"Staline.
Le samedi 1er décembre 1934, vers 16 heures, un homme d'une trentaine d'années court plutôt qu'il ne marche dans les rues de Leningrad. Les passants sont rares. La neige vole. Il fait froid, très froid : moins vingt degrés.
Par souci d'économie, les réverbères allumés sont rares : on manque de tout à Leningrad, à commencer par le pain. L'homme pressé franchit la porte principale de l'institut Smolny. Au planton de service qui l'arrête, il tend son laisser-passer.
Le planton constate que que le porteur est en règle, qu'il se nomme Leonid Nikolaïev et qu'il est âgé de trente-deux ans.
L'homme s'est engouffré dans les couloirs lugubres. Il passe devant les postes de garde curieusement inoccupés. Personne non plus dans l'escalier dans lequel il s'engage. Le voici au troisième étage.
Derrière une colonne, il se fige.
Il attend.
Assis à son bureau, Kirov écrit. Il a quarante-huit ans et ne les paraît pas. Un bel homme, dit-on de lui.
Il achève de rédiger un rapport. Il se lève, range ses papiers, sort de son cabinet de travail et s'engouffre dans un grand couloir. Il n'a parcouru que quelques mètres quand tout à coup un homme surgit de l'ombre et tire sur lui.
Kirov gît sur le ventre. Sur les carreaux blancs et noirs, s'élargit une mare de sang. L'assassin est resté debout, il a laissé choir son arme. Il regarde le cadavre. Car il s'agit déjà d'un cadavre : la balle en traversant le dos de Kirov, a transpercé le coeur. Il est mort dans l'instant.
Le "crime du siècle", comme on l'a appelé, vient d'être perpétré.
Pourquoi Kirov ?
Le sort de Kirov se serait décidé dans le courant de l'été 1934. C'est à Zaporojets, chef adjoint du NKVD, qu'il a confié cette charge. Dès sa première rencontre avec Nikolaïev, Zaporojets est sûr d'avoir découvert l'oiseau rare.
Il s'agit d'un psychopate prêt à s'attribuer le rôle d'un justicier. Une aubaine ! Vous connaissez la suite.
Venger Kirov : tel est le leitmotiv qui, sur l'ordre de Staline, sera désormais répandu partout en URSS.
Pour se débarasser de ceux qu'il redoute ou plus simplement qu'il hait, la voie est libre devant lui. Largement.
La grande terreur stalinienne va commencer.
Au cours des quatre années qui vont suivre, les chefs politiques les plus prestigieux de la Révolution bolchévique seront accusés les uns après les autres d'avoir été les investigateurs du meurtre de Kirov. Ils seront exécutés.
On cherchera partout les complices de ces prétendus criminels et on les trouvera : par milliers d'abord, centaines de milliers ensuite, millions enfin.
L'esprit humain a peine à imaginer que tant d'innocents aient pu payer de leur vie un crime auquel aucun lien ne les rattachait.
Pour s'en faire une idée claire, ma Mamie aimerait que le lecteur se transporte à Moscou en janvier 1934 pour le XVII ème congrès du parti où les nouveaux élus se réunissent pour la première fois.
La plupart de ceux qui viennent y prendre place se connaissent : embrassades, congratulations. Voilà pourtant un "nouveau" que la plupart découvrent : le jeune Nikita Khrouchtchev qui fait ses débuts dans la grande politique.
Comment Nikita ne dévisagerait-il pas avidement ses voisins dont un grand nombre sont à ses yeux des vedettes qu'il admire et sans doute envie ?
Qui voit-il ? Sergueïev Kirov, si puissant et si populaire : il sera assassiné avant la fin de l'année. Autour de la table, voivi Ordjonikizé : il se suicidera en 1935. Voici Roukzoutak : exécuté en 1938. Kissior : exécuté en 1938. Tchoubar : fusillé en 1938. Eikhé : fusillé en 1940. De 1928 à 1936, plus de quatre millions de Soviétiques mourront dans les camps et les prisons.
Un million seront exécutés par fusillade ou balle dans la nuque. Ce sera encore pire ensuite.
Bien plus tard, n'ayant plus que peu de temps à vivre, Staline se laissera aller à une de ses rares confidences :
- Voyez-vous, nous vivons à une époque de démence...
Comme Mamie a dit : Il n'aurait su mieux dire.
Collection "Mamie explore le temps"
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