"Un souvenir de Dominique.
Notre voiture était une 404 familiale Peugeot diesel bleu ciel. Mon père était allé l'acheter à Montbéliard parce qu'il disait qu'aller la chercher directement à l'usine, c'était moins cher.
La banquette arrière, plus étroite, était réservée à mes trois petits-frères, qui rouspétaient parce qu'ils n'avaient pas de vrais fenêtres. Mon frère aîné et moi étions sur les sièges derrières mes parents, avec de vraies fenêtres à manivelle qu'on n'avait pas le droit d'ouvrir.
Devant, mon père, le conducteur, et ma mère, co-pilote, avec le dernier sur les genoux. La ceinture de sécurité ? On en voyait dans le Paris-Match chez le coiffeur, mais c'était sur les photos des fous qui faisaient les 24 Heures du Mans.
La voiture avalait les kilomètres, et mon père avalait les gauloises. Ma mère allumait la cigarette et lui glissait entre les lèvres. J'adorais l'odeur de souffre de l'allumette et celle de la première bouffée. Après c'était un peu écoeurant. On avait des sacs à vomi, parce que mes frères vomissaient souvent et qu'on ne pouvait quand même pas s'arrêter tout le temps. Je crois que c'étais l'odeur qui faisait ça, celle des cigarettes.
L'habitacle baignait dans une fumée bleue comme le matérield es vacances. Quand un de mes frères disaient : "J'ai envie de vomir", ma mère faisait passer un sac en papier enduit. Le vomisseur hoquetait, vidait son estomac. Le sac repassait devant avec une grande prudence parce que ça puait très fort. ma mère plaiait le bord, ouvrait sa fenêtre et d'un geste ample, le balançait dans le fossé. On ne connaissait pas l'écologie et l'environnement. Hop ! dehors le sac en papier, et la route continuait.
Mon père disait : "On attaque le massif central", et les virages se succédaient. Cette partie du trajet était encore plus vomitive. Mon père avait pitié et s'arrêtait pour manger. maman sortait la glacière, le pain et le jambon, le saucisson et les oeufs durs. On devait s'asseoir sur l'herbe roussit au bord de route qui nous piquait les fesses tandis que mon père mangeait en marchant pour se dégourdir les jambes. Après une rasade d'eau parfumée à l'Antésite, on repartait, fallait pas traîner.
Après des heures et des heures de route, nous arrivions à destination : la vallée Heureuse, dans les Pyrénées.
Depuis les premières voitures "64", ma mère chantait sa chanson : "Bet céou de Paou..." ça parlait du beau ciel de Pau, là où elle était née. Mon père sifflait en même temps.
Bonheur, nous arrivions...