"Une "Une", là, sous vos yeux qui n'a rien à voir avec le Général.
A 10 h 15, le 28 novembre 1947 un avion décolle de l'aérodrome d'Oran La Senia.
A son bord se trouve le général Leclerc, probablement le Français le plus populaire de son temps.
La météo est mauvaise pourtant l'avion de Leclerc fonce en direct de Colomb-Bechar. Tout droit vers la tempête de sable annoncée. L'appareil n'arrivera jamais à Colomb-Bechar. Il va s'écraser. Le choc - effroyable - est immédiatement suivi d'une immense gerbe de flamme.
Le général Leclerc n'est plus.
Cependant que des millions de Français pleurent un héros et lisent accablés les détails de la catastrophe, une singulière information commence à courir sur les ondes et les salles de rédaction.
On a cherché et trouvé les corps déchiquetés des passagers. Celui de Leclerc a été identifié grâce à son portefeuille, à la chevalière qu'il portait à l'annulaire gauche et aussi grâce à un morceau de sa célèbre canne.
On a dénombré sur le lieu de la catastrophe treize cadavres. Or de l'aérodrome d'Oran, douze hommes seulement se sont envolés.
Ma Mamie en possède la preuve absolue.
Que peut signifier ce treizième cadavre ? Un homme se serait-il caché à bord de l'appareil dans le but, en sacrifiant sa propre vie, de s'en prendre à celle d'un personnage trop dangereusement populaire ? S'agit-il réellement d'un accident ? Ou d'un attentat ? La question était posée.
Les grands destins du passé ne manquent pas de susciter en nous de l'admiration, de l'incrédulité, voire de la nostalgie. Ils nous arrivent de soupirer et de penser que de telles épopées ne sont plus de saison. Effaçons les regrets, oublions le pessimisme et découvrons la vie de Philippe de Hauteclocque, le fameux général Leclerc.
Jeune, il choisit de préparer Saint-Cyr. A la veille d'y entrer, Philippe est un garçon de taille moyenne - 1,72 mètre - mince, très droit, avec un visage à la fois énergique et fin : des yeux bleus au regard vif avec de soudaines lueurs de tendresse, le tout sous des cheveux coupés en brosse.
En ce temps, il écrit à sa mère :
- Rassurez-vous, je mettrai toujours ma conduite en accord avec mes principes." Un programme auquel il n'admettra jamais d'entorse. Le doute ? Il ne connaît pas.
L'idée seule d'une controverse lui paraît inconvenante.
Il sort de Saint-Cyr cinquième sur trois cents quarante et premier de l'escadron. Il sera affecté au 1er cuirassier en occupation à Trèves. Il n'y part pas seul. Le 11 août 1925, il s'est marié avec une jolie brune, mince et fine, Marie-Thérèse de Gargan.
En septembre 1939, le capitaine de Hauteclocque - trente-sept ans et six enfants - se retrouve dans les Ardennes. Un jour, à la tête de ses hommes, il s'enfonce de quatre kilomètres en zone allemande.
Un des rares succès de cette "drôle de guerre".
Le 10 mai 1940, c'est la foudroyante attaque de la Wehrmacht. Les bombardements en piqué des Stuka et la force de feu des divisions blindés allemandes font mouches.
Terrible découverte : la France a une guerre de retard.
Hauteclocque croise le commandant Blanc qui ose dire à voix haute ce qu'il pense tout bas.
- Mon pauvre Hauteclocque, la guerre est perdue d'avance. Il n'y a rien à faire, nous sommes trop surclassés.
Le 29 mai, Hauteclocque sera fait prisonnier. Il fait le point. Il est chef d'état-major et il n'y a plus d'état-major. Il est chef du 3ème bureau de la division et il n'y a plus de 3ème bureau. Pourquoi se laisserait-il prendre ?
Une solution, une seule : s'échapper de la nasse. A ce moment précis commence l'épopée de Leclerc.
Il se mêle au flot des réfugiés, vole une boule de pain dans un camion et, dans un autre, un vélo. Il roule pendant vingt kilomètres lorsque, tout à coup, il se trouve nez à nez avec une colonne de camions allemands. Il jette sa bicyclette et, à toutes jambes s'enfuit vers un champ de seigle avant de s'étendre de tout son long et d'entendre siffler les balles.
Un orage éclate qui le trempe jusqu'aux os. Il ne repart qu'à la nuit pour se cacher dès que paraît le jour. Il frappe à des portes qui se ferment. Un seul geste de solidarité lui vient d'un adolescent qui lui donne sa bicyclette.
Il pédale encore toute la nuit avant de devoir abandonner sa bicyclette. Qu'importe, un gamin lui en procure une autre. La troisième ! Plus tard, il balance entre la colère et le désespoir quand il apprend que l'armistice a été signé.
La France s'est inclinée devant Hitler.
Il rentre dans Paris où il entend parler d'un général de Gaulle qui, de Londres, appelle les Français à le rejoindre pour continuer la lutte.
Philippe de Hauteclocque n'hésite pas : c'est là que se trouve la solution. Il n'en est pas d'autre.
Au fait, n'est-ce pas ce qu'il tente lui-même depuis qu'il a quitté Lille ? Tout comme de Gaulle, il a refusé de se soumettre. Comme lui, il estime que tant qu'il existera une possibilité de se battre contre les Allemands, il faudra la saisir. Alors, partir. Ne pas perdre un jour. Le 27, pour la première fois, il entend à la radio la voix du général de Gaulle alors qu'il part pour l'Espagne.
Non seulement, il se sent confirmé dans sa résolution, mais plus encore : galvanisé.
L'Espagne puis le Portugal puis enfin l'Angleterre où deux hommes se retrouvent face à face, dignes l'un de l'autre : le plus petit, c'est Philippe de Hauteclocque ; le plus grand - à vrai dire interminable - c'est Charles de Gaulle.
Est-ce que cette poignée d'obstinés peut vaincre la formidable armée Allemande ?
Qu'importe à Hauteclocque, il faut un commencement à tout. Mais il doit impérativement changer de nom. On lui demande de s'adresser aux Français sur les ondes de la BBC. Si on le présente sous son véritable patronyme, sa famille restée en France risque d'en pâtir. Tranquillement, il annonce qu'il s'appellera désormais Leclerc : nom fort courant en Picardie.
La légende est en marche.
En Afrique, Leclerc organise sa division avec un art qui ne peut que susciter l'admiration de tous, peu à peu se crée autour de lui cette extraordinaire cohésion qui marquera la légendaire 2ème DB.
Le 6 juin 44, c'est le débarquement. Chez Leclerc on passe la journée à l'écoute de la radio. Quels soupirs de soulagement, quels cris de bonheur, quand il se révèle que les alliés ont pris pied - solidement - sur le sol normand ! Chaque jour la 2ème DB s'attend à être appelée. Elle ne part pas. L'heure de la division viendra bientôt.
Le 1er août, à 11 heures du matin, Philippe de Hauteclocque, général Leclerc, saute sur la plage de Utah Beach. Il se fige, frappe le sable de sa canne. On l'entend murmurer :
- Drôle d'impression...
Puis, plus fort :
- Ca fait bougrement plaisir.
Il est heureux, pleinement. Et rassuré : la participation de sa division ne sera pas seulement symbolique. Elle arrive en plein combat. La bataille fait rage. Leclerc s'y jette lui-même en jeep.
Ce n'est qu'après avoir essuyé les rafales d'une mitraillette allemande qu'il accepte de monter dans un scout-car qui a le mérite d'être blindé.
Un peu plus tard, il conduira les opérations dans son char personnel, dont il a fait enlever le canon pour mieux y voir.
Partout, la 2ème DB tient les Allemands en échec. Elle a taillé en pièces trois divisions de panzers. L'obsession de Leclerc, désormais, c'est Paris.
Mais le 19 août, Leclerc apprend - stupéfait - que les Américains ont décidé de ne pas entrer dans Paris. Ils veulent consacrer toutes leurs forces à la poursuite et à l'écrasement des Allemands.
Le lendemain, parvient l'extraordinaire nouvelle de l'insurrection des Parisiens. Leclerc ne serait pas lui-même s'il ne se décidait instantanément. Il donne l'ordre de partir pour Paris. Eisenhower se décide alors : l'armée alliée va donner la main aux insurgés parisiens.
La suite vous la connaissez. Le défilé de l'Arc de Triomphe à Notre-Dame : de Gaulle, Leclerc, Koenig, Bidault - président du conseil National de la Résistance - et tant d'autres qui, ayant été à la peine, sont enfin à l'honneur.
C'est le déferlement de bonheur de deux millions de Parisiens.
Ce n'est pas fini, après la délivrance de Bacarrat - l'une des actions dont Leclerc sera le plus fier -, ce sera la percée des Vosges. La division souffre beaucoup, mais prouve une nouvelle fois sa valeur.
Enfin, Strasbourg. Leclerc écrit : "Voilà le couronnement ! Maintenant nous pouvons disparaître. La tâche est remplie... Je suis éreinté mais heureux."
Le serment de Koufra a été tenu.
Le 5 mai 1945, les chars français entrent dans cette ville qui fut le haut lieu du nazisme : Berchtesgaden. La résidence de Hitler brûle encore. Quel symbole !
La carrière de Leclerc pourrait s'achever ici mais on a encore besoin de lui. Le Vietnamien Hô Chi Minh a déclenché une insurrection générale. Pour faire face et tenter de garder ce fleuron de ce qu'on appelait naguère notre empire, de Gaulle n'hésite pas : il fait appel à Leclerc.
L'été de 46, ce sont les premières vacances de Leclerc depuis 1938 ! Il retrouve Tailly, sa femme, ses enfants, ses bois, ses fermes. Est-il désabusé le général Leclerc ? Pendant toutes les années de lutte, il s'était forgé une autre image de la France victorieuse, sa France.
Le départ du général de Gaulle, sa retraite à Colombey-les-Deux-Eglises, l'ont confirmé dans son amertume. La IV ème république qui vient de naître ne lui dit rien qui vaille. Sa réprobation est bientôt connue.
Dans l'opinion, Leclerc apparaît comme un "recours". Mais il est un soldat, il veut le rester. Il accepte avec joie la proposition de Juin de lui confier l'inspection d'Afrique du nord.
Cette Afrique évoque pour lui tant d'heures essentielles de sa vie ! Il y a triomphé de tant d'obstacles, traversé tant d'espoirs, connu tant de joie !
Le 27 novembre, il est à bord de son avion Mitchell qu'il a baptisé "Tailly" comme il l'avait fait, à la 2ème DB, de son char de commandement. L'avion décolle. On connaît la suite.
Après cinquante ans, le problème reste posé : accident ou attentat ? Ma Mamie n'en démord pas, on l'écoute :
- Le temps était tout bonnement effroyable. Aucun autre avion n'a décollé ce matin-là. Le pilote du Mitchell, lui, n'a pas pu rester à terre : personne n'osait dire non à Leclerc".
Le 13ème cadavre ? Ma Mamie m'a dit que c'était des conneries.
Leclerc était sans peur et quasi sans reproche. Toujours il s'est interdit de se courber devant les hommes comme de se plier aux évènements. Il avait dit : "Tout ce que j'ai réussi je l'ai fait parce que j'ai désobéi".
Ce jour-là, Leclerc dont le parlement allait faire un maréchal de France n'a pas voulu davantage obéir aux éléments. Fidèle à lui-même, il a ajouté une touche ultime à sa légende.
Collection "Mamie explore le temps"
Lee Harvey Oswald - Stavisky - Sarajevo ou la fatalité - Jeanne d'Arc - Seul pour tuer Hitler - Leclerc - Sacco et Vanzetti - La nuit des longs couteaux - Jaurès - Landru - Adolf Eichmann - Nobile - Mr et Mme Blériot - Les Rosenberg - Mamie embarque sur le Potemkine - L'horreur à Courrières - Lindbergh - Mamie au pays des Soviets - Jean Moulin face à son destin - Mamie est dos au mur - L'assassinat du chancelier Dolfuss - L'honneur de Mme Caillaux - Mamie au pays des pieds noirs - La Gestapo française - Auschwitz - Le discours d'un Général - Mamie à Cuba - Le discours d'un Maréchal - Mamie et les poilus - Guernica - Mamie lit le journal Paris-Soir - Mamie et le docteur Petiot - Guynemer