"Comme dessert, je t'paye le caf’ concert"
Le caf conc' prend le relais du cabaret.
Ici on ne fait pas dans la dentelle, on sort la grosse artillerie pour satisfaire un plus large public : défilent le comique croupier, le chanteur de charme, les voix lyriques, les gigolettes ou pierreuses, ces jeunes filles délurées aux refrains coquins... sans oublier les diseuses et les gommeuses, un comique paysan, un chanteur régional, des danseuses peu vêtues et les goualeuses comme on nomme ces interprètes sombres faisant leur beurre des malheurs de quelque cousette ou fleur de macadam.
Ici, pas question de payer un billet, on est seulement prié de renouveler ses consommations entre les numéros. Le plus souvent, on prend le spectacle en cours tandis que les artistes se relaient dès la fin de l’après-midi et jusque tard dans la soirée.
On boit, rit et parle fort...
Le sam’di soir, après l’turbin
L’ouvrier parisien
Dit à sa femme :
"Comme dessert, je’te paie le café-concert..."...
... chante Mayol dans Viens Poupoule. Un titre qui bat tous les records de petits formats, ces partitions bon marché des rengaines à la mode.
Après des débuts difficiles à Marseille et Toulon, sa ville natale, le très cocasse Félix Mayol a enfin rendez-vous avec le succès. Ses refrains, A la cabane Bambou, La Matchiche où encore Elle voudrait des petits gâteaux se répandent dans toute la France et sa renommée est telle que même Charlie Chaplin se presse pour venir l’écouter.
Autre tête d'affiche du café-concert, le grand Polin.
On ne saurait trop le dire
Ce comique est très malin
On ne peut pas ne pas rire
Quand toi-même ris, Polin dit un célèbre quatrin.
Il deviendra vedette à ma Scala où il tiendra l’affiche pendant vingt ans.
Entre la boiteuse du régiment, La balance automatique et la caissière du grand café, naît la petite tonkinoise, une chanson qui rencontrera un succès encore plus immense portée par la gouaille de Josephine Baker.
Au départ, elle s’appelait pourtant El Navigatore... C’est un certain Vincent Scotto, compositeur débutant, qui la lui a proposée lors de l’un de ses passages à l’Alcazar de Marseille. Vincent Scotto aux quatre milles chansons dont Brassens dira : "Je leur laisse tout Wagner pour une chanson de Vincent Scotto."
Je ne suis pas un grand actore
Je suis navi, navi, navigatore
Je connais bien l’Amérique
Aussi bien que l’Afrique
J’en connais bien d’autres encore
Mais de ces pays joyeux
C’est la France que j’aime le mieux.
Si Polin apprécie immédiatement cette mélodie, il apprécie moins ses paroles. Il confie à Henri Christiné le soin de lui en concocter de nouvelles. Ce sera La petite Tonkinoise.
Tous ces rois du caf’conc’ sont les héritiers de la première star du genre, Paulus. Il sillonne la France pour finalement monter à Paris où il se taille d’bord une solide réputation dans l’art de la romance.
Sur scène, il gesticule, pirouette, gambade, claudique et bondit comme un lièvre, surprenant son auditoire en mêlant répertoire fantaisiste et bluettes.
Je me rapapillotte. Je me rapapi papillote toujours
Je me rapapiu paillotte
Toujours avec Charlotte
Je me rapapa pa pi pa pi pa pi pa pi
Je me rapapillotte
L’auditoire est littéralement étourdi ! Et ses tournées le mène aux quatre coins du monde. L’un de ses coups de sang entrera dans les annales de la chanson...
En effet, en plein spectacle, il affubla de quelques noms d’oiseaux un spectateur très désinvolte qui osait lire son journal tandis qu’il chantait.
Après une vie de fastes et de gloire, un ultime revers de fortune le condamne à une fin de vie misérable dans un bien sinistre meublé de Saint-Mandé où il meurt en 1908, à 61 ans.
Rideau.