"La passion selon Alexandre Dumas Fils.
Depuis la création de l'humanité, nul n'a pu empêcher les années de passer. Le moment vient où Alexandre Dumas fils doit voler de ses propres ailes. On l'accueille à la pension Goubeaux, lieu des fils de famille : noblesse, banque, commerce de luxe. Des enfants qui l'insulteront du matin au soir parce qu'il ne porte pas encore le nom de Dumas et que sa mère est artisane.
Pour défendre l'honneur de sa mère, il se bat mais les autres font bloc autour de lui. On l'empêche de dormir, les plats du réfectoire lui parviennent vide. On conduit les élèves à l'école de natation du Palais-Royal. Ils se relaient pour lui enfoncer la tête dans l'eau : l'intervention tardive d'un surveillant le sauve à temps de la noyade. Il confiera que de ces horreurs, "son âme ne s'est jamais tout à fait remise, que sa rancune ne s'est jamais endormie complètement, même aux jours les plus heureux de sa vie".
Les jours, les mois puis les années passent. Il plaît, et il le sait. Il commence à faire des dettes. En connaissance Dumas père s'inquiète.
- Travaille !
Il lui propose de collaborer avec lui. Dumas fils feint de n'avoir pas entendu. C'est par lui-même qu'il veut réussir. Car il le veut.
C'est à ce moment très précis qu'une rencontre faite à Saint-Germain-en-Laye va marquer profondément sa vie. Son ami Déjazet lui fait découvrir les salles parisiennes fréquentées par ces femmes que l'on appelle les "hautes coquines". Dans une avant-scène, une beauté telle qu'Alexandre n'en a jamais vu lui coupe le souffle. Déjazet lui souffle donc : "Marie Duplessis."
Elle n'est pas seule dans la loge. Le regard d'Alexandre se pose sur ce compagnon dont elle est flanquée. Déjazet souffle encore : "Le comte de Stackelberg, ancien ambassadeur de Russie." Peut-être a-t-il ajouté : "Il faut bien vivre..."
Il revient la voir. Elle ne le chasse pas. Il lui crie si fort son amour qu'il la convainc enfin et la passion va alors les étreindre. Si Alexandre n'avait pas écrit La Dame aux Camélias, de tout cela ma Mamie n'en saurait rien. Nous non plus d'ailleurs.
La suite ? Non seulement Marie a conservé Stackelberg dans sa vie, mais elle lui a ajouté le richissime Edouard Perregaux. Alexandre fils met quelque temps à les découvrir. Au bout de deux mois avec Marie, il en est aux disputes. Il la voit moins souvent. Comme elle est fine et délicate, elle lui écrit :
"J'espère un mot de toi et je te baise bien tendrement, comme une maîtresse ou une amie, à ton choix. Dans tous les cas, je te serais toujours dévouée". Marie
Réponse d'Alexandre dans la foulée : "Oublions tous deux - vous un nom qui vous est indifférent ; moi un bonheur qui me devient impossible. Il est inutile de vous dire combien je suis triste, puisque vous savez déjà combien je vous aime. Adieu donc. Vous avez trop de coeur pour ne pas comprendre la cause de ma lettre, et trop de coeur pour ne pas me pardonner. Mille souvenirs. Alexandre.
La fin ? Marie épousera le duc de Montpensier à Madrid avant de mourir peu de temps après. C'est à Marseille que Dumas le jeune apprendra la mort de Marie. De l'agonie dont il n'a rien su, il voudra tout savoir. Il rentre ensuite chez lui, s'assied à sa table de travail, prend sa plume et compose des vers que ma Mamie proclamera les plus beaux de sa vie :
Je vous avais écris que je viendrais, madame.
Pour chercher mon pardon, vous voir à mon retour ;
Car je croyais devoir, et du fond de mon âme,
Ma première visite à ce dernier amour.
Et quand mon âme accourt, depuis longtemps absente,
Votre fenêtre est close et votre seuil fermé ;
Et voilà qu'on me dit qu'une tombe récente
Couvre à jamais le front que j'avais tant aimé.
En 1848, Dumas fils publie La Dame aux Camélias et devient célèbre - et désenchanté -, avant de succomber à son tour le 28 novembre 1895 à Marly-le-Roi.
Rideau.