"Les belles années du music-hall.
Mamie est formelle. Pour elle, la chanson française a commencé avec Yvette, cette chanteuse qui a connu la gloire au Moulin-Rouge et a été immortalisé par Toulouse-Lautrec. "Le fiacre" ou "Madame Arthur" font parti de ses plus grands succès.
Il est amusant de noter qu'à cette époque les rôles sont plutôt clairement répartis entre les sexes : on laisse aux hommes le soin de distraire le public avec gouaille et légèreté, tandis que l'expression du malheur et de la souffrance est réservée aux femmes.
Berthe Sylva est une des premières grandes vedettes de cette tendance réaliste. Découverte par l'accordéoniste Léon Raiter, qui lui offre sa chanson la plus connue, "Les roses blanches", celle qu'on surnomme "la chanteuse larmoyante" devient une véritable star des années 30.
En 1929, elle enregistrera "Le raccommodeur de faïence" qui se vend en deux ans à plus de 200 000 exemplaires, un chiffre astronomique pour l'époque.
Sa carrière est émaillée d'anecdotes légendaires. Ainsi, en 1935, à l'Alcazar de Marseille, elle obtient un tel succès que le public arrache les banquettes de la salle et enfonce la porte de sa loge ! Mais la roue tourne : rattrapée par une vie de malheurs, qu'elle n'a cessée de chanter, Berthe Sylva meurt en 1941, seule, alcoolique et fauchée.
Et que dire de Marie-Louise Damien ? Après avoir connu la misère, puis des débuts difficiles, Damia se fait connaître du grand public en 1929 avec "Les goélands". Surnommée "la Tragédienne de la chanson", vêtue - sur les conseils de Sacha Guitry - d'une longue robe noire qui contraste avec se bras blancs dénudés. elle est à l'aise dans de nombreux styles, du musette comme "La guinguette a fermé ses volets", en passant par Verlaine ("Le ciel par dessus les toits") et ces fameuses chansons réalistes comme "J'ai l'cafard", "Je suis dans la dèche" et la superbe "Sombre dimanche" de 1936. Elle chante jusqu'en 1956, prenant sa retraite après un Olympia où elle accueille en première partie un débutant du nom de Jacques Brel. Elle meurt en 1978 des suites d'une chute dans le métro à 89 ans !
Fréhel, dont le nom est si souvent associé à celui de Damia, a connu une destinée réellement tragique.
Née Marguerite Boul'c en 1891, en Bretagne, elle débute dans les caf' conc' se faisant connaître dès 1910. Belle femme, elle séduit le Tout-Paris, mais sa vie privée est une catastrophe : après la mort de leur enfant, son premier mari la quitte pour... Damia. Elle tombe alors amoureuse de Maurice Chevalier. Mais elle boit, prend de la cocaïne et ce dernier, désapprouvant sa conduite, la quitte pour Mistinguett...
Elle tente de se suicider, part pour l'étranger avant de faire son retour dans le années 20. Vieillie et abîmée par la vie, elle obtient néanmoins de nouveaux succès avec des chansons aujourd'hui légendaires comme "Où sont les amants ?" ou "La Java bleue". En 1951, dans la misère la plus complète, au terme d'une vie totalement rock'n'roll, elle meurt solitaire dans un hôtel de passe de Pigalle. Durant les dernières années de sa vie, seul Maurice Chevalier continuait à l'aider, lui envoyant de l'argent... qu'elle reversait à la SPA !
Mistinguett et Maurice Chevalier représentent quant à eux la grande tradition française du music-hall, Jeanne Bourgeois, dite Miss Tinguette, puis Mistinguett débute en 1895 au Trianon, puis à l'Eldorado. Chanteuse limitée, elle obtient le succès dans un registre fantaisiste en développant une gestuelle très expressive.
Paul Derval, patron des Folies Bergères - lieu de sa consécration à partir de 1911 aux côtés de Maurice Chevalier - lui rendra d'ailleurs à sa mort un vibrant hommage : "Mistinguett n'était ni parfaitement belle, ni très bonne chanteuse, ni très bonne danseuse, mais sa présence en scène, son charme, son abattage étaient prodigieux"...
Meneuse de revues, elle restera une vedette de premier plan jusqu'à la guerre, faisant débuter parmi ses "boy" quelques futurs grands noms comme Jean Gabin ou Georges Guétary.
La carrière de Maurice Chevalier sera encore plus longue et plus riche en succès. Elle commence effectivement en 1900, alors que le gamin de Ménilmontant n'a que 12 ans ! Il débute dans un style comique et grivois alors très en vogue avant de devenir l'archétype du dandy parigot.
Après une période de vaches maigres, il apprend beaucoup aux côtés de Mistinguett avec qui il entretiendra une liaison amoureuse pendant dix ans. Il sera d'ailleurs toujours plus un chanteur de scène que de disques, même s'il accroche la timbale en 1921 avec "Dans la vie faut pas s'en faire" puis avec "Valentine" en 1924.
Il crée alors son personnage définitif, portant canotier, smoking, canne et noeud papillon, et effectuant son célèbre pas de côté déhanché. il l'exporte à Hollywood où il tourne notamment La veuve Joyeuse d'Ernst Lubitsch.
A son retour à Paris en 1935, c'est une immense vedette qui enchaîne les succès populaires : Prosper, Ma pomme, sans oublier Ça fait d'excellents Français. A la libération, il connaît de sérieux ennuis pour avoir chanté pour les Allemands mais, sauvé par Aragon, il reprend vite son rythme de croisière.
Avant ses adieux à la scène, en 1968, il trouve même le moyen de se retrouver dans les hit-parades yéyés avec le fameux "Twist du canotier" où il est accompagné par les Chaussettes Noires, excusez du peu...
La troisième grande figure de ces "années music-hall" est naturellement Joséphine Baker, chanteuse, danseuse et meneuse de revue, grande rivale de Mistinguett. Née à Saint-Louis aux Etats-Unis, elle débarque à Paris en 1925 avec la revue Nègre qui fait scandale en raison du caractère franchement dénudé de ses tenues (un simple pagne de bananes)...
Adoptée par la France, elle se lance dans la chanson en 1927 et obtient son plus grand succès en 1931 avec "J'ai deux amours" composée par Vincent Scotto. Par la suite, elle s'illustre par son courage dans la résistance française, puis se voit progressivement ruinée dans les années 50, la vogue du music-hall étant passée. Sauvée financièrement par son amie la princesse Grace de Monaco, elle meurt à Paris en 1975, à l'issue d'une ultime revue montée à Bobino.
Rideau.