"Avec le soleil pour témoin.
"Mon lion, signe de feu, s'éteignait. C'est à la Balance, signe d'air, qu'incombe le soin d'attiser, de souffler, d'insuffler, de puiser l'énergie, de chercher, de trouver, d'attraper, de ramasser la manivelle à broyer du noir, d'empoigner la torche qui renouvelle, ranime la flamme. L'étincelle ?
Sur la fin, je me suis, journellement, débattue avec "Sa mort"...
Ne me laisse pas vivre trop vieux, tu vois bien que je suis à moitié mort !
Je hurlais :
- Très bien ! Il me reste l’autre moitié !
Le distraire, le soustraire, être l’écran entre elle et lui.
Savait-il, sentait-il, comprenait-il assez que gai, drôle, triste, las, je le voulais ? (je l’avais... je l’aimais...)
Le savait-il ?
"Je reste pour toi", disait-il... Il savait.
Théodore voyait-il ces branches de pommiers, ployées sous le poids des fruits ?
"Je ferai de la gelée de pommes... il aime."
Vint l’heure de l’écoute d’une émission radiophonique qu’il avait enregistrée avec Mitterrand. Avant que ne s’engage le dialogue attendu entre ces deux hommes hors du commun, un présentateur lut une page éblouissante, écrite par un auteur inconnu de moi.
- Mais de qui est ce texte ? Je débordais d’enthousiasme. Tu connais l’auteur ? Je veux que tu me le présentes ! Je veux le voir, le rencontrer, le connaître !
Si les yeux, les jambes de Théodore le trahissaient, ses bras étaient fermes et forts. Ils me serraient autant qu’il était heureux.
Quelle chance ! Quelle joie ! peut-être les dernières que j’ai pu lui donner, par ignorance, pour n’avoir pas son livre A Venir !...
Dès qu’il eut desserré son étreinte, j’eus froid. L’intensité de son regard me figea. Etait-ce moi qu’il regardait ? Les mots qu’il prononça résonnaient comme un glas. Qu’est-ce qu’il dit ?
- Je veux que tu me promettes de rechanter... je veux que tu me promettes de reprendre le Petit Conservatoire de la chanson...
Vite... vite... il faut qu’il sache que je le ferai...
Un jour, un zona ophtalmique me tomba dessus. Le docteur n’y alla pas par quatre chemins : «Faites-vous conduire à l'hôpital, tout de suite !
Théodore, n’écoutant que son courage, attrapa instantanément un sérieux tour de reins et commanda aussitôt, à l’Hôpital américain, une chambre à deux lits !
Ce 2 août 1976, on saluait les 84 ans de Théodore. Il eut droit, de ma part, à une belle scène de jalousie.
Sincèrement furieuse, exaspérée par une souris qui le pourchassait de bonnes intentions ! Je sortis de mes gonds
- Tu en trouveras une nana comme moi, qui fait encore des scènes de jalousie à son Jules de 84 ans !
Gênés, les élèves invités à la fête baissaient la tête. Théodore riait ! assez fier, quand même.
C’était mon but...
Le graveur m’avait demandé de choisir l’emplacement des caractères du nom de mon mari sur la pierre tombale. Son travail fini, satisfait, il me le montra. Je lus, désemparée :
Emmanuel Berl
1892-1976
Près, tout près, il y avait une présence :
- Vous hésitez ? Vous en avez envie... Vous voulez faire graver "Théodore"... Faites-le, dit simplement Bernard Morlino, ce jeune inconditionnel de Théodore.
Comment s’est-il trouvé là, à ce moment, c’est un miracle. Merci, Morlino, sans vous, je n’aurais jamais osé...
Théodore m’avait si souvent dit :
- Qu’est-ce que je ferais sans toi ?
Qu’est-ce que je fais sans lui ?
Paris, 30 septembre 1981
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