"Les souvenirs de Pierre Perret ...
Dans l'arrière de la boucherie des Laborie trônait un superbe piano noir Pleyel quart-de-queue sur lequel la bonne nenette m'apprit à chanter : "Tout va très bien, Madame l marquise..."
Pour la fête de l'école maternelle, qui devait avoir lieu au mois de juillet, nous avions appris et répété maintes fois cet hymne, ce tbe sans doute le plus chanté avec la Marseillaise sur le sol national :
"Ce n'est qu'un au revoir, mes frères..."
Je ne me souviens pas d'une époque de ma vie où je n'ai pas chanté. Mon parrain m'apprenait Y a d'la joie vers mes cinq ans. Je prenais la voix aiguë pour chanter Sombreros et Mantilles. Ma ritournelle, c'est la plus belle était incontestablement ma favorite.
Ma ritournelle qu'entonnait Tino Rossi, matin et soir, au "Poste parisien", n'était autre pour ma pomme qu'une gonzesse qui s'appelait Marie Tournelle et dont j'étais éperdument amoureux...
Les chansons chantées un peu plus tard, dans la cour de la communale, étaient l'archétype de ces quatrains triviaux que les parents redoutent tant d'ouïr dans la bouche pure de leur progéniture.
"Cupidon, veux-tu du fromage ?
Oui, maman, avec du beurre dessus.
Non, mon fils, t'auras pas de beurre.
Bien, maman, fous-le-toi au...
Cupidon..."
Il y avait aussi cette chanson que mes petits voisins rabâchaient avec moi à longueur de journée à notre petite voisine, qui pour son malheur s'appelait Alice :
"Alice qui pisse a bord du ruisseau
Un nègre qui passe lui voit le zoizeau..."
Papa, lui aussi, chantait dès qu'il rentrait à la maison :
"Sur la mère calmée
Soudain une fumée..."
Son éclectisme était sans bornes :
"Pour promener mimi...
Ma p'tite amie mimi..."
Puis reprenant sa voix de ténor :
"Voilà, voilà ce que je veux vous di-reuuu
Mais hélas... j'ai trop peur de vous..."
A la moindre fête, noce ou banquet, il "poussait" Félicie aussi et les chansons de troupier que chantaient Fernandel, Georgius, Bach et Laverne, celles de Fragson, d'Ouvrard bien sûr, "J'ai la rate qui s'dilate..." etc.
Avec mes copains, nous jouions et chantions aussi bien La danseuse est créole que Fleur de Paris ou le Petit vin blanc, qui étaient de sacrés succès en ce temps-là. On écumait toute la cambrousse alentour. Qu'est-ce qu'on rigolait et qu'est-ce que ça me plaisait !
Nous jouions dans les fêtes de village les samedi, dimanche et parfois lundi. La coutume voulait, le dimanche matin, que nous allions offrir "le bouquet" de porte en porte.
Grimpés sur une cammionnette, à ciel ouvert, nous faisions joyeusement l'aubade aux citoyens qui donnaient leur obole à la municipalité. Il fallait bien sûr faire le tour du pays, aller jouer pour tout le monde, et ne pas faire de jaloux.
Il n'était pas rare qu'on nous de mande d'exécuter la Marseillaise devant la maison du maire réactionnaire et, dix mètres plus loin dans la même rue, de jouer l'Internationale pour son adjoint qui, lui, était "communiste" ! Tout le monde se retrouvait réconsilié le soir, au bal, en dansant La raspa ou Joseph est au Brésil.
Heureux temps.
C'est à mes potes que j'ai esgourdé pour la première fois le disque de Brassens, le microsillon 25 cm où il tient sa guitare comme une pioche avec l'ombre d'un gorille dans le dos.
Tout rouge, il est. On l'a écouté des centaines de fois. A s'en faire péter les cages à miel, sur mon petit électrophone-mallette Philips, la pointe du progrès. On connaissait les chansons par coeur.
Un jour, on a décidé d'aller le voir à Paris. Tout au long de la route, on a chanté les chansons de Georges Brassens, Le Parapluie, La mauvaise réputation, Le Gorille, tout y est passé.
Voilà chers amis, j'espère vous retrouvez bientôt. Et comme on disait à la fin des épisodes des Pieds Nickelés que je je dévorais dans mes tendres années...
Mémé m’achetait toujours toutes sortes de petits cadeaux tels que des kaléidoscopes, des canifs ou encore ce petit appareil tout nouveau que l’on plaçait devant ses yeux pour y voir la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe en faisant défiler les photos protégées par du mica.
Presque tous les mercredi - jour sans école en ce temps-là, elle sollicitait de maman ce morceau de bonheur à vivre avec son petit-fils. Chez mémé, il n’y avait pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de chauffage.
C’est dans un cagibi qu’on "faisait ses besoins". Quand nous allions cueillir des asperges sauvages, des champignons de rosée ou des pissenlits, mémé, lorsqu’elle était prise d’un besoin pressant, se soulageait debout, les jambes écartées sous son jupon de coton écru, à la lisière dentelée.
Sans s’isoler le moins du monde et sans la moindre vergogne, elle écartait les cuisses en compas et arrosait copieusement le gazon à travers sa culotte fendue avec un air d’évidente satisfaction.
"Ah ! ba pla aro !" (traduisez : ça va bien maintenant !) Que ce soit pour faire la soupe ou pour laver ses vêtements, elle charriait plusieurs fois par jour de lourds seaux en fer galvanisé qu’elle remplissait d’eau à la pompe de sa rue.
Elle a refusé l’électricité et l’eau à la maison, elle était réfractaire à toute innovation et refusait même d’absorber le moindre médicament. "J’ai toujours guéri avec les herbes."
Avec Jeanne, sa voisine, elle passaient le plus clair de leur temps à se disputer, voire à s’insulter avec une méthodique détermination. Des digressions sucrées venaient tout aussi bien fleurir leurs lèvres à propos de leur bonne mine ou de leur dernière tenue vestimentaire.
- Eh bé ! es pla poulit aquel tablier... (Il est bien joli ce tablier). Mais cal abé d’argèn per crumpa aco ! Toutis l’abem pass ! (traduisez : mais il faut avoir de l’argent pour acheter ça, tout le monde n’en a pas).
Tout en tricotant chacune devant chez soi, elles rapprochaient leurs chaises de temps en temps, histoire de dispenser à mi-voix quelques coups de patte à une étrangère au quartier qui passait dans la rue."Adiou pitchou ! ba pla ?"
Que me disait jeanne quand je la croisais."Restoté aquiou ; cas plus parl à ma quello puto ! Aquello garço à la narri pouyrito !" (Reste ici ; il ne faut plus parler avec cette pute. Cette garce, qui a la narrine pourrie !) que disait mémé quand je croisais Jeanne alors qu'elle lui faisais la gueule...
Sans oublier : "Allez, baï ten, saloupario !" que mémé lançait au chien de Jeanne, toujours quand elle lui faisait la gueule...Je me souviens qu'elle rajoutait au cabécou, creusé en son milieu, une demi-cuillerée à café de Rhum - juste pour parfumer !
Cette saveur-là, non plus, je ne l’ai pas oubliée, pas plus que le rituel de l’assiette retournée au terme du repas, afin d’économiser la vaisselle.
On "soupait" de bonne heure le soir chez mémé. Elle posait une grosse soupière fumante et odorante dès qu’on en enlevait le couvercle. Il y avait un petit morceau de lard au milieu de trois ou quatre pommes de terre, la moitié d’un chou frisé et parfois même quelques jeunes fèves toutes tendres, cuites dans leur cosse.
Ce bouillon avait un fumet incomparable.Mémé dépliait alors un gros torchon écru et en sortait une imposante miche de pain.
De la pointe de son gros couteau à manche noir, elle traçait un signe de croix sur la face plate de pain quand ce dernier n’était pas entamé.
Puis d’un geste sûr et franc, elle prélevait deux larges tranches découpées en sifflet qu’elle couchait au creux des assiettes calottes ornées d’une tulipe rose, elle versait dessus l’odorant bouillon. A la fin, la belle tulipe rose était propre comme un sou neuf. Il ne restait plus rien.
"Si tu viens la semaine prochaine, on ira aux pradélets" ou "Je te ferai une millassine ou des crêpes" ou "J’te ferais un touraing". Ah le touraing à l’ail de Mémé ! Ce blanc d’oeuf durci et le jaune cru qui avait auparavant lié son délicieux bouillon, avec cette pointe de divin vinaigre que mémé seule possédait. Comment résister ?
Heureux tous ceux qui n’ont pas connu le touraing de mémé, ils n’ont jamais eu à le regretter...- Eh bé !.. on a bien mangé, eh mon pitchou.- Tu n’as pas fait une millassine ? La délicate touche de fleur oranger, son attirante couleur jaune-brun, l’inégalable onctuosité de ce bouquet de saveurs au sucre vanillé et à l’imperceptible parfum de rhum ambré me faisaient littéralement saliver à l’avance. Dès l’instant de la première bouchée, le temps s’arrêtait.
Mémé, sans un mot, suivait du coin de l’oeil la moindre de mes réactions gustative. L’indispensable petit signe de jubilation qu’elle décelait chez moi était sa récompense suprême.
Après que nous avions avalé l’incontournable bol de tilleul pour mieux dormir, mémé disparaissait dans la souillarde pour y enfiler son costume de nuit avant de libérer la somptueuse crinière soyeuse qu’elle avait nouée en chignon. "
Je les ai ai jamais lavés qu’une fois par semaine avec du savon de Marseille et rincés avec du vinaigre. C’est ça qui les garde souples...
Le matin, très tôt, après avoir englouti une dernière tartine de confiture de quetsches, que, le panier à la main, nous partions aux champignons.
Une cueillette de cèpes, de girolles, d’oronges, de rosés ou de trompettes-de-la-mort. Quand sur le chemin du retour, on croisait des promeneurs, elle lançait - immanquablement -, je cite : "Tu les vois ces couillons, après nous, ils ne trouveront rien !"
Les mineurs effectuaient de très durs travaux. En sortant, ils ne se contentaient guère d’un verre de vin en mangeant au bistrot. C’était souvent la bouteille entière qu’il leur fallait. Ils en emportaient de plus une ou deux, lorsqu’ils repartaient affronter les insupportables températures de la fonderie à l’usine.
Il y avait même quelques énergumènes au gosier particulièrement sec qui sifflaient en mangeant non seulement leur bouteille de vin rouge, mais aussi leur chopine d’eau-de-vie blanche pour "consoler" leur café.
L’eau minérale au café, nous n’en eûmes jamais. celle de la pompe suffisait largement pour "mouiller le pastis". L’eau de Seltz avec ses jolis siphons bleus ou roses giclait quant à elle d’un coup dans les verres des amateurs de Suze, de Clacquesin ou de Picon. En ce temps, là on servait une barrique de de cent dix litres de vin rouge qui était uniquement vendu au comptoir. cela représentait au moins huit cents verres servis dans la journée !
Il y avait aussi les amoureux à bicyclette qui s’arrêtaient là pour se rafraîchir sous la tonnelle avec un diabolo menthe, une canette de bière, un soda ou encore un panaché. Ses amis, il y avait Pibale le Bordelais, Arendo, Cekom, ainsi surnommé parce qu’il interrompait sans cesse son interlocuteur en lui disant "C’est comme moi !"...
Nous écoutions bon gré mal gré les interminables litanies de La Sardine, si petit et si maigrichon, celles de Camembert - parce qu’il en mangeait un par jour -, ou de Ficelle - parce qu’il en avait plein les poches et qu’il faisait des démonstrations de noeuds de marin aux clients épatés. il y avait aussi la Châtaigne, toujours prêt à en découdre avec le premier qui le contredisait.
L’avocat, un moulin à paroles ou encore Poulet un ancien Rugbyman qui pesait cent-dix kilos et avalait six oeufs au plat et six tranches de jambon tous les matins, avant de pointer à cinq heures à l’usine. Il y avait aussi Picon parce qu’il en buvait dix à quinze par jour avant qu’on ne l’enferme chez les fous à l’asile de Montauban.
Il y avait aussi deux frères, des Polonais qui se démolissaient consciencieusement le portrait, on les appelait Boum et Paf. Ils tournaient à la gnôle. ils ont mal finis, le premier Boum est partit un jour à l’asile de fous, d’où il ne revint jamais. Son frère Michel, ne sachant plus sur qui taper désormais, dépérit tant qu’il en mourut aussi, après avoir absorbé une bouteille de "schnaps" au goulot.
Le long du comptoir, la convivialité s’installait vite. tant de gens ont tant de choses à s’y raconter ! Bien sûr, on y boit aussi, au café, ça fait parti du plaisir. C’est tellement plus agréable de déguster son pastis, sa bière, son mandarin entre copains.
Il n’était pas rare que les mamans envoient leurs rejetons rappeler à leur papa qu’il avait un foyer où il était attendu. C’était souvent le benjamin qui venait tirer son père par la jambe de son bleu de travail était plus ou moins bien reçu.
Souvent plutôt moins que plus... "Va dire à ta maman qu’elle m’emmerde !" ou "Dis à ta mère que celui qui commande, c’est encore moi !" ou bien "Dis à la vieille que si elle continue à me "tartir", elle peut retourner chez sa mère." Le père prenait alors ses copains hilares à témoin : "Ah ! ces femmes."
Ah ces femmes…