"Souvenir, que me veux-tu ?» demandait Paul Verlaine.
Il y a parfois, sans raison, ou plutôt sans que la nécessité s’en fasse sentir, des griffures du passé qui viennent faire saigner les vieilles blessures.
J’ose écrire : aimer comme on aime une femme, sans autre discernement que le désir, non pas seulement d’elle, mais de bien plus encore. Le désir de cette grâce qui nous rend, ensemble, plus légers et pus essentiels, l’un et l’autre et l’un par l’autre. La phrase du fennec dans Le petit Prince : "Je ne serai plus un renard parmi tous les autres renards, je serai pour toi unique au monde et tu seras pour moi unique au monde."
Décrivons le décor, Il lui dit "Je vous aime", comme si les mots fleurissaient sur ses lèvres pour la première fois. Le train peut très bien transporter un souvenir invisible et c’est le sifflet de sa locomotive qui provoque l’irruption du ressouviens-t’en.
"La Provence, écrivait Daudet, où les paysans sont des princes..."
L’absence éternelle. Je me souviens de ce jour où le caveau enfin achevé, je transportais le cercueil de mon père de son carré provisoire à sa demeure définitive. Le mot de ma mère, lorsqu’elle allait mourir et le rejoindre là, disait son mélange de tendresse et de volonté :
- Cette nuit, il aura moins froid.
Je me souviens - sans doute en a-t-il encore la mémoire - de Jean-Loup, tout jeune garçon que j’amenais de temps à autre au bois.
Je suis épuisé comme un best-seller.
Ses yeux brillaient de bonheur. Dehors, je me souviens qu’il pleuvait doucement sur Paris.
On se souvient de ce mois de mai où on avait envie de repeindre le monde. Un souvenir encore, cueilli au vol. Les simulacres commençaient à se faner.
"Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent..."
Apollinaire, mieux que personne, avait le sens aigu du "ressouviens-’en".
A l’amitié Francis Carco exprime de façon lumineuse l'attirance des souvenirs toujours inexplicables :
Tout le jour, je vous ai cherchés
Comme au temps de notre jeunesse
De-ci, de-là... Le temps renaisse
Et nos vingt ans trop pourchassés...
avant de conclure :
Je vous ai cherchés en moi-même
Comme un disparu ceux qu’il aime
Les appelle et se tient caché.
Je me sentais comme dans un poème de Carco :
Tout au plaisir alors de vivre
Sous le signe de l’amitié.
L’amitié célébrée par Montaigne quand il évoque La Boétie : "Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : "Parce que c’était lui, parce que c’était moi."
Saint-Exupéry, lui, parle du "fil de la vierge de l’amitié", comparable à celui que les araignées de jardin filent, la nuit, d’une branche à l’autre.
La nuit devant lui s’ouvrait comme un fruit. Il avait la tête pleine de souvenirs pas encore vécus et de fumée bleue de cigarettes.
Nous avions eu la même sorte de rapports à la fois affectifs, ombrageux et créatifs qu’il y a eu entre Churchill et de Gaulle lorsque le premier, durant la guerre, donnait asile au second. Je songe en disant cela, au mot du Général prenant congé du premier pour aller installer à Alger délivré le gouvernement de la France libre :
- Cela tient, Monsieur le premier ministre, à un trait de mon caractère qui me pousse à me mettre en colère lorsque j’ai raison et à un trait du vôtre qui vous y pousse lorsque vous avez tort...
Souvenir que me veux-tu ? Demandait Paul Verlaine...