"Salut les copains.
Cette photo culte a été réalisée le 12 avril 1966 à 16 h 08. Un mardi. Quatre ans après la création du mensuel SLC et un an, jour pour jour, après le mariage de Johnny et Sylvie. Au total 47 vedettes, la crème de la crème.
Il ne manque que Nino Ferrer qui a raté la photo d'une demi-heure, Petula Clark, retenue aux Etats-Unis et Frank Alamo bloqué à la caserne.
Chaque semaine, puis chaque après-midi, les transistors bruissent aux accents de Salut les copains, émission d'Europe 1 animée par Daniel Filipachi.
On y entend Johnny Hallyday et Eddy Mitchell, de leurs vrais noms Jean-Philippe Smet et Claude Moine, les deux figures de l'émergence du rock en France. Tous deux reprennent les succès américains et passent à la télévision.
Leurs chansons parlent d'amour, de jeunesse, de joie de vivre.
Johnny est déjà une bête de scène, dans la lignée d'un Bécaud, et le prouve au grand concert de la place de la nation, le 22 juin 1963, où s'entassent 150 000 jeunes.
La foule est telle qu'aucun artiste ne réussit à monter sur scène. A part Johnny bien sûr. Quelques jours plus tard, une tribune du journal Le Monde relate les évènements et baptise ces jeunes : ils deviennent les "yéyés".
Johnny avait fait ses débuts sur une scène parisienne en septembre 1960 à l'Alhambra après être apparu pour la première fois à la télévision le 18 avril dans A l'école des vedettes, l'émission d'Aimée Mortiner où il avait chanté T'aimer follement. Depuis, il y a les "pour" et les "contre".
Quand il est entré sur le plateau, il a été salué par une ovation venant du balcon où se trouvaient ses copains du Golf Drouot, le lieu de rendez-vous de tous les jeunes.
Chantant d'abord Laisse les filles, puis Souvenirs, souvenirs, il est tombé à genoux puis s'est roulé parterre à la fureur d'amateurs d'un music-hall plus classique, confortablement installés dans les fauteuils d'orchestre.
A la sortie, certains affirmaient : "Le music-hall de papa et de grand-papa est mort ce soir."
Rappelons pour mémoire que le premier 45 tours de Johnny s'est vendu à 100 000 exemplaires et qu'au verso de la pochette, il était présenté comme un "Américain de culture française".
Sylvie Vartan débarque dans la foulée en interprétant Panne d'essence en duo avec Frankie Jordan. Elle vend ensuite son 45 tours sans qu'on la reconnaisse puisque sa photo ne figure pas sur la pochette.
Frankie Jordan monte ensuite au créneau pour défendre le rock face à un député de Paris qui veut faire voter une loi pour interdire les futurs concerts.
Les rockers n'ont pas hésité une seconde. Frankie est considéré comme le plus diplômé d'entre eux et est le plus à même d'assurer pour un débat de fond organisé par Europe n°1.
Finalement, il se montrera tellement convainquant que le député renoncera à son projet et demandera même à Frankie de lui dédicacer une photo pour sa fille...
Ensuite, c'est au tour de cinq copains qui tirent leur épingle du jeu. A l'origine, ils devaient chanter sous le nom de Eddie Daner et les daners ou Les Five Rocks. Ils ont finalement été baptisés les Chaussettes noires parce que leur groupe est parrainé par une gamme de chaussettes en nylon noir fabriquées par Stemm.
Apparemment tout le monde est content du résultat : Tu parles trop est un succès. Ces jeunes musiciens n'ont pas été chercher bien loin quand ils ont décidé de passer une audition dans une maison de disque.
"Nous avons pris le premier nom figurant dans l'annuaire téléphonique, raconte Eddy Mitchell. C'était Barclay."
De son côté, Dick Rivers a enregistrer Ma petite amie, son premier disque. Il était accompagné par des musiciens qui, à la fin de la séance, ont décidé de se baptiser les Chats Sauvages, traduction française de The Wild Cats, leur formation américaine préférée.
L'interprète s'appelle en réalité Hervé Fornieri et porte la banane, les santiags et la chemise western. Son idole est Elvis et il a choisi son pseudonyme en se féférant à Loving You, un film où le personnage interprété par le King s'appelle Dick Rivers.
Du coup, de tous côtés, tout le monde danse le twist. On n'entend plus que ça. De Johnny à Eddy, en passant par Richard Antony, le twist est la danse de l'année. Plus insolite, La leçon de twist par le fantaisiste Henri Genès et le Twist de Schubert, sur l'air de la truite, par Michel Sidney.
En 1961, c'est la première apparition de Johnny sur la scène de l'Olympia.
Une apparition en catimini avant que le maréchal Juin, héros de la seconde guerre mondiale, se lève d'un bond en hurlant : "Bravo jeune homme, vous êtes formidable !", la salle a suivi et ça a été un triomphe avec Douce violence, Il faut saisir sa chance et Avec une poignée de terre.
Même les critiques sont sous le charme. Ils constatent qu'il a changé, qu'il n'est plus "pur rock" et affirment que l'on peut sans danger montrer ce spectacle à des enfants. "Il a toutefois conservé son coup d'épaule conquérant qui fait frissoner les salles", ajoute Willy Guiboud, rédacteur en chef de France-Soir.
Puis c'est au tour des "têtes de bois" de débarquer à la télé. Cette émission est diffusée en direct depuis le studio du Moulin de la Galette et sera le premier lieu de rencontre des "copains". Le décor du plateau est d'une simplicité absolue : des bancs où le public se retrouve au milieu des invités et de l'animateur Albert Raisner.
En 1962, Lucky Blondo, chouchou de Salut les Copains - qui devient un journal -, avec son premier 45 tours Multiplication, prend le relais et entre directement au Hit-Parade de l'émission avec Jolie Petite Sheila. Il rêve de devenir le "Bobby Darin français". Leny Escudero frappe aussi très fort.
Les quatre chansons du disque sont des succès : Pour une amourette, Ballade à Silvie, Parce que tu lui ressembles et A Malypense. Claude François lui emboîte le pas et devient une vedette en un mois. Son premier 45 tours intitulé Belles Belles Belles - une chanson qui devait être enregistrée par Lucky Blondo et qui devait s'appeler Rien rien rien - se vend comme des petits pains.
Johnny remet le couvert à l'Olympia avec Tes tendres années, Elle est terrible, La bagarre, C'est le mashed potatoes et surtout L'idole des jeunes.
Ce titre est en train de devenir son surnom. Idole des mineurs dans une ville des Cévennes aussi. Quand il apprend qu'ils sont en grève depuis plusieurs semaines pour tenter de préserver leur emploi, il décide sur le champ de leur offrir l'intégralité de la recette du spectacle.
Ce qu'il fera le soir même. A part ça, Pétula Clark, après s'être produite au Golf Drouot où elle a chanté Je me sens bien auprès de toi devient "la copine des copains".
Le Golf Drouot, encore et toujours, qui est devenu le temple du rock and roll. Un petit golf miniature couvert du quartier qui devient le lieu réservé à la jeunesse. Qui aurait cru ?
Pourtant, il fait aujourd'hui salle comble avec Dutronc, Johnny, Eddy, Sheila, Long Chris, Moustique, les Cyclones et toute la clique. Papa est formel, c'est le lieu de naissance du Rock and roll en France.
En 63, c’est l’avènement de Sheila avec son deuxième 45 tours L’école est finie. Cette fille de marchands de bonbons , qui a travaillé sur les marchés avec ses parents, devient une chanteuse populaire.
Ses couettes, son chemisier blanc et sa jupe à carreaux sont devenus des modèles pour des adolescentes de plus en plus nombreuses à se coiffer et à se maquiller comme elle.
Certains critiques affirment qu’elle est une "étoile filante qui restera le temps d’un automne". Mais une majorité pense, en revanche, que la France profonde a désormais sa représentante dans l’univers des yé-yé.
Sylvie Vartan lui emboîte le pas. pour la jeune interprète de Tous mes copains, c’est une consécration. Avec En écoutant la pluie, elle se retrouve en tête du Hit-Parade.
L’année commence bien aussi pour Françoise Hardy. Après sa cinquième place au Grand Prix Eurovision, elle sait désormais où elle veut aller même si elle ne l’avoue pas toujours.
Qu’importe Tous les garçons et les filles et J’suis d’accord sont déjà d’immenses succès. De son côté, Frank Alamo a toujours une longueur d’avance grâce à une antenne qu’il a placé sur le toit de la maison familiale pour écouter London W1, une station diffusant les succès anglais. Da doo ron ron et File, file, file sont déjà sur toutes les lèvres.
En 1965, on s’interroge Jonhnny, Sylvie, Dick et Eddie se marient-ils pour la vie ? On y croit pour Johnny, Sylvie et Dick. Un peu moins pour Eddie.
Le jour du mariage de ce dernier, le maire a lancé : "Je suis heureux de vous revoir." Francis Blanche a envoyé un télégramme indiquant : "Je viendrai comme d’habitude." ; avant de se raviser et d’écrire : "Désolé, je ne pourrai pas être parmi vous. mais je serais là la prochaine fois." Il ne pouvait si bien dire.
L’été 65 révèle Christophe et Hervé Vilard. Le souvenir d’un amour d’adolescence pour le premier dont le doux prénom sera dessiné sur le sable mouillé par tous les fans qui se respectent.
Pour Hervé, tout se joue dans le métro, alors qu’il fredonne une chanson d’Aznavour, C’est fini, il aperçoit sur le mur d’un quai une affiche sur laquelle il est écrit : "Partir en vacances à Capri". par association d’idées, il écrit les paroles et la musique de Capri, c’est fini.
En 1966, grâce à ses élucubrations, Antoine vend plus d’un million de 33 tours en quatre mois. Dans ses couplets, il attaque Johnny qu’il verrait bien "dans une cage à Medrano".
L’idole des jeunes a répondu en chansons avec Cheveux longs, idées courtes. Ils ont ensuite participé à l’émission Age tendre et tête de bois où ils sont restés sur leur positions. "Dommage qu’Antoine n’ait pas de talent", a lancé Johnny.
On murmure toutefois qu’ils se seraient croisés dans un club parisien à la suite de l’émission et que Johnny aurait lancé à Antoine : "Ta chanson m’a fait bien rire. Regarde, moi aussi je porte des chemises à fleurs."
A part ça, le "da ba da ba da" de Nicole Croisille est sur toutes les radios.
Mais revenons à Eddy, d'abord chanteur des Chaussettes noires (Daniela, Tu parles trop...) - est-il nécessaire de préciser qu'à ce moment-là c'était la ruée pour acheter des chaussettes noires ? -, entame après le service militaire, qui brisa tant de jeunes talents à l'époque, une carrière en solo.
Il réaffirme en pleine vague twist son attachement au rock (S'il n'en reste qu'un, je serai celui-là) et se lance dans l'écriture de chansons comiques (Pas de boogie-woogie...) ou doux-amers qui réussissent à inscrire profondément une sensibilité très américaine dans le paysage français.
A cette époque, ce sont les reprises qui donnent le ton. Il n'existe en France aucun groupe ni chanteur original de pop, excepté Michel Polnareff, qui parvient à percer dès 1966. Aussi, bientôt les jeunes préfèreront les originaux aux reprises.
Des auteurs-compositeurs-interprètes vont prendre alors toute leur dimension. Brassens, Brel, Béart, Férré, mais aussi Ferrat signent alors des chefs d'oeuvre.
Ma Mamie était présente ce soir de 1964 à l'Olympia pour assister au concert de Brel. Elle m'a dit qu'il n'avait pas confiance dans Amsterdam, terminé la veille et avait décidé de la mettre en début de spectacle. Construite sur un crescendo, elle nécessitait une puissance expressive peu commune. Il n'y avait ni pause, ni refrain. Pourtant, le public, qui ne devait pas être encore chaud, applaudira sans discontinuer pendant dix minutes... Un festival !
Papa lui était à quelques encablures au concert de Sheila. Il a toujours été fan, avec ses couettes, elle le faisait craqué...
Rideau.