"Le phénomène vient d'être couronné par Time Magazine.
Sur cinq colonnes à la une, on lit : "FaceBlog a donné naissance aux rétrosexuels."
Des fétichistes excités par des rétroviseurs ? Pas du tout. Des vieux de la veille qui déballent leurs fantasmes ? Non plus. Les rétrosexuels sont des néo-romantiques technos, des internautes qui badinent sur les réseaux sociaux.
Leur devise : retour vers le futur. Ils utilisent le web pour retrouver leurs anciens amours.
Certains, comme Jérôme Moulinot, se voient recommencer leur vie avec une ex ; d'autres espèrent enfin conclure ; d'autres encore cherchent à avoir des nouvelles d'une personne aimée autrefois.
Bref, le rétrosexuel veut reprendre "contact" - et plus si affinités -, avec une relation du passé, platonique ou chaude-bouillante.
Avec Internet, c'est devenu plus facile. Lara Delmas a retrouvé Gérard Pelletier. Ah Gérard ! Un grand blagueur, un sacré danseur. "Je me suis mise à imaginer ce qu'il était devenu. J'y pensais de temps en temps, furtivement. Après des déboires sentimentaux, j'ai imaginé ce que serait ma vie avec lui. Je l'ai recontacté sur FaceBlog."
Depuis l'explosion des réseaux sociaux, on retrouve d'anciens béguins. Pas les plus récents. Ceux-là font trop souffrir, ou alors on n'est trop content de s'en être débarrassés.
Non, il s'agit d'amours dormantes. "Ça n'a rien à voir avec les sites de rencontre, dit Eric Delmas, quinca. J'ai plusieurs ex-petites amies dans mes contacts. Je ne cherche pas forcément à les revoir mais à conserver un lien. C'est ma façon de matérialiser la place qu'elles ont dans mon coeur et ma tête."
Les rétrosexuels sont souvent célibataires ou affectivement disponibles. La plupart ont plus de 30 ans, vu qu'avant on ouvre rarement le livre des souvenirs.
Pas d'âge limite. Jeunes et anciens, tous ont la tentation de glisser dans de "vieux" chaussons.
Sur des forums, on échange des anecdotes. Il y a celui qui se vante d'avoir recouché avec trois de ses ex-petites amis. Parce que dit-il, il est plus performant au lit aujourd'hui. Ricardo Letellier pour ne pas le citer.
Ceux qui colportent l'histoire de Solange Benitez la star des rétros. Cette Hollandaise a couché avec son flirt de colo, vingt-deux ans après lui avoir roulé une pelle. Une brève rencontre qui les a marqué à jamais.
Et puis, il y a la foule des curieux, les Secoïa, les Ferreira, les Toursalino. Ceux qui veulent surtout savoir à quoi ressemblait la grande blonde ou la petite brune qui les faisait craquer autrefois. "J'avais connu une Brésilienne lors d'un voyage linguistique en Angleterre, raconte Toursalino. J'avais vingt ans, on est sorti un mois ensemble. Elle était très, très bonne. Je l'ai cherché pour montrer à des amis ses fesses. Quand j'ai vu sa photo - récente -, le mythe s'est effondré."
On veut aussi savoir si elle est mariée, a des enfants, une grande maison, une auto ou un bateau. A-t-elle réussi ? Est-elle dépressive ? Et surtout, surtout : est-ce que je lui manque ?
Car les vrais rétro cherchent à renouer. "Dans l'inconscient collectif, explique Sophie Dewilder, psychologue, les sentiments les plus vrais sont liés aux premières rencontres. C'est le mythe de l'amour unique, absolu, si souvent associé au premier véritable amour. L'objectif est de retrouver cette sensation-là."
L'ex est en vogue, c'est un fait. Après le goût des autres, on a le goût des ex.
Dans la vie, les rétrosexuels prennent leur destin en main : ils partent à la reconquête. Eux aussi ont des regrets. Et si ce flirt de lycée, cet ancien petit ami, cette ex-épouse était en fait le seul grand amour ? Et si on avait raté sa chance à l'époque en n'osant pas faire le pas ? Si seulement elle découvrait nos biceps (on était gringalet). Si elle m'entendait déclamer (on est devenu poète). Et quelle erreur de s'être enfui en hurlant : "Je te quittes parce que je t'aime trop !!! !"
N'ayons pas peur des mots et appelons un chat un chat, le rétrosexuel a changé, il est comme avant. Mais en mieux.
"Le problème, c'est qu'on est plus vieux, se désole Jean-Daniel Lescargoura, quadra, VRP dans le sud. Je voulais revoir Laurence, rencontrée à un bal des pompiers. Je l'ai contacté sur FaceBlog. Ça me stressait. Physiquement, elle n'a pas bougé. Moi, j'ai pris 20 kilos."
A l'arrivée, un râteau.
"Pas à cause de mon physique. Recommencer c'est compliqué. Ça veut dire prendre la personne avec tout ce qui s'est passé dans sa vie depuis. J'ai une fille en bas âge, elle ne veut pas d'enfants. Elle aime la ville, je me suis installé à la campagne. On s'est retrouvé n'ayant plus les mêmes envies. On a bu un verre, un Jack Daniel. A la fin, elle m'a dit : à bientôt. On ne s'est plus revus."
Même quand une histoire redémarre, le retour de flamme n'est pas garanti.
"Pas un amant, plus qu'un ami. Il a marqué ma vie."
Osons, posons la question qui fâche : rétrosexualité, vice ou vertus ? Là, las, les savants de l'amour sont divisés.
Pour le psychanalyste Robert Fuenza-Lorca, "le rétrosexuel est régressif. Le refus de tourner la page. On se relie sur ce que l'on connaît. Un parfait reflet du symptôme de la peur de l'inconnu. La démarche peut être ludique mais elle traduit surtout la régression et la fixation."
Caroline Bertignac en revanche n'y voit aucun refus d'évoluer. "C'est une manière d'avancer en y intégrant son vécu. Si on croit dans l'amour, on peut espérer une seconde chance. Je trouve plus inquiétant les gens qui effacent le passé."
Hélène, retraitée, a de la mémoire. Et une passion pour Truffaut. En 1991, le réalisateur narrait les retrouvailles passionnées dans "La femme d'à côté".
Elle, elle a son "homme d'à côté". Sur internet. On l'écoute religieusement :
"Pas un amant, plus qu'un ami. Il a marqué ma vie. Avec mon conjoint, on a des hauts et des bas. Qui peut dire : je suis totalement épanoui ? Je ne lui ai pas dit qu'un de mes ex est dans mes contacts. C'est un jardin secret. Peut-être une porte ouverte. Ce que je cherche ? Je ne sais pas. Sentir sa présence me suffit."