"Le Petit Journal, là, sous vos yeux.
C'est à Chinon que commence la plus belle histoire du monde : celle de Jeann d'Arc.
Du château, il ne reste plus que des ruines. Cependant, quand on erre parmi les pierres usées, c'est Jeanne d'Arc que l'on voit. Elle est là, à dix-sept ans, en habit d'homme, tempes et cou rasés.
Si jeune et si forte.
Ce soir-là, trois à quatre cents personnes font leur cour au roi. Tous, seigneurs et dames, vivent un prodigieux suspense. On la sait arrivée. Ce soir, elle doit se présenter au château.
Qui l'inspire ? Dieu ? Le démon ?
Et Charles VII ? L'accueillera-t-il ? Que lui dita-t-elle ?
La voilà. On la conduit à la salle des gardes. Perdu dans ses angoisses et ses complexes, le roi doute.
Comme toujours.
Le mieux n'est-il pas de mettre cette pucelle à l'épreuve ? Donc, un familier prendra la place du roi. Charles VII se perd dans la foule des courtisans qui en rient déjà.
La pauvre fille !
On l'introduit. Chez elle, nul embarras. Une aisance admirable. Un large regard sur la foule qu'elle fend de son pas assuré de paysanne. Cette démarche est aussi celle d'une reine.
"Quand j'entrai dans la chambre du roi, dira-t-elle, je le connus entre les autres par les conseils de ma voix qui me le révéla." Elle va vers Charles, s'incline et de sa voix claire, avec son accent lorrain, elle lance sans inutile crainte :
- Dieu vous donne longue vie, gentil dauphin !
Et ce roi, qui voulait juger, se sent jugé. Il murmure :
- Quel est votre nom ? Que voulez-vous ?
La réponse pleine de fierté ne tarde pas :
- J'ai nom Jeanne la Pucelle et vous mande le roi des cieux par moi que vous serez couronné à Reims et serez le lieutenant et le roi des cieux.
La foule écoute en silence. Plus personne ne songe à ricaner.
Et la voix juvénile poursuit :
- Je te dis, de la part de Messire - c'est la façon dont elle désigne Dieu - que tu es le seul vrai héritier de France et fils de roi ! Et il m'a envoyé à toi pour que tu sois couronné si tu le veux !
Le roi triste a tressailli. Vrai héritier de France et fils de roi. N'est-ce pas là sa hantise quotidienne, son cauchemar de chaque heure ? On lui a tant soufflé qu'il était peut-être un bâtard.
Stupéfaits, les courtisans voient alors Charles emmener la paysanne à l'écart et causer avec elle. "Un long moment", précise un témoin. Que lui a-t-elle dit ?
Jeanne s'est toujours tue là-dessus. Tout ce que ma Mamie s'est là-dessus, c'est ce que Charles VII a confié :
- Jeanne m'a dit un certain secret que personne ne sait et ne peut savoir si ce n'est Dieu, et c'est pourquoi j'ai grande confiance en elle.
Dès lors, Jeanne entre dans l'Histoire. Elle n'en sortira que hissée sur le bûcher de Rouen, son jeune corps consumé par les flammes.
Tout est extraordinaire, dans cette aventure.
D'abord que la fille d'un simple laboureur de Lorraine soit parvenue devant le roi. Ensuite que ce roi l'ait écoutée avec l'attention que l'on accorde à une personne de son rang. Qu'il lui ait presque aussitôt constitué une maison quasi princière.
Qu'il lui ait confié le commandement de son armée - à elle dont il ignorait l'existence quelques jours plus tôt et qui, en fait de formation militaire, n'avait appris qu'à filer la laine et garder parfois les troupeaux.
C'est cette étrangeté sans égale qui a frappé certains. Ils ont vu une paysanne tout droit sortie de son village chevaucher parmi les soldats comme si elle l'avait fait toute sa vie, ils l'ont vu battre les Anglais, se tenir près du roi lors du sacre à Reims paraissant étendre sur lui sa protection.
Une question demeure : demandons-nous si, oui ou non, Jeanne d'Arc était bien la fille d'un paysan nommé Jeanne d'Arc. Ou bien si, dans ses veines, coulait du sang royal comme le prétend beaucoup d'historiens qui affirment comme une quasi-certitude qu'elle était la fille adultérine d'Isabelle de Bavière et du duc d'Orléans, son amant.
Ouvrons le dossier.
Charles VI avait plongé la France dans les pires calamités.
Cette folie était sujette à des rémissions. Pendant ses accès, il ne reconnaissait pas sa femme, Isabelle de Bavière. Quand venaient les rémissions, il la retrouvait comme il l'avait quittée la veille.
Le résultat : douze enfants, à peu près un tous les ans, furent conçus pendant les retours du roi à la lucidité.
On a prêté de nombreux amants à Isabeau. De son vivant, l'opinion l'a accablée et la postérité n'a fait guère mieux.
Le plus illustre que la tradition lui impute n'est autre que le Duc d'Orléans. En juillet 1405, si grande se révèle leur intimité qu'ils passent plusieurs jours ensemble au château de Saint-Germain. Un peu plus tard, ils s'installent pour deux mois à Melun, ne craignant pas de s'afficher dans la même demeure.
Isabeau, à trente-deux ans, est presque obèse.
Louis d'Orléans, lui, est un prince charmant et incertain, généreux jusqu'à la prodigalité, gai, spirituel, chevaleresque.
Il vit pour les femmes - et aucune ne lui en veut d'être trompée, pourvu qu'elle ait sa part à ce festin multiplié.
Paisiblement, il orne les murs de son palais des portraits de ses maîtresses et invite les maris à les contempler. Il pense que tout lui est permis.
Au cours d'une fête, il prend de force, derrière une tapisserie, la comtesse Marguerite, femme de Jean de Nevers qui accouchera d'un garçon : ce sera le "beau Dunois", bâtard d'Orléans. Isabeau accepte, Isabeau consent. Trop heureuse quand son cher Louis vient la retrouver.
On peut se demander quel plaisir ce prince couvert de femmes - et des plus belles et des plus jeunes - trouve à ces rencontres avec une femme envahie par la graisse et que les contemporains nous dépeignent comme devenue hideuse. La passion politique comporte de ces étrangetés.
Le duc d'Orléans raffole du pouvoir et seule Isabeau peut le lui dispenser.
Au début de 1407, Isabeau de Bavière s'aperçoit qu'elle attend un enfant.
Or, selon les tenants de la thèse de la bâtardise, ses rapports intimes avec Charles VI ont cessé en 1404. Ma Mamie admire que l'on soit à même d'être formel quand il s'agit de ce genre de détail.
Les historiens qui se montrent si affirmatifs n'ont-ils pas tendance à traiter de la sexualité comme s'il s'agissait d'une science exacte ?
Acceptons néanmoins qu'il n'y ait plus de rapports intimes entre le roi et la reine, cet enfant qui s'annonce pose donc un sérieux problème.
D'autant plus que, disent les "bâtardisants", l'enfant ne peut être que celui du duc d'Orléans. Là aussi ma Mamie admire leur assurance.
N'oublient-ils pas que cette femme fut appelée par certains la "reine Vénus" ? On nous la montre en mal d'amants de la même façon qu'on nous présente le duc investi par cent maîtresses. L'enfant qu'elle attend, pourquoi ne serait-il pas le résultat d'une aventure nouée en compagnie d'un seigneur de passage ?
Mamie est sûre qu'il s'agit du duc d'Orléans.
Quoi qu'il en soit, le 10 novembre 1407, Isabeau met au monde un fils qui est prénommé Philippe.
Un enfant mort-né. Isabeau s'en est montré vivement affecté. On l'a vue dans les larmes pendant tout le temps des relevailles. Par la même source, nous n'ignorons rien des visites fréquentes que rendait à la reine le duc d'Orléans qui s'efforçait "d'apaiser sa douleur par des rapports de consolation".
En fait, le Petit Philippe n'es pas mort.
Affolés par la réaction possible de Charles VI s'il revenait à la raison et apprenait l'existence de cet enfant qu'il saurait à coup sûr n'être pas le sien, Isabeau et Louis d'Orléans avaient, dès le commencement de la grossesse de la reine, décidé de le soustraire "aux dangers dont ils le sentaient menacé" avec une audacieuse manoeuvre.
C'est ma Mamie qui raconte : "Ils prirent le parti de soustraire l'enfant et d'en substituer un autre à sa place mais il ne pouvait introduire dans la famille royale un individu vivant. Par quelque agent bien secret et bien dévoué, ils firent donc chercher dans Paris un enfant mort."
Voilà un récit précis, en apparence solidement argumenté.
Il nous faut nous demander sur quels documents et témoignages il s'appuie. Réponse : aucun.
Pas un seul texte contemporain ne fait allusion à une possible substitution. La naissance de Philippe de France est un fait historique. Sa mort en est un autre, ses obsèques un troisième. C'est tout.
Mamie rappelle qu'il ne s'agit pas d'une grossesse clandestine, qu'elle a été connue de tous et que ce n'est pas la soustraction ou la substitution de l'enfant qui anéantissait la réalité de l'adultère.
Cet échange d'une fille remplacée par un garçon, cette mort du garçon, la disparition de la fille ne changeait absolument rien.
Le roi Charles VI, revenu à la raison, ne pouvait que manifester le même étonnement : l'enfant avait existé. Etait-il donc né de l'opération du Saint-Esprit ? C'est sur cette évidence seule que la colère du roi pouvait s'élever.
Mais ne nous fermons pas définitivement aux raisonnements des "bâtardisants". Interrogeons-les. Donnons d'abord la parole à Jeanne d'Arc elle-même.
Je suis née au village de Domrémy qui fait un avec le village de Greux. Voilà ce que déclare Jeanne d'Arc, à son procès, dès la première séance. Elle dit encore : "Mon père s'appelait Jacques d'Arc, et ma mère Isabelle."
Donc, de sa part, aucune ambiguïté. Quand on lui demande son âge, elle répond :
- Comme il me semble, à peu près dix-neuf ans.
C'est donc qu'elle serait née vers 1412.
Voilà un point important.
Parce que le duc d'Orléans a été assassiné le 23 novembre 1407. Pour que Jeanne d'Arc soit sa fille, il faudrait qu'elle ait été conçue la même année. Elle ne pourrait donc pas être âgée de dix-neuf ans lors du procès mais de vingt-quatre ans. Certes, on nous rappelle que les gens de ce temps-là ignoraient leur âge.
Que Jeanne d'Arc ne sache pas si elle a dix-huit, dix-neuf ou vingt ans, nous pouvons l'admettre parfaitement. Qu'elle ait cinq ans de moins que son âge réel, voilà qui est plus difficile à accepter. De même, lorsque Jeanne dit à ses juges qu'elle a dix-neuf ans, personne ne sursaute. Elle fait bien jeune.
Or à cette époque-là, à vingt-quatre ans, on n'était plus "bien jeune".
A Domrémy, elle a vécu la plus grande part de sa vie si brève : seize ans. Là, elle a grandi.
Une bergère ? Ce sont plutôt les garçons, en ce temps-là, qui gardent les troupeaux.
Elle-même ne s'est occupée des bêtes qu'en quelques occasions. De son propre aveu, elle se chargeait plutôt des soins du ménage. Elle s'écriera un jour : "Je ne crains femme de Rouen pour filer ou coudre !"
Le père n'est certes "pas bien riche" mais il n'est pas démuni. Le cadre de l'enfance de Jeanne ? C'est la guerre, le désastre de l'enfance occupé par les Anglais, livrée aux factions, aux combats entre Armagnacs et Bourguignons. C'est le gémissement quotidien des parents, des voisins, sur des amis trop grands - trop longs.
C'est aussi le temps des prophéties. On se répète surtout l'une d'elles qui veut que "perdu par une femme, le royaume sera sauvé par une femme".
Cette histoire, nous la connaissons depuis l'enfance. Et si certains, dans les jeunes générations d'aujourd'hui, l'ignorent, c'est bien dommage pour eux et fort grave pour ceux qui les en ont privés.
La suite :
Collection "Mamie explore le temps"
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