"Antonin Peragnoli, dit Furète, n'avait jamais eu de chance dans la vie.
D'un quotient intellectuel étonnamment faible, il avait pendant près de quarante ans transporté les chargements de poivrons, de carottes et de choux fleur. Pour que les restaurateurs puissent préparer une bonne anchoïade.
Les années et les pastis en série avaient rendu ses bras trop faibles pour qu'il pût continuer à sortir les paniers, et il avait donné un temps dans la chiffe, ce qui lui avait valu son surnom, beaucoup d'ennuis et peu d'argent.
Il avait fini par devenir mendiant, ce qui lui avait paru être une situation stable et d'avenir, les touristes affluant depuis quelques années à Marseille dont l'économie repartait.
De plus, il avait résolu depuis six mois déjà le problème du logement, et cela grâce aux bons et loyaux services d'un ancien copain de régiment, un certain Tescano.
En effet, pour une somme modique qui lui permettait de faire la partie de 421 dans les différents bars du quartier, Tescano ouvrait chaque soir à Peragnoli une porte dérobée donnant sur une arrière-cour, et là, par un escalier extérieur se terminant en échelle, Furète grimpait jusqu'au toit où, il s'était confectionné une sorte de deux-pièces cuisine tout à fait acceptable.
Du coup, il s'était toujours senti redevable envers Tescano, qu'il appréciait et ce malgré sa mauvaise réputation. Et puis en échange, il devait surveiller son ex-femme pour s'assurer qu'elle n'ai pas de mauvaises fréquentations.
Ce soir-là, la recette sur les marches de Notre-Dame-de-la-Garde ayant été fructueuse, Peragnoli s'était préparé une bouillabaisse sur le réchaud à alcool. Avec un litre de 12°5, il pouvait considérer sereinement l'existence.
C'est au moment où il débouchait sa bouteille qu'il entendit la porte de l'appart de Sophia Manatan claquer.
Quelqu'un sortait.
Un amant pensa Peragnoli.
Il fallait avertir Tescano que son ex-femme avait un amant. Il allait être furax. Car derrière ses tatouages et sa lame de couteau, Tescano était d'une nature très jalouse.