"Une portrait, là, sous vos yeux.
Un portrait de Germaine de Staël, le grand amour de Benjamin Constant.
Benjamin était le type de l’amant passionné, torturé de jalousie, s’ébrouant "dans un état de douleur inexprimable", manquant s’évanouir... mais, fort heureusement - pour lui - les flammes s’éteignaient lorsqu’il n’avait plus à lutter pour conquérir la belle. C’était alors au tour de la belle à souffrir...
Le 19 septembre 1794, M. Benjamin Constant aurait mieux fait de prendre n’importe quelle direction que celle de Genève... Il avait, en effet, formé le projet d’aller rendre visite à la baronne de Staël et cette rencontre allait déclencher pour lui d’épouvantables orages et une servitude dont il lui faudra des années pour s’évader.
La connaissance fut bientôt faite. Alors ?
"Son esprit m’éblouit, racontera-t-il, sa gaieté m’enchanta, ses louanges me firent tourner la tête. Au bout d’une heure, elle prit sur moi l’empire le plus illimité qu’une femme ait peut-être jamais exercé."
Benjamin vit Germaine durant tout l’hiver et lui parla de son amour. Elle s’était refusé à se donner - non que le baron de Staël comptât pour elle, il avait d’ailleurs la délicatesse d’être presque toujours absent... - mais Germaine estimait que parler,é couter et philosopher, c’était déjà pas mal.
Benjamin désirait davantage. Du coup, il estima qu’il fallait jouer le grand jeu. Il se suicida !
On se précipita à son chevet, il eut la force de montrer sur la table de nuit une fiole d’opium en suppliant que l’on veuille bien aller chercher Mme de Staël pour qu’il lui dise un éternel adieu. Elle se précipita et aux battements de son coeur, sentit qu’elle aussi aimait l’homme qui avait voulu se donner la mort pour la punir de sa cruauté. Un contrepoison administré rendit la vie à l’agonisant... qui s’était d’ailleurs bien gardé d’avaler toute la fiole du poison...
Pour Benjamin et germaine, les quatre mois qui suivirent ne furent qu’un enivrement. Ils s’étaient voués leurs vies. Mais le retour à paris les dégrisa un peu. Benjamin s’empressa de tromper Germaine avec la politique. Les disputes furent nombreuses.
Mais bon, vous savez ce que c’est, on se dispute puis on se réconcilie...
Une petite fille - que le baron de Staël endossa galamment - naquit au moins de juin et ce «lien», selon l’expression de Benjamin, resserra leur amour "sans les rendre heureux".
D’ailleurs - tout en ne cessant pas de voir et d’aimer Germaine, Benjamin avait noué une liaison avec Julie Talma, de onze ans plus âgée que lui et épouse séparée du grand Talma.
Elle acceptait le partage avec Germaine. Mais quelques mois plus tard, tout était terminé. La passion s’était transformé en amitié. Il faut dire aussi que Benjamin commençait un autre chapitre amoureux avec une belle irlandaise, Anna Lindsay qui, dès la première visite de l’écrivain, l’aima «d’un amour sans bornes», affirmait-elle à qui voulait l’entendre.
Le sentiment avait pourtant des bornes, car elle se refusait à lui...
Il prit sa plume : «Vous m’aimez, vous avez besoin de moi, vos lèvres se pressent avec volupté contre les miennes ; amie à moi, donnez-vous. Je ne puis répondre de ma raison, ni de ma vie.»
Elle finit par céder.
- Je vous consacrerai toute ma vie, lui déclara Benjamin.
Oui mais non.
Mme de Staël qui avait le génie des scènes - et devant lesquelles Benjamin tremblait - ne l’entendait pas de cette oreille.
Et Anna Lindsay, moins accommodante que Julie Talma, exigeait la rupture et n’admettait pas cette liaison de l’esprit qui commençait peut-être au salon mais ne s’en achevait pas moins parfois dans la chambre à coucher.
Bien il essaya de la réconforter. Et il l’a rassura. Croyant l’avoir convaincu, il alla passer trois jours avec Germaine.
"Mortellement blessée" Anna préféra fuir et clamer son immense chagrin :
"Trois jours passé avec elle, au mépris de ma douleur, connaissant mon caractère, ayant eu tant de preuves d’un amour aussi délicat que sans bornes ! Je meurs, je ne guérirai jamais. Je le méprise et je l’adore..."
Et elle disparut de la vie de Benjamin.
Voici Benjamin seul face à mme de Staël qu’il aime maintenant sans enthousiasme. Que faire ? Il réfléchit puis conclut :
"Il faut me marier."
Mais avec qui ?
Fort heureusement, la jolie Charlotte de Hardenberg se trouvait libre... En recevant une lettre d’elle, l’éternel passionné eut un "battement de coeur assez fort, en reconnaissant l’écriture".
Charlotte fut à la lui et à sa stupéfaction, elle fut une «étonnante et merveilleuse partenaire». Il ajoute : "C’était trop fou !»"
Ni une, ni deux, il décide de l’épouser.
Oublié Mme de Staël. Il décide quand même de la prévenir. Et là, ce fut l’orage, un orage, nous dit l’écrivain, "qui dura sans interruption tout le jour et toute la nuit." Mme de Staël avait, pour mener une scène, une résistance à toute épreuve. A l’aube, vaincu, exsangue, à bout d’argument, Benjamin promit de ne pas poursuivre ses projets... mais n’en continua pas moins à s'enivrer auprès de Charlotte.
Finalement - et malgré les menaces de Mme de Staël -, il épousa Charlotte à huit clos. Elle vivra cachée dans les environs. Son mari venait faire à sa femme des visites dans le plus profond secret, tremblant de peur que Germaine n’apprenne ses "trahisons".
L’année suivante, Benjamin et Charlotte ayant pris des forces pendant l’hiver, décidèrent d’en finir. Benjamin alla se cacher tandis que sa femme envoyait à Mme de Staël un billet signé innocemment Charlotte Constant. Elle le confia à un homme à cheval qui partit dans la nuit. Charlotte pensait être tranquille jusqu’au lendemain matin - et elle prit un bain de pieds. Au beau milieu de l’opération, la porte s’ouvrit : c’était Germaine. Aussi élégamment que lui permettait le bain de pieds, Charlotte accueillit sa rivale et lui déclara qu’elle était devenue "l’épouse très légitime de monsieur Constant".
La scène dura six heures.
Une scène effroyable. Au matin, la baronne meurtrie, blessée, souffrant plus dans son orgueil que dans son coeur, se retira, laissant Charlotte poursuivre à sa guise son bain de pied froid. Durant tout l’orage, elle avait été admirable de douceur et de patience.
Puisque le premier choc avait eu lieu, Benjamin revint courageusement au bercail.
La fin ? Benjamin dut souscrire à un étrange traité exigé par la terrible baronne : le mariage serait encore tenu secret et Benjamin reprendrait sa place de meneur de jeu au salon durant l’été. Charlotte crut pouvoir supporter ces exigences et s’inclina. Elle avait trop présumé de ses forces. Elle voulut se suicider. Benjamin, flanqué de l’insupportable Germaine, accourut en sanglotant. Fort heureusement, "l’épouse de M. Constant" n’avait pris - elle aussi - que la dose de Coppet, selon le mot de Sainte-Beuve, et fut vite hors de danger.
La baronne n’en exigea pas moins l’exécution du traité et le malheureux Benjamin dut attendre l’automne pour retrouver sa femme !
Germaine de Staêl finit par se résigner, tandis que Benjamin - bien sûr - s’apprêtait à tomber amoureux à en perdre l’esprit de Mme Récamier qui, à elle seule, vengea toutes les délaissées...