèves pilotes.

Tout à coup, une idée folle traverse l’esprit de Bernard-Thierry. Il demande alors au général s’il ne pourrait pas ajouter à la liste un 101ème... Oui, un sujet d’élite qu’il garantit sur facture. Il en est sûr, archisûr.

  Le général accepte. Il demande simplement au capitaine de lui faire connaître le nom du 101ème.

- Guynemer Georges, mon général. 

- Au bout du fil, un silence. Le capitaine comprend que le général est en train d’inscrire Guynemer en queue de sa liste. Une question pour la forme :

- Il est bien dans le service armé, votre Guynemer ?

Ici, Bernard-Thierry s’entend répondre, la gorge serrée, comme s’il se jetait à l’eau :

- Oui, mon général, naturellement.

A peine a-t-il raccroché que Bernard-Thierry se prend la tête à deux mains.

 Le général Hirschauer a ajouté : "Vous m’enverrez son dossier." Or il n’existe pas de dossier. Il décide donc de ne rien envoyer.

 Pendant des mois, avec une remarquable constance, l’administration réclame le dossier de Guynemer. Toutes les quatre ou cinq semaines, une nouvelle lettre : "Suite à notre demande de telle date, nous prions l’autorité militaire de l’Ecole de Pau de bien vouloir faire suivre le dossier de l’élève pilote Guynemer Georges."

 A quoi Bernard-Thierry répond avec la même régularité que le dossier a déjà été envoyé et qu’il a dû se perdre. L’administration s’est fatiguée la première. Un beau jour, on n’a plus rien réclamé.

 

 Le premier carnet de vol de Georges Guynemer contient à la première page cette simple mention :

Mercredi 27 janvier : corvée de neige.

Ce carnet de cinquante feuillets se termine le 28 juillet 1916 par le procès-verbal de la 11ème victoire de Guynemer : un avion allemand abattu sur la Somme.

En effet, en l’air, on le sent comme dans son élément. Il s’amuse.

Prenons-en conscience : la guerre aérienne n’a pas commencé. Allemands et Français ne se provoquent pas. On s’observe. Il arrive même qu’on se salue.

Tout cela n’est pas du goût de Guynemer.

Il veut en découdre.

 Brocard qui s’est fait descendre - et qui s’en est tiré - n’en dort plus : il a juré de rendre coup pour coup.

 Le 3 juillet, il atterrit, saute à terre et fou de joie, hurle : "J’en ai eu un." L’escadrille toute entière rêve de réitérer un tel exploit. Guynemer le premier.

Le 19 juillet 1915, un lundi, Charles Guerder dort à poings fermés quand il se sent secoué comme un sac de vieilles pommes. Il a du mal à ouvrir les yeux. Il reconnaît Guynemer penché vers lui et qui lui crie : "Debout, lève-toi, viens comme tu es !"

 Un peu plus tard, l’artillerie allemande les prend pour cible. Ce n’est pas là l’important. Guynemer découvre en dessous de lui, volant tranquillement vers le sud, un autre avion allemand. Il ne ressent pas la moindre hésitation : la proie tant attendue, tant espérée, est enfin à sa portée.

 Il le laisse passer, l’Aviatik, "sournoisement", écrira-t-il.

 Et puis, il fait demi-tour, s’engage dans un piqué plein gaz.  A 50 m de l’Allemand, Guynemer fait un signe à Guerder qui,  aussitôt, lâche sa ravale, puis une seconde, puis une troisième, puis une quatrième. Le boche a été atteint mais il réplique !

 Finalement, à la 115 ème cartouche, le pilote ennemi est atteint.  "J’ai eu l’émotion bien douce, dira Guynemer, de le voir s’effondrer dans le fond du fuselage. L’observateur boche a levé les bras au ciel dans un geste de désespoir et l’Aviatik a piqué du nez et s’est enfoncé dans la brume, en flammes. Il est tombé entre les tranchées."

 L’émotion bien douce. Un peu gênante, la formule. On pouvait espérer de sa part un peu de compassion pour ses adversaires qui n’ont pas plus que lui manqué de courage. Ne nous leurrons pas : ce n’es pas le genre de Guynemer.

Jules Roy qui l’a compris mieux que personne nous dévoile sa vraie nature : Guynemer est un tueur. Chaque fois qu’il abattra un appareil ennemi, il criera sa joie. Souvent il atterrira pour voir de près ses victimes et, devant les cadavres, sourira cruellement.

 Ses lettres à sa famille contiennent des phrases qui nous glacent tant elles sont impitoyables.

Un tueur ? Si l’on veut désigner un guerrier sans complexe, il faut admettre le mot. Après tout, une guerre est faite pour être gagnée. Et la seule alternative est : tuer ou être tué. La survie est la condition de la victoire. Et Guynemer  ressent la rage de la victoire.

Pour s’en convaincre, n’oublions pas le dialogue historique entre Guynemer et Guerder, le lendemain ou le surlendemain de l’affaire :

- Dis-donc Guerder, c’est bien avec le zinc de Bonnard qu’on a descendu notre premier Fritz ?

- Oui. Et Bonnard, parce qu’il s’appelle Charles, l’a toujours appelé Vieux Charles.

- Alors, pour celui-là et tous ceux qui viendront après, ce sera la même chose :  Vieux Charles.

Après tout s’enchaîne. Le second ? "Ça s’est passé au dessus de la forêt d’Ourscamp. Il y avait une heure et demi que je le guettais... J’ai constaté avec joie qu’il tombait en vrille."

Trois jours plus tard, il abat un L.V.G allemand et note : "Le passager tombe à Bus. Le pilote à Tilloloy." Le jour où il recevra la Légion d’honneur, il esquissera un "mince sourire".

  Le 1er juillet s’engage la bataille de la somme. Rude partie.

 Son carnet de vol enregistre sa neuvième, dixième et onzième victoire.

 Un jour c’est l’as des as allemand, Ernst Udet, qu’il rencontre. Udet s’en est toujours souvenu. Il a vu le Spad français fonçer sur lui. Il a viré à gauche.  L’autre aussi.

 Sur le fuselage du Français, Udet a distingué le mot Vieux... Il a compris : Guynemer. 

 Une longue traque commence entre les deux hommes. "Peu à peu, je m’aperçois qu’il m’est supérieur. Ce n’est pas seulement la machine qui est meilleure, l’homme qui pilote est aussi plus fort que moi.

 J’ai essayé tous les moyens : tonneaux, glissades latérales. Rapide comme l’éclair, il devine chacun de mes mouvements et la riposte est là, elle aussi, comme l’éclair. Ma mitrailleuse s’est alors enrayée.

 J’ai lâché un moment le manche et je martèle ma mitrailleuse des deux poings. Guynemer m’a vu. Il sait que la proie est à sa merci. De nouveau il vient raser ma tête. C’est alors que se produit une chose inouïe : il étend le bras et me fait signe, un tout petit signe de la main, puis il plonge et disparaît..."

Epargner un adversaire ? Un de ces boches tant haïs ? Voilà qui ne ressemble guère à Guynemer.

  Pourtant, il l’a fait. Peut-être parce que cet ennemi était seul, qu’il s’était bien battu, aussi bien que lui. Parce qu’il l’a senti son égal. Il ne s’est pas trompé : Udet finira la guerre auréolé de 62 victoires, second des as allemands derrière Richthofen.

 La gloire de Guynemer grandit de mois en mois, sa photographie s’étale dans les magazines avec des légendes époustouflantes.

 Ses exploits ont déjà pris figure de légende - et aucun jupon ne se profile à l’horizon, Guynemer serait-il mort puceau ?

 Heureusement, ma Mamie est passé par là. elle nous a rassurés. Il y a eu des femmes dans la courte vie de Guynemer : une charmante Mme de Cornois, à Valenciennes, une Marie-Louise à Breille-Sec. Mais l’aventure de sa vie, la vraie, c’est à Paris qu’il l’a vécue.

  En ce temps-là, la capitale toute entière vibre pour les aviateurs. Dès qu’ils apparaissent dans leurs uniformes si reconnaissables, on s’empresse, on leur fait la fête, on les acclame.

 Les caissières de cinéma refusent leur argent. Montmartre leur appartient et le café de la Paix, et le Fouquet’s, et Maxim’s.

 Pour eux, le meilleur champagne, les plus longs cigares et les plus jolies filles. Elles sont bien rares, celles qui ont le courage de leur résister.

 Ce soir-là, en compagnie d’un copain, Guynemer est allé au théâtre. Une chance, parce que justement de bien jolies filles évoluent sur la scène. Quand, on baisse le rideau, les aviateurs décident de ne pas en rester là, se glissent dans les coulisses, font passer leurs cartes de visite aux deux comédiennes qu’ils ont repérées.

 Celle qu’à choisi Guynemer est blonde, avec des yeux immenses, un petit nez retroussé de l’effet le plus coquin et une voix aux modulations exquises. Elle s’appelle Yvonne Printemps.

Quand l’ouvreuse lui passe la carte de Guynemer, Yvonne sursaute : Sous-lieutenant Georges Guynemer. Il était donc dans la salle ! Il est venu l’applaudir ! Il veut la voir !

 Elle le fait entrer à l’instant et, toute bête pour une fois, ne sait que dire. Un regard à vous faire entrer sous terre ou à vous expédier au ciel.

 Elle le trouve beau. Et tranquille, et heureux. Il faut qu’elle se secoue, Yvonne, pour s’exclamer avec cette gouaille qui accroît d’autant son charme.

- Dites donc avec tout ça, où est-ce qu’on va ?

 C’est chez Maxim’s qu’on est allé.

Plus tard elle s’est demandé de quoi ils avaient bien pu parler ce soir-là. Impossible de s’en souvenir.

 Deux ou trois fois, elle l’a fait rire. Mais qu’est-ce qu’il l’attendrissait ce petit Guynemer ! Comme elle se sentait bien avec lui ! Quand il a réclamé l’addition, le maître d’hôtel est accouru :

- Il n’ y a pas d’addition pour vous, mon lieutenant !

 Guynemer a grommelé quelque chose qui devait ressembler à un merci.

 Il s’est levé brusquement, a entraîné Yvonne.  Au matin, le lit où ils se sont retrouvés était devenu un champ de bataille.

 Une étrange liaison commence. Sur l’uniforme de Guynemer, Yvonne découvre toujours un galon de plus : sous-lieutenant Guynemer... Lieutenant Guynemer... Capitaine Guynemer. Capitaine à vingt-deux ans !

Elle en est toquée du petit Guynemer. L’ennui, c’est ce Sacha Guitry qui commence à faire une cour sérieuse à celle qu’il appelle Vonvon.

 Sacha ne déplaît pas à Yvonne.

Coucher avec le talent, voilà ce qui est nouveau pour elle. Et pas désagréable. 

Elle a conscience d’avoir jusque -là mal administré sa carrière, d’avoir joué n’importe quoi.

 Sacha, acclamé par le public, porté aux nues par la critique, écrit déjà pour elle des rôles sur-mesure !

Mais rien n’y fait : quand le téléphone sonne, quand elle entend la voix de Guynemer, elle court au rendez-vous. Certes, elle deviendra Madame Sacha Guitry, mais elle n’oubliera jamais son petit aviateur.

 

 Impossible de raconter une à une toutes les victoires de Guynemer. Il est tombé sept fois. Sept fois il s’en est tiré. Comment oublié ce combat au cours duquel il a foudroyé trois Fokker en cinq minutes et, son avion touché, a réussi à se poser en catastrophe dans nos lignes ? L’avion s’est à peu près retourné, le train écrasé, l’empennage dressé à trois mètres du sol.

 Et lui, Guynemer, vivant !

Imaginez les poilus qui ont aperçus ça au fond de leurs tranchées.

On s’élance pour voir de près l’aviateur. Quelqu’un hurle : c’est Guynemer ! Quoi ? Guynemer ? Le vrai ? On se rue sur lui. On veut le voir, le toucher mais il souffre. C’est à peine s’il peut tenir debout. On a prévenu le général commandant la division. Il accourt.

- C’est vrai que vous êtes Guynemer ?

Le général fait rassembler ses troupes. Il veut que le héros les passe en revue avec lui. Il obéit. Tout se brouille devant ses yeux. Il n’ira pas jusqu’au bout, il est est sûr, mais voilà que des rangs de tous ces poilus s’élève le chant de la Marseillaise.

 Alors, lui, Guynemer, oublie tout. Il lâche le bras du général, affermit son pas et achève de passer les troupes en revue comme s’il était à l’exercice.

Le 28 juillet 1917, il remporte sa cinquantième victoire homologuée mais, écrit-il à son père, "Si on avait tout compté, ce serait le double".

L’aube du 11 septembre 1917, le soleil l’emporte sur le brouillard. Belle journée pour voler.  A 8 h 25, Guynemer décolle. Il ne reviendra pas. Toute la journée l’escadrille le recherchera.

 En vain.

 Le 27 septembre, la Gazette des Ardennes, journal allemand imprimé en français, publiera un récit qui dissipera le mystère : le 11 du même mois, à 10 h du matin, heure française, un aviateur s’est écrasé dans les lignes allemandes.

 Un sous-officier allemand s’est rendu avec deux hommes à l’endroit de la chute. Le pilote portait sur lui une carte d’identité dont le journal reproduit la photographie. Celle du capitaine Georges Guynemer.

 On a su plus tard que le pilote qui l’avait abattu s’appelait Wissemann. La mort avait été causée par une balle dans la tête. Qu’est devenu le cadavre de Guynemer ? Impossible de le savoir. 

 La conclusion du communiqué ne manquera pas d’allure : "Les aviateurs allemands regrettent de n’avoir pu rendre honneurs au vaillant adversaire."

 

Nul n’a porté en terre les restes de Georges Guynemer, homme du ciel.

 

 

Collection "Mamie explore le temps"

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Published by Régis IGLESIAS - dans Mamie explore le temps
15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 14:40

Conrad.jpg"Un magazine, là, sous vos yeux.

 

 Assurément, Conrad Killian est - d'après ma Mamie - un des personnages les plus extraordinaires de notre temps.

 Mais aussi l'un des plus méconnus. Posez la question : qui est Conrad Killian ?

 Ceux qui pourront vous répondre ne seront qu'une infime minorité.

 Pourtant, Killian a exploré le Sahara, il s'est enfoncé dans le Ténéré quasi inviolé. Il s'est intégré dans la plus fabuleuse aventure des temps modernes, celle du pétrole. Malheureusement, comme tant de prophètes, il a prêché dans le désert. Pourquoi les Français ont choisi d'ignorer Conrad Killian ?

Aisément, du remords on passe à l'oubli. Ce qui est plus commode.

 Délibérément, ma Mamie a voulu violer cet oubli. Même si le remords, après tant d'années reprend vie. Conrad Killian en vaut la peine. Jugez-en.

 

 Le nom, déjà, a sucité la curiosité de ma Mamie. Ces Killian sont-ils écossais, irlandais ? Et pourquoi ce prénom allemand ? En fait, les Killian sont d'origine alsacienne. Après la défaite de 1870, ils ont quitté l'Alsace pour se fixer à Grenoble. 

 Tout enfant, Conrad s'est passionné pour les sciences naturelles. Il a neuf ans quand son père, stupéfait, découvre qu'il a rédigé un essai de soixante-dix pages, intitulé : le Sol et les Bêtes. A la première page, en exergue, cette phrase : "Demain, tous les continents deviendront familiers aux hommes. Un seul mystère demeurera : "l'Afrique."

 Au lycée, il se montrera à la fois brillant et insolent. Daniel-Rops, son condisciple, lui gardera toujours son amitié. Il l'a vu "grand, fort, à la fois abrupt et charmeur, effronté et d'une extrême gentillesse, avec ce quelque chose qui faisait dire à ses camarades qu'il n'était pas comme les autres...

Ne s'avisa-t-il pas quelque temps d'avoir comme animal familier un rat blanc, qu'il promenait perché sur son épaule ?".

 

 Pas de doute : la géologie le passionne. A peine son bac décroché, il part à la recherche de minéraux dans le massif de la Grande-Chartreuse.

 La suite ? La guerre qu'il terminera comme sous-lieutenant, ayant reçu la croix de guerre et citation. A peine libéré, il tombe malade, doit faire une cure à Saint-Nactaire. Là, il va rencontrer une jeune fille douce, jolie, fragile : Corinne Boquien.

Coup de foudre, passion réciproque, Conrad annonce à sa famille qu'il va épouser Corinne.

Mais avant, il lui faut terminer ses études. Une évidence : Conrad s'ennuie sur les bancs de l'université.

 Justement son père reçoit une lettre d'Algérie. Elle émane d'un colon d'origine suisse, Eugen Hurtreger. Fort riche, il vit seul au milieu d'une nuée de serviteurs. Il a une passion, une manie : il voudrait retrouver le trésor des Garamantes, des émeraudes "grosses comme des oeufs de pigeon". Qui l'aidera à retrouver ce trésor ? 

 Hurtreger a déjà recruté un ancien adjudant des compagnies sahariennes, un certain Lacroix. Ce Lacroix connaît bien le désert. Mais Hurtreger est persuadé qu'il faut compléter l'adjudant par un géologue. Connaissant la renommée du père de Killian, c'est à lui qu'il a écrit, le priant de lui signaler un de ses élèves.

 Wilfrid Kilian n'hésite pas. Puisqu'il faut mettre "un peu de plomb" dans la tête de Conrad, c'est son fils qu'il désigne. Ce fils qui vient d'écrire à Daniel-Rops :

- Une vie ne me suffit pas, je veux avoir un destin...

 Wilfrid ne dissimule pas à Conrad que la mission sera difficile, dangereuse. Que plusieurs explorateurs y ont perdu la vie. Raison de plus, aux yeux de Conrad, pour partir.

  Et Corinne ? Elle n'hésite pas non plus. Elle jure à Conrad qu'elle l'attendra. Conrad, en guise de promesse, a glissé au doigt de la jeune fille un très beau brillant qui a appartenu aux Boissy d'Anglas.

Un mot rapproche ces deux jeunes gens : absolu.

 

 Le 8 janvier 1922, la caravane s'ébranle de Touggourt. En tête, un colosse à la barbe rousse : c'est le fameux Lacroix. Sans cesse, il a l'injure à la bouche. Il ne parle pas, il éructe. La vérité est qu'il a flairé la bonne affaire. En se mettant au service de Hurtreger, il a pris dès le départ la ferme résolution, s'il trouve les émeraudes, de les garder pour lui.

 Lacroix traîne avec lui sa compagne, une belle fille plantureuse, d'une vulgarité caricaturale. Elle se nomme Florence. Dès la première rencontre, elle a posé sur le jeune Conrad - fort beau garçon - un regard qui en dit long.

 Et la caravane qui s'enfonce dans le désert.

 

 Tout de suite, Conrad a compris qu'il avait rencontré le destin appelé de ses voeux.

Il était né pour ce désert. Il était né pour ces montagnes. Il était né pour ce soleil implacable.

Pour ces étapes au cours desquelles les hommes dansent, cependant que les chameaux ruminent, étendus sur leurs genoux pliés.

Lors de ces haltes, Lacroix cuve son absinthe, cependant que, la nuit tombée, Florence rampe vers la tante de Conrad.

 Pendant la marche, souvent, très souvent, Conrad s'éloigne. Il étudie les terrains, ramasse des minéraux, les observe, les sélectionne. Lacroix finit par comprendre : pour Conrad, les émeraudes ne sont qu'un prétexte. L'étudiant se consacre à des recherches bien différentes. Furieux, Lacroix hurle :

- Alors, puceau des sables, tes émeraudes, tu les cherches, oui ou merde ?...

 Un soir la colère du forban est si grande qu'il fonce sur Killian, poignard brandi. Très calme, Conrad dégaine son révolver, met en joue Lacroix - qui s'arrête net.


 On pénètre dans la zone de Telleret-Ba. C'est là que devrait se situer la forteresse des Garamantes. Errant dans ce dédale, Killian aperçoit tout à coup des pierres vertes qui étincellent au soleil. Des pierres vertes ! Voilà donc les émeraudes tant rêvées ! Killian se saisit de son marteau, en brise quelques-unes. Elles fondent, réduites à l'état de poudre. Ce n'est que du feldspath, autrement dit des amazonites que seul un profane pourrait prendre pour des pierres précieuses.

 Justement, le profane surgit : c'est Lacroix. Il devient écarlate :

- les émeraudes.

Derrière lui, Florence pousse des hurlements hystériques, elle se roule sur les pierres. Il faudra longtemps et beaucoup de patience à Killian pour les détromper.

 La déception du couple est si grande que Lacroix et sa compagne vont, un peu plus tard "semer" Killian dans le désert. Conrad les rejoint, exige sa part de ravitaillement et, avec un seul chaambâ, Amdor, s'enfonce dans le désert. Les autres chaambâs l'ont supplié de n'en rien faire :

- Les Touareg te tueront, comme ils ont supprimé le père de Foucauld

 Mais Conrad a persisté. Ce qu'il veut, c'est poursuivre l'étude stratigraphique du Sahara.

Le danger ? On verra bien. Il voit.

 Il tombe entre les mains d'un célèbre chef de la résistance targuie, Anaba ag-Amellal, l'un de ceux qui ont organisé le massacre de la mission Flatters. Alors qu'Anaba le tient en joue, Killian plastronne, plaisante.

 Anaba, à qui plaît ce courage, baisse son arme et sourit. Killian reprend sa marche, traverse tout le Hoggar, adressant un défi quotidien à la soif - et à la mort. Ainsi parvient-il jusqu'à l'oasis où réside la femme qui règne sur le Hoggar, la redoutée, toute-puissante et très belle Zara. Sans doute est-il le premier roumi qui se soit hasardé auprès de Zara. Et il plaît à Zara. Et Zara l'aime. Ainsi commence un véritable roman d'amour, comme l'a dit Mamie, "digne d'un conte de Mille et une Nuits."

 

 De cette exploration, le géologue Killian a rapporté une certitude : les terrains qu'il a explorés recèlent des traces de naphtes. "Je vois dormir des milliards de barils de pétrole dans le vêtement de sable du Sahara." Peut-il se douter qu'en formulant cette déclaration, c'est sa vie toute entière qu'il engage ?

 Quand il débarque en France, il est épuisé. On lui ordonne un repos complet. Il en profite pour rédiger un rapport. Dans le monde savant, c'est de la stupeur. Killian sera lauréat de l'Institut de géographie et de géologie. il recevra la médaille René-Caillié.


 En retrouvant Conrad, Corinne a cru défaillir de bonheur.

 Elle se désespère, quand il lui apprend qu'il va repartir. A son frère, Conrad déclare : "Je reviendrai dans deux ou trois ans. Corinne et moi nous nous aimons, elle m'attendra..."

 On aime pas beaucoup Killian dans les bureaux d'Alger. Son humour ne passe pas. Mais, de toute éternité, les bureaux sont demeurés insensibles à l'humour.

 Quand on apprend que le but de Killian est de traverser le Ténéré, le désert inaccessible, ce n'est à Alger qu'un cri :

- Il est fou !

 Première étape : Touggourt.

La reine des Ouled Naïl, Aïcha Titcha, le voit et, aussitôt, devient folle de lui. Il faut dire qu'elle ne passe pas pour un modèle de vertu.

Elle lui offre tous ses bijoux. Elle brode elle-même sur son fanion la devise que Conrad vient de s'imaginer :

 "Avec Vaillants, toujours Killian."

Dans la tribu, ce sont les esclaves qui brodent. Cette fois, la reine a brodé de ses mains, parce qu'elle se veut l'esclave de Killian.

 A l'étape suivante, Ouargla, c'est la belle Mahjouba qui tombe éperdument amoureuse de Killian. De tribut en tribut, son prestige grandit.

 Etape suivante, le Hoggar, où Conrad s'arrête auprès de Zara, bouleversée de revoir son cher roumi et qui "se livre à lui avec transport". Quand Conrad apprend à Zara qu'il veut traverser le Ténéré, elle tente de le faire renoncer à ce projet insensé.

Mais celui qui dissuadera Conrad Killian n'est pas encore né.

 

 Le 4 avril 1927, Killian s’engage dans cette exploration sans précédent. En gage de son amour, Zara lui a confié le meilleur guide du Sahara, Rama. On s’enfonce de plus en plus profondément dans l’enfer de la soif. Le jour la température monte à plus de soixante degrés. La nuit, elle tombe au-dessous de zéro. Au milieu de ces hommes intrépides, peu à peu la peur s’insinue. Aucun humain, jamais, ne s’est aventuré dans une telle méharée. Aucun Saharien.

 Rama lui-même "craque" :

 - Jamais tu ne reverras Zara, ni elle ni aucune autre femme ! 

Il s’abat sur le sol en sanglotant. Il faut que Kilian et El-Bachir le menacent  de leurs armes pour qu’il accepte de repartir. Il le faut absolument parce que Rama est le seul à connaître les puits d’In-Afaleleh, unique point, au milieu du désert qui permettra de reconstituer la provision d’eau. Quand on arrive aux puits, les outres sont vides. Un cri dans l’escorte : le puits est comblé ! Killian reste silencieux. Rama murmure :

 - C’est fini.

 

 Une certitude effrayante : le puits le plus proche se trouve à quatre-vingt kilomètres de là. Des jours et des jours de marche. Sans eau ?

 Un ordre bref de Killian à El-Bachir : il faut égorger la chamelle la moins affaiblie. Ordre exécuté. Killian éventre la bête, en extrait la poche stomacale. Tous les lecteurs d’anciens récits de voyage connaissent cette réserve d’eau naturelle que portent les animaux du désert.

 Dans cette poche, Kilian recueille une dizaine de litres d’un liquide qui répand une odeur épouvantable. Kilian sait que ce liquide est un poison. Il sait que d’autres explorateurs qui en ont bu, sont morts. Malgré la soif qui le taraude, il prend son temps. Il fait allumer un feu et fait bouillir le liquide. L’odeur subsiste, le goût reste abominable, mais la toxicité est éliminée. Ces dix litres permettront à l’expédition d’atteindre le puits suivant.

 

 C’est fait. Killian a traversé le Ténéré. Il a rendu possible l’impossible. Maintenant, il rassemble une nouvelle caravane pour explorer le Fezzan. Nouveau raid, nouveau défi. La caravane erre au milieu d’une tempête de sable, ne trouve que par piracle les puits d’Errouy alors que tous allaient périr de soif.

 Killian procède à ces relevés géographiques dans lesquels il excelle. Ses tracés se révéleront si précis que le service géographique de l’armée les adoptera dans sa carte au 1/5 000 000.

 Killian découvre la ligne de partage des eaux de la région. Ses conclusions seront d’abord mises en doute, voire critiquées avec mépris. On en vérifiera plus tard le bien fondé.

 

 Kilian devra encore affronter le souverain implacable de Rhat. Nul n’a pénétré dans Rhat, territoire inviolé. L’amenôkal Boubeker se porte au-devant de Kilian qu’il trouve devant la porte du Rhat. Stupeur de Boubeker :

 - Comment as-tu l’audace de venir ici, où aucun chrétien ne s’est jamais aventuré ? Te rends-tu compte que tu peux être tué d’un moment à l’autre ?...

Immense, le calme de Kilian :

 - Je sais, mais je n’ai que des intentions pacifiques, je suis un savant, non un conquérant.

Du coup, voilà Boubeker tout changé. Il accorde son estime à cet étranger courageux. Encore une fois, le charme de Kilian a opéré. Il sera le premier chrétien à pénétrer dans la plus ancienne mosquée de Rhat.

 

 A travers tout le désert, court la légende de Conrad Kilian. Il est celui qu a triomphé des démons et des mauvais sorts qui accablent ceux qui défient le désert. Le sultan de Mourzouk qui est en rebellion contre les Italiens l’appelle auprès de lui. Autour de lui, dix mille guerriers brandissent leurs armes.

 - Sois leur chef ! demande le sultan à Kilian.

 Mais les affaires étrangères, avant le départ de Killian, lui avaient formellement demandé de "ne pas agir contre la convention franco-Italienne". Il décline l’offre des gens de Mourzouk :

- Mon pays n’est pas en guerre contre l’Italie.

Sachant la vénération que portent les musulmans à leur mère, il dit que la sienne le réclame. On le laisse partir.

 

Il y a trois ans qu’il vit dans le désert, qu’il explore, découvre et repère. Retour à la civilisation.

 Partout on rend hommage à Killian. C’est bien. Mais maintenant, Kilian pense à Corinne.

Avant de rentrer en France, à l’adresse de Corinne, le plus laconique des télégrammes : "Tendresse. Saïk."

 Il est à Alger. le gouverneur Bordes l’invite à une garden-party. Là, tout à coup, quelqu’un lui apprend que Corinne est mariée. Kilian se redresse. Ses yeux flamboient :

- Je vais aller trouver le mari de Corinne et lui dirait : "Monsieur, vous vivez en concubinage avec ma fiancée..." 

Il est sérieux. Kilian est toujours sérieux. Corinne lui avait donné sa parole. Il ne conçoit pas que l’on puisse manquer à sa parole.

 Après avoir géré les affaires courantes, il songe enfin à s’occuper de lui-même.

 Il est fatigué, malade. mais il ne renonce pas à Corinne. Il se rend tout droit chez le mari de celle-ci et lui redemande sa fiancée. Corinne sanglote :

- Je vous ai attendu pendant sept ans... Je n’en pouvais plus d’être vieille fille...

Très digne, son mari les laisse en tête à tête. Quand il rentre dans la pièce, il attend le choix de sa femme :

- Je pars avec toi, lui dit-elle, écrasée de chagrin.

Là aussi, Kilian ne renonce pas. A plusieurs reprises, il fera de nouveau le siège de Corinne, la suppliera de demander l’annulation de son mariage, de le rejoindre. l’aime-t-elle encore ? Peut-être. Elle se veut femme de devoir. Elle refuse.

 Il y a quelque chose de brisé en Conrad Kilian.

 

 Il vit dans deux chambres de la rue du Bac, un véritable capharnaüm. Il est retourné à la Sorbonne. Il n’est que licencié ès sciences et songe à préparer son doctorat. Il se lasse. Il en sait beaucoup plus que la plupart de ses examinateurs.

 On le tient pour un personnage fantasque, un original. Quand il affirme l’existence du pétrole au Mouydir, on l’écoute à peine. Killian ? Un mythomane, c’est évident. On lui confie l’organisation d’une exposition sur le Sahara. On le fait chevalier de la légion d’honneur. Pour le reste, on sourit.

 Lui-même sent croître sa propre méfiance. Il se voit partout des ennemis, alors que ceux-ci sont surtout des incrédules. Chaque fin de mois est pour lui un problème. Il ne vit que d’une bourse fort légère qui lui vient du C.N.R.S.

 A la veille de la guerre, Killian ne trouvera un peu de douceur qu’auprès d’une amie, la comtesse de C... Celle-ci, très lancée dans la société parisienne, lui sert de secrétaire bénévole, met au propre ses rapports, sollicite pour lui des rendez-vous. Elle le présente à ses relations.

Dans les salons, on voit désormais quelquefois ce long et maigre personnage un peu mystérieux. Il est toujours très beau.. Il plaît aux femmes, mais il s’effarouche volontiers. Des mères de famille fortunées parleraient volontiers mariage ; lui ne veut rien entendre. Il s’éloigne. Killian n’est pas à vendre.


 La suite ? Ma Mamie est formelle quand elle avance qu’il a été assassiné à cause du pétrole. Il en savait trop.

 Rideau.

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 14:38

Lindbergh-copie-1.jpg"Une illustration, là, sous vos yeux...

 

 Un été - celui de 1912 d'après ma Mamie - Charles Lindbergh jouait dans sa chambre au premier étage, quand il entendit un bruit de moteur. Ce n'était pas celui d'une automobile. Sortant par la fenêtre, il grimpa sur le toit. Il aperçu dans le ciel un singulier appareil avec hélice à l'arrière... Il fit alors savoir à son père et à sa mère qu'il allait quitter l'école dans un seul but : apprendre à voler.

 

Réaction du père : 

- C'est trop dangereux et tu es mon seul fils.

Réaction de la mère :

- Très bien. Si tu désires vraiment voler, c'est ce que tu vas faire.

 

Très vite, sa pensée s'enflamme à une idée fixe : accomplir le vol New-York-Paris sans escale.

 

New-York-Paris sans escale !

 

 La traversée de l'Atlantique, d'autres y pensaient depuis longtemps. Il fallait faire vite, car les compétiteurs se multipliaient. Son père n'avait cessé de lui répéter qu'un bon Américain ne désespérait jamais et qu'une fois sa décision prise, s'il était prouvé que celle-ci était juste, un homme digne de ce nom ne devait pas dévier de sa route.

 Lindberg mit alors les bouchées doubles et ne quitta guère l'atelier. Le poids de l'appareil était sa hantise. Comme, il l'avait exigé, on avait écarté tout accessoire jugé inutile par le jeune pilote : radio, compas, indicateur de niveau d'essence, équipement pour vol de nuit.

 Il renonça même au parachute pour compenser par quelques litres supplémentaires d'essence. Quand on lui parla de nourriture, Lindbergh demanda que l'on calculât simplement ce que pèseraient cinq sandwichs et un litre d'eau.

 

 Les compétiteurs ? Aux essais, le trimoteur de Byrd s'était écrasé. De l'autre côté de l'atlantique, les Français Nungesser et Coli avaient pris l'air à bord de l'Oiseau blanc. On ne devait jamais les revoir.

En fait, Lindbergh était seul sur la ligne de départ. L'infortune et la mort avaient devant lui éclairci tous les rangs.

 

 Le jour du départ, le vent s'est mis à souffler. Il va falloir affronter au décollage un poids énorme. Lindbergh pèse le pour et le contre.

 Et soudain, écrira-t-il, "la conviction monte en moi que les roues quitteront le sol, que les ailes franchiront les fils télégraphiques victorieusement, que le moment est bien venu d'entreprendre le vol".

 Il lève la main. Sur la piste, tous ont compris. On retire les cales. Le Saint Louis roule alors avec une lenteur qui désespère tous les témoins avant de prendre de la vitesse et de décoller...

 

Tous à terre, hurlent :

- Ça y est !

 

 Ma Mamie a si bien racontée sa traversée de l'Atlantique que vouloir après elle l'évoquer en détail n'aboutirait qu'à la paraphraser.

Il suffit de se souvenir qu'il s'est battu contre le sommeil. Après dix-sept heures de vol, il n'a pas dormi depuis quarante-huit heures !

Quoi qu'il fasse, ses paupières se ferment. Il tente de les tenir ouvertes entre ses doigts ; les paupières se révèlent les plus fortes. Il ne va pas arrêter de lutter. Contre le brouillard. Contre le sommeil. 

 

 A la nuit tombée, après avoir traversé l'Irlande et attaqué la côte française, il voit au loin Paris rutiler de toutes ses lumières.

Il distingue clairement la tour Eiffel illuminée : la fameuse publicité Citroën.

Il la contourne puis met le cap sur le Bourget.

 Sur la route, il discerne un énorme embouteillage, une interminable file d'automobiles, pare-chocs contre pare-chocs qui toutes semblent se diriger vers l'aérodrome. Le croira-t-on encore ? Pas une seconde, il n'en vient à penser que ce sont là les voitures de gens venus pour lui.

 Voici la piste, le hangar. Il atterrit.

 

Cent milles personnes. Cent mille qui avaient gagné le Bourget dès que l'on avait appris que le Spirit of Saint Louis avait été vu au-dessus de l'Irlande. A peine les roues de l'appareil touchèrent le sol que cette foule se rua.

Les gens hurlaient, pleuraient.

Lindberg fut happé, enlevé. Il ne comprenait toujours pas. Il posa cette question bien digne de lui :

- Y a-t-il quelqu'un qui parle anglais ?

 

 Il se sentait emporté comme sur la crête d'une immense vague. On lui arracha son casque de cuir. D'autres touchaient ses vêtements, comme ils eussent fait de ceux d'un dieu. Ce furent deux aviateurs français, Détroyat et Delage, qui le sauvèrent. Ils placèrent son casque sur la tête d'un grand Américain qui se trouvait là. Dès lors, on prit celui-ci pour Lindbergh et on le porta en triomphe pendant que Lindbergh était mis à l'abri.

 

 Pendant ce temps, la foule déchiquetait le Spirit of Saint Louis pour en arracher des reliques. 

 

A l'ambassade, on lui demanda s'il n'était pas trop fatigué. Alors seulement, il se rendit compte qu'il n'avait pas dormi depuis soixante-trois heures. Il était quatre heures du matin. Il gagna sa chambre et s'endormit instantanément.

 

 Pendant la nuit, l'extraordinaire nouvelle courait les fils du téléphone, ceux du télégraphe, les câbles transatlantiques, les ondes de la radio. Le monde vibrait à l'unisson de la victoire de Charles Lindbergh.

 

 Un mois plus tard, Lindberg repart pour un vol sans escale, New-York-Mexico.

Là, de nouveau, le destin l'attendait...

 

Un grand dîner à l'ambassade. Un de plus. A ce genre de cérémonial, Lindbergh commence à être accoutumé. Il sait que la tradition, chez les gens bien nés, est de parler pendant le premier service à sa voisine de droite, pendant le second service à sa voisine de gauche, pendant le troisième service à sa voisine de de droite, et ainsi de suite.

 

 L'ambassadeur Morrow, personnage influent, a placé son hôte d'honneur entre ses deux filles. L'aînée est à sa droite, la cadette à sa gauche.

L'aînée est si brillante, si gaie, si spirituelle que Linbergh laisse passer trois services sans songer à se retourner vers sa cadette. Au comble de la confusion, il tâche alors de faire oublier un si fâcheux comportement en engagent ex abrupto la conversation.

 A la jeune fille - elle s'appelle Anne et elle enrage - il ne trouve rien d'autre à dire que ces mots :

- Est-ce que vous volez ?

- Non, répond la petite. Et vous ?

 

 Lindbergh devait confier plus tard que c'est à cause de cette réponse qu'il décida d'épouser Anne Morrow.

 

 D'Anne Lindberg, la princesse Bibesco a dit joliment : "Elle est entrée en religion avec lui."

 Il sembla en effet qu'en se mariant avec Lindbergh, Anne Morrow avait épousé aussi aussi cette aviation sans laquelle la vie de Charles n'aurait comporté aucun sens.  

Elle fut désormais de tous ses voyages, de toutes ses recherches. Elle travailla avec lui. Ils étaient deux, ils ne furent plus qu'un.

Quand elle se lit à écrire, ce fut d'abord pour parler de son mari. Avec cela, ne manquant pas d'esprit.

 Quand Lindbergh atterrit au Kamtchatka, les Russes demandèrent à Anne quelle était sa profession. Elle répondit :

- Heu... Mariée !

 

Ma Mamie avait adoré cette réplique...

 

 

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 14:31

marseillaise.jpg"Le Petit Journal, là, sous vos yeux.

 

Mamie était toute petite en ce temps-là, pourtant, elle se souvenait. De tout.

  Depuis trois ans, on a tout demandé aux poilus. Ils ont tout donné. L’année précédente, des millions d’hommes ont été acheminés vers l’enfer de Verdun. Les Allemands étaient sûrs de percer à Verdun.

 Les Français ont tenu bon. "On les aura", avait dit Pétain. On les a eus.

 Mais à quel prix !

  Un chiffre résume tout : à Verdun, cette année-là, près d’un million de combattants des deux camps sont tombés. Après quoi, partout à l’ouest, le front s’est enlisé.

 De nouveau, les hommes se sont enfouis dans leurs tranchées. Des Français ou des Allemands, qui attaqueraient les premiers ? Au printemps, les poilus ont su que ce serait eux. Un nouveau général préparait une offensive. Il s’appelait Nivelle.

 Cette fois, comme disait Mamie, on allait voir ce qu’on allait voir.

 Les boches étaient à bout. On allait entrer dans leurs lignes comme dans du beurre. Ils allaient s’enfuir comme des lapins. Même qu’on aurait sûrement du mal à les rattraper. D’ailleurs, Nivelle l’avait dit : "En quarante-huit heures, tout sera réglé."

 La fameuse offensive de Nivelle allait aboutir au plus lamentable des échecs.

 Alors, quelques temps plus tard, très peu de temps, commencèrent les mutineries. Précisément, c’est pour s’être mutinés qu’à Maizy, cinq hommes attendaient la mort.

 Cinq hommes, dont le caporal Vincent Moulia. 

 Mamie a rencontré Vincent Moulia. De tous les condamnés pour l’exemple en 1917, il était le seul, à 91 ans, qui puisse dire : j’étais là.

 Elle est allé le voir dans sa minuscule maison dans les Landes. Il avait bon pied, bon oeil, avec ses cheveux encore noirs, sa superbe moustache et son oeil malicieux.

 Il avait un peu perdu la mémoire, mais n’avait oublié aucune des chansons de ses vingt ans : les cantiques que lui enseignait son curé, l’abbé Verdier, et les paroles plus lestes qu’il avait apprises au régiment.

 

 Moulia est né à Nassiet, le 25 mai 1888, d’un père inconnu et d’une mère journalière.

 Une enfance misérable, mais pas malheureuse.

 Un frère, Joseph. Vincent adore sa mère et il aime bien l’abbé Verdier qui veille sur lui plus que sur les autres gamins du village. Parce qu’il n’a pas de père.

 L’école ? Il n’y va en tout et pour tout qu’entre huit et neuf ans. Le miracle, c’est qu’il saura quand même lire et écrire. Deux ans de service militaire, guère le temps de souffler, et c’est la guerre.

 Un matin, sur les murs de Dax, les petites affiches blanches : mobilisation générale. Moulia part le premier jour. Un saut au village pour embrasser sa mère. Elle pleure, la mère Moulia.

 Le 23 août, il reçoit le baptême de feu. Toute sa vie, Moulia s’en est souvenu et l’a raconté aux siens. On marche, le fusil à la main, le sac sur le dos. Et puis, tout à coup, tac, tac, tac. C’est en face que ça tire. Ça siffle aux oreilles. A côté de vous, il y en a qui tombent. On avance quand même. La première fois, ça produit une drôle d’impression.

 Pourtant, il fait beau le 23. Ce qui cause le plus de peine à ces paysans des Landes qui marchent avec Moulia, c’est que les moisson ne sont pas faites. On avance à travers le blé mûr et ça serre le coeur.

 Le soir, on fait les comptes. Il ne reste pas grand-chose du régiment. "Des pertes terribles", dit le capitaine.

 Tout de suite, c’est la bataille de Charlerois. Pour se protéger des "marmites" qui arrivent en sifflant, dégageant une épaisse fumée noire, Moulia et ses camarades creusent des tranchées. Leurs premières tranchées.

 Il faut les quitter - très vite - pour attaquer. L’ennemi est là, devant. Une bataille qui dure deux jours. Et puis, il a fallu battre en retraite, sans un regard pour les cadavres derrière soi.

 Et ça continue. Un obus tombe près de Moulia, le recouvre de terre. Il se relève, s’étonne d’être vivant. Les Allemands chargent. Moulia en voit un qui fonce sur lui, baïonnette en avant. Cette baïonnette, l’Allemand la pointe sur la figure de Moulia. Il lui fend la joue. Ecoutez Vincent Moulia :

- Mais moi aussi, j’avais une baïonnette, elle était plus longue que la sienne. Je la lui ai passée en travers du corps. Je perdais tout mon sang, je voyais plus clair. Alors j’ai rampé dans les luzernes. j’ai fait moi-même le pansement. Et puis, j’ai rencontré mon capitaine. Il était grièvement blessé. Je l’ai chargé sur mes épaules, je l’ai emmené en arrière.

  C’est la première action d’éclat de Vincent Moulia. Pour avoir sauvé son capitaine, on le fait caporal. Il n’est pas peu fier.

 Ensuite, il est à la bataille de la Marne. Il marche, il tire, il tue, il marche encore, il tue encore. On l’a gagnée, cette bataille de la Marne.

 L’histoire de Moulia, dans les mois qui suivent, ressemble à celle de tous ses camarades, de ses frères en courage et en malheur. Il se bat. Il résiste quand on le lui dit. Il attaque quand on le lui en donne l’ordre. 

 Enfin Moulia a eu droit à une permission qu’il est allé passer dans son village. Il a retrouvé la mère Moulia, bien contente de revoir son fils.

 Celle qu’il a retrouvée aussi, c’est Berthe. Une cousine. Il la fréquentait un peu avant la guerre, histoire de ne pas aller au bal tout seul.

 Moulia l’aime bien, la Berthe. Elle aussi l’aime bien.

 A la faveur de cette permission, ils décident de se fiancer. On se mariera quand la guerre sera finie. Sûrement, ça ne peut pas durer encore longtemps.

 Jusqu’au mois de juin, le 18ème est en première ligne. De part et d’autre du front, les tranchées se font face. Comme les autres, le 18ème s’est enfoncé dans la terre. Il est devenu un régiment de taupes.

 Pendant des mois, pendant des années, Moulia, comme des millions d’autres, va vivre dans la terre.

 Des tranchées ? Des trous misérables. Des fossés hâtivement creusés, dans la boue desquelles on s’enfonçait jusqu’aux chevilles, parfois jusqu’aux mollets.

 Il fallait vivre dans la boue, tirer dans la boue, manger dans la boue, dormir à même cette boue. Et l’hiver, quand elle se solidifiait, il fallait lutter contre un autre ennemi : le froid.

 Pendant l’hiver 1914-1915, des milliers de soldats eurent les pieds gelés. Des souffrances indicibles. Au moins si l’on pouvait manger ou boire quelque chose de chaud !

 Quand les gamelles arrivent dans la tranchée, apportées par "l’homme-soupe", tout est froid. D’ailleurs, "l’homme-soupe" n’est pas toujours au rendez-vous. Comme il doit passer à découvert, il est souvent abattu.

 Des deux côtés, des tireurs d’élite excellent à ce jeu facile.

Dans les tranchées : des poux - on les appelait les "totos" - et des rats.

 Des démangeaisons intolérables pour les uns, des morsures pour les autres. Mais le pire était l’odeur. Les cadavres peuplaient le no man’s land entre les tranchées. Impossible d’aller les chercher. Ces cadavres pourrissaient, surtout l’été. 

 N’oublions pas le bruit. La mitraillade, la fusillade, la canonnade. Quand un obus s’abattait sur la tranchée, c’était l’horreur à l’état pur. 

Toute une génération a vécu ça, supporté ça. 

 Et puis, il y a les attaques. Les hommes sont là, prêt à bondir. Le lieutenant a les yeux sur sa montre. L’heure H. "En avant ! En avant !" D’en face part un feu roulant. Chacun sait qu’il va falloir s’exposer à ce feu. Pourtant, ils sortent. Tous. Ils avancent sans regarder ceux qui tombent dans la boue pour ne plus se relever.

 Un matin, Moulia s’élance à l’assaut avec sept autres. Les sept autres sont tués. Moulia s’en tire blessé à un bras. On le transporte à l’arrière, on le soigne.

 L’arrière où c’est un autre enfer. Les chirurgiens opèrent vingt-quatre heures d’affilée, à la chaîne. Même eux s’effarent devant les horribles déchirures de certains.

 On apporte un blessé, les deux mains arrachées :

- Qu’est-ce que tu fais dans le civil ?

- Sculpteur.

Dès que la blessure de Moulia est refermée, on le renvoit au front, sous Douamont. Une belle rentrée.

 Début 1917, on aurait dit que l’hiver ne voulait pas finir. Un temps abominable. Le café et le vin gelaient. On découpait le pain à la hache ou à la scie.

 Avril était venu et on grelottait toujours.

 C’est alors que le général nivelle a déclenché sa grande offensive. Le 16 avril, à 6 heures du matin, l’attaque a commencé, la bataille s’est engagée. A 7 heures, la bataille était perdue.

 En temps de guerre, les nouvelles courent vite. A Craonne, Moulia et ses camarades ont su tout de suite la vérité. Que les Allemands avaient tenu bon. Que Nivelle était un incapable. Que les pertes étaient énormes. Des soldats lancés sur les mitrailleuses ennemies comme à l’abattoir, les blessés abandonnés sur le terrain.

 L’excuse de Nivelle : il n’avait pas envisagé de repli...

 

La grande guerre :

Mamie et les poilus

Mamie et la mutinerie

Mamie et le condamné pour l'exemple

 

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 14:20

Tombouctou.jpg"Une photo, là, sous vos yeux.

 

 Quand papi a demandé à Mamie où elle voulait partir en vacances, la réponse à fusée : "A Tombouctou !". La réponse peut surprendre. Mais ma Mamie n'a jamais été emprunté les circuits aseptisés des tours-opérateurs.

 Elle préfère l'aventure, vous le savez aussi bien que moi. Alors pourquoi Tombouctou ? La suite appartient à l'Histoire. Magnéto Mamie :

 

"Un homme s'avance sur la piste africaine.

Il marche depuis si longtemps que l'épuisement le guette. La fièvre le mine, une plaie ouverte s'agrandit à l'un de ses talons. Pourtant, il marche.

 Or il n'est pas arabe. Il est chrétien et français. Autour de lui, nul ne le sait. Si on connaissait la vérité, l'homme périrait.

 Tous les Européens qui, jusque-là, se sont hasardés dans cette zone inexplorée de l'Afrique ont été mis à mort. Si l'homme à bout de fatigue ne se laisse pas tomber là, sur la piste, s'il s'acharne à suivre la caravane, c'est qu'un but unique le soutient.

 Dès son enfance, il en rêvait.

 Depuis, il n'a cessé de tendre toutes ses forces pour l'atteindre : il veut être le premier Européen à découvrir Tombouctou. Tombouctou la fabuleuse !

 L'homme qui a juré d'entrer le premier dans la ville mystérieuse s'appelle René Caillé.

 Quel contraste entre le continent qu'il tente de violer et le pays où il est né !

 Il a vue le jour en Aunis dans le Poitou. Son père était garçon boulanger. Il ne l'a jamais connu en tant qu'homme libre. Quand il est né, François Caillet venait d'être condamné à dix ans de bagne pour avoir volé quelques sous dans un cabaret alors qu'il était ivre.

 Dix ans pour quelques sous ! Irrésistiblement nous pensons à Jean Valjean des Misérables qui accomplit, à la même époque, dix-neuf ans de bagne pour avoir volé un pain. Assurément, la société de ce temps n'était pas permissive.

 En 1808, François Caillet meurt au bagne à l'âge de 46 ans. Il ne lui restait plus qu'une année pour achever sa peine !

 Trois ans plus tard, sa veuve le suit dans la tombe. Voilà René orphelin a douze ans. René quitte l'école. Il ne trouve de réel bonheur que dans sa chambre où il dévore des récits de voyage. Il lit et relit l'histoire de Robinson.

 Il se fixe un premier but : connaître les Antilles. Après quoi il passera en Afrique et, si Dieu le veut, il atteindra Tombouctou.

 "La plus grande ville que Dieu ait créée" a écrit dans son Itinéraire l'Arabe Mohamd Ibn Aly Foul. Caillé n'hésite plus : c'est à Tombouctou qu'il ira un jour.

 L'oncle refuse d'abord cathégoriquement, estimant que mieux vaut devenir un bon cordonnier que de courir derrière un rêve impossible.

 Devant l'obstination de l'adolescent, il faiblit et donne son consentement. Le village s'effare : "Il part !" On procède même à une collecte auprès des voisins pour acheter au petit Caillé des chaussures convenable. Mais comment trouver un passage sur un bateau ? Comment le payer ?

 Or on apprend qu'une expédition s'organise à Rochefort. Il s'agit d'aller reprendre le Sénégal que nous a restitué le Traité de Paris. La solution est là. 

 Quand René quitte son village, il n'a que seize ans et demi. Il porte sur lui, en plus des souliers neufs, soixante francs, surplus de la collecte.

 L'expédition en question est commandée par Hugues de Chaumareys, un marin de carrière qui, à peine revenu de l'émigration, a pratiquement tout oublié des choses de la mer.

 L'escadrille qui est placée sous ses ordres comprend quatre navires. La méduse, L'écho, La Loire et L'argus.

 Ce n'est pas sur la Méduse que la bonne étoile de René Caillé le conduira mais sur La Loire. Chacun connaît la suite.

 Cinglant vers saint-Louis du Sénégal, La Loire, L'Argus et L'Echo navigueront en haute mer, cependant que l'incapable Chaumareys conduira tout droit La Méduse vers le redoutable banc d'Argauin sur lequel elle échouera.  L'une des plus mémorables tragédies de la mer va s'engager.

 C'est profondément impressionné par l'affaire du radeau de La Méduse que Caillé va débarquer à Saint-Louis du Sénégal.

 Dans l'instant, il ressent le choc auquel il a rêvé depuis si longtemps.

 L'Afrique qui se présente sous ses yeux n'est pas inférieure à ses songes.

 Saint-Louis a été édifié sur un banc de sable et, devant Caillé, s'étalent ses cases en roseaux et ses maisons - fort rares - peintes d'un lait de chaux d'une éclatante blancheur.

 Il croise les Maures, les Foulahs, les Yoloffs avec une certitude : ici, il est chez lui.

 Le gouverneur anglais va se charger de le détromper. il estime l'arrivée de l'expédition prématurée. L'équipage de la Loire doit se rembarquer et aller jeter l'ancre dans la rade de Gorée, en face du village de Dakar.

 Le 20 novembre, les anglais de Saint-Louis consentent à céder la place. Le gouverneur français s'empresse de partir pour saint-Louis où il s'installe. Caillé le suit.

 Il est aux aguets.

 

 Alors commence une marche insensée, épuisante, le long des dunes du Cap Vert. Des marais qui croupissent à sa gauche surgissent des crocodiles. Caillé a résumé ce martyre par une phrase qui dit tout : "Je crus que je succomberais avant d'arriver à Dakar."

  Il y parvint pourtant, épuisé. Il passe dans l'île de Gorée où, atterrés par l'état où il se trouve, des gens compatissants lui jurent qu'il n'arrivera jamais en Gambie. Le plus dur reste à faire.

 Caillé se laisse convaincre.

 Il rencontre un officier qui comprend vite que ce jeune homme singulier ressent avant tout une soif inextinguible d'aventure. Il lui procure un passage gratuit sur un navire qui lève l'ancre pour la Guadeloupe. La Guadeloupe, pourquoi pas ? A peine y-a-t-il débarqué qu'il ne songe qu'à en repartir. C'est l'Afrique qui le hante. Rien d'autre.

 Pendant quatre ans, il voyagera entre Bordeaux et les Antilles au service d'une maison de vins. Que l'on ne croît surtout pas que son rêve africain est mort ! Il en parle si bien à son patron que celui-ci l'expédie au Sénégal. Quand il touche de nouveau la terre africaine, il a vingt-cinq ans.

 Son rêve est devenu une obsession : il faut, il faut absolument qu'il découvre Tombouctou.

 

La folle histoire du vainqueur de Tombouctou :

Mamie à Tombouctou

Le parapluie rouge de Caillé

Tombouctou la merveilleuse

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 13:36

alexandre-dumas.jpg"Une "une" là, sous vos yeux.

 

Elle est dédiée à l'homme aux cinq cents enfants...

 

 "Je ne veux pas exagérer, disait Dumas à Mathilde Shaw - qu'on ne présente plus -, je crois bien que j'ai de part le monde plus de cinq cents enfants." Ma Mamie qui a suivi - de loin - ses ébats en rajoute une couche :

- La vie sentimentale et sexuelle de Dumas décourage tout recensement."

Debrieffing :

 

Sa première maîtresse se nomme Aglaé - étrange prénom - Tellier.

 Lingère, elle a dix-neuf ans quand ils se rencontrent. Lui en a quinze. Il la voit "rose et blonde" s'extasie de ses cheveux dorés et son charmant sourire".

 On peut envier la chance d'Alexandre, mais on ne saurait méconnaître celle d'Aglaé, première à découvrir l'incomparable libido d'Alexandre dont s'émerveilleront tant d'autres.

 Leurs rapports durent trois ans. Constatant tardivement la liaison de leur fille, les parents finissent par s'en alarmer. Elle risque d'être bientôt considérée comme une vieille fille. Comme telle, elle ne trouvera plus de mari. Elle rompt.

 

 Pour rencontrer Louise Brézette qui arrive dans la foulée, le mieux est de consulter les Mémoires de Dumas : "Elle était une vigoureuse fleur de quinze ans. Oh ! la belle, la fraîche brune, avec sa chair ferme et dorée comme celle du brugnon, avec ses dents de perle qui éclairaient son visage entre deux lèvres de corail ! Comme on sentait la vie et l'amour bouillir là-dessous ! Comme on sentait qu'à la première flamme tout déborderait !"

 Cette première flamme n'a jailli qu'un seul soir, la veille de départ d'Alexandre pour Paris. Mais trente ans plus tard, il en parlait encore le sourire aux lèvres.

 Sacré Louisette.

 

 Une autre Cotterézienne, Marie-Anne Thierry, dite Manette (pour les intimes), entre en scène au même moment : "Une pomme d'api, toujours chantant pour faire entendre sa voix, toujours riant pour montrer ses dents, toujours courant pour laisser voir son pied, sa cheville, ses mollets même." Il ne la perdra jamais de vue.

 Vers 1825, il la retrouve à Paris, la suite se passe commentaire : "Elle était toujours gentille ; le charme des souvenirs nous a rapprochés et, tout en parlant, chacun de notre côté, de nos anciennes amours, ma foi !... La chair est faible et le diable est malin."

 Encore un cas typique de retrosexualité.

 

 La suite ? Tout s'accélère. Lors de sa première installation à Paris, le jeune Dumas loue une chambre dans un immeuble de la place des Italiens. Sur le même palier, demeure Catherine-Laure Labay, une femme à la tête d'un petit atelier de couture. Ils se plaisent et décident de vivre ensemble. De leur liaison naîtra un fils prénommé Alexandre qui, lui aussi deviendra célèbre.

 

 Mélanie Waldor est de celles auxquelles Alexandre s'est à ce point attaché qu'elle mérite une mention particulière. Alexandre et Mélanie, c'est toute une  histoire.

 

 Belle Krelsamer lui succède. Dumas se charge des présentations : "Elle avait des cheveux noirs de jais, des yeux azurés et profonds, un nez droit comme celui de la Vénus de Milo et des perles au lieu de dents". Elle lui cède trois semaines plus tard et, le 5 mars 1831, accouche d'une fille, Marie, native donc sous le signe du Poissons.

Dès lors Belle Krelsamer ne quitte plus son amant et s'installe chez lui avant de le suivre au cours de son long voyage en Suisse et, au retour, accueille les invités de Dumas lors du grand bal qu'il offre. Sans le savoir, elle vit son apothéose. Ida Ferrier va prendre sa place.

 

 Ma Mamie est formelle, c'est à ce moment-là très précis que Dumas est passé à la vitesse supérieure :

Virginie Bourbier, comédienne, a participé au triomphe d'Henri III et sa cour et bénéficié en même temps des faveurs de Dumas.

Marie Dorval, l'une des plus grandes actrices de son temps.

Hyacinthe Meinie, actrice.

Caroline Ungher, cantatrice célèbre.

Léocadie-Aimée Doze, actrice dont une seule phrase résume la façon d'aimer : "J'ai une passion dans le coeur, passion plus forte que moi ; c'est pour Alexandre Dumas ; c'est un homme dont je veux "goûter", ne fut-ce qu'une fois dans ma vie."

Henriette Laurence, apprentie comédienne.

Anaïs Aubert, actrice.

Eugénie Scriwaneck, actrice considérée par Alexandre Fils comme une "horrible femme".

Béatrix-Martine Person, lingère puis actrice.

Marguerite-Véronique Guidi, représentante officieuse de Dumas pendant son exil à Bruxelles. Elle l'accueille chez elle et à chacun de ses retours à paris. Jalouse d'Isabelle Constant.

Isabelle Constant, actrice, longtemps favorite d'Alexandre.

Marie X, pâtissière à Bruxelles.

Emma Mannoury-Lacour, abonnée au Mousquetaire de Dumas, elle engage une correspondance avec Alexandre qui la conduit à se donner à lui.

Emilie Cordier, actrice de vingt ans en recherche de rôle avant d'être engagé par Dumas et de s'installer chez lui. Après avoir accouché chez ses parents d'une petite Micaëlla, native du signe du Bélier.

 Le temps de placer celle-ci en nourrice et Dumas rejoint Naples. En mai, Emilie vient l'y retrouver. A-t-elle entre temps trompé Dumas ? Une lettre qu'elle lui adresse permet de l'imaginer : "Je te pardonne. Il est arrivé dans notre vie un accident, voilà tout. Cet accident n'a pas tué mon amour. Je t'aime tout autant, seulement je t'aime à la façon dont j'aimerais une chose perdue, une chose morte, une ombre".

 La séparation est inéluctable. La rupture sera consommée dans la foulée. Emilie remontera sur scène, rencontrera un certain Edwards qu'elle épousera et dont elle aura cinq enfants. En décembre 1870, apprenant la mort d'Alexandre, elle vêt de noir sa fille Micaëlla.

Fanny Gordosa, chanteuse noire, entre dans la vie de Dumas avant sa rupture  avec Emilie. Il l'a rencontré en Italie, arrachée à son mari qui la voit partir avec un certain soulagement : son ardeur au lit était si vive - en Rut du matin au soir -, que "ce mari, épuisé, lui avait fait porter autour des reins des serviettes humides."

 Dumas la délivre des bandelettes et satisfait l'ardeur ci-dessus signalée.

 Il dit d'elle : "Fanny est un peu bizarre, mais elle a un coeur excellent."

Elle lui manifeste une passion "furibonde" jusqu'au jour où elle le surprend dans une loge de théâtre en conversation très intime avec une dame. "Elle a ameuté la salle par ses hurlements. Une jalousie maladive." The end.

Olympe Audouard, née à Marseille, auteur de plusieurs ouvrages féministes. Dumas la rencontre à Aix-les-Bains. Selon Victor Hugo (Carnets), elle conçoit pour les vieillards, pourvu qu'ils soient célèbres, d'étranges complaisances érotiques.

 Elle appelle Dumas "mon vieux grand-père". ; il lui répond "ma petite amie chérie". Quand elle lui annonce son départ pour les Etats-Unis, il la recommande au directeur du Sun :

- Je vous présente ma meilleure, ma plus grande et ma plus belle amie. Recevez-la, comme je recevrais la vôtre s'il vous plaisait de faire échange.

Adah Menken, actrice, modèle pour sculpteur, conférencière et poète, trouve sa voie aux Etats-Unis en se présentant sur scène ligotée à un cheval et vêtue "d'un maillot de couleur chair".

 Elle épouse un musicien, un boxeur, son imprésario puis un certain James Barklay dont elle a un enfant. Son numéro plus ou moins érotique ayant séduit l'amérique, elle entend l'offrir à l'Europe. Cadeau.

 Après un réel succès à Londres, elle le propose à Paris en décembre 1866. Dumas entrant dans sa loge pour la féliciter, elle lui saute au coup au sens figuré, avant de lui sauter dessus au sens propre.

 Dumas posera ensuite avec sa maîtresse sur ses genoux habillée en maillot collant. Faisant le tour de Paris, ces photos déclenchent un scandale. Comment un grand homme a-t-il pu en arriver là ? Simple curiosité ? Un Fantasme ? La recherche du plaisir ? Ma Mamie l'ignore.

 

 Le privilège de Dumas est de bien se connaître. On peut le croire sur parole quand il affirme :

- C'est par humanité que j'ai des maîtresses ; si je n'en avais qu'une, elle serait morte avant huit jours.

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 13:02

Windsor.jpg"Le Petit Journal, là, sous vos yeux. 

 

 C'est dans ce journal qu'on trouve une photo célèbre. La photo ? Au centre, assise, la Reine Victoria. A sa droite... Trois générations saisies par l'objectif. Voilà qui dispense Mamie de bien des explications.

 Le 23 juin 1984, le père de celui dont ma Mamie va vous raconter l'histoire avait noté dans son journal : "A 10 heures. Naissance d'un charmant petit garçon. Il pèse huit livres."

 Comme le lecteur peut s'en douter, les prédictions n'ont pas manqué autour de ce berceau. La plus curieuse demeure celle de Ralph Shirley qui, en 1903, se déclara sûr que le prince de Galles n'accéderait jamais au trône : s'il y montait, jurait-il, ce serait guère pour y rester, car son frère Berthie le remplacerait aussitôt.

 Simple coïncidence ou prescience réelle ?

 Si on tourne les pages de son album de photographies, on reste stupéfait devant la garde-robe que l'on contraint cet enfant à endosser.

 Le costume marin, le kilt, le costume de chasse et toutes les tenues imaginables de cérémonies. Il grandit - peu -, le visage se forme.

 Pourquoi ne sourit-il jamais ? Pourquoi, le regard, presque toujours, est-il si triste ?

 La vie suit son cours. Le prince se heurte à son père qui ne comprend pas le célibat de son fils. Dire que le prince est entièrement à l'aise dans une telle situation serait contraire à la vérité.

 Lui-même a écrit là-dessus des phrases qui en disent long : "Quand il s'agissait de mariage, je ne voulait pas me hâter. Et ma vie restait toute pénétrée d'un sentiment d'insatisfaction."

 Qui sait ce qui peut arriver à un homme insatisfait ?

 11 janvier 1931. Ce samedi-là, le temps est exécrable. La voiture du prince se fraye un passage à travers l'épais brouillard qui recouvre le Leicestershire. Quant il rentre dans le salon où brûle un long feu de bois, on lui présente un couple qu'il ne connaît pas : Mr. et Mrs Ernest Simpson. Lui est courtier maritime. Elle, Wallis, une Américaine de Baltimore, plonge dans la révérence exigée par l'étiquette. Ils échangent deux mots. Pas plus.

 Qui pourrait le croire ? Un roman sans exemple vient de prendre son élan qui, pendant une décennie, surexcitera l'opinion anglaise et retiendra l'attention passionnée du monde entier en général et de Mamie en particulier.

 

Qui est donc cette Wallis Simpson ? 

 Penché sur la photo de sa fille qui n'avait que cinq mois, son mari avait dit avec une extrême douceur : "Je crains que physiquement elle soit une Warfield. espérons que moralement, elle sera, comme toi, une Montague."

Qui l'emportera de la solidité austère des Warfield du Maryland ou du charme, de la fantaisie, de l'esprit des Montague de Virginie, où la fortune est rare mais chez qui les femmes sont jolies ?

 Enfant, cette petite n'était pas une beauté. On peut la décrire comme un peu "spéciale".

 Comme si elle tenait à accentuer une différence, elle rassemble ses cheveux - ils sont extrêmement noirs - en une natte derrière la nuque, dégageant ainsi des pommettes aussi hautes que saillantes. l'image d'une Indienne vient tout naturellement à l'esprit. D'ailleurs, autour d'elle, on l'appelle : la Squaw.

 Le bas du visage est un peu lourd mais le corps est mince et souple. De toutes les élèves, elle est sans doute l'une des plus pauvres. Les autres enfants le savent. Il ne manque pas de filles pour lui crier au visage que sa mère "prend des pensionnaires" : insulte majeure. Alors, elle se jette sur l'ennemie et lui fait payer son audace à grands coups de pied dans les tibias.

 En mars 1914, à dix-huit ans, Wallis quitte le collège. L'habitude est, en un tel cas, qu'une élève appose une pensée sur le livre de l'école. En général, ces réflexions puériles ont trait aux charmes du collège, à l'intérêt des études ou aux amitiés que l'on y a nouées.

 Wallis elle, appose simplement trois mots sur le registre : All is love, "tout est amour". Un programme.

 Elle participe ensuite au bal des débutantes du Bachelor Cotillon où elle rencontre le plus séduisant des aviateurs : Winfield Spencer.

Ce Win bénéficie-t-il d'une fortune personnelle ? Non, aucune.

 Et s'il se tuait en vol ? Sa mère sait trop, hélas, le sort qui attend une jeune veuve sans argent. Wallis balaie les objections. Elle est amoureuse, un point c'est tout. Sa mère soupire mais consent : si Wallis a pris une décision, il serait vain de tenter d'y faire obstacle.

 Le mariage sera célébré à l'église de Baltimore.

 Parmi les demoiselles d'honneur figure la meilleure amie de pension de Wallis, Mary Kirk.

Retenons ce nom.

 Un charmant garçon, ce Win. On ne lui connaît qu'un défaut : il boit.

 Quand elle le voit ivre, Wallis le déteste. Le lendemain, il jure de ne plus recommencer et Wallis retrouve avec bonheur le Win des fiançailles.

 Le lendemain, il accepte un premier verre. D'autres s'ensuivent. Les réconciliations deviennent de plus en plus difficiles.

 Quand les amis sermonnent Win, il explique que, s'il boit, c'est parce qu'il ne supporte pas que sa femme soit si coquette. L'est-elle ? Elle recherche la compagnie des hommes, elle aime les longues soirées où, après avoir dansé et bu, on en vient aux confidences.

 Elle n'apprécie rien tant que la compagnie de ceux qui la font rire. Cela suffit à exaspérer la jalousie d'un marie amoureux et peu enclin à l'humour. Le succès de Wallis s'expliquent aisément : l'adolescente de naguère s'est muée en une jeune femme épanouie.

Quand elle rit, on découvre sur son visage un réel éclat.

 Le 11 novembre 1918, la célébration de l'armistice déchaîne l'enthousiasme de tous les Américains. Pas celui de Win.

Il boit plus que jamais. Sa jalousie  à l'égard de Wallis a pris d'incroyables proportions.

 L’état-major a sanctionné les beuveries de Win en l’affectant, en Asie, au commandement d’une canonnière. Ses lettres écrites de Hong-Kong témoignent d’une existence particulièrement morne.

 Il se désole de ne pas avoir assez d’argent pour s’amuser et, il lui semble, affirme-t-il, devenir peu à peu complètement idiot.

 Jamais, depuis leurs fiançailles, il ne s’est montré aussi tendre. Le jour vient où il la supplie de le rejoindre en Chine. Voilà qui finit par émouvoir Wallis. Qui sait ? Win s’est peut-être amendé ? Brusquement, elle se décide. Elle le rejoindra.

 

 Il me faut ménager ici une halte au lecteur.

Parmi les quintaux d’infamies que l’on a déversées sur celle qui devint la duchesse de Windsor, l’épisode pékinois semble avoir particulièrement inspiré les racontars.

 On résume :

1) Quand Wallis arrive à Pékin, c’est en qualité d’agent secret américain. Au service de qui ? Dans quel but ? Nul n’est capable de l’expliquer.

2) C’est en Chine que Wallis, en fréquentant les maisons de prostitutions, à appris les caresses «secrètes»  qui, plus tard, devraient rendre le prince de Galles fou d’amour. Quelles caresses ? Les détails croustillants varient à l’infini. Ma Mamie a cherché à vérifier ces informations, elle n’a jamais su où se trouvait ce "dossier chinois", ni qui l’avait établi.

3) Wallis aurait noué en Chine une liaison passionnée avec un certain Alberto de Zara, «bel attaché naval de l’ambassade d’Italie». Il est exact que ce Zara parle d’elle dans ses mémoires, mais surtout à propos des concours hippiques auxquels elle a assisté avec lui : "Elle portait une coiffure classique lui dégageant le visage et ses yeux et à laquelle elle est restée fidèle jusqu’à ce jour."

Que de "passion torride" en effet dans cette description !

4) De plus en plus fort : Wallis aurait été enceinte des oeuvres de Ciano.

 Elle a avorté en effet, un avortement qui a eu de graves complications qui lui ont ôté tout espoir d’avoir un enfant. C’est de là, affirme-t-on encore, que naquirent ses sympathies pour le fascisme.

5) Wallis aurait été une protégée de la mafia chinoise qui l’aurait fait accéder aux secrets des jeux de hasard truqués. Elle aurait gagné, au baccarat, à la roulette et aux vingt-et-un, des "sommes considérables".

 Au point où nous en sommes, le lecteur peut constater que l’on a imputé à Wallis, à l’exception de crimes de sang, la totalité de ce dont on puisse accuser quelqu’un.

 Bonne occasion de méditer une fois de plus sur la forte constatation de Talleyrand : "Tout ce qui est exagéré est insignifiant".

 Elle dira que Pékin fut la ville qu’elle a le plus aimé au monde, avec Paris. Peu à peu, elle y oublie Win et ses problèmes.

Elle s’est éloignée délicieusement du réel. Un matin, pourtant, elle s’interroge. Va-t-elle plus longtemps se fuir elle-même ? Eternellement se leurrer ? Il lui faut rentrer en Amérique et s’occuper sérieusement de son divorce. Win ira jusqu’à la reconduire à Washington. Pas au-delà.

 Ils ne se reverront jamais.

 

L'histoire vraie de l'attachement passionné qui unit Edward VIII et Wallis Simpson :

Le Duc de Windsor

Wallis va voir un astrologue

David et Wallis

L'amour fou

Elle et lui

L'abdication

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 03:39

confessions.jpg"Un magazine, là, sous vos yeux.

 

 Un magazine dédié à Mata-Hari...

 Le nom possède tous les prestiges de l'exotisme. Il semble parer celle qui le portait des mystérieux attraits de l'Orient. Quand Paris apprit, au mois de février 1917, qu'on l'avait arrêtée, ce fut une immense surprise. Cette femme si belle, cette "danseuse sacrée hindoue" qu'on avait applaudie un peu partout et sur qui les critiques de danse s'étaient extasiés.

 L'étonnement devint de la stupéfaction qond on sut que Mata-Hari était prévenue "d'espionnage, complicité, intelligence avec l'ennemi, dans le but de favoriser ses entreprises". 


 Mata-hari, une espionne ? Ceux qui l'avaient connue ne parvenaient pas à le croire. Il jurèrent qu'il y avait là un mystère. Les bruits couraient, plus fantastiques les uns que les autres. Coupable ? innocente ? Sur son cas, on s'affrontait avec passion.

 Mais on s'affrontait dans le vide puisque l'instruction fut secrète et le procès se déroula à huit-clos. Après la mort de Mata-Hari, la controverse continua. Il y eut des témoignages allemands, français, hollandais, espagnols. Tous contradictoires. Un seul espoir, pour les historiens d'éclaircir l'affaire : le dossier. Mais les ordres étaient formels. pas de publication jusqu'à nouvel ordre.

 Or, par une chance extraordinaire, inespérée, ce fameux dossier fut ouvert en 1964 par ma Mamie ! Elle a donc pu mener une enquête, non plus sur des fonds mouvants, mais en terre ferme. Mamie a donc pu suivre à la trace la vrai Mata-Hari... 

 

 La petite Grietje - diminutif frison de Margaretha - n'avait vu le jour ni aux Indes, ni à Java ; mais à Leeuwarden en Hollande, le 7 aôut 1976. Elle entra comme interne à l'école normale d'institutrices de Leyde. Elle était déjà très jolie, grande, mince, féline, avec un visage étrange aux yeux veloutés, allongés en amande.

 Le tour encadré d'une chevelure noire surabondante, "brun foncé aux reflets d'or". Le nez, certes, était trop fort ; mais si elle souriait, on ne voyait plus que des dents éclatantes dans une bouche douée d'évidentes promesses sensuelles.

 

 Elle n'obtint jamais son diplôme d'institutrice.

Le directeur de l'école - un excellent homme, jusque-là sage et digne - perdit la tête en la voyant.

L'amour qu'il lui avait voué fut bientôt la fable du pensionnat. Le directeur était d'une jalousie féroce. Il lui interdit toute sortie en ville - ce qui était une façon évidemment personnelle de prouver sa flamme. Il lui écrivait des lettres exaltées, se jetait à ses pieds en pleurant.

Ma Mamie est formelle : Grietje trouva d'abord cela amusant, puis ennuyeux.  

Elle quitta la pension. Le pédagogue crut mourir de chagrin.

 

 Elle avait dix-huit ans, maintenant. Naturellement, elle rêvait d'être aimée - sinon d'aimer. Dans son rêve, la jeune fille ne s'imaginait pas le prince Charmant autrement que sous l'uniforme d'officier. Elle-même avouera plus tard qu'elle adorait l'uniforme. Justement, un matin, au début de 1895, Grietje déploya le journal à la page des petites annonces et tomba en arrêt sur les lignes suivantes :

 Capitaine des Indes, passant son congé en Hollande, cherche femme à sa convenance, de préférence un peu fortunée. Lettres, etc...


 Gretje ne semble pas avoir hésité longtemps. Elle écrivit à l'adresse indiquée et glissa sa photo dans l'enveloppe. Le célibataire s'appelait Rudolf Mac Leod. Mais ses intimes l'appelaient John, du nom de son père. A sa stupéfaction, John reçut quinze lettres de fiancées éventuelles. parmi elles, il y avait celle de Mlle Margaretha Zelle. Il y avait aussi sa photographie...

"Tu me demandes si j'ai envie de faire des bêtises ? Et bien, Johnie, plutôt dix qu'une seule. Vas-y, tu sais, dans quelques semaines je serai ta femme."

 Ces lignes sans ambiguïté étaient écrites par une jeune fille de dix-huit ans à un officier célibataire de trente-neuf ans. La suite ? La rencontre eut lieu, le dimanche 24 mars 1895. Le capitaine, ébloui, le montra avec une insistance sans discrétion. Quant à elle, le fait d'avoir vu John en uniforme fut le "Sésame ouvre-toi" qui, après un excellent déjeuner, les conduisit dans une voiture bien close. Le lendemain, dans une lettre à son "John chéri", Grétha - c'est ainsi qu'il l'appelait - évoquerait cette voiture "aux glaces embuées". Et elle signait : "ta petite femme future qui t'aime tant." Six jours plus tard, ils étaient fiancés.

 La correspondance qu'à pu retrouver Mamie est particulièrement éloquente.

Gretha appelle John "mon chérie", "mon chéri à moi", "mon trésor à moi", "mon chéri unique", "mon ange chéri".

"Elle se réjouit sans le moindre complexe : "Quelle veine que nous ayons tous les deux le même tempérament ardent. Non, je ne crois pas que toutes ces jouissances puissent jamais prendre fin." Ou bien : "Sois amoureux, mon trèsor, car moi je le suis tout autant, et rattrape-toi bien quand je viendrai."

 Ou encore : "Ne crains pas que je sois indisposée, je viens de l'être exactement à la date et naturellement c'est passé depuis quelques jours. Tu pourras donc me demander demain ce que tu voudras...Le mois suivant, elle n'était pas "indisposée". On hâta le mariage. Quelques mois plus tard, elle accouchait d'un fils Norman.

 

 "Ah si par exemple, la peste pouvait me délivrer de cette créature, je pourrais redevenir heureux. Parfois, je n'y tiens pas avec cette coquine autour de moi. Mais que faire pour m'en débarrasser ? Avec ou sans scandale, ça m'est égal." Avant que Mac Leod puisse écrire une telle lettre à propos de sa femme, quelques années auront passé.

Malgré la naissance d'une petite Louise, les liens se sont vite relâchés. Tout était fondé entre eux sur une flambée sensuelle qui, fatalement, s'est peu à peu éteinte. Alors, ils se sont vus tels qu'ils étaient : lui, autoritaire, brutal ; elle coquette, dépensière, parfaitement amorale. Fin de l'histoire.

 Le 30 août 1902, le tribunal d'Amsterdam rend une ordonnance de non-conciliation entre les époux Mac Leod. Cette fois la séparation est bien consommée. A aucun prix, le commandant ne veut plus vivre avec sa femme. Et comme elle n'y tient pas davantage...


 Ou aller ? Pas un instant, elle n'envisage de retrouver la vie étriquée de son adolescence. Alors que faire ? Alors,  elle se souvint de sa vie à Java. Là-bas, elle avait lu de gros ouvrages sur les religions orientales - des ouvrages où l'amour physique est étudié à l'égal d'une science.

 Plus tard, on retrouvera chez elle notamment un Kamasutra soigneusement coché et annoté. Elle avait aimé les danses sacrées, observé les rites de ces femmes que les religions vouait à la danse.

 Pourquoi ne restituerait-elle pas aux Européens le secret de ces danses javanaises, quasi inconnues ici ? ... Sur cette idée, elle rêva longtemps. Puis elle se décidé. Elle partit pour Paris.

 

 13 décembre 1905. On a rarement vu, dans les salons du musée Guimet, une assistance aussi brillante. C'est que le "tout Paris" a appris qu'une danseuse hindoue, du nom de Mata-Hari exécuterait ce soir-là des danses rituelles. Quand paraît la Bayadère, Mata-Hari...

 Autrement dit, Grietje Zelle, ou Gretha Mac Leod, comme on voudra, quelle incroyable transformation ! Depuis qu'elle est à paris, peu à peu, avec une obstination savante, elle s'est appliquée à parfaire sa nouvelle personnalité. Elle s'est exhibée dans des salons, sollicitant des cachets médiocres.

 Elle a posé pour des peintres. Elle a ajouté, pour équilibrer un budget difficile, la prostitution de circonstance. Ce soir, au musée Guimet, elle joue une carte capitale. Elle le sait.

 

Résultat des courses : "Le ventre se gonflait, dit Louis Dumur. La peau se tordait, appelait, s'offrait... Mata-hari se donnait... Une ivresse de haschich empoignait la salle. Dans la pénombre bleue s'entendaient des respirations oppressées, des halètements, des râles."

 Il est assez cocasse de feuilleter la presse au lendemain de cette soirée mémorable. Pas un critique n'a flairé la supercherie, la fausse Hindoue, la fausse Javanaise. Ils ont "marché". Tous. On la déclare "sombre, sauvage, ravissante et idéale". Elle "interprète avec un art pénétrant et hardi, et qui retient, comme une fleur garde un arôme, toute la saveur sacrée de la vielle Asie". Etc Etc...

 

 Et du jour au lendemain, d'une heure à l'autre, Mata-Hari devint célèbre.

En cela, comme dit Mamie très justement, Gretha, fausse Hindoue, fut plus heureuse que Lola Montès, fausse Espagnole, sifflée à Covent Garden et à l'Opéra de Paris. Dans les cercles les plus intimes, elle dansait. Partout, on s'extasiait sur sa beauté.

 

 Est-elle vraiment belle ? C'est discutable. Etrange, surtout. Seuls les prestiges de la danse, le charme pseudo-oriental qu'elle avait su créer autour d'elle devaient agir sur ses admirateurs et la parer d'une beauté qui n'existait que dans leur imagination.

Et les amants succédaient aux amants.

Ils n'étaient pas toujours jeunes, ils n'étaient pas toujours beaux, mais toujours ils étaient riches.

 

 Un rapport de police qui figure au dossier désigne le banquier Rousseau - à ne pas confondre avec le douanier Rousseau -, comme l'un de ses entrepreneurs les plus généreux.

Mata-Hari ne dédaignait pas de se rendre dans des maisons discrètes où elle accueillait les "clients" qu'on lui présentait. Une seule condition : qu'ils acceptent son tarif. Une rencontre avec la soi-disant Javanaise coûtait la somme exorbitante de milles francs.

 

 L'Europe voulut connaître l'illustre Mata-Hari. Les music-Halls de Rome, de Berlin, l'accueillirent. A Berlin, elle noua des amitiés inattendues : le Kronprinz, fils de Guillaume II, vint la voir danser. Une invitation s'ensuivit. La petite Hollandaise, maîtresse du fils de l'Empereur ! Elle en conçut plus que de l'orgueil. Du coup, elle s'attarda dans la capitale allemande. Comme de bien entendu. Elle revint malgré tout à paris.

 

 le jour de la déclaration de guerre, elle est de retour à Berlin où elle danse dans un grand music-hall. Ce jour-là, elle a même déjeuné avec le préfet de police. Il l'a raccompagnée chez elle en voiture... Mamie retrouve ensuite sa trace à Madrid. Que fait-elle à Madrid ? Elle aurait dansé plusieurs mois dans un music-hall.

 En même temps, elle aurait noué des rapports avec des agents ouvertement acquis à l'Allemagne. C'est alors qu'elle aurait éveillé les soupçons de l'Intelligence service. Mais soudain, elle rentre en France où on la voit en compagnie d'officiers. Rien que des officiers. Toujours son amour de l'uniforme !

Et toujours sa vie dispendieuse. 

 

 Durant l'été de 1916, un capitaine nommé Vadimir Masloff arriva en permission à Paris. il avait touché avant de quitter le camp de Mourmelon-le-Grand, un arriéré de solde considérable : cinq mille francs-or.

- Qu'est-ce que tu vas faire avec ce tas d'argent ? avait demandé le trésorier-payeur.

- Je dépenserai tout !

- Tu es un vantard ! A moins que tu n'achètes une maison ! On parie ?

- On parie !

 Arrivé à Paris, Masloff se rendit directement au grand Hôtel, où il loua un appartement au prix "fou" pour l'époque de quarante francs par jour. Dans le hall, un officier en partance lui présenta "une femme, une femme merveilleuse d'une beauté extraordinaire", racontera-t-il à ses camarades en rentrant à Mourmelon.

 C'était Mata-Hari en personne. Ils ne se quittèrent pas pendant trois jours et pendant trois nuits. Tout ce que sa maîtresse souhaitait, il lui achetait. Le résultat ne manque pas d'imprévu. "Une semaine après, conte ma Mamie, au milieu d'un repas, le trésorier fut appelé au téléphone.

 Quelques minutes après, il entra en souriant et dit à l'assemblée : "C'est Masloff qui me demande de lui envoyer par télégraphe vingt-cinq francs pour son voyage. Il n'a plus rien..."

Elle l'avait plumé !

Le capitaine Ladoux - persuadé qu'elle bosse pour les Bosch -, va alors la suivre à la trace. Et la suite devient trop compliqué pour ma Mamie entre les noms de code (A F 44, H21), les espions, les informations, les Français, les Allemands...

 Bref, on débrieffe sur le début de la fin : Le 13 février, les policiers font irruption chez elle et l'embarquent. Elle est inculpée  d'"espionnage, complicité, intelligences avec l'ennemi dans le but de favoriser ses entreprises". Une heure plus tard, elle sera conduite à la prison Saint-Lazare. la porte de cellule n° 12 - celle des inculpés de marque, celle de Mme Caillaux, de Mme Steinheil, de Thérèse Humbert - se referme sur elle.

- Je suis décidée à dire toute la vérité...

Mais quelle était cette vérité ? On l'assaillait de questions. Elle répondait d'une voix sans timbre. Elle aurait pu nier, tout nier : à la vérité, le dossier se révélait étrangement mince. Des indices, des probabilités, des radiogrammes captés par la tour Eiffel. : c'était tout.

 Cela suffisait, certes, à démontrer qu'elle était au service des Allemands. Mais rien ne prouvait qu'elle leur eût fourni des renseignements. Ce qui frappait chez elle, c'était son air résolu et la forte intelligence dont elle faisait preuve à chaque instant.

 Elle ne niait rien de ce que lui reprochait l'accusation et elle avait réponse à tout. Elle aimait à se proclamer vicieuse, elle contestait seulement l'évidence : courtisane, oui, espionne, non."

 Elle fut condamnée à mort.

Le jugement ? Elle l'écouta impassible, raide et blême. Puis elle haussa les épaules et sourit.

 Quand à l'aube du 15 octobre, le groupe sinistre pénétra dans sa cellule, Maître Clunet se pencha sur elle :

- Marguerite, si vous voulez... enceinte... le code Pénal... Dites que... c'est l'article 27...

Alors, Mata se dressa, brusquement, en rejetant la couverture. Assis, les jambes nues, elle dit, avec un mouvement de révolte, d'une voix forte :

- Non non, je ne suis pas enceinte. Je ne veux pas recourir à ce subterfuge.. Inutile de m'examiner, je vais me lever... D'un bond, elle fut debout. Sa chemise de rude toile bâillait, laissant voir sa poitrine, sans qu'elle parût s'en préoccuper.

- Avez-vous des déclarations à faire ?

- Moi ?fit Mata-Hari dont la voix vibra soudain. Je n'ai pas de révélations à faire et, si j'avais quelque chose à dire, ce n'est pas à vous que je le dirais.

- Joue.

Un sourire de Mata-Hari. Son ultime sourire à son dernier public. A son avocat, son pasteur, elle envoyait des baisers de sa main qui battait le vide.

- Feu !... 

Une détonation. Une seule. A terre, gisait un cadavre sanglant. Le coup de grâce... Tout était fini. Il ne restait plus rien de Mata-Hari que sa légende. C'était un matin froid, le 15 octobre 1917.

1917, c'est "l'année trouble". C'est le temps de l'offensive manquée de Nivelle. C'est le temps de la crise du moral, des mutineries. Quand on fusillait au front des soldats de vingt ans, pour simple refus d'obéissance, les magistrats militaires pouvaient-ils avoir pitié d'une Mata-Hari, dont les relations - fructueuses - avec les Allemands avaient été prouvées ?

Malgré tout Mamie a éprouvé un certain malaise, quand elle a tourné les pages du dossier, quand on ne découvre aucune preuve palpable, aucune mention précise d'une renseignement déterminé.. Comme elle m'a dit : on a condamné Mata-hari parce qu'il était certain qu'elle était un agent allemand. Mais il y a des espions qui n'espionnent pas...

Quarante ans après l'exécution de la danseuse, le lieutenant Mornet - devenu procureur général Mornet - égrena quelques souvenirs sur Mata-Hari.

 Pour lui, c'était "une petite bonne femme sans envergure, sans classe et sans intérêt". Et il eut cette phrase inouïe :

- Entre nous, il n'y avait pas de quoi fouetter un chat !

 Il n'en avait pas moins requis - et obtenu - la peine de mort.

 

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14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 21:56

navire.jpg"Le Petit Journal, là, sous vos yeux. 


 Ce matin-là, le 27 juin 1905, le docteur Smirnov aurait préféré se trouver à cent lieues du pont du cuirassé Potemkine. Mamie aussi d'ailleurs. Très grand, mince, bien serré dans sa redingote, le toubib se penche vers d'énormes carcasses de boeuf suspendues à des crochets sur le spardeck. Près de lui, l'air ennuyé, un officier marinier. Un peu plus loin, des marins, à la fois goguenards et furieux : ils savent parfaitement de quoi il s'agit.


 La veille au soir, le torpilleur N. 267 s'est rangé le long du Potemkine. Il apportait du ravitaillement que l'on a hissé sur le pont. Pour les officiers, de la farine, du vin, des sucreries. Pour l'équipage, des carcasses de boeuf dont il était prévisible que l'on ferait du bortsch.

 Seulement voilà, cette viande-là grouillait d'asticots blancs frétillants et était une vraie puanteur et, pour les l'équipage, n'était bonne qu'à être jetée par dessus-bord ! Même des cochons ne voudraient pas d'une saloperie pareille !

 De toute façon, personne n'en mangerait.


 Smirnov se penche alors sur les carcasses pour vérifié si la viande est bel et bien avarié.

 L'odeur devrait lui sauter au visage. Il n'en montre rien.

D'évidence, ce qui lui plaît le moins, ce sont ces groupes de marins dont le regard inquisiteur pèse sur lui. Mais il ne se débine pas. Avec un naturel trop parfait pour n'être pas feints, il lance, à l'adresse du quartier-maître :


- Cette viande est excellente. J'estime qu'elle est parfaitement comestible. Il suffira de la laver au vinaigre.


 Un mot, un seul a frappé les marins : comestible.

On voudrait donc la leur faire manger, cette viande pourrie ? C'est le toubib qui a osé dire ça ? Si cette pensée est celle de chacun, nul ne songe à l'exprimer ouvertement. Le toubib est un officier. La discipline interdit à un simple marin de manifester ses sentiments devant un officier.

 Mais c'en est trop pour ma Mamie qui décide sur le champ de quitter le navire pour partir se la couler douce à la campagne parce qu'il ne faut quand même pas déconner.

Elle apprendra donc la suite de l'histoire dans les journaux, comme tout le monde...


 La suite ? A la fin de la matinée, la cloche sonne sur le Potemkine pour appeler les hommes aux réfectoires. Déjà, dans d'énormes chaudrons, des cuisiniers apportent la nourriture du jour : du bortsch.

Quoi ? Du bortsch ? On a donc fait cuire cette viande pourri ? Et les asticots, on les a fait cuire aussi ? Est-ce qu'on se fout du monde ?

Les protestations montent. Personne ne peut plus se contenir. Les hommes mettent leurs gamelles à l'envers et refusent qu'on la leur remplisse. Ils frappent alors sur la table avec leur cuiller. Sous les injures, les cuisiniers sont obligés de remporter leurs chaudrons. De l'entrepont monte un incroyable vacarme.


 Parmi ces marins furieux, il en est un qui se tait.

Il s'agit d'un tout petit homme maigre, au visage marqué d'influences asiatiques. Il se nomme Afanasy Matushenko. Il promène sur ce spectacle inédit un regard froid et lucide. Il croit au rêve socialiste, à l'égalité espéré et à la justice pour tous. Il en a parlé et on l'a écouté parce qu'on l'aimait bien mais ce n'est pas allé plus loin.

 Il a distribué des tracts aussi. On les a à peine lu. Soulever le Potemkine ? Matushenko en rêve, bien sûr, mais il sait qu'il s'agit d'une entreprise démesurée. A moins que...


 Que s'est-il alors produit sur le Potemkine ? Il est très malaisé de le savoir d'une façon précise. Même ma Mamie n'en sait foutrement rien.

Nous disposons du rapport rédigé par Matushenko mais nous sommes en droit de douter de son objectivité. Bien sûr beaucoup d'auteurs ont écrit sur le cuirassé mais la lecture de ces bouquins nous laissent rêveurs : nous découvrons qu'ils ont tous été considérablement influencés par le film d'Eisenstein.


 Voilà le grand nom prononcé. Enfin. Depuis le début de ce récit, le lecteur l'attend.

Il y a quelques années, un jury international de critiques de cinéma, ayant à établir la liste des dix plus grands films de ce monde, a placé en tête le Cuirassé "Potemkine".

Un chef d'oeuvre indiscuté, inégalé.

 Il est important de préciser dans quelles conditions Eisenstein l'a réalisé. A l'origine, il voulait évoquer la révolution de 1905 dans sa totalité. C'est là ce que lui avait demandé le gouvernement soviétique. Dans la fresque envisagée, l'épisode du Potemkine ne devait durer que quelques minutes. Eisenstein lui-même a révélé que l'anecdote ne comportait qu'une demi-page dans l'immense scénario du film en projet.

Pourquoi s'est-il rendu à Odessa plus tôt que prévu par le plan de travail ? Tout simplement parce que qu'il faisait trop mauvais à Leningrad où avait commencé le tournage !


A Odessa, du moins, on était sûr de trouver du soleil.

Or, sur place, cherchant des informations, recueillant des témoignages, s'imprégnant des lieux, Eisenstein a tout à coup ressenti la grandeur du thème. Il a confié combien l'exaltation l'avait saisi.

Le vrai sujet était là.

Eisenstein s'est alors scrupuleusement documenté. Il a retrouvé les survivants et il les a interrogé.  C'est ainsi que le film retrace très exactement les origines de la mutinerie, l'histoire de la viande en putréfaction et de la prétendue expertise du docteur Smirnov. Les noms et les personnages des principaux protagonistes sont véridiques : Golikov, Smirnov, Vakulinchuk, Feldmann et le pope Parmen pour ne citer qu'eux. 


 Aussi ma Mamie m'a dit que pour connaître la suite de l'histoire il suffisait de voir le film...

Sachez juste que l'équipage s'est révolté. Une révolte avec une seule idée en tête : revoir la Russie. Retrouver se famille et son village. Telle était la première pensée des marins du Potemkine. Mais de peur des représailles, beaucoup des mutins sont restés en Roumanie. Cinq seulement n'y tiennent plus : ils veulent rentrer. Parmi eux, Matushenko.


A la frontière, ils sont reconnus, arrêtés. Quatre d'entre eux sont envoyés en Sibérie. Matushenko, lui, sera pendu.


Ma Mamie m'a dit qu'elle aurait pu subir le même sort mais que pour rien au monde elle n'aurait mangé de ce satané bortsch...


 Epicurienne jusqu'au bout des ongles !

 

 

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14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 18:31

Nobile-copie-1.jpg"Une photo, là, sous vos yeux.


 La "tente rouge". Elle se dressait, quasi dérisoire, au milieu du désert de glace. Rouge, la tente ? Au vrai, les parois de teinte gris-bleuté avaient été semées de zébrures et de tâches rouges par les neuf hommes qui vivaient dans cet abri. Sans cela, l'avion tant espéré qui, un jour peut-être, les découvrirait, n'aurait rien pu distinguer dans la monotonie glaciaire.

  Neuf hommes, oui. Neuf hommes qui survivaient, attendaient et chaque jour glissaient un peu plus vers le désespoir.

 Naufragés du ciel, ils avaient connu un privilège unique : à bord du dirigeable Italia, construit et piloté par le général Umberto Nobile, ils avaient survolé le pôle Nord.

 Au retour, l'Italia s'était écrasé là, dans les glaces. La catastrophe de l'Italia représente en soi une tragédie. Ce qui va suivre sera pire. Des hommes vont périr.

 Le chef de l'expédition Nobile sera sauvé. Le moment viendra où il regrettera de n'être pas mort sur la banquise. Ce que l'on va jeter en pâture à des millions d'hommes et de femmes, ce sera son honneur.

 Le monde comme tribunal : voilà ce qui attendra Umberto Nobile.

 Paradoxalement, comme dit Mamie, le naufrage de l'Italia sera presque oublié. Ce qui surgira au premier plan de l'actualité sera l'affaire Nobile. Pour son malheur.

 Bref rappel des faits :

 

 Nobile ne s'est jamais découragé.

Ces sortes d'hommes ne renoncent jamais.

Il est allé là-bas mais il veut y retourner.

 Alors qu'il était en pleine gloire après son premier voyage, il met au point un nouveau dirigeable qu'il baptise l'Italia. Il sélectionne son équipage. Il s'adresse à quatre de ses mécaniciens qui l'avaient accompagné sur le Norge. Pour chef mécanicien, il s'adresse à une force de la nature, un athlète au langage dru et à l'humeur impétueuse : Natale Cecioni

 Comme navigateurs, il fait confiance à Adalberto Mariano - trente ans, grand et large d'épaule - et Filipo Zappi, un peu plus jeune, plus mince, plus fin.

  Question primordiale : la radio. Nobile emportera les meilleurs postes émetteurs et récepteurs du moment.

 Comme spécialistes, il engage deux techniciens éprouvés : Guiseppe Biagi et Ettore Pedretti, le premier aussi brun que le second est blond.

 Tout cela aboutit à une équipe de dix-huit hommes. La moyenne d'âge : trente-trois ans. Avec ses quarante-trois ans, Nobile reste de loin le plus âgé.

 Pardon. Il y a aussi una passagère à bord : Titina, la petite chienne du général, un animal sans le moindre pedigree, frétillant bâtard noir et blanc. Titina, à travers d'extraordinaires aventures, se révélera aussi gaie, aussi vive qu'intelligente. Précieuse en un mot.

  L'Italia va pouvoir quitter Milan, son port d'attache. Direction : le pôle.

 Au matin du 25 mai, l'opération est un succès. Il y a trente heures que l'on a quitté le pôle. Depuis longtemps, on devrait apercevoir les côtes du Spitzerg. Or on ne voit rien. Rien. D'un coup, l'Italia perd le contrôle avec le brouillard et la glace.

 Voilà. C'est fini. Adieu, la vie. Un fracas formidable. Et la nuit.

 Nobile reverra cent fois dans sa tête cette tragédie qui cependant, pour lui - il ne le saura que trop tôt, ne faisait que commencer.

 Au moment de l'accident, l'ingénieur Ettore Arduino a tout jeté par dessus bord, pèle-mêle, tout ce qui se trouvait à sa portée : provisions, équipement, bidons d'essence. Sans Arduino et sans le matériel dû à son incroyable présence d'esprit, jamais les naufragés de la banquise n'auraient survécu.

  Le dirigeable, emportant six hommes vers l'inconnu, s'est perdu dans le brouillard.

Combien d'hommes sur le pack ?

 On découvrira sur un bloc de glace le cadavre recroquevillé du second-maître mécanicien Pomella. Dix membres de l'équipage ont donc été projeté dans le vide. Il en reste neuf.

 Sans compter la petite chienne Titina qui, ravie de retrouver ce qu'elle prend pour le plancher des vaches, court dans tous les sens et aboyant joyeusement avant de venir lécher avec bonheur le visage de son maître.

Neuf hommes que Nobile croit promis à la mort. Il se sent lui-même si faible qu'il fait ses adieux à ses camarades. A ce moment précis, un hurlement de joie :

- La radio de campagne est intacte !

L'espoir renaît.

D'autant plus que parmi les débris épars sur la glace, on trouve la tente que l'on dresse. Déjà, l'émetteur cliquette sous le doigt expert de Biagi :

"S.O.S. Italia... S.O.S Italia..."

Nul doute, on va les entendre. Pourtant, aucune réponse.

Rien à se mettre sous la dent.

Biagi ira jusqu'à démonter entièrement son poste. Et à le remonter.

En vain.


Le comble est que lui reçoit parfaitement des stations fort éloignées. C'est à devenir fou !

 Peu à peu, dans la tente et autour de la tente, la vie s'est tant bien que mal organisée. On a retrouvé sur le pack des boules de verre contenant ce liquide rouge à l'aide duquel on contrôlait l'altitude du dirigeable. On s'en est servi pour teinter et zébrer de rouge les parois de la tente. Ainsi est-elle devenue la tente rouge.

 Toute leur vie, Nobile et ceux de ses compagnons qui survivront se souviendront de ce jour polaire, de ces nuits qui ne l'étaient que parce qu'on en décidait ainsi.

 Le matin venu, les plus valides tentent de pêcher dans les crevasses qui s'ouvrent alentour. Ils ne prendront rien. Jamais.

 En revanche, grâce à un revolver - un colt - Malmgren tue un ours ! Voilà deux cents kilos de viande qui viennent à point. Le délai s'allonge d'une possible survie. Si au moins on les entendait... Biagi émet toujours. Personne ne lui répond.

 Le problème est que Romagna le commandant du bateau Citta di Milano a décidé qu'il n'y avait plus d'espoir. Donc, à quoi bon ? De plus, les journalistes accourus à la Baie du Roi se servent de l'émetteur de bord pour transmettre leurs articles. Ils n'ont rien à dire ?

 Tous les rédacteurs en chef du monde savent que c'est lorsqu'un journaliste ne sait rien qu'il rédige ses plus longs articles.

Sur le pack, autour de la tente rouge, les jours passent. Et l'espoir s'amenuise. Et il meurt.

 Malgré les objurgations de Nobile - "Je vous en supplie, restons groupés !" - trois des survivants de l'Italia vont décider de se mettre en marche vers le sud : le Suédois Malmgren, les officiers de marine Zappi et Mariano. Ils savent qu'ils n'ont que très peu de chances de gagner une terre quelconque. Tant pis. Tout vaut mieux que cette mortelle attente. Chargés de tous les vivres qu'ils peuvent emporter, ils partent

Les messages de Biagi s'envolent toujours sur les ondes. Il a décidé d'émettre tant que ses batteries donneraient signe de vie. Mais toujours rien. Un jour, rayonnant, il a couru vers la tente :

- Victoire !

Tous ont bondi :

- On nous a entendus ?

- Non. L'Italie a battu l'Espagne par 7 à 1.

Nul n'a songé à sourire. Les têtes se sont baissées.

 

 Le 8 juin enfin, la Citta di Milano capte le message de la tente rouge. Et répond. Immense soulagement de Nobile et de ses compagnons. Ils se réjouissent trop vite. Romagna est plein de suspicion : et si c'était un mauvais plaisant ? Il exige que Biagi fasse connaître son numéro matricule. Qu'il fera soigneusement vérifier. Le numéro est le bon. Romagna daigne communiquer avec les survivants de l'Italia.

 Déjà des avions ont multiplié des vols de reconnaissance. Sans résultat. C'est que dans l'éblouissement de la banquise, découvrir un minuscule point que figure la tente rouge représente un exploit presque impossible.

 Plusieurs fois, les survivants les verront passer ces avions. Sans pouvoir attirer leur attention. Enfin, l'un d'eux les survolera, les apercevra, leur larguera des vivres. D'autres les imiteront.

 Les hommes de l'Italia ne sont plus seuls au monde.

 

 Amundsen part avec son hydravion à leur rescousse accompagné des Français Guilbaud, Cuverville, Valette et Brazy à bord du Latham. A 20 heures, l'Institut géophysique prend contact avec eux. Aucun signal. L'Institut insiste, s'inquiète, appelle sans relâche.

 Pour toute réponse, le silence. Nul ne reverra vivants les aviateurs français. Nul ne reverra le grand Amundsen, l'Aigle blanc de Norvège.

 Les Russes entrent dans la danse et lancent leurs brise-glace, le Krassime. A son bord, il porte un avion. Le professeur Samoïlovitch, chef de l'expédition, d'annonce optimiste. Non seulement il entend porter secours à Nobile et aux siens mais, si faire se peut, retrouver Amundsen.

 Porter secours à Nobile ? Trop tard. Toutes les radios du monde l'annoncent : Nobile vient d'être sauvé. Sauvé seul. Que s'est-il passé ?

 Depuis que des avions survolent la tente rouge, la perspective de l'atterrissage de l'un d'entre eux s'est affirmée de jour en jour. Nobile a donc fait aménager sur la glace une piste balisée, une zone praticable pour des avions munis de skis.

 Il a même expédié un message comme qui stipulait que l'atterrissage était jouable.

 Est-ce ce message qui a décidé le lieutenant suédois Lundborg ? Ou plutôt le goût du risque ?

Qu'importe, quand il repère la "piste" - combien exiguë - signalée par Nobile (il dira plus tard qu'"une cour d'usine lui aurait semblé préférable") il tente l'atterrissage, les skis écrasent la glace, l'appareil rebondit avant de stopper à l'extrême limite. Il est 23 heures.

 Hirsutes et épuisés, Viglieri et Biagi courent au-devant de lui.

 Lundborg coupe court aux effusions et les interroge : - Le général peut-il marcher ?

De la tête ébahis, les deux Italiens font non. Il annonce qu'il ira donc chercher le général. Viglieri et Biaggi esquissent une protestation. Nobile a soigneusement établi l'ordre des évacuations. Il a accordé une priorité aux blessés puis aux autres. Après quoi - seulement - viendra le tour de Nobile. "Telle est son irrévocable décision." Mais Lundborg ne veut rien entendre. Il secoue la tête :

- Non, mon général. J'ai des ordres.

Des ordres ? Quels ordres ? Est-ce Romagna qui les a donnés ? Il l'a formellement nié. Les supérieurs suédois de Lundborg ? A quel titre l'auraient-ils fait ?

Tout le drame - et le malheur de Nobile sont nés de là.

 Pourtant, il s'acharne à protester, à refuser, à imposer son plan d'évacuation. A tel point que le suédois, agacé et désinvolte, lui signale que l'on est pas en train de "répéter un grand opéra". C'est Biagi qui va couper court. Décidément, il vaut mieux que le général parte. Nobile hésite toujours. Il consulte tour à tour les autres survivants qui se montrent du même avis :

- Partez mon général.

Ce Ceccioni lui-même, de sa grosse voix bourrue, l'invite à partir :

- Vous ferez secourir nos familles !

C'est dit. Viglieri et Biagi le saisissent chacun sous un bras et le portent jusqu'à l'appareil... où l'a précédé Titina qui perce l'air de ses aboiements triomphants. Aux autres, Lundborg répète qu'il reviendra d'heure en heure et qu'au matin leur évacuation sera achevée.

 Le moteur qui vrombit. Les skis qui glissent sur la glace. Un envol impeccable. Nobile a choisi son destin.

 Quand il arrive à bord du Citta, Romagna ne va pas le louper.

 

 Plus tard, quand il s'est vu dans la glace de la cabine, il a reculé, épouvanté : son visage amaigri, émacié, est devenu noir, incrusté de crasse et de graisse. Sa barbe hirsute, est plus grise que noire. Ses vêtements répandent une odeur fétide. Mais tout cela n'est rien à côté de cette évidence : il est sauvé, lui, le chef, et ses compagnons ne le sont pas. Et plus personne ne peut se poser là-bas. Un seul espoir le brise-glace soviétique. Où se trouve donc le Krassine ?


 Le navire soviétique a poursuivi sa marche vers le nord. Quand soudain, un  cri poussé par un marin :

- Un homme en vue !

Tout l'équipage se rue au bastingage. C'est vrai ! On distingue au loin sur le pack un homme debout qui gesticule. On s'approche. A côté de l'homme debout, un autre est couché. Le Krassine stoppe ses machines. Des officiers sautent sur la glace, s'adressent à l'homme, lui demandent s'il est Malmgren. L'autre se présente :

- Mon nom est Zappi. Il montre l'homme inanimé :

- Voilà Mariano.

Et Malmgren ? Son visage se fige :

- Il est mort.

 On les porte à bord. L'état de Mariano est grave. On le sauvera, mais on devra l'amputer d'un pied. Zappi racontera que Malmgrem, hors d'état de continuer à marcher - il avait les deux pieds gelés - a supplié qu'on l'abandonnât.

 C'est la loi dans le Grand Nord : un homme incapable de poursuivre sa course ne doit pas gêner les autres.

 Désespérés, Zappi et Mariano avaient obtempéré. Malmgren était donc mort au milieu des glaces.

Les vivres avaient manqué. progressivement, ils s'étaient affaiblis. Mariano avait glissé dans l'inconscience.

 Lui, Zappi, quand on l'avait découvert, n'avait pris aucune nourriture depuis treize jours.

 Cette affirmation, il faut bien le dire, va rencontrer beaucoup de scepticisme.

Les médecins de bord affirmeront que Zappi avait jeûner que 5 ou six jours au plus. D'autres remarqueront qu'ils portait des vêtements de Malmgren. Pourquoi Zappi a-t-il menti ?

Est-ce parce qu'il avait mangé Malgren ? Sur le Krassine beaucoup s'en sont montré persuadés. D'autres aussi à travers le monde.

Le Krassine s'avance de nouveau. Le 14 juillet, à 20 h 15, l'équipage aperçoit enfin les naufragés du ciel qui accourent vers eux avec de grands cris.

De l'épave de l'Italia et des six hommes qui s'étaient envolés avec elle, on ne saura jamais rien. Jamais. Du Latham d'Amundsen on ne retrouvera qu'un flotteur.

 Le général Umberto Nobile a regagné l'Italie. On ne lui pardonnera jamais.Le gouvernement lui reproche d'avoir failli à la règle qui veut, que, sur un navire qui sombre, le capitaine reste le dernier à bord.

 Nobile, avec véhémence, avec fièvre, puis avec colère, explique, se défend. Ses camarades confirment ses dires : il voulait réellement partir le dernier. Il a cru obéir à des ordres.

 Plus tard, il a pu coordonner les recherches. Ce que nul autre que lui n'aurait pu faire. Le gouvernement italien maintient sa position. Il sera alors victime d'un complot fasciste contre le démocrate qu'il était. Il survivra mais il suffira d'un article, d'une accusation où on critique de nouveau son choix pour que la vieille blessure se rouvre. On ne le laissera donc jamais en paix ?

 Ma Mamie m'a dit que c'est un géant à jamais meurtri qui disparaît en 1978, à quatre-vingt quatorze ans. Il a vu l'un après l'autre, ses compagnons de la tente rouge glisser dans la mort. Il reste seul. Lui que l'on a si souvent accusé d'être parti le premier, il demeurera, pour l'ultime expédition, le dernier.

 

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Livre d'or

Première affiche

 

  "MA MAMIE M'A DIT"  

Spectacle nostalgique 

 

"On nous avait promis la magie, promesse tenue : un spectacle plein de féérie de souvenirs où chacun se retrouvait. Une belle énergie. Les résidents ont adoré. Merci." Marie ("La Clairière de Luci" - Bordeaux)
 
"Formidable ! Nous sommes tous remontés dans le temps, nous avons vingt ans, on a ri, on a presque pleuré et surtout on a chanté. Merci." Cathy (Arles)
 
"Un véritable petit chef d'oeuvre" ; "La légion d'honneur pour la créativité" "Un véritable artiste" ; "Après-midi formidable" ; "Absolument parfait" ; "Une rétrospective originale" ; "Un très bon moment d'évasion". Propos recueillis à la résidence Emera d'Angoulême  
 
"Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux... C'était magnifique. Nous avons revu toute notre jeunesse et notre enfance. Et c'est beau de redevenir jeune dans l'ambiance d'autrefois." Aimée et Janine
 
"Les chansons, les réclames et les anecdotes ont transporté les résidents dans leur enfance. Une après-midi de nostalgie mais aussi de chansons et de rires. Merci encore pour ce magnifique spectacle." Sandrine
 
"Spectacle complet, tellement agréable et thérapeutique pour nos personnes âgées, encore félicitations !" Docteur Souque
 
"Un choix extraordinaire de chansons, des moments magiques, des photos magnifiques, vous nous avez mis de la joie dans le coeur. Et retrouver sa jeunesse avec tous ces souvenirs, ça fait plaisir et j'espère que vous reviendrez nous voir." Mme Lorenzi (Juan-Les-Pins)
 
"Pour ma fête, par un pur hasard je me suis retrouvé dans un club de personnes âgées où j'ai pu assister à votre spectacle sur le passé. Cela m'a rappelé mes grands-parents et mes parents et c'était vraiment un moment magique." Josette, La Roque d'Antheron
 
"Bravo bravo bravo Regis, c'est le meilleur spectacle que j'ai vu depuis que je fais le métier d'animatrice." Bénédicte La Salette-Montval (Marseille)
 
"Je n'imaginais pas lorsque je vous ai accordé un rendez-vous que vous enchanteriez pendant 1 h 1/4 les personnes âgées d'une telle façon. Merci pour votre prestation qui a fait revivre les moments publicitaires, évènementiels et musicaux de leurs vies." Michelle, CCAS de Toulouse
 
"Un super voyage dans le temps pour le plus grand plaisir des résidents. Merci à Régis pour cette magie et à bientôt." Brigitte (Lunel)
 
"Enfin un retour à notre "époque". Quel bonheur, que de souvenirs, quelle belle époque ou l'amitié était de mise. Merci pour cette très belle après-midi, on s'est régalé avec ce très très beau spectacle". Danielle (Mirandol)
 
"Super - divinement bien -  tout le monde était enchanté même que M. Benaben a dit : "Vous nous avez donné l'envie de revivre notre vie"." Sylvie (Sainte Barthe)
 
"Un grand merci pour ce bon moment et je crois, je suis sûre, qu'il a été partagé par mon mari." Mme Delbreil
 
"Une féérie de l'instant." Christian
 
"Beaucoup d'émotion dans ce spectacle plein de chaleur et d'humanité." Sylvie
 
"Une soirée inoubliable. Continuez à nous émerveiller et faites un long chemin." Claude
 
"Le meilleur spectacle que j'ai jamais vu. De loin." Tonton Kiko
 
"C'est bien simple, je n'ai plus de Rimmel !" Claudine (seconde femme de Tonton Kiko)
 
"A ma grande surprise, j'ai versé ma larme. Tu as atteint mon coeur. Bravo pour ces sentiments, ces émotions fortes, j'ai eu des frissons par moment." Ta couse Céline
 
"Redge, encore un bon moment passé en ta présence. On était venu plus pour toi que pour le spectacle, mais quelle agréable surprise ! On est fier de toi, continues d'oser, de vivre !" Pascale
 
"J'avais froid, un peu hagard, l'humeur moribonde et puis voilà, il y a toi avec toute ta générosité, l'intérêt, l'affection que tu as toujours su apporter aux autres, à moi aussi et Dieu sait si tu m'as rendu la vie belle depuis qu'on se connaît comme tu as su le faire une fois de plus." Jérôme
 
"Ce spectacle est nul à chier et je pèse mes mots." Gérard
 
memoria.viva@live.fr

Ma Mamie m'a dit...

Madka Regis 3-copie-1

 

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Mamie est sur Facebook

Papi est sur Meetic

Il y a quelqu'un dans le ventre de Mamie

Mamie n'a pas la grippe A

La petite maison close dans la prairie

 

COLLECTION "THRILLER"

Landru a invité Mamie à la campagne...

Sacco et Vanzetti

Mamie a rendez-vous chez le docteur Petiot

La Gestapo française

Hiroshima

 

COLLECTION "SAGA"

Les Windsor

Mamie et les cigares du pharaon

Champollion, l'homme qui fit parler l'Egypte

Mamie à Tombouctou

 

COLLECTION "LES CHOSES DE MAMIE"

Mamie boit dans un verre Duralex

Le cadeau Bonux

Le bol de chocolat chaud

Super Cocotte

Mamie ne mange que des cachous Lajaunie

 

COLLECTION "COUP DE COEUR"

Mamie la gauloise

Mamie roule en DS

Mamie ne rate jamais un apéro

Mamie et le trésor de Rackham le Rouge

 

COLLECTION "DECOUVERTE"

Mamie va au bal

La fête de la Rosière

Mamie au music-hall

Mamie au Salon de l'auto

 

COLLECTION "SUR LA ROUTE DE MAMIE"

Quand Papi rencontre Mamie

Un Papi et une Mamie

Mamie fait de la résistance

Mamie au cimetière

24 heures dans la vie de Mamie

 

COLLECTION "MAMIE EXPLORE LE TEMPS"

Jaurès

Mamie embarque sur le Potemkine

Mamie et les poilus

Auschwitz

 

COLLECTION "FRISSONS"

Le regard de Guynemer

Mr et Mme Blériot

Lindbergh décroche la timbale

Nobile prend des risques

 

COLLECTION "MAMIE EN BALLADE"

Mamie chez les Bretons

Mamie voulait revoir sa Normandie !

La fouace Normande

La campagne, ça vous gagne...

Mamie à la salle des fêtes

Launaguet

La semaine bleue

Le monastère

 

COLLECTION "MAMIE AU TEMPS DES COURTISANES"

Lola Montès

Les lorettes

Mme M.

Napoléon III

Plonplon

La marquise de Païva

Mme de Pompadour

Générique de fin