"Un coup de foudre.
L'histoire d'une rencontre relatée par l’homme qui était au premier rang ce soir-là, extrait :
"Cécilia est mon seul problème", m’avait-il confié en prenant ses fonctions. Invite moi à dîner avec elle, chez toi", trancha-t-il.
Un mois plus tard, Cécilia n’était plus là. Nous parlâmes de l’opinion un peu, des actions en cours beaucoup, de celles à venir plus encore. Et soudain il me lança : "Et ce dîner ? J’ai besoin d’un bon bain de copains. Et que l’on rie et que l’on chante. Je suis libre mercredi. Sophie et toi, l’êtes-vous ?
Tout se fit donc à la hâte. Puisqu’il voulait un dîner en chansons, j’invitais Julien Clerc et Carla Bruni, des artistes que j’aimais, à l’opposé de ses fréquentations musicales habituelles. Lorsque j’annonçai la liste des invités à Nicolas, il eut en arrivant à Carla, quelques secondes de silence.
Il est des blancs téléphoniques plus parlants que les mots. Je le questionnai sur elle : "Je ne la connais pas mais j’aime ses chansons", avoua-t-il. Était-ce déjà un signe ? J’appelai Carla. "Amène ta guitare, dis-je, tu donneras l’aubade au Président." Je ne croyais pas si bien dire…
Carla vient d’une autre planète, celle des êtres envoûtants. De longues formes brunes qui, lorsqu’elles vous approchent, vous ensorcellent et vous téléportent sur leur terre où l’oxygène est poésie et l’hydrogène, beauté.
Est-ce la race qui l’habite, l’intelligence qui l’anime, le sens critique qui la guide ou le talent qu’elle a de chaque chose, de chaque instant, de chaque mot dont elle use comme d’une arme pour vous faire pleurer ou rire d’une seule rime ? Qu’importe, croiser Carla est toujours croiser le fer.
Nicolas est en acier tremper, Carla est de diamant, le mélange ne pouvait être que destructeur ou fusionnel. Deux personnages shakespeariens se rencontrant ne pouvaient qu’en rester là, ou écrire ensemble un poème. Carla arriva la première. Je remarquai qu’elle avait troqué ses talons hauts pour une paire de ballerines. Carla ne marche pas, elle glisse. De là à ce qu’elle glisse dans votre vie, il n’y a qu’un pas. Elle n’occupe pas seulement l’espace mais le temps.
Il s’arrête, suspendu, à cette voix qui est à elle seule un instrument de musique. Envoûtante et parfois si fragile : la voix de son être.
Quelques mots et vous êtes prisonniers de ses griffes de velours. Nicolas sonna le dernier, portable à la main. Préoccupé mais chaleureux à son habitude. A peine assis, le téléphone réveilla la réserve générale.
"L’amour ?" lui lança Carla.
"Non, le boulot", répondit Nicolas.
Un ange passa. Etait-ce déjà Cupidon ?
Ainsi se dessina un jeu inattendu de séduction entre les deux fauves, chacun, tour à tour, marquant son territoire en titillant l’autre. Assaut d’humour, piques provocatrices, reparties de charme. Le courant passa. Il va électriser le dîner. Leur première rencontre se faisait à l’instant.
Et pour nous en live. Nous vivions sans le savoir une rencontre qui fera toutes les unes ! Je proposai de passer à table. Le plan de table allait de soi, Carla à la droite du Président, Sophie à sa gauche.
La joute s’enflamma de plus belle. L’entrée à peine desservie, Nicolas s’adressa à Sophie : "Pardonnez-moi un instant. J’ai deux mots à dire à ma voisine." Comme attiré par un aimant, il orienta sa chaise vers Carla. Le geste fut si soudain et si naturel qu’il ne choqua personne.
Pas même la maîtresse de maison à qui son invité tourna le dos la soirée entière. Ils étaient seuls au monde.
Nous, nous étions "Au théâtre ce soir", on jouait du Marivaux version XXIème siècle, un Marivaux où l’humour se fait amour, où l’humeur se fait bonheur et les dialogues, insoutenable légèreté de l’être. Nous en vînmes aux inconvénients de la célébrité. Piquée au vif, la Bruni releva le gant.
Nous en étions déjà au tutoiement : "En matière de peopolisation, tu es un amateur. Ma rencontre avec Mick (Jagger) a duré huit ans de clandestinité. Nous avons traversé toutes les capitales du monde et jamais un photographe ne nous a surpris.
"Donne-moi ta recette", demanda Nicolas.
"Très simple. Je le déguisais au gré de mes envies. Un jour la barbe, le lendemain la barbichette, le surlendemain la moustache et toutes les coiffures les plus folles".
"Et moi, dit Nicolas, comment me déguiserais-tu ? En béret basque, baguette sous le bras".
"Je trouverai mieux".
Carla venait de planter sa première banderille aux couleurs de la jalousie. La réponse fut sèche. "Mais comment as-tu pu rester huit ans avec un homme qui a des mollets aussi ridicules ?". Rires. Nous étions sous le charme, sentant que sous nos yeux se déroulait un moment d’exception.
L’amour était dans l’air, palpable, envahissant l’espace, Nicolas le premier en oublia le temps. Carla eut comme un rappel à l’ordre : "J’ai le sentiment d’être ta blind date ce soir, mais ne t’y fie pas, ta réputation te sert d’épouvantail".
"Ma réputation vaut la tienne. Et je la connais bien Comme je te connais bien, sans t’avoir jamais vu. J’ai tout compris de toi. Dans tes chansons tu joues les dures parce que tu es tendre, tu fais l’amour parce qu’on ne te la fait pas. Tu joues les jolies cœurs parce que tu as l’âme belle.
Je sais tout de toi parce que je suis tellement toi. A une exception près, qui me ravit : enfin une femme belle qui fume et qui boit".
Un silence que nul n’osa rompre et Nicolas acheva ce qui fut, sans qu’il le pense encore, sans qu’elle le sache encore, sa première déclaration. "Le 1er juin, tu vas chanter au Casino de Paris, tu vois je connais même ton programme. Ce soir-là, je serai au premier rang et nous annoncerons nos fiançailles. Tu verras nous ferrons mieux que Marilyn et Kennedy".
La scène se jouait au second degré et cependant tout allait être vrai, comme si, acteurs d’eux mêmes, il disait un texte écrit par le destin sans se rendre compte que c’est leur vie qu’ils s’offraient.
Leur bavardage reprit mais il n’était plus batifolage. L’un et l’autre paraissaient emportés par une attraction les dépassant, comme guidés par un aimant géant. Aimant ! Comme la langue française fait bien les choses… Nicolas et Carla tissaient déjà des projets communs.
Il paraît qu’à l’heure de notre mort, on voit se dérouler en accéléré le cours de notre vie passée. Un coup de foudre vous offre l’inverse : l’accéléré de votre vie à venir. Preuve que l’amour est une naissance.
"Carla, une chanson !" dis-je pour revenir sur terre. Je me trompais de direction nous allions nous envoler.
Les mots de Carla sont des caresses du cœur, ils vous parlent à voix basse de ce que vous avez vécu à haute voix. Et le charme se fait arme. Nicolas ne l’écoutait pas, il se laissait envoûter vers après vers, note après note. L’irréversible se fit là, à cet instant de grâce.
Je compris ce qui m’avait fait provoquer la rencontre de ces deux êtres. Ils étaient programmés l’un pour l’autre. "Carla, donne moi ta chanson", dit-il en guise d’applaudissement. "Pour quoi faire ?" "Comme modèle. Nous faisons le même métier. Séduire avec les mots. Toi en chansons, moi en discours".
Et il déclama le texte comme il l’aurait fait en meeting, du haut de son pupitre. Piquée au vif, la rebelle pris enfin sa guitare et chanta, les yeux dans les yeux de Nicolas. Lorsqu’elle en arrive à… "autorités", qu’elle dit avec la voix de Marilyn susurrant "Happy Birthday, mister President", nous comprîmes que ce n’était plus du théâtre.
Etrange cœur à cœur qui nous était offert sans impudeur, sans mystère, sans mièvrerie, sans cachotteries. Deux adultes retrouvant la fraîcheur de l’adolescence, incapables de lutter contre cette attirance qui les envahissait.
Soudain le Président se tourna vers la chanteuse et lui chuchota quelques mots à l’oreille. Nous ne pûmes rester sur notre faim. "Dis nous Carla", dis-nous. Elle refusa presque rougissante avec cette chance d’avoir l’âge de sa beauté, à cet instant dix-huit ans. Nous nous tournâmes en chœur vers Nicolas : "Dis-nous, Nicolas", dis-nous." Non, répondit-il, sauf si elle m’y autorise".
Elle ne lèvera pas son veto.
Il y eut un long silence, le calme après la tempête des sentiments. Nous étions sous le choc, nous étions sous le charme... Lorsque, le lendemain matin, Sarkosy m’appellera pour me remercier, je lui demandai en retour de m’avouer son chuchotement. "Je lui ai dit : Carla, es-tu cap à cet instant, devant tout le monde, de m’embrasser sur la bouche ?"
Jamais le premier soir, mais il y aura une vie d’autres soirs".