"Une photo, là, sous vos yeux.
Une photo de ce bon vieux Guillotin. Né à Saintes, le 28 mai 1738, il portait le nom d’Ignace et ce prénom paisible - charmant même - se mariait fort bien avec son inépuisable bonté et sa gentillesse un peu naïve. Mais une grande idée animait notre bon docteur : faire mourir tous les condamnés à la peine capitale de la même façon et sans douleur.
Un noble condamné avait le droit de réclamer la mort par l’épée ou la hache tandis que l’homme sorti du peuple agonisait sur la roue, après avoir été "rompu vif", à moins qu’il ne soit condamné à être suspendu à une potence. Encore heureux lorsqu’on ne vous écartelait pas à quatre chevaux comme le malheureux Damiens, après vous avoir versé du plomb fondu sur toutes vos jointures. Sans parler de ceux qui trépassaient pendant la terrible question infligée souvent après le jugement et en guise de hors d’oeuvre à la peine de mort.
Certains récits d’exécutions hantaient les nuits du cher Guillotin, tel celui que nous a rapporté ma Mamie : "Il s’agissait de mettre à mort une fille de vingt-deux ans, Hélène Gillet, convaincue d’infanticide. Le bourreau assène un premier coup, si maladroitement appliqué que la patiente en a la mâchoire brisée ; le peuple hue ; on lance des pierres au bourreau, qui jette son arme et demande de mourir à la place de sa cliente.
Mais une femme saute sur l’échafaud, c’est la bourrelle : elle ramasse le glaive, exhorte son mari à continuer. Il y consent, frappe un nouveau coup, qui renverse la patiente en lui brisant l’épaule.
Nouvelle huées, nouvelle grêle le cailloux ; le bourreau dégringole de l’estrade et se sauve ; sa femme le remplace ; elle essaie d’achever à coup de pied la fille Gillet ; n’y parvenant pas, elle lui noue une corde au cou et la tire au bas de l'échafaud où à l’aide d’une paire de ciseaux, elle tente de lui couper la tête ; les jésuites et les capucins prennent la fuite ; la foule arrache à la bourrelle sa victime.
On la retira à moitié déchiquetée des griffes de la mégère. Je ne sait si elle eut la vie sauve, ce qui est sûr, c’est que le bourreau et sa femme furent massacrés au pied de l’échafaud."
Déjà le peuple s’était insurgé contre l’atroce supplice de la roue. Du coup, Louis XVI s’était hâté de la faire supprimer.
S’il faut en croire l’excellent historien Robert Christophe, c’est à cette époque que l’exécuteur aurait été reçu par Louis XVI et que, conquis par la bonhomie du roi, il aurait déclaré :
- Il a une tête qui me revient.
Certes, en cette époque novatrice, mieux aurait valu supprimer purement et simplement la peine de mort, mais Ignace Guillotin n’avait pas al hardiesse de ses jeunes collègues. Il rassembla tout son courage et monta à la tribune pour décrire l’horreur qu’inspirent ces êtres connus sous le nom de bourreaux. Et ce jour-là, il obtint une chose, l’égalité devant la mort.
Désormais, on se contenterait de pendre les condamnés. Il n’y aurait désormais pas plus d’»homme rouge» que de roue ou de billot, mais ce serait mal connaître Ignace que d’imaginer qu’il allait se contenter de ce demi-succès. Il voulait beaucoup trop de bien à son prochain pour s’arrêter en cours de route. Or, il y avait en 1790 à Paris un théâtre de Marionnettes qui jouait un pantomime intitulée Les quatre fils Aymon au cours de laquelle une machine coupait fort proprement la tête de l’une des pupazzi. La tradition que que Ignace s’y rendit avec son épouse. vous devinez la suite : en quittant la foire, Guillotin avait découvert la guillotine...
L’histoire est-elle authentique ? Quoi qu’il en soit, Ignace monta quelques jours plus tard à la tribune et énonça en ces termes le sixième article d’une loi qu’il espérait voir accepter par ses collègues :
- Dans tous les cas où la loi prononcera la peine de mort, le supplice sera le même, le criminel sera décapité ; il le sera par l’effet d’une simple mécanique.
Certains affirmaient même que Guillotin avait déclaré naïvement à des collègues - pour une bonne part futurs guillotinés :
- Avec ma machine, je vous fais sauter la tête d’un clin d’oeil et vous ne souffrirez point !
Une simple mécanique ! En prononçant ces trois mots le cher Ignace Guillotin ne se rendait certes point que grâce à la révolution son nom servirait non seulement à baptiser la future machine à tuer, mais que ce même nom allait donner naissance à un verbe - guillotiner - et à des injures telles que guillotineur ou lécheuse de guillotine.
La suite ? Louis XVI - ironie de l’histoire - apposait les cinq lettres de son nom au bas de la loi relative "à la peine de mort", et au mode d’exécution qui sera suivi à l’avenir.
la fin ? Guillotin n’assista à une exécution capitale. Jamais nous dit ma Mamie, il ne supporta qu’on prononçât devant lui le nom adopté par la sinistre machine. Toujours il protesta - mais en vain. sans relâche il nia cette fille qu’il n’avait point "inventée" et qui lui avait été injustement attribuée.