"L'amour passion d'Hugo.
"Je m’enferme avec ton souvenir, je vais vivre avec ta pensée.
Je pourrais mon ange passer une nuit entière avec toi ! Comprends-tu cela ? Sens-tu tout ce que contient ce mot ?
Une nuit ! Je te sentirai dormir dans mes bras ! Je veillerai pour la première pour la première fois, heureux et enivré, sur cet adorable mystère de ton sommeil.
Oh ! les anges doivent t’entourer quand tu dors ! Je tremble presque devant de pareils bonheurs, car c’est mieux que le paradis, et dans de semblables instants, le ciel doit être jaloux de la terre !"
A qui s’adresse cette lettre ? Léonie Biard ?
Le lecteur doute comme ma Mamie a douté.
Comment Léonie aurait-elle osé si souvent gravir l’escalier de l’immeuble, sonner, affronter le regard des domestiques, prendre le risque, pour se rendre jusqu’au cabinet de travail où à la chambre de Hugo, de rencontrer l’épouse, sa jeune fille, les fils devenus grands ?
Invraisemblable, en vérité. Mamie oubliait le petit escalier discret qui donnait directement accès au cabinet de Victor. Nous savons que d’autres visiteuses l’ont emprunté, nombreuses.
C’est par là que Léonie courait se jeter dans les bras de l’amant. Mamie est même certaine que parfois, pour le voir, elle était prête à jouer le tout pour le tout.
Adele, elle, ferme les yeux.
Juliette de son côté se proclame jalouse de toutes ces femmes qu’elle devine rôdant autour de Hugo. Elle ne soupçonne pas l’essentiel qui est Léonie, mais va, Mamie est formelle, jusqu’à redouter Hélène d’Orléans.
Jalousie, que d’erreurs on commet en ton nom !
De Léonie, ma Mamie ne sait pas grand chose. Sauf qu’elle est mariée et que son mari va demander la séparation de corps et de biens. Elle sera condamné aux dépens. La garde des deux enfants est dévolue au mari. La mère ne sera autorisée à les voir qu’une heure par semaine.
Pauvre Léonie !
Hugo est alors au plus bas. La mort de Léopoldine avait marqué la plus profonde douleur qui ait étreint son coeur d’homme. Le flagrant délit qui suivit aura signifié l’humiliation la plus cruelle qu’ait pu lui infliger la vie.
Le miracle avec Hugo, c’est que cet homme foudroyé, loin de ployer les épaules, va précisément en ce temps-là commencer son oeuvre en prose la plus considérable. Une telle force de caractère semble si invraisemblable que notre esprit se refuse à le croire.
Les faits sont là. Au plus fort de l’affaire Biard, Sainte-Beuve écrit à Pavie que le mari d’Adèle "travaille enfermé à l’on ne sait quelle oeuvre dont il espère que l’éclat retrouvera l’aube". L’oeuvre n’est autre que les Misérables.
Léonie sortira du couvent et du scandale brisée. Depuis qu’elle a dû se séparer de ses enfants, c’est vers Victor qu’elle appelle au secours : "Que je suis malheureuse de vous aimer comme je vous aime sans aucun espoir d’avenir !
Je n’aurai donc su ce que c’est qu’aimer que pour souffrir et ajouter une douleur de plus aux peines que j’ai eu dans ma vie !" Il eût fallu pour se dérober à de tels cris que Hugo fût doté d’un coeur de pierre, ce qui n’était pas. Il est assuré d’aimer Léonie comme il n’a jamais aimé, comme il n’aimera jamais plus.
Elle lui a "embrasé le coeur" autant qu’elle "incendie sa chair".
Il n’est que de le lire :
"Vois-tu, nous sommes un. Dis-toi cela sans cesse. La flamme que je vois luire dans tes yeux est la même que je sens brûler dans ma poitrine. Je te connais jusqu’au fond comme je me connais : mieux peut-être. Je te pénètre. O ravissante contemplation ! Tu es transparente pour moi.
A travers tes vêtements, je vois ton corps et à travers ton corps, je vois ton âme. Je t’aime parce que tu es une femme, je t’admire parce que tu es un esprit, je t’adore parce que tu es un ange. Oh ! quand tu t’envoleras, emporte-moi !"
Quant à elle, les épreuves ont à la fois exalté et affiné l’amour qu’elle lui porte. Pour redire à Victor qu’elle l’aime, elle trouve comme Juliette de ravissantes formules : "Ton amour aujourd’hui, c’est ma rougeur ; dans l’avenir ce sera ma pourpre."
"Je voudrais mourir pour un de tes sourires, au risque de ressusciter par un de tes baisers"
"Ma pensée a des ailes et va d’un souvenir à l’autre comme un oiseau vole de branche en branche."
Et lui - qui délire :
"Je n’ai qu’un instant. Je t’envoie l’éternité dans une minute, l’infinie dans un mot, tout mon coeur dans : je t’aime."
C’est aussi à Léonie qu’il a écrit la seule de ses lettres où il évoque l’acte physique de l’amour :
"O toi que j’aime, mystérieuse épouse de ma nature et de ma destinée, vois-tu, dans les moments où je pénètre en toi, où nous sommes, moralement et physiquement, tellement mêlés l’un à l’autre que nous ne faisons plus en réalité qu’un seul être, qu’un seul corps, qu’une seule âme, dans ces moments-là, je voudrais mourir, car il me semble que c’est le ciel qui commence..."
Ma Mamie voit naître la naissance d’une certitude.
Au-delà de la jeunesse et de la beauté de Léonis, au-delà de cette passion sans limite, c’est l’admiration. Tout de cette femme lui plaît. Et puis, ce qu’il ne fait plus pour Adèle, ce qu’il n’a jamais fait pour Juliette, il sort Léonie et la montre même à ses amis.
Un amour unique, irremplaçable. Seulement, les heures accordées à Léonie sont arrachées à d’autres et puis, il consacre de plus en plus de temps à sa famille. A ses enfants et à Adèle qui lui est devenue plus proche. Il pense à elle avec une tendresse immense. Le soir, les rencontres avec le roi se multiplient.
Alors il lui arrive de ne rejoindre Léonie que tard dans la soirée, de rester avec elle jusqu’à une heure du matin et au-delà. Va-t-il en toute hâte rentrer chez lui ? Non, il dirige ses pas... chez Juliette !
Cet amant comblé, l’homme qui aime cette femme comme - Mamie en est convaincu - jamais il n’en a aimé aucune autre, va la tromper.
Le lecteur ici n’en croit pas ses yeux : tromper Léonie ? Oui.
Pourquoi ? La facilité ? Il est vrai que, sans pudeur, des actrices s’offrent à lui. Mais faut-il obligatoirement céder à la facilité ? Le goût de découvrir ? C’est ici probablement que réside l’explication.
La quarantaine aiguise les curiosités. L’homme en pleine force voit l’âge mûr à sa porte.
Ce qui le saisit souvent, c’est une précipitation, la hâte d’accumuler sensations et souvenirs : un capital à placer en réserve pour la vieillesse qui va venir. C’est entre quarante et cinquante ans que la sagesse populaire situe le "démon de midi".
Hugo a quarante-cinq ans.
N’oublions pas que Hugo est l’amant de Léonis depuis près de quatre ans. N’oublions pas non plus que son désir se lasse vite. Rien à voir avec l’amour.
"Car il faut que le corps exulte", dit une chanson de Jacques Brel que ma Mamie aime particulièrement.
Le sien exultera avec d’autres.
Aventures faciles et éphémères, parfois un peu vulgaires.
Hugo devenu Valmont ?
Il adresse à une belle courtisane un billet dans l’esprit du boulevard : "A quand le paradis ? Voulez-vous lundi ? Voulez-vous mardi ? Voulez-mercredi ? Craignez-vous le vendredi ? Moi, je ne crains que le retard !"
Ses carnets de ce temps-là sont pleins de mots d’actrices dont on sent qu’il est devenu le familier - et davantage. un quatrain du 22 avril 1847 résume un état d’esprit :
J’ai près d’une belle,
L’air humble et vaincu.
Je lui dis : Maz’zelle
Et je lui prends le cu
Rideau.
Collection Mamie raconte Hugo : Victor et Juliette ; Victor et Adèle se marient ; Victor et Adèle ; Les châtiments de Mamie ; L'éveil du petit Hugo