"Une photo, là, sous vos yeux.
Un portrait de la petite Borgia réalisé au Vatican.
Le Vatican.
Ce Vatican où vit le cardinal César Borgia, bâtard de Sa Sainteté, frère de Lucrèce et qui sème, lui aussi des bâtards à tout vents ; ce Vatican où ont lieu des banquets de prince de l'Église au cours desquels se sont donnés des divertissements que des maisons closes n’oseraient représenter ; ce Vatican des Borgia qui nous horrifie scandalisait infiniment moins les chrétiens du XVème siècle...
L'Église avait les reins solides et en avait vu bien d’autres !
Là, Lucrèce se lave les cheveux. Elle s’admire dans un miroir. A quoi lui sert sa beauté ? Son mari, Jean Sforza n’est pas pour elle un époux. Selon certains, il ne l’aurait pas encore rendue femme. Il est méprisé par son beau-père et par son beau frère. Ce petit con ne peut servir la politique des Borgia ! Il faut rompre ce mariage inutile afin que Lucrèce puisse se remarier ! Mais Sforza refuse de s’effacer. Que faire ?
On décide de lui faire peur. César annonce tranquillement à Lucrèce que l’ordre a été donné d’assassiner son mari. Cette nouvelle ne fit pas peur à Jean Sforza : elle l’affola.
Au lieu d'accepter le divorce, il sauta à cheval et galopa jusqu’à son château où son cheval tomba mort en arrivant.
L’histoire des Borgia va alors sombrer en plein mystère. Jugez plutôt :
Lucrèce s’enferme dans un couvent; dans la foulée, Juan, frère de César et de Lucrèce est assassinée ; l’annulation du mariage de Lucrèce avec Sforza est ensuite prononcée pour cause de «non consommation» et Lucrèce est déclarée vierge - ce qui fait rire les Romains ; le 14 février 1498 (jour de la Saint-Valentin), on découvre dans le Tibre le corps d’un certain Perotto, amant - dit-on - de Lucrèce ; enfin, au mois de mars, Lucrèce met au monde un petit garçon, dit Jean de Borgia, que l’on appellera l’infans romanus.
Avec ces différents éléments, les historiens, selon leur humeur, les romanciers et cinéastes, selon le goût du public, ont échafaudé toutes les combinaisons possibles, basées sur la jalousie de césar Borgia, amant de sa soeur, affirme-t-on sans preuve, une jalousie qui devait le conduire au crime.
On a fait de l’infans romanus à la fois de fils de César, le fils du pape Alexandre (qui serait alors le père de son petit-fils...), le fils de Perroto ou celui du duc de Gandie, assassiné quelques jours avant la conception. Un seul fait est certain, il n’était pas le fils de l’ex-mari Sforza.
Quoi qu’il soit, c’était le bordel chez les Borgia.
Cependant, un peu d’air frais va passer sur le Vatican et dissiper - momentanément - ces miasmes qui donnent la nausée. Le pape offre sa fille Lucrèce en mariage à Alphonse d’Aragon, bâtard du défunt roi Alphonse de Naples. Le bâtard de Naples est, en effet, le jeune frère de Sancia, épouse de Geoffroy Borgia, frère de Lucrèce et de César.
Les fiançailles ont lieu le 20 juin 1498.
Détail pour le moins étrange, le fiancé est représenté par le cardinal Sforza, tonton du premier mari de Lucrèce.
Le mois suivant, don Alphonse arrive à Rome et est ébloui par la beauté de Lucrèce. Qu’elle semble douce, belle et pure ! Quel calme, quelle pudeur à côté de sa terrible grande soeur qui plante son regard de braise dans les yeux de tous les hommes !
Dès la première rencontre, c’est - de part et d’autre - le coup de foudre. Ils sont si heureux qu’ils n’aperçoivent pas le regard aigu de César. A nouveau le cardinal César sent la jalousie lui griffer le coeur...
Puis commencent pour Lucrèce ses deux années de bonheur. Elle essaye de rendre heureux son mari - et elle y parvient.
Mais, soudain, Alphonse de Bisceglia s’enfuit de Rome, tel autrefois Sforza. Lui a-t-on fait croire que sa vie était menacée ? Peut-être.
Lucrèce, elle, sanglote. Le départ de son mari lui a fait une peine immense. Sa situation est affreuse. Elle est enceinte, son mari la supplie de venir le rejoindre et le pape lui défend de quitter la ville éternelle.
La suite ? une tentative d’assassinat sur Alphonse alors qu’il s’était raccommodé avec Lucrèce. Par qui ? On l’ignore. On sait juste que personne n’est dupe et tout le monde à Rome est persuadé que César est dans le coup.
Le blessé commence alors à se rétablir. César vient lui rendre visite sans cacher sa mauvaise humeur en constatant que son beau-frère va entrer en convalescence... et l’ambassadeur de Venise l’entend murmurer en quittant la pièce :
- Ce qui n’est pas fait au dîner peut se faire au souper.
Est-il exact que le 19 août le mari de Lucrèce, voyant de ses fenêtres César se promener dans les jardins, aurait tiré sur lui un coup d’arbalète ? Le fait a été sérieusement contesté. Tragédie - hélas ! - plus certaine, le soir de ce même 19 août, César Borgia retourne voir Alphonse. Lucrèce et Sancia poussent des cris. César hausse les épaules et les chasse. César appelle alors son fidèle Miguel Corella qui passe une cordelette autour du cou d’Alphonse et l’étrangle.
C’est un cadavre que, quelques instants plus tard, la belle Lucrèce serra dans ses bras avant de s’évanouir.
Le pape Alexandre fait tout pour étouffer l’affaire mais personne ne se fit d’illusion. Tous désignèrent César.
Lucrèce sanglotait dans son palais où chaque meuble, chaque pièce lui rappelaient le souvenir de son amour, "quoi qu’elle fût fort accoutumée à changer de mari selon le caprice où l’intérêt des siens", ainsi que le dit un chroniqueur.
La fin ? C’est loin de César que Lucrèce ira demeurer et elle gardera pour elle son troisième mari : Alphonse d’Este. Elle régnera un jour - en 1505 - sur la cour d’Este. Le pape Alexandre était alors mort depuis un an et demi et César, banni et ruiné par le nouveau souverain pontife, s’était réfugié à la "Courette" de Navarre où il mourut, en 1507, modeste condottiere au service d’un roitelet.
Lucrèce aimera sans doute encore, mais don Alphonse, règnera sur son coeur jusqu’à ce matin du mois de juin 1519 où Lucrèce, aveugle et à demi paralysée, rendit son âme à Dieu.
Rideau.