"Une illustration, là, sous vos yeux.
Rommel est le chef militaire le plus populaire de l'armée allemande - l'homme qui a su non seulement conquérir l'estime et l'admiration des Allemands, mais la même admiration et la même estime de ses adversaires.
Le cas personnel du maréchal Rommel est l'un des plus singuliers de la Seconde Guerre mondiale. Alors que le haut personnel allemand, civil et militaire, demeure l'objet d'une réprobation quasi-générale, en revanche, lorsque nous pensons à Erwin Rommel, c'est avec un respect dénué d'hostilité - voire avec une véritable sympathie. Pourquoi ?
L'extraordinaire, en ce qui concerne Rommel, c'est que sa popularité fut édifié avant tout par ses ennemis.
Au départ les Britanniques qui, en Libye, avaient eu affaire aux seuls Italiens, vivaient dans une dangereuse quiétude. L'arrivée des renforts allemands ne les en fit pas sortir. Ils n'attachèrent aucune importance au nom du général allemand qui commandait ces nouvelles troupes.
Soudain, ce fut l'irrésistible attaque, la guerre éclair, selon les méthodes apprises en Pologne et en France. En vérité, un cyclone, un mascaret, contre quoi rien ne résistait. Rapidité, surprise : Rommel manifestait là des dons éclatants.
Les Anglais - c'est bien connu - savent reconnaître les qualités de leurs ennemis, même si celles-ci s'exercent à leurs dépens. D'abord, ils éprouvèrent envers Rommel une crainte bien compréhensible.
Et l'admiration devint une sorte d'affection pour l'homme avec - d'après ma Mamie -, "cette élégance avec laquelle Rommel sut observer, même en Afrique, le code du soldat, son attitude chevaleresque à l'égard des nombreux prisonniers de guerre avec lesquel il eut un contact personnel."
Ainsi Rommel devint-il, pour la VIII ème armée britannique, un héros incontesté.
Quand un chef britannique voulait dire qu'il avait réussi quelque chose dont il pouvait s'enorgueillir, il déclarait qu'il avait "fait un Rommel".
Donc, une situation peu banale, voire unique.
Mais qui était ce Rommel ?
Erwin Rommel est né à Heidenheim, près d'Ulm, le 15 novembre 1891.
Un enfant "très gentil et très docile", dit sa soeur. Si blond que les siens l'appellent "l'ours blanc". Le caractère est facile et aimable. personne ne lui fait peur.
Au lycée, un élève rêveur et paresseux. Aux approches de l'adolescence, il sort de son rêve, il s'intéresse à ses études. Le lycéen un peu mou devient énergique, têtu.
Il se découvre une passion pour l'aviation. Pourtant, ce n'est pas dans cette arme qu'il s'engagera à Dantzig où il va rencontrer une jeune fille dont il tombera amoureux. Elle s'appelle Lucie. Il est trop tôt pour que les deux jeunes gens se marient. Ils attendront.
En 1912, voici Rommel sous-Lieutenant. Et puis c'est la guerre. Il est blessé dès les premiers engagements. Soigné, il repart au combat. Il participe à une dizaine d'opérations. Lieutenant, il reçoit la croix de fer puis la décoration "Pour le Mérite".
Nommé capitaine quelques semaines plus tard, il décide, accompagné seulement par six hommes, de s'emparer de toute une garnison.
Il réussit...
Ce sera sa dernière action d'éclat avant longtemps. La guerre s'achève.
Il s'est marié en 1916. Les traités n'autorisent à l'Allemagne vaincue qu'une armée de cent mille hommes avec seulement quatre mille officiers. mais, pour Rommel, il n'existe pas d'autre avenir que d'être soldat. Encore faut-il triompher d'une sélection rigoureuse.
On juge sur titres.
Or les titres de Rommel sont éclatants. Il pourra rester dans l'armée. Il devient inspecteur puis écrit un livre l'infanterie attaque, excellente théorie de tactique d'infanterie. Le livre aura nombre de lecteurs, dont un certain Adolf Hitler.
En 1928, un fils lui est né, Manfred. Il ne s'occupe pas de politique. Il ne se montre pas très enthousiaste pour les nazis qu'il voit volontiers comme une "bande de voyous". Il estime fâcheux que Hitler ait un si mauvais entourage. Malgré tout, Hitler est à ses yeux, "un idéaliste, un patriote aux idées assez saines qui pourrait unifier l'Allemagne et la sauver du communisme".
Promu major en 1933, Rommel reçoit le commandement du 3 ème bataillon du 17 ème régiment d'infanterie, un bataillon alpin, établi à Goslar.
C'est là, deux ans plus tard, qu'il va rencontrer Hitler pour la première fois.
Il a été décidé que le bataillon de Rommel défilerait devant le Führer. C'est alors qu'on apprend que, devant les soldats, marcheront des S.S, responsables de la sécurité de Hitler. Catégorique, le refus de Rommel. Il fait savoir que si les S.S. défilent, les soldats s'abstiendront.
Tout va finalement rentré dans l'ordre après l'intervention de Himmler et de Goebbels qui mettront ça sur une erreur imputable à un subordonné. Le 3 ème bataillon défilera seul. Après la revue, Rommel est présenté à Hitler, qui lui serre la main et le félicite pour la bonne tenue des troupes.
Pour la première fois viennent de se rencontrer deux hommes dont le destin, plus tard, sera mêlé. Inextricablement.
Le 23 août 1939, il est nommé major général. Il faut bien le dire : il ne se montre nullement indigné par l'agression contre la Pologne. Depuis des années, il souhaite que Dantzig redevienne Allemand.
Pendant la campagne de Pologne, il accompagne Hitler. Ce qui le frappe surtout, c'est la primauté des chars. Résultat : lors de la prochaine campagne, il voudrait commander une division blindée.
C'est exactement ce qui se produit en mai 1940, Rommel franchit la Meuse avec la 7 ème panzerdivision. Il fonce sur Lille. Il participe à l'encerclement des forces franco-anglaises. Ensuite, c'est la percée de la Somme, la ruée sur la Seine, l'offensive à travers la Picardie et la Normandie.
Il prend Cherbourg. Et c'est l'armistice.
La suite ? La Libye. Quand Rommel arrive, Wavell a pris Benghazi. Il semble que rien ne puisse l'arrêter. Le moral italien est à zéro. Tout de suite, Rommel passe à l'offensive. Le corps expéditionnaire allemand fonce, bouscule les Anglais, reprend Benghazi, traverse le désert, s'élance vers Tobrouk.
A partir de là, chacun reste sur ses positions avant de devoir évacuer la Cyrénaïque à la suite de la grande bataille orchestrée par Auchinleck.
Mais en janvier 42, Rommel attaque de nouveau. Il écrase tout sur son passage. La défense britannique s'effondre. Rommel prend Benghazi, il reconquiert toute la Cyrénaïque. Il prend Tobrouk en juin 42, continue à foncer, franchit la frontière égyptienne, s'avance vers Alexandrie, prend Sidi-Barrani.
Une telle campagne a fait justement la gloire de Rommel. Mais il est maintenant devant El-Alamein. C'est là qu'un certain Montgomery a décidé de l'arrêter. D'arrêter celui que Hitler a fait maréchal pour le remercier de ses victoires.
Tous-ces mois-là, Rommel les a passé au milieu d'incroyables fatigues. Il ne s'est plus ce qu'est le repos. Ce qui cède, brusquement, c'est sa santé. Il tombe malade, gravement. Les médecins lui ordonnent d'aller se faire soigner en Europe.
Il suit un traitement pour son foie et sa tension. Mais le 24 octobre, Hitler lui téléphone : on se bat à El-Alamein.
Rommel repart.
Il ne pourra redresser la situation.
Désormais, c'est la retraite. Rommel tente de s'accrocher à tripoli. En vain. Il sent qu'il a perdu la partie. Le mieux est d'accepter l'évacuation de l'Afrique. Il va expliquer à Hitler qui lui réserve une de ses plus célèbres algarades. Au moment où, très froid, Rommel a pris congé, le Führer lui court après, lui présente ses excuses, lui serre les mains :
- Tout ira bien !
Pour la première fois, Rommel révise ses positions sur Hitler. A ses yeux, ce n'est plus un génie, un homme capable, mais un chef inhumain, aux décisions inexécutables.
La suite ? Rommel sera forcé au suicide pour avoir comploté contre Hitler.
La fin ? Au domicile de Mme Rommel, les lettres et les télégrammes s'accumulent. Hitler a , l'un des premiers, envoyé un message. Et puis Goebbels. Et puis Ribbentrop. Tous rappellent les héroïques combats d'Afrique du Nord. Pour les obsèques, Hitler a prescrit un jour de deuil national.
Tous les journaux, tous les postes de radio l'ont annoncé : au défunt, on a réservé les honneurs militaires. Partout on reproduit l'ordre du jour de Hitler affirmant que le nom de Rommel "était devenu, dans le combat que livre actuellement le peuple allemand pour son existence, un symbole de magnifique bravoure et d'audacieuse intrépidité." Un chef d'oeuvre dans le mensonge...
Et puis vient le jour des obsèques nationales, le 18 octobre 1944.
Ni Hitler, ni Goering, ni Himmler n'ont poussé l'audace jusqu'à vouloir y assister. Dans la salle, toutes les "autorités".
Dehors, des milliers de curieux.
L'épreuve publique de Mme Rommel est achevée. Songeons que, depuis la mort de son mari, elle a dû recevoir les condoléances de gens dont elle savait qu'ils étaient les complices de cet assassinat. Songeons qu'elle a assisté tout au long à la cérémonie. Elle est restée de glace.
Pas une parole n'est sortie de ses lèvres. Desmond Young lui a demandé un jour si elle n'avait pas été tentée de faire un scandale et de dénoncer publiquement les meurtriers.
- J'eus peine à résister à cette tentation, lui a-t-elle répondu. Je mourais d'envie de crier qu'ils proféraient tous un mensonge. Mais cela aurait servi à quoi ? Ils se seraient arrangés pour tout étouffer ou alors auraient publiquement déshonoré mon mari. De toute façon, il était mort... Et je devais penser à Manfred. Il aurait été tué. Nobn, mon mari s'était décidé en toute connaissance de cause et je n'avais pas à y revenir après sa mort.
L'un des plus beaux messages que l'on rendit à Rommel, on le doit à l'un de ses ennemis britanniques, le maréchal Auchinleck. Il a dit : "Rommel me fit connaître de bien anxieux moments. Impossible avec lui de relâcher nos efforts pour le vaincre. Maintenant qu'il n'est plus, je dis que je le salue comme soldat et comme homme et que je déplore les honteuses circonstances de sa mort."
Rideau.