"Le don du Maréchal...
Partout en France on attend ce discours, comme si le Maréchal doit réaliser un miracle, mettre fin à ce cauchemar qu’on vit depuis le 10 mai et, ce lundi 17 juin, alors que les Panzerdivisionen approchent de Bordeaux, occupent Colmar, Metz, Pontarlier, Roanne, Le Creusot, Dijon, Chalon-sur-Saône, annoncer que l’armée allemande est arrêtée, battue, qu’elle recule.
Dans toutes les familles qui disposent d’une radio, on fait cercle autour du "poste de TSF". On attend, anxieux et recueillis.
Papi est aux côtés de ses parents, tous trois debout devant le poste.
Il n’a jamais entendu le maréchal Pétain qui commence son discours :
"A l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France..."
"Dès le premier mot, dit Papi, je suis surpris par sa voix chevrotante." Il attendait une phrase de chef annonçant le combat, mais il entend :
"En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude."
Papi guette le mot "revanche", mais le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, qui vient de dire "sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur", prononce des mots qui paraissent à Papi "inouïs".
"C’est le coeur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités."
Cela signifie qu’au lieu d’appeler à la revanche, on déclare "le désastre irréversible" ! Avant même d’examiner les conditions de l’armistice, on appelle à l’arrêt des combats. Comment continuer à se battre ? Comment dans cet esprit de reddition contester les clauses de l’armistice ?
Pétain livre le pays à l’ennemi.
"Je sanglote en silence", confie mon Papi.
Fini la devise Liberté, Egalité, Fraternité ! Place à Travail, Famille, Patrie.
Dans la zone occupée, même si on continue de côtoyer sans agressivité ces Allemands qui sont "corrects", qui "occupent" la terrasse du Café de la Paix et les fauteuils des music-halls, on sent peser la toute-puissante présence allemande.
Les horloges sont réglées sur celles d’Europe centrale. C’est l’"heure allemande", deux heures de retard par rapport au soleil, "il semble que Paris ait été transporté sous le cercle polaire". Le black out, très strict, l’interdiction de circuler après 23 heures, créent un climat de peur, d’angoisse.
Chaque jour, les Allemands défilent le long des Champs-Elysées ou dans la rue de Rivoli. Dans de nombreuses rues flottent des drapeaux à croix gammée.
Les Parisiens subissent, souvent fascinés par cet "ordre" allemand, la perfection de la parade avec cet officier qui, sabre au clair, caracole devant la garde du drapeau. Puis les Français se détournent, humiliés, avec un sentiment diffus de désespoir et de révolte.
Ils font la queue devant les boutiques. La nourriture est rare, souvent vendue sous le manteau, hors de prix, au marché noir" qui s’installe dès ce mois de juillet 1940. Les rations alimentaires sont maigres. Un système de "cartes d’alimentation" se met en place. La recherche de produits alimentaires devient une obsession. On écoute papi religieusement :
"A la rentrée, on voit des drapeaux à croix gammée sur les édifices, des panneaux en lettres gothiques, partout. La population est sonnée mais la vie continue. Cependant, on en est qu’au début. On ne va pas tarder à s’apercevoir que l’occupant nous pille et que, très vite, on va manquer de tout : de carburant, de chauffage, de vêtements. Et surtout, surtout de bouffe.
Le chocolat, les bananes, on ne les reverra que dans cinq ans. Des queues partout, pour un peu de lait écrémé, du pain gris ; on mange des trucs qu’avant on donnait aux cochons, comme les topinambours, les rutabagas.
Il y a les cartes de rationnement, pour les jeunes, ce sont les J1, J2, J3. Les J3 ce sont les ados, comme je le fus pendant l’occupation (ce sera le titre d’un film après la libération).
Partout où c’est possible on voit pousser des mini-potagers ; dans le coin des maisons, sur les talus des voies ferrées. Quand le vieux a commencé à montrer sa vilaine face cachée, ceux qui ne pouvait pas se résoudre à sa félonie ont inventé le mot de "maréchalisme" pour le différencier du "pétainisme".
Quant au général de Gaulle, pratiquement personne ne le connaissait en 40. On n’a su la tête qu’il avait qu’à la Libération.
Et l'appel du 18 juin, autant dire que personne ne l’a entendu...
Collection "Mamie explore le temps"
Lee Harvey Oswald - Stavisky - Sarajevo ou la fatalité - Jeanne d'Arc - Seul pour tuer Hitler - Leclerc - Sacco et Vanzetti - La nuit des longs couteaux - Jaurès - Landru - Adolf Eichmann - Nobile - Mr et Mme Blériot - Les Rosenberg - Mamie embarque sur le Potemkine - L'horreur à Courrières - Lindbergh - Mamie au pays des Soviets - Jean Moulin face à son destin - Mamie est dos au mur - L'assassinat du chancelier Dolfuss - L'honneur de Mme Caillaux - Mamie au pays des pieds noirs - La Gestapo française - Auschwitz - Le discours d'un Général - Mamie à Cuba - Le discours d'un Maréchal