"Aujourd'hui Rolland Courbis nous fait l'amitié de passer à table. Ses techniques, méthodes, ses subtilités tactiques, la mise en condition dans les vestiaires, les anecdotes édifiantes, tout est passé au crible, morceaux choisis :
Bonjour Rolland, vous avez que sur ce blog on ne manie pas la langue de bois, aussi on ne vas pas y aller par le dos de la cuillère, alors comment détruire l'adversaire ?
Il suffit de placer ses joueurs d'une certaine façon quand on a pas le ballon et d'une autre quand on se restructure pour attaquer. Utiliser des trajets originaux pour brouiller les cartes.
Je m'explique : Quand tu vas à Monaco, pour perturber Manu Amoros, un droitier jouant à gauche, tu mets en face de lui un arrière gauche gaucher dans sa zone pour lui bousiller toutes ses habitudes et ainsi empêcher la première relance de l'équipe adverse, pion essentiel sur l'échiquier tactique.
Et tu vois vite en face de la surprise, de l'inquiétude puis un sourire plus ou moins jaune d'une équipe qui se demande ce qui se passe dans cette situation inhabituelle voire inédite.
En fermant le robinet, on évite peut être une énorme inondation.
Pareil quand tu dis à Luigi Alfano de ne pas quitter Omar Sène, le leader bis du PSG : là, tu détruis le système Ivic. Sène, ce n'est pas un robinet, c'est un carrefour et Luigi se transforme en agent de police pour faire la circulation.
Pour contrer Manchester et ses deux avions à réaction Yorke et Cole qui multipliaient les appels croisés en profondeur, je place deux arrière centraux à l'envers. Un gaucher à droite et un droitier à gauche pour être sur le bon pied de fermeture. Je revois encore les têtes de Gallas et Berizzo ! Victoire 1/0 sur un but... de Gallas !
Personne ne s'en est aperçu, je n'ai rien déclaré, rien expliqué mais cela a été une énorme satisfaction professionnelle sur le plan tactique.
D'autres exemples ?
Vestiaire trop chauffé en été, eau froide dans les douches en hiver, pelouse mal tondue ou trop arrosée. Donner des ballons d'une autre marque pas tout neufs et pas très bien gonflées à l'échauffement.
Pendant que l'entraîneur se plaignait auprès du délégué, il ne se concentrait pas sur les consignes à donner à son équipe. Tout bénéfice pour nous. Ont dit qu'un match de haut niveau se joue sur certains détails, nous on essayait de récupérer le plus de détails possibles.
Et comment construire ?
On répéte systématiquement les gammes avec discipline. Ce que j'appelle le qui fait quoi, quand, où, comment et pourquoi. On confond trop souvent organisation et tactique. Exemple : une équipe de pétanque est composée d'un pointeur, d'un milieu et d'un tireur. Ca c'est l'organisation.
Quand il faut tirer ou pointer, ça, c'est aux joueurs de le décider : c'est la tactique. Une tactique, c'est l'intelligence ou la stupidité que l'on intègre à l'intérieur d'une organisation.
Toulon ?
Super apprentissage, ca me donne les bases pour aller plus tard dans les grands clubs. Aujourd'hui je considère que j'ai encore des progrés à faire mais j'en connais quand même un rayon. Je sais ce qu'il ne faut pas faire et comment présenter les choses. Je suis capable de mettre tous les atouts de mon côté.
Ton truc ?
Je parle aux joueurs comme j'aurais aimé qu'on me parle et me motive à l'époque.
Avec qui ça n'a pas marché ?
Ginola !Il y avait certaines préparations musclées et ça gueulait : la motivation ne nous tombait pas dessus au hasard. Et un jour, en plein discours, au milieu de mots très durs, je me rends compte qu'il en manque un, je retrouve mon Ginola dans le coin des douches en train de se coiffer, de se remettre les mèches en place.
Je me pinçais, je croyais rêver, je n'ai pas eu la patience. Il pompait toute mon énergie. Or dans l'analyse que je peux faire du métier d'entraîneur, je considère que tu as 25 litres d'essence et d'énergie pour tes 25 joueurs. Quand tu as un Ginola, il t'en bouffe 24 à lui tout seul ! Réfléchis bien à ce qu'il te reste pour les autres...
Un lieu ?
Le Touquet, c'est là que se cultivaient la sympathie, l'affection, la solidarité qui te permettaient peut être de faire un dernier effort à la 85ème minute d'un match dont le résultat serait peut être le tournant de la saison.
Un objet ?
Le portable mais il faut l'interdire durant certains moments comme la promenade ou le repas. Je tiens à ce que les joueurs discutent, échangent. Combien de match Dalger et Onnis nous ont-ils fait gagner en mettant au point quelques stratégies simplement autour d'un café ?
Un moment ?
L'apéro. Idéal pour créer des liens. J'avoue que celui qui se couchait tôt m'inquiétait. Je revois encore deux hollandais arriver au dernier moment le premier soir à l'apéro, ils commandent un lait fraise ! J'ai failli m'étouffer et je n'étais pas le seul. Pardo et d'autres cadres ont eu vite fait de leur faire goûter et aimer les traditions de la Provence...
Une équipe ?
Endoume. On cultivait des valeurs à l'ancienne. Combien de matchs a-t-on gagnés avant de les commencer ? Il y avait 4 ou 5 marioles dont José Anigo qui ne craignaient rien ni personne. Jamais ils ne se sont dégonflés sur un terrain et à ce niveau c'était parfois brûlant.
Avant les matchs à l'extérieur, ils avaient la manie de se renseigner sur l'endroit et la façon dont s'échauffaient les équipes qu'on rencontrait. Et surtout de quel côté du terrain ils aimaient le faire. Immanquablement ils sortaient les premiers et occupaient cette zone...
Et quand les adversaires pourtant chez eux arrivaient et réclamaient leur territoire, ils récoltaient dans un premier temps une bordée d'injures et dans un second temps deux ou trois pastissons. J'en arrivais même à être gêné !
Un joueur ?
Ibou Ba. Un gamin plus qu'attachant. A la suite d'une rencontre avec un marabout, il s'est mis à vouloir me convaincre qu'il fallait aller rapidement au stade Lescure enterrer la corne d'une bestiole à l'intérieur du rond central pour qu'elle porte chance à Bordeaux ! Vite fait, bien fait...
Quelque mois plus tard en revenant avec l'OM, mon premier souci a été d'enlever ce gris gris la veille du match, pour qu'il ne porte plus bonheur aux Girondins. On l'a retrouvé sous 30 centimètres de terre. On sautait de joie comme si on avait marqué trois buts coup sur coup, on s'embrassait comme des fadas. Il y a vraiment des détails qui confinent au ridicule. D'autant que le lendemain, on a pris une raclée !
Un match ?
Mi-temps : OM 0 - Montpellier 4. Dans le couloir, je croise Loulou Nicollin et Michel Mézy qui se marrent comme des bossus. J'ai la force de rester digne et de les chambrer en leur pariant qu'on va gagner 5 à 4 ! On a pourtant atteint le ridicule. Absents. Je reste d'un calme olympien face à mes joueurs dans le vestiaire, ils sont suffisamment anéantis comme ça. L'endroit est dévasté, l'atmosphère funeste, le silence pesant. Je décide de parler très peu de cette première mi-temps à mes joueurs.
Je préfère leur expliquer qu'on a perdu le premier match et qu'on doit se concentrer pour gagner le second. Je tente de les convaincre qu'on est dans la peau d'un joueur de pétanque dont l'équipe est menée 12 à 0 et qu'il n'est pas interdit de gagner 13 à 12. Mais pour arriver à ce renversement de situation qui frise le miracle, c'est sûr qu'il ne faut pas jeter les boules et aller boire l'apéro avant l'heure ! Ma hargne doit être communicative. Je les persuade d'avoir une attitude et de croire qu'une petite lueur brille toujours...
Me prennent-ils pour un fou ? Je n'en sais rien. Mais ils me regardent estomaqués, ça s'est sur. Toujours est-il qu'on réattaque ce deuxième match concernés, attentifs, concentrés et réceptifs. C'est une équipe totalement différente qui se présente sur le terrain. Et Pam : Maurice réduit le score à 4 à 1. 30 minutes à jouer.
Entre-temps, nous nous sommes réorganisés avec deux attaquants de couloir, Dugarry et Camara et deux axiaux, Ravanelli et Maurice avec Pirès comme chef d'orchestre. Dans la foulée Dugarry et Roy marquent. Le Vélodrome est en furie comme ressuscité. La suite ? 5 à 4 pour l'OM.
Sur le banc, c'est de la folie car on sent que le climat est irréel. Des gens qui étaient partis du stade sont revenus à leur place. Un moment unique, ça n'est jamais arrivé depuis que le football existe et ça tombe sur moi. Cela dit, il faut quand même forcer un peu le destin pour y parvenir.
Tes phrases préférées ?
"Je peux me tromper mais je peux aussi ne pas me tromper." Mieux : "Je ne veux pas me faire plus important que ce que je suis mais je ne veux pas nn plus me faire moins important." Une autre : "Ce n'est pas parce que vous n'êtes pas au courant que vous êtes obligé de dire n'importe quoi."
Et le jeu dans tout ça ?
Je l'avais dans la peau depuis ma plus tendre enfance. Une de mes fiertés, c'est que le jeu ne m'a pas rendu fou. Mon père était déjà joueur. Un vrai loser. Nous avions comme voiture une Ariane 4 immatriculé 9080 BL 13, et comme tu ne peux pas jouer le 0 au tiercé ni le 90 et le 80 car il n'y a pas assez de partants, il cochait donc le 9, le 8 et le 13 systématiquement. Il n'a jamais eu l'idée de jouer le 9, le 8, le 1, le 3, ou l'addition de tous les chiffres _ le 21_, afin de muscler un peu la formule.
Pendant 10 ans, il a récité cette grille sans qu'elle sorte jamais. Et quand il a vendu la voiture, il en a parlé au nouveau propriétaire. 15 jours après, le 9-8-13 est tombé du ciel comme par hasard ! Pendant que mon père jouait la plaque de sa nouvelle auto, comme s'il était interdit de jouer l'ancienne. Que ça me porte malheur toute ma vie si je l'invente cette histoire !
Ils l'ont dit :
Joseph Antoine Bell : "Nous sommes une des rares équipes à posséder une vraie culture tactique. Tout ça c'est Rolland Courbis."
La comtesse Rizzoli "Je souris souvent en pensant que derrière une agressivité de façade se cache l'hypersensibilité d'un extraordinaire bonhomme."
Rolland Courbis, coach du jour...