"1099 morts.
Courrières, 6 h 45 du matin, le 10 mars 1906. Une formidable explosion vient de secouer la fosse n°3 dans laquelle sont descendus près de mille cinq cents mineurs. Nul ne sait ce qui s’est passé.
Les premiers rescapés restent muets de terreur. Ils ont le visage noirci, les vêtements déchirés, les mains et le visage en sang. Certains s’enfuient à toutes jambes.
Quand ils racontent, comme le fait Pierre Dasson, sorti indemne de la fournaise, c’est pour évoquer le vacarme assourdissant, l’air qui se raréfie, les vapeurs toxiques, les camarades qui tombent, les corps qui s’enchevêtrent.
Des épouses, des mères, des femmes affolées qui crient, qui pleurent, qui s’évanouissent. Elles attendent un père, un mari, un fils, souvent les trois.
Et parfois même toute leur famille comme Philomène Pétain ou Cordule Levan, qui perdent chacune dans la catastrophe leur mari et leurs quatre garçons. Mile quatre-vingt-dix morts au total.
"Le destin", disent les journaux de droite. "Une sommation de justice sociale", écrit-on à gauche.
Pas de chance ? Comment qualifier autrement l’infortune de ces pauvres bougres auxquels la mort avait donné rendez-vous par 350 mètres de fond ?
Est-ce que l’accident était inscrit en filigrane dans l’agenda de leurs vies ?
Les absents n’ont pas toujours tort. Jean Heirle ne travaillait pas ce jour-là, il se portera sauveteur volontaire.
Partout c’est le chaos.
L’orphelin Charlemagne Venant, seize ans, venait de trouver une famille d ‘adoption chez Lucien et Amandine Delvallez. Il va mourir asphyxié à la fosse 4 de Sallaumines.
Son père adoptif, parti le chercher, ne reviendra pas de l’enfer.
Les cadavres sont dans un état qui défie toute description. La plupart sont nus ; les vêtements ont été brûlés ; les corps carbonisés. A l’un les doigts sont arrachés ; un autre à les yeux sortis des orbites ; un troisième est privé de tête. "On remonte aussi un cheval amputé des quatre pattes, et décapité", rapporte l’envoyé spécial du Matin.
Parfois, pourtant, l’espoir renaît.
Ici, ce sont des coups frappés contre la paroi et laissent envisagé des survivants. Là, c’est Pierre Simon qui parvient, au péril de sa vie, à sauver vingt-sept de ses camarades et qui dit :
- Ils sont morts, seuls les yeux vivent." Ailleurs, c’est un chef porion, Adolphe Grandamme, qui en retire dix-huit autres avant de repartir dans les galeries. On ne le reverra pas.
Le bilan est épouvantable : mille quatre-vingt-dix-neuf morts.
Toutes les communes sont touchées. Tous les mineurs sont en deuil. Pourtant, on veut croire encore au miracle. Pour éviter des scènes pénibles, les corps sont maintenant remontés la nuit, à l’insu des familles, identifiés par les uns, déclarés "inconnus" pour les autres.
Devant l’urgence et le nombre des victimes, des cercueils arrivent de toute la France. Ils forment le 13 mars, lors des obsèques officielles, un interminable cordon mortuaire.
Et la neige qui s’en mêle et la mine qui brûle toujours. Et des questions sur toutes les lèvres : et s’il restait encore des vivants ? Et si l’on avait abandonné trop tôt les recherches ? Mais le coeur n’y est plus.
Et pourtant, le 30 mars, l’incroyable arrive. Vingt jours ont passé, les secours ont cessé, l’espoir est mort quand, à 7 h 30 du matin, treize hommes surgissent d’une galerie, hébétés et hirsutes, devant une équipe d’ouvriers occupés à réhabiliter les lieux.
Stupeur.
On les installe avec précaution. Dans les rues, on accourt de toutes parts, les familles déboulent.
Camille-Léonie Busquet, qui a déjà perdu deux fils dans la catastrophe, s’évanouit en voyant le troisième indemne. Sans un mot, comme figée, Nelly Pruvost étreint son mari et son fils, sauvés tous les deux.
On pleure, on rit, on dit des banalités.
"J’ai surtout eu froid." "Je n’ai jamais perdu espoir." "Je n’ai pas pu fermer l’oeil." "Tiens, te voilà toi." d’un frère aîné à son frère cadet. Un mari à sa femme : "Ben qu’est-ce que tu fous toute habillée en deuil ?
On est submergé par l’émotion.
Le fond ? Un seul y retournera.
Albert Dubois, dix-sept ans, quittera le métier. Le destin, disiez-vous ? Il sera, en 1914, huit ans plus tard, un des premiers soldats français à tomber au champ d’honneur.
L'horreur encore.
Collection "Mamie explore le temps"
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