"Le Petit Journal, là, sous vos yeux.
Rue de Valois, 3 juin 1827.
La salle est pleine. Alexandre promène son regard parmi le public. Soudain, il rencontre celui d'une jeune femme qui se garde de baisser les yeux.
Après la conférence, il se retrouve dans un jardin pour prendre une tasse de thé. Elle est là. Avec sa fille. Dumas lui offre des friandises. Du coup, Mélanie se rapproche. Jolie et frêle, avec des yeux qui troublent infiniment Dumas, elle est mariée depuis sept ans avec un officier. Elle ne l'a jamais aimé, lui reprochant de l'avoir courtisée "froidement". A ses garnisons successives, elle préfère la tendre hospitalité de ses parents.
Dès la première heure, elle plaît à Dumas.
Donc il lui fait la cour à sa manière : la prenant brutalement dans ses bras quand personne ne les regarde, l'embrassant sans qu'elle puisse protester.
Cela dure. Il lui écrit de plus en plus souvent.
Il jure qu'il l'aimera toujours. Le 22 septembre, un dimanche, trois mois après leur première rencontre, elle se donne enfin mais par la suite, la rareté de leurs rencontres les enflamme tous deux. Alexandre à Mélanie : "Tu pourras me dire, quand tu le voudras, fusses-tu sur mon coeur, que tu me hais, que tu me détestes - mais le toucher me révèle le contraire..."
Désormais, ils se voient chaque soir. Une chambre louée par Dumas, rue de Sèvres, abrite leurs ébats. Imaginons le cri poussé par Mélanie qui se précipite dans la chambre en brandissant une lettre qu'elle lit aussitôt à Alexandre : tout heureux le capitaine Waldor annonce à son épouse qu'une permission va lui permettre de la revoir bientôt. Bien sûr, elle sanglote. On le voit, lui abasourdi.
Que signifie, aux retrouvailles du lendemain, le grand sourire d'Alexandre ?
Il explique : il s'est rendu dans la journée au ministère de la Guerre, a rencontré un officier ami et a obtenu de lui l'annulation du congé de l'intrus. L'officier n'a pas hésité après que Dumas lui eut annoncé que, si Waldor regagnait Paris, il le tuerait à l'instant : Mélanie et Alexandre sont sauvés.
L'infortuné capitaine Waldor ne comprendra jamais pourquoi ses autorisations de permission seront désormais régulièrement supprimées.
La clandestinité ne peut survivre longtemps, le couple s'installe rue Cassette. Intelligente et cultivée, elle commence à s'intéresser de près à la carrière théâtrale de son amant. Quand elle se sait enceinte, elle s'enfuit à la Jarrie, propriété de ses parents en Vendée, afin d'y poursuivre sa grossesse sans témoin.
Les amants sont convenus d'appeler Antony l'enfant qu'elle porte, nom de la pièce qui vient d'être reçu à la Comédie-Française. Dumas lui a juré de la rejoindre bientôt. Chaque jour, à la Jarrie, Mélanie est sûre de voir paraître Alexandre.
Il ne vient pas : il a rencontré Belle Krelsamer, comédienne dont le talent et la beauté l'ont sur-le-champ subjugué. Mélanie ignore tout de cette rivale, et son ventre s'arrondit.
De leur rencontre en Vendée, on retient surtout qu'il lui a révélé sa nouvelle liaison avec Belle.
On s'étonne d'un comportement auquel rien ne l'obligeait. L'ayant beaucoup observé, Mamie m'en a livré le secret : "Jamais il n'a su quitter une femme. Ce que l'on refusera de croire, ce qui est véritable cependant, c'est la constance fabuleuse du grand romancier dans ses amours. Je ne dis pas sa fidélité, remarquez-le. Il établit une différence totale entre ces deux mots."
Quand Dumas affirme à Mélanie qu'il l'aime toujours, il est sincère. Quand Mélanie pleure, quand elle laisse libre cours sa colère, il ne comprend pas.
Mamie encore : "Si les femmes ne lui avaient rendu le service de l'abandonner, il aurait encore toutes ses maîtresses, depuis la première."
Hélas, le désespoir de Mélanie se change en une crise de nerfs qui, au grand chagrin d'Alexandre, provoque une fausse couche. Les voici, dans ce malheur, unis derechef. Quand Dumas quitte Mélanie, il lui jure de rompre avec Belle. A Paris, il oublie son serment. Désarroi compréhensible de Mélanie qui, regagnant la capitale, se rue chez... Belle Krelsamer. S'ensuit un échange de cris, de larmes, d'implorations : chacune jure qu'elle est seule à être aimée.
Les coups sont évités de justesse. Le pire, le pire de tout : Mélanie apprend que "la krelsamer" est enceinte de Dumas.
La totale !
Mélanie veut mourir. Pour de bon. Elle adresse au médecin une lettre testamentaire :
"Je veux un marbre blanc avec écrit dessus ces quatre dates :
"Le 12 septembre 1827 (le jour où elle lui a avoué son amour)
"Le 22 septembre 1827 (date où elle s'est donné à lui)
"Le 18 septembre 1830 (quand il est parti de la Jerri)
"Et le 22 septembre 1830 (jour ou elle a décidé de se donner la mort)."
Elle ne se l'ai pas donnée. A quoi bon ? Elle a compris qu'elle voulait avant tout être libre. Après une séparation de corps avec le capitaine Waldor, elle entame une carrière littéraire, publie des romans, fait jouer une pièce, collabore à plusieurs journaux.
De Dumas, il ne lui reste que son fils Alexandre auquel, tout enfant, elle s'est profondément attachée. Alexandre II lui rendra bien d'ailleurs. Quand elle apprend la mort de Dumas, c'est à lui qu'elle écrit :
- Je pense à toi mon cher Alexandre en pensant à ton père que je n'oublierai jamais".