"La petite Tonkinoise.
Les années folles ne le seraient pas sans la démesure de Josephine Baker, tout droit venue d’Amérique.
Au commencement, le public de Paris ne voit d’elle que sa croupe, "une croupe qui rit", selon le bon mot de Simenon.
Elle a 19 ans lorsqu’elle apparaît au public français à quatre pattes et nue comme un ver.
La revue nègre vient de débarquer en France.
Freda Josephine Mc Donald est née dans les bas-fonds du Missouri avant d’épouser à 13 ans Willie Wells, un ouvrier fondeur qu’elle quittera après lui avoir fracassé une bouteille sur la tête.
A 15 ans, elle se lie à un M. Baker dont elle gardera à jamais le patronyme mais fuira vite sa compagnie.
A Broadway, elle présente ses danses métissées, un charleston très vitaminé audacieusement teinté de gesticulations africaines.
La revue nègre invitée à Paris est un spectacle sage. Trop sage aux yeux du directeur du théâtre.
Finalement, la veille de la première est ajouté un tableau plus piquant, la danse sauvage, dans lequel la jeune Joséphine, nue et couverte de plumes, esquisse un charleston endiablé.
La nudité, les bondissements de la danseuse ont de quoi choquer le public ; pourtant le caractère inédit de sa performance fait d’elle la nouvelle attraction de Paris.
Les cubistes tombent en pamoison devant la plastique de la jeune femme et l’extravagance de son art.
Désormais, dans les bals, dans les salons, on s’exerce avec passion au charleston.
Ces mouvements acrobatiques empruntés aux danses noires africaines sont nés à Charleston, en Caroline du Sud, quelques années plus tôt. Elle présente ensuite La folie du jour aux Folies-Bergère : pour l’un des 45 tableaux du spectacle la voici juste parée de perles et d’une ceinture de 16 bananes.
Pour un autre, elle se retrouve dans une boule incrustée de fleurs. Du jamais vu ! Auréolée de ce triomphe, elle se voit conviée au Casino de Paris par Henri Varna. L’homme offre - comble de l’érotisme - un léopard à sa protégée.
Paris ne parle que de ça !
Le public joue à s’effrayer, redoutant de voir paraître l’animal sur scène et déplorant aussi de ne l’avoir point vu. Joséphine entretient sa légende dans ce Paris où l’Afrique et animaux sauvages signifient tant de fantasmes.
Ne dit-elle pas, à raison peut-être, qu’elle a appris à danser en observant les animaux du zoo ?
Passée meneuse de revue, elle se met à chanter. Avec J’ai deux amours, Joséphine signe son pacte d’amour avec Paris. Si la petite Tonkinoise est l’un de ses plus grands tubes, elle n’a de cesse de chanter Paris.
"Je me suis sentie libérée à Paris", dira-t-elle religieusement.
Par la suite, elle fera preuve d’humanité en devenant un agent de renseignement dès 1939, au commencement de la seconde guerre mondiale, ainsi que la marraine de la Croix-Rouge.
Sa popularité et sa respectabilité sont telles que le nazi Goering, ne se risquant pas à l’arrêter, la fait confier à un dîner où l’on tentera de l’empoisonner.
L’héroïne, digne d’un roman d’espionnage, doit quitter la France pour le Maroc où elle oeuvrera au sein des services de renseignements de la France libre puis de l’armée de l’air.
Elle a tant fait pour la France, la tolérance et la liberté, qu’elle sera la première femme d’origine américaine à recevoir lors de ses funérailles les honneurs militaires français.
Elle repose aujourd’hui au cimetière de Monaco, la princesse Grace ayant été l’une de ses plus chères amies.
Rideau.