"On ne discute pas d'une étoile, elle brille, c'est tout.
L'histoire commence devant un magasin de disques à Marseille, Tino voit une pancarte "Pour 100 sous, faites enregistrer votre voix." Il grave deux chansons, les confie à papa Rossi : "Tu les ramènera à mamma" dit Tino. Mais la légende est là, qui attend, sous la forme du représentant de la firme Parlophone. Celui-ci se tourne vers le jeune corse : "ça vous plairait d'enregistrer pour nous?" "Quelle question !"
Le destin est en marche...
Costume blanc ou bleu marine à boutons d'or, l'oeillet carmin à la boutonnière ou borsalino façon Carlos Gardel, Tino surfe sur la vague du Latin Lover dont le public est friand. C'est la gloire immédiate, via la TSF. L'argent se met à pleuvoir. Les femmes deviennent folles. On arrache les boutons de sa veste, des filles se couchent devant sa voiture, il trouve des beautés nues dans son lit. Difficile de résister, d'ailleurs Tino ne résiste pas. Il l'avoue avec candeur, depuis toujours il savait. Autrefois, à Ajaccio, devant ses copains, il se tapotait la gorge en disant : "il y a des millions qui dorment là..."
Le grand amour de sa vie transforme cette existence exemplaire en tourbillon : Tino rencontre Mireille Balin, elle est d'une beauté ravageuse et tourne toutes les têtes. Un milliardaire s'est suicidé pour elle, dit-on, et un ministre est devenu moine. Elle est la damnation de Tino : ils se battent, cassent les assiettes, font des scènes en public, se réconcilient. Elle est d'une jalousie insensée, inspecte ses valises, ses poches... avant de se séparer en 41. Mireille Balin sera violée à la libération par des résistants, puis mourra oubliée, alcoolique, déchue.
Après guerre, le miracle continue, les mélodies de Vincent Scotto plaisent, la simplicité de l'artiste fait taire tous les reproches. Marcel Achard vole à la rescousse : "On ne discute pas d'une étoile, elle brille, c'est tout."
Quelques mois avant sa mort, il confie à un journaliste le secret de son succès : "J'ai une voix très longue. A l'époque, elle couvrait trois octaves. Mais vous savez la puissance ne veut rien dire. Il y a le gros écu et le petit louis d'or qui vaut deux fois plus cher."
Reste une question lancinante : que signifie ce Tchi-tchi qui scie les nerfs ? C'est simple : "Je ne pouvais pas dire pouet-pouet..."
Revue de presse :
"Nous avons sans doute vécu hier soir, au Casino de Paris, un tournant de l’histoire de la chanson française. Quand il est entré en scène, vêtu d’une chemise et d’un pantalon bouffants, d’une veste portée négligemment sur l’épaule et la guitare en bandoulière. Tino Rossi était inconnu du grand public. Vingt minutes plus tard après avoir interprété O Corse Ile d’amour et Vieni, Vieni, des chansons spécialement écrites pour lui par son ami Vincent Scotto, il était célèbre. Les femmes étaient conquises. Certaines affirmaient même qu’elles avaient eu le privilège d’applaudir un nouveau Rudolf Valentino, dont la voix était aussi unique que le charme. Damia lui a fait un soir quelques remarques : "Ton répertoire de chansons folkloriques, ce n’est pas suffisant. Et puis, tu ne sais pas te tenir en scène.Trouve ton personnage et ça marchera." De toute évidence, il a suivi ses conseils au pied de la lettre".
Deux ans plus tard : il revient habillé en berger et chante Plaisir d'amour de Paul Delmet, la Romance de maître Pathelin, mais surtout Marinella, son dernier succès, dont le disque se vend chaque mois à 80 000 exemplaires, soit six fois plus que les autres 78 tours présents sur le marché. Conscient de sa popularité, en particulier auprès des femmes, il demeure résolument modeste. Sachant que le plus dur de son parcours reste à faire, il répète, à qui veut l'entendre, le conseil que lui a donné Scotto : "Si tu veux durer, chante toujours l'amour. A défaut de le vivre, les femmes auront toujours besoin qu'on leur chante."
Dix ans plus tard, dans Destins, un film de Richard Pottier dont il est la vedette, Tino Rossi joue deux frères et interprète Petit papa Noêl, une chanson qui n’était pas prévue dans le scénario original. Au départ, le visage maquillé en noir, il devait chanter negro spiritual, accompagné par un quartet spécialement venu de Harlem pour le tournage. Ce groupe s’est désisté et, se remémorant des débuts à Aix-en-Provence où, encore inconnu, il avait chanté la Pastorale, Tino a eu l’idée d’inclure, dans l’histoire, un chant célébrant cette fête traditionnelle. "Il n’y a rien eu de vraiment nouveau dans ce domaine depuis très longtemps", a-t-il expliqué aux producteurs du long métrage pour obtenir leur feu vert. Il a alors interrogé la plupart des auteurs et compositeurs. Raymond Vinci et Henri Martinet lui ont ainsi présenté des couplets créés, à l’origine, pour une revue à Marseille. Ils n’avaient eu aucun succès et l’auteur et le compositeur les avaient rangés dans un tiroir dont, à coup sûr, ils ne sortiraient jamais. Après les avoir attentivement écoutés, Tino n’a pas hésité et à décidé de les inscrire à son répertoire. "Tu verras, ce sera un succès", a-t-il déclaré à Vinci, septique. Le 78 tours va dépasser de loin ses espoirs les plus optimistes.
Le 14 juillet 47, Tino se marie à Cassis. Il épouse Lilia Vetti, qu’il a rencontrée voici cinq ans à Aix-les-Bains en zone libre. Elle était alors danseuse et travaillait dans la troupe de Mistinguett. Fou d’amour, le roi des chanteurs de charme va lui faire porter chaque matin, pendant quinze jours, une gerbe de roses accompagnée d’une carte ainsi rédigée : "De la part d’un admirateur dévoué." Confiante en l’avenir, elle déclare aujourd’hui : "Je monterai une garde vigilante autour de mon mari et l’aiderai à résister aux assauts de ses admiratrices."
Néanmoins, Tintin, ainsi que le surnomment les Corses, serait-il passé à la postérité s'il n'avait pas créé Petit papa Noël ? Imaginé en 1946 pour le film Destins de Richard Pottier, le titre se serait depuis écoulé à près de trente millions d'exemplaires, un record absolu pour une chanson en français ! Un heureux concours de circonstance en réalité... Dans ce film, Tino devait au départ chanter un négro spiritual entouré d'enfants noirs mais au dernier moment, le choeur gospel prévu a dû rejoindre l'Amérique sans crier gare, laissant le film en plan. On conseille à la vedette d'opter pour Minuit chrétien mais peu convaincu, Tino fait le tour des compositeurs en quête d'un inédit. Rien ne trouve grâce à ses oreilles. Finalement, le dernier, Henri Martinet, lui fait écouter un titre écrit pour une revue marseillaise reléguée au fond d'un tiroir : Petit Papa Noël !
Désuet mais néanmoins suivi tout au long de sa vie par l'immense public de sa génération, Tino Rossi s'éteint à 73 ans en 1983 des suites d'un cancer, emportant avec lui toute une époque... Ma Mamie m'a dit que Tino a été un des plus grands mais qu'il était suffisant et qu'il aurait pu faire mieux. Tout Mamie est dans cette réplique. Elle était un peu rabat-joie, parfois.
Rideau.