"Une dessin, là, sous vos yeux.
Un dessin de George Sand en personne. Souvenez-vous...
Lorsque la gran-tante chanoinesse du jeune Alfred de Musset lut le premier recueil de vers publié en 1830 par son petit neveu, elle le déshérita : il ne parlait que d’amours, d’amoureux, de maîtresses, de passions et d’amants fous.
Le fait que le petit Alfred était fait pour être amoureux.
Il crut l’avoir trouvé à plusieurs reprises - bien sûr !... - mais ne le découvrit réellement qu’au mois de juin 1833. Il avait vingt-trois ans et "Elle" vingt neuf.
Elle se nommait la baronne Armandine Dudevant mais comme elle était une femme de lettres, elle avait choisi un pseudonyme :
George Sand
Entre eux, ce fut le coup de foudre. Ils s’étaient retrouvé à un dîner aux Frères Provençaux où ils étaient assis côte à côté. Elle l’écouta. Il la fit sourire, puis rire...
Très vite, elle se donne à lui.
Certes, George a déjà aimé - trop souvent pour Musset - mais elle n’a jamais été aussi heureuse. Elle a rajeuni, emportée par l’irrésistible jeunesse de son amant. Les rires fusent. Surtout quand elle assiste aux inventions de son poète qui un jour se déguise en servante du pays des Caux et l’autre, sert le dîner en dépit du bon sens.
Georges est en extase devant "Monsieur mon gamin d’Alfred". Elle s’attache à lui chaque jour davantage. Surtout lorsqu’ils s’étendent sur la bruyère.
Ils décident sur le champ de partir pour l’Italie. Rome ou Vensie ? On tire à pile ou face. C’est Venise qui gagne mais quand ils arrivent sur place, elle tombe malade comme un chien. Alfred fait la grimace :
- C’est bien triste et bien ennuyeux une femme malade ! déclare-t-il avec humeur.
Alfred n’est pas homme à jouer les gardes-malades. Tandis que George grelote de fièvre, il visite Vensie, va boire du valpolicello ou du vin de Vérone dans les cabarets, rencontre des filles, les revoit, tant et si bien qu’un jour il traite sa maîtresse "d’ennui personnifié" et lui déclare :
- George, je m’étais trompé ; je t’en demande pardon, mais je ne t’aime pas.
Inutile de dire que George eut infiniment de peine. Elle est blessée, affreusement blessée.
Et puis, soudain - justice divine - Alfred tombe malade. Il a le délire. Il court dans sa chambre en hurlant. A poil ! Le docteur Pagello le soigne avec George qui, bien entendu, s’est installé au chevet de celui qu’elle aime toujours. Mais elle voit Pagello. Elle le voit trop. Pourquoi ne se vengerait-elle pas avec lui ? Pourquoi pas, après tout.
"Et toi, poète, belle fleur, j’ai voulu boire ta rosée. Elle m’a enivrée, elle m’a empoisonnée et, dans un jour de colère, j’ai cherché un autre poison, qui m’a achevée..."
Pagello - l’autre posin - n’avait pas l’air de comprendre. Aussi, elle se jeta sur une feuille de papier, écrit durant une heure et lui tendit la page.
Le malheureux lit :
"Je suis auprès de toi comme une pâle statue. Je te regarde avec étonnement, avec désir, avec inquiétude... Serais-tu pour moi un appui ou un maître ? Es-tu un homme ? Qui y-a-t-il dans cette mâle poitrine, dans cet oeil de lion, dans ce front superbe ? Serais-je ta compagne ou ton esclave ? Me désires-tu ou m’aimes-tu ? Quand ta passion sera satisfaite, sauras-tu me remercier ? Les plaisirs de l’amour te laissent-ils haletant ou abruti, où te jettent-ils dans une extase divine ? Ton âme survit-elle à ton corps, quand tu quittes le sein de celle que tu aimes ? ..."
Il y avait de quoi prendre la fuite ! Pagello reste et, en faisant les cent pas place Saint-Marc, répond au brûlant questionnaire de manière si satisfaisante que George se donne à lui.
Musset, qui va mieux, devine la chute... et retombe amoureux - amoureux fou.
Il veut faire un carnage, provoquer Pagello en duel, tuer George... Celle-ci seconde ce projet en essayant d’avaler un flacon de laudanaum. Enfin - foutu pour foutu - Musset prend le parti de fuir.
Bien sûr les deux amants s’écrivent. Ca fusent de partout. Il faut bien régler les comptes du passé pour revivre au présent.
Et "à présent", elle est toute à Pagello qui "est un ange de vertu", "mériterait d’être heureux" etc etc...
Musset souffre comme un damné. Il va errer au 19 quai Malaquais, fume les cigarettes de Georges et emporte un petit peigne cassé qui a démêlé, après l’amour, les cheveux aux reflets de jais.
Au mois d’août 1834, George revient à Paris avec le malheureux Pagello. Bien sûr, Alfred et George se revoit, redeviennent amants et Pagello, complètement dépassé par les évènements, prend le sage parti d’abandonner cette femme "à l’oeil de lynx". Il est triste comme une porte de prison, malheureux comme les pierres mais comme l’a dit très justement ma Mamie, il est le moins malheureux des trois. Il laisse derrière lui deux amants qui se déchirent, s’adorent, se séparent, renouent, se torturent, se reprennent, hurlent, veulent mourir. Un jour george a le courage de fuir pour Nohant et Alfred de Musset ne part pas la retrouver. Il ne la rappela même pas...
Mais leurs amours - et leur haine devinrent immortelles sous la plume du poète :
Honte à toi la première
M’a appris la trahison...
Honte à toi, femme à l’oeil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l’ombre
Mon printemps et mes plus beaux jours...
Et la Muse répond :
Poète, c’est assez. Auprès d’une infidèle
Quand son illusion n’aurait duré qu’un jour,
N’outrage pas ce jour lorsque tu parles d’elle ;
Si tu veux être aimé, respecte ton amour